Imaginons une autre façon d’habiter

Une société où on ne paie pas le tiers (et plus) de son salaire pour simplement se loger.

Une société où la richesse accumulée dans la bulle immobilière est collectivement utilisée pour dégonfler, graduellement, la bulle et réduire l’emprise du capital foncier et immobilier sur l’économie et la société tout en construisant le stock de logements qu’il nous faut.

Rob Carrick, dans le G&M du 9 janvier dernier, suggérait au prochain premier ministre du Canada (ma traduction) :

[S]upprimer l’exonération de l’impôt sur les plus-values pour les résidences principales, que ce soit en partie ou en totalité. L’une des raisons de la faible productivité du Canada est que trop d’argent est immobilisé dans l’immobilier plutôt que dans d’autres types d’actifs. Compte tenu de l’augmentation massive des prix de l’immobilier au cours des dernières décennies, c’est tout à fait compréhensible. Lorsque les marchés de l’immobilier se réchauffent, les acheteurs se font concurrence et surpayent en raison du potentiel d’investissement.
La réduction de l’exonération de la résidence principale ferait de l’immobilier un choix de vie plutôt qu’un investissement. Il en résulterait un marché plus calme qui laisserait plus d’argent à dépenser pour des choses telles que des investissements dans des entreprises qui construisent l’économie.
Il faut s’attendre à une réaction furieuse si l’exonération de la résidence principale est annulée, en particulier de la part des personnes âgées qui considèrent leur maison comme leur plan de retraite. Toutefois, l’impact fiscal réel sur les maisons ne serait pas monstrueux. N’oublions pas que la partie imposable de la plus-value ne serait que de 33,3 %.
L’imposition des maisons ne devrait pas faire s’effondrer le marché du logement – les gens ont toujours besoin d’un endroit pour vivre et élever une famille, n’est-ce pas ? Mais elle réduirait les pressions spéculatives qui ont entraîné une hausse des prix de l’immobilier bien supérieure à celle des revenus au cours des deux dernières décennies. Le résultat net serait probablement une baisse des prix à court terme, suivie d’une modeste appréciation.
Il semble que nous ayons décidé de construire plus de maisons comme remède économique au problème du logement inabordable, mais c’est un processus qui évolue lentement et qui est vulnérable aux conditions économiques défavorables. L’imposition des plus-values immobilières est un moyen plus rapide de rendre le logement abordable et, ce qui est tout aussi important, de réaffecter les capitaux sur le marché canadien dans l’intérêt de tous.

On pourrait « dorer la pilule » d’une fin à l’exonération de la résidence principale en offrant aux détenteurs individuels de plus-value immobilière la possibilité d’investir (avec un rendement plus lent mais une garantie sur le capital) dans une « corvée nationale » de construction d’unités locatives abordables.

Une telle « corvée » pourrait être amorcée par une initiative de fondations caritatives visant à multiplier les investissements des premiers participants dans des projets « hors marché ».

Mais construire du logement « hors marché », j’ai l’impression que ce n’est pas que du logement… il s’agit de construire une autre manière d’habiter, de partager l’espace et les ressources.

Extrait de ‘Reversing the ‘iceberg’

Renverser l’iceberg : rendre l’économie plurielle visible

« L’accent mis sur l’économie capitaliste se manifeste également dans la pratique de l’urbanisme. Les espaces urbains sont conçus pour favoriser la croissance économique en augmentant le PIB plutôt que le bien-être socio-environnemental. La croissance insatiable n’a pas seulement épuisé la nature, elle a également créé une hiérarchie de pouvoir et des inégalité à différents niveaux géographiques et temporels. Les diverses économies sont souvent sous-évaluées et occultées alors qu’elles contribuent grandement au bien-être socio-environnemental.

Se concentrer sur l’économie plurielle peut aider à comprendre les pratiques et les ressources locales, et peut ouvrir la possibilité de responsabiliser la communauté. »

Extrait de Reversing the ‘iceberg’ (PDF)

lectures du dimanche

Je vous propose ici quelques articles que j’ai trouvé assez intéressants pour les traduire en français.


Ensauvager nos villes, ou les réensauvager. Créer des ponts de nature, des aménagements qui rendent la cohabitation avec d’autres formes de vie qu’humaine plus facile. Un article publié le 27 mars par Alexi Freeman, sur le site Matters dont la devise est: Stories, people and ideas doing good.


L’importance de la régénération biorégionale pour la santé de la planète, un article qui n’est pas récent (2020) mais qui définit bien le concept de biorégion et donne plusieurs exemples de tels initiatives.


Dans L’espoir d’un avenir différent, j’ai rassemblé 4 articles publiés par Sally Lowndes et Jessica Prendergrast, en février 2025 en un document PDF. Des modèles de transition à l’écosystème des praticiens de l’avenir alternatif (au Royaume-Uni)… Des textes inspirants !


Dark Matter Labs, c’est un ensemble d’initiatives, de laboratoires, de studios… visiter leur site, c’est plonger dans une structure à plusieurs dimensions. J’ai voulu mieux saisir un aspect de cette complexité : les capacités (capabilities) que DM cherche à développer. J’en ai traduit les définitions dans La matrice de Dark Matter Labs.


Le dernier (ou récent) billet de Andrew Curry, sur Just Two Things, porte sur deux choses (!) : A. Une initiative d’un artiste gallois qui dénonce l’endettement des personnes aux prises avec des prêteurs frauduleux, en rachetant leurs dettes avec son propre argent. B. Une liste de 10 livres qui expliquent pourquoi on en est rendu là… Il y a au moins UN livre de cette liste que je veux lire : celui de Svetlana Alexievitch : La fin de l’homme rouge. Ma traduction : Les sombres rouages du marché des créances douteuses // Les livres qui expliquent le moment politique actuel.


Le Canada s’éveille à son propre pouvoir, ou à ce qu’il pourrait être. Un article de Adam Radwanski, publié dans le Globe and Mail du 5 avril. Le pays a les moyens de s’éloigner du « grand frère »…

Streeck et le retour des nations

J’avance dans ma lecture, passionnante, de Taking back control? States and state systems after globalism, mais comme ce livre a été écrit avant l’élection de Trump, je me suis demandé s’il avait écrit quelque chose après l’arrivée au pouvoir du clown.

Et j’ai trouvé deux textes : Overextended: The European Disunion at a Crossroads, que j’ai traduit en français : La désunion européenne à la croisée des chemins.. Un autre texte, aussi proposé sur le site de l’auteur, une entrevue publiée dans la revue Jacobin Wolfgang Streeck: “Global Governance” Is a Pipe Dream. Une entrevue que j’ai aussi traduite : La « gouvernance mondiale » est une chimère. Ce dernier texte est d’abord plus facile et introduit bien au livre : Taking Back Control?

Wolfgang Streeck est un sociologue allemand dont j’ai beaucoup apprécié Du temps acheté : La crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique, paru en 2014.

Streeck se fait très critique de l’Europe actuelle, qu’il décrit comme trop étendue et entre les mains de technocrates à Bruxelles, mettant plutôt de l’avant un retour en force de nations plus autonomes et plus à même d’orienter leur développement et leurs alliances, alors que d’autres prêchent la disparition des États-nations au profit d’une gouvernance « planétaire » (Réalisme planétaire). Cette opposition peut paraître radicale, et idéaliste, compte tenu du durcissement des « blocs » commerciaux, et de la montée de la « realpolitik » (voir le post de Alain Lipietz que j’ai reproduit). Pourtant je crois, avec Streeck, que des nations plus agiles, aptes à s’engager dans des changements rapides et radicaux, c’est la seule avenue décente. Ce qui n’implique pas un retour à l’autarcie et au replis sur soi, mais plutôt permet d’envisager des échanges internationaux qui ne seraient pas dictés par les seules lois de l’accumulation capitaliste.

vendredi vrac (6)

Plan du billet :

municipalités, urbanisme, aménagement, planification

Favoriser la civilité

Capsules informationnelles à l’intention des élues et élus municipaux pour favoriser la civilité

Les capsules se regroupent sous le thème « Travailler en collaboration ». Elles ont pour objectif de contribuer au maintien de relations saines et constructives entre les différents acteurs d’une municipalité en abordant des stratégies pouvant être utilisées par les élues et élus. Elles peuvent être écoutées dans l’ordre ou à la pièce selon l’intérêt de chacun et de chacune. Au courant des prochains mois, d’autres capsules portant sur la communication efficace et la mobilisation des acteurs municipaux seront également publiées.

Appels d’offres municipaux

Dans le cadre des mesures annoncées par le gouvernement du Québec, une pénalité devra dorénavant s’appliquer à l’égard des soumissions des entreprises situées aux États‑Unis, lorsque celles-ci participent à un appel d’offres public, et ce, pour certaines catégories de contrats. Ces catégories sont les suivantes :

  • Le matériel et les logiciels informatiques;
  • Les fournitures et les équipements médicaux;
  • Les produits pharmaceutiques;
  • Les instruments scientifiques.

Réduire la taille des conseils municipaux au Québec : une solution partielle à une crise globale ?

Par Yann Fournis et Nathalie Lewis

Des chercheurs en développement territorial à l’Université du Québec à Rimouski mènent des enquêtes sur la démocratie locale dans les petites municipalités rurales du Bas-Saint-Laurent.

Fragilisées, ces petites municipalités rurales ont désormais moins de ressources communautaires pour compenser des missions de plus en plus larges sur un espace immense… Dans ces conditions, exiger qu’elles incarnent à peu près seules une politique durable d’occupation du territoire tient, au mieux, du vœu pieux.

Ceci laisse un peu perplexe, parce que le projet de loi visait précisément à favoriser un renouvellement du personnel politique municipal. Et la mesure vient plutôt valider le fonctionnement traditionnel des conseils municipaux, entérinant son repli sur des bases de plus en plus ténues…

réduire la taille des conseils municipaux

Or, les pistes les plus prometteuses pour un renouvellement de la vie démocratique municipale relèvent sans doute plus d’une ouverture que d’une fermeture de l’espace local.

Les limites des politiques actuelles sont de plus en plus apparentes. Parier sur les seules dynamiques endogènes pour développer les territoires risque de mener à des petites mesures sans cohérence d’ensemble. Peut-être serait-il temps de repenser, sinon à une vaste réforme territoriale, à la mise en place de mécanismes d’accompagnement provinciaux solides, pour favoriser et encourager les démarches locales et structurantes.

Montréal 2050, le rapport de l’OCPM

Article Le Devoir

Le rapport PUM2050 de l’Office de consultation publique de Montréal.

En introduction, « prendre acte du fait que malgré un appui globalement favorable aux orientations que propose le projet de
PUM, cela n’est pas toujours représentatif de ce que l’on entend dans l’espace public. [U]n contrat social reste à bâtir pour que les orientations que propose le projet de PUM puissent se concrétiser. »

« La Ville compte porter, d’ici 2050, le total de logements hors marché à 20 % du parc résidentiel, ou 229 000 unités, comparativement à 63 000 (6,9 %) au début de l’année 2024. »

Catalogue de modèles de logements

Le gouvernement fédéral dévoile des modèles de conception faisant partie du Catalogue de conception de logements

Le maire et sa communauté

Nouvelle parution, PUQ, Université du Québec à Rimouski

Spécialiste de la gouvernance territoriale, le professeur Yann Fournis vient de publier un ouvrage sur le palier politique qui est le plus près des citoyennes et des citoyens. Intitulée Le maire et sa communauté [:] Une sociologie politique des élus municipaux au Québec, la publication lève le voile sur les rouages de la politique municipale.

Continuer la lecture de « vendredi vrac (6) »

Le pouvoir numérique (2)

Depuis le billet du 21 février (le pouvoir numérique), ma découverte la plus impressionnante : Eurostack, une alternative européenne pour la souveraineté numérique. En fait il s’agit plutôt de EuroStack – A European Alternative for Digital Sovereignty, un document de 130 pages faisant le tour des différentes dimension du monde numérique et de la dépendance plus ou moins avancée des pays européens devant les Big Techs américaines. J’en ai fait une traduction française, pour en faciliter l’étude. Attention, certaines erreurs de la traduction par DeepL ont été identifiées.

Dans la suite (ou la convergence) des appels à la souveraineté numérique lancés avec Reclaiming Digital Sovereignty ou encore le mouvement des technologies non-alignées.

Dans Beyond Big Tech Geopolitics – Moving towards local and people-centred artificial intelligence, un doctorant des HEC Montréal, Kai-Hsin Hung, en appelle aussi à recentrer sur les humains le pouvoir numérique. J’en ai fait une traduction (Au delà de la géopolitique des Big Tech) alors que Régnauld en faisait un résumé, mais avec un titre plus long : Par-delà la géopolitique de la « Tech » : pour un mouvement numérique des pays non-alignés.

Sur un plan plus épistémologique et lié aux défis de la planification écologique, deux textes de Cédric Durand ont retenu mon attention au point d’en proposer des traductions :


J’ai décidé de rassembler en une page des liens vers les diverses traductions réalisées récemment : Traductions.

vendredi vrac (5)

Pépites d’infos recueillies au cours des deux dernières semaines.

Table des matières

  • DC et OC
    • Deux outils écossais : pour des organisations plus solides; la recherche menée par des OBNL
    • Statistiques du Québec : évolution sur 25 ans
    • Les fiducies foncières
  • Démocratie municipale
    • Les souhaits du CREMtl pour 2025
    • Ma plateforme électorale (Espace MUNI)
    • Appel à candidature innovation (Espace MUNI)
    • Commission municipale : relations avec les OBNL
  • Politiques et services
    • Communs pour démocratiser les services publics
    • Lutte contre les agences privées en santé
    • Boîte à outil santé mentale au travail
    • Revenu minimum garanti : pour réduire la pauvreté
    • La COPHAN dénonce les coupures de services
    • Une première politique sur Alzheimer
  • Écologie, urbanisme, aménagement
    • La CMM s’oppose à l’enfouissement dans une aire humide
    • Eaux, villes et changement climatique : une formation gratuite de Polytechnique Montréal
    • Contre l’oléoduc : 100 organisations écologistes
    • Le parc des Gorilles sur un ancien tronçon de voie ferrée
    • Gestion des déchets : limites de l’autorégulation
    • Les terrains scolaires hors e prix
    • Repenser le développement des banlieues : tendances
    • Le Canada rehausse sa protection de l’eau douce
  • Transport
    • Les trains à grande vitesse… arrivent
    • La mobilité durable : collaboration avec l’UQAC
    • Micromobilité partagée
  • Économie, suffisance et décroissance
    • Urban development beyond growth
    • Pour une économie suffisante
    • Décroissance et récession, c’est pas pareil !
  • Et … nouvelles des localités :

Mont-Tremblant, Etchemins, Yamaska, Mascouche, St-Jérôme…


DC et OC

A. Building Stronger Community Organisations

Une initiative soutenue par le Scottish Community Development Centre. Dix (10) modules en ligne visant à renforcer les organisations communautaires. Cette ressource est conçue pour renforcer les compétences, la confiance et les connaissances des organisations dirigées par des réfugiés et des organisations de soutien aux réfugiés, bien que la plupart des documents soient utiles à n’importe quel groupe communautaire.

Cette ressource a été produite par le Scottish Refugee Council, avec le soutien du Scottish Community Development Centre, dans le cadre du programme New Scots, grâce à un financement de l’Union européenne.

B. Recherche menée par les organisations communautaires

Le même newsletter du SCDC nous propose un article sur la , écrrit par Community Knowledge Matters : ‘Finding Out for Ourselves’: Panel Discussion at SCVO’s The Gathering.

C. Parlant de newsletter, vous êtes abonnés à l’infolettre du CPDC ?

Continuer la lecture de « vendredi vrac (5) »

le pouvoir numérique

La virulence de l’attaque du VP Vance en Europe sur les questions de défense, de souveraineté politique n’avait d’égal que sa défense de la domination technologique mise à mal par les lois et l’encadrement européen plus exigeant de ces technologies : vous êtes avec nous ou contre nous. Si vous n’acceptez pas la domination américaine et que vous ne la soutenez pas en réduisant vos exigences vous tomberez sous la coupe d’ un « maître autoritaire qui cherche à s’infiltrer, à creuser et à s’emparer de votre infrastructure d’information ». Il parlait de la Chine mais beaucoup y ont vu le reflet de la situation actuelle dont plusieurs appellent à se sortir.

À lire : Le V-P Vance, champion de l’impérialisme technologique en Europe, ma traduction d’un article de Paris Marx.


Dans G&M le 12 février dernier, Michael Geist écrit :

Les approches concurrentes – une réglementation légère à l’américaine qui favorise la croissance économique contre un modèle réglementaire européen plus robuste qui met l’accent sur les garde-fous de l’IA et les protections publiques – obligeront à des choix politiques difficiles que le Canada a évités jusqu’à présent.

En effet, nous n’avons jamais vraiment essayé de concilier deux objectifs concurrents : stimuler la croissance économique grâce aux investissements dans l’IA et établir des garde-fous réglementaires pour se protéger contre les biais et les préjudices potentiels de l’IA. Cela a conduit à des milliards de nouvelles dépenses gouvernementales pour soutenir de nouveaux centres de données dans l’espoir de favoriser une industrie compétitive à l’échelle mondiale et à l’introduction de réglementations de type européen qui risquent de faire du Canada une destination moins attrayante pour les investissements dans l’IA.

Le gouvernement canadien pourrait encore opter pour le modèle réglementaire, convaincu que les garde-fous de l’IA sont plus importantes que la réussite économique (ou parier que les deux ne s’opposent pas nécessairement). Toutefois, la menace des tarifs douaniers de Trump fait des relations entre les États-Unis et le Canada des concurrents plutôt que des partenaires, ce qui nous oblige à réexaminer nos projets de réglementation future et à renoncer éventuellement à des cadres culturels et numériques bien établis.

Extrait de : Trump brings a reckoning for our protectionist CanCon and sabre-rattling tech policies, Michael Geist dans Globe and Mail, 12 février 2025

Au moment de lire ces lignes de Michael Geist, j’ai bloqué sur le premier paragraphe : les règlements « à l’américaine » ne sont pas si légers que ça ! La manière dont les GAFAM se sont opposés aux timides tentatives canadiennes de contrôle et à la culture syndicale québécoise met du plomb dans l’image de « règlementation légère ». Il s’agit plutôt du pouvoir brut de l’argent et de la position monopoliste, favorisé par l’inaction et la faiblesse des États, outre celui des USA qui a activement légiféré1Voir The Internet Con How to Seize the Means of Computation, de Cory Doctorow pour consolider la position de premier arrivant des entreprises américaines.

Les développements récents sous forme d’appels à la souveraineté numérique me permettent de mieux comprendre les derniers mots du texte de Geist : renoncer, jusqu’à déraciner (uproot) un mode de fonctionnement numérique devenu culture ambiante. « re-examine our plans for future regulation and potentially uproot our entrenched cultural and digital policy frameworks. »

Au delà des emplois dans les entrepôts d’Amazon, les centres de données que nos gouvernements s’empressent d’accueillir et les services numériques qu’ils achètent en masse à ces fournisseurs nous enferment dans les griffes de ces puissances hors-normes qui voudraient, au nom de la concurrence avec la Chine, nous faire abdiquer toute autonomie, toute capacité à décider de la nature et de l’orientation de ces nouveaux pouvoirs numériques.

Il a fallu que notre pays légifère pour obliger les compagnies de téléphone à faciliter la migration de leurs clients vers d’autres fournisseurs. Il a fallu légiférer pour que les grands diffuseurs américains cessent d’inonder le pays de leurs produits sans aucune place laissée à la culture d’ici. Il sera plus difficile de se sortir des mailles des réseaux et services numériques actuellement dominant à l’échelle de la planète. C’est pour cela que l’action doit être concertée à cette échelle.

Notes

  • 1
    Voir The Internet Con How to Seize the Means of Computation, de Cory Doctorow

Trump, le national-capitalisme aux abois

 par piketty


Pour ceux qui avaient un doute, Trump a au moins le mérite de clarifier les choses: la droite existe et parle fort. Comme souvent dans le passé, elle prend la forme d’un mélange de nationalisme brutal, de conservatisme sociétal et de libéralisme économique débridé. On pourrait qualifier le trumpisme de national-libéralisme, ou plus justement de national-capitalisme. Les saillies trumpistes sur le Groenland et Panama montrent son attachement au capitalisme autoritaire et extractiviste le plus agressif, qui est au fond la forme réelle et concrète qu’a pris le plus souvent le libéralisme économique dans l’histoire, comme vient de le rappeler Arnaud Orain dans un livre passionnant (Le monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude16e-21e siècle, Flammarion, 2025). 

Disons-le clairement: le national-capitalisme trumpiste aime étaler sa force, mais il est en réalité fragile et aux abois. L’Europe a les moyens d’y faire face, à condition de reprendre confiance en elle-même, de nouer de nouvelles alliances et d’analyser sereinement les atouts et les limites de cette matrice idéologique. 

L’Europe est bien placée pour cela: elle a longtemps appuyé son développement sur un schéma militaro-extractiviste similaire, pour le meilleur et pour le pire. Après avoir pris le contrôle par la force des voies maritimes, des matières premières et du marché textile mondial, les puissances européennes imposent tout au long du 19esiècle des tributs coloniaux à tous les pays récalcitrants, de Haïti à la Chine en passant par le Maroc. A la veille de 1914, c’est la main sur la canonnière qu’elles se livrent à une lutte féroce pour le contrôle des territoires, des ressources et du capitalisme mondial. Elles s’imposent même des tributs entre elles, de plus en plus exorbitants, la Prusse à la France en 1871, puis la France à l’Allemagne en 1919 : 132 milliards de marks-or, soit plus de trois années de PIB allemand de l’époque. Autant que le tribut imposé à Haïti en 1825, sauf que cette fois-ci l’Allemagne a les moyens de se défendre. L’escalade sans fin conduit à l’effondrement du système et de l’hubris européen.  

C’est la première faiblesse du national-capitalisme : les puissances chauffées à blanc finissent par se dévorer entre elles. La seconde est que le rêve de prospérité promis par le national-capitalisme finit toujours pas décevoir les attentes populaires, car il repose en réalité sur des hiérarchies sociales exacerbées et une concentration toujours plus forte des richesses. Si le parti républicain est devenu aussi nationaliste et virulent vis-à-vis du monde extérieur, c’est d’abord du fait de l’échec des politiques reaganiennes, qui devaient booster la croissance mais n’ont fait que la réduire et ont conduit à la stagnation des revenus du plus grand nombre. La productivité états-unienne, telle que mesurée par le PIB par heure travaillée, était le double du niveau européen au milieu du 20e siècle, grâce à l’avance éducative du pays. Elle se situe depuis les années 1990 au même étiage que celle des pays européens les plus avancés (Allemagne, France, Suède ou Danemark), avec des écarts si faibles qu’ils ne peuvent statistiquement être distingués. 

Impressionnés par les capitalisations boursières et les montants en milliards de dollars, certains observateurs s’émerveillent de la puissance économique états-unienne. Ils oublient que ces capitalisations s’expliquent par le pouvoir de monopole de quelques grands groupes, et plus généralement que les montants astronomiques en dollars découlent pour une large part du très haut niveau des prix imposés aux consommateurs états-uniens. C’est comme si on analysait l’évolution des salaires en oubliant l’inflation. Si l’on raisonne en parité de pouvoir d’achat, alors la réalité est très différente : l’écart de productivité avec l’Europe disparaît entièrement. 

Avec cette mesure, on constate aussi que le PIB de la Chine a dépassé celui des Etats-Unis en 2016. Il est actuellement plus de 30% plus élevé et atteindra le double du PIB états-unien d’ici 2035. Cela a des conséquences très concrètes en termes de capacité d’influence et de financement des investissements dans le Sud, surtout si les Etats-Unis s’enferment dans leur posture arrogante et néocoloniale. La réalité est que les Etats-Unis sont sur le point de perdre le contrôle du monde, et que les saillies trumpistes n’y changeront rien.

Résumons. La force du national-capitalisme est d’exalter la volonté de puissance et l’identité nationale, tout en dénonçant les illusions des discours de bisounours sur l’harmonie universelle et l’égalité entre classes. Sa faiblesse est qu’il se heurte aux affrontements entre puissances, et qu’il oublie que la prospérité durable demande des investissements éducatifs, sociaux et environnementaux bénéficiant à tous. 

Face au trumpisme, l’Europe doit d’abord rester elle-même. Personne sur le continent, pas même la droite nationaliste, ne souhaite renouer avec les postures militaires du passé. Plutôt que de consacrer ses ressources à une escalade sans fin (Trump exige maintenant des budgets militaires atteignant 5% du PIB), l’Europe doit asseoir son influence sur le droit et la justice. Avec des sanctions financières ciblées et réellement appliquées sur quelques milliers de dirigeants, il est possible de se faire entendre plus efficacement qu’en entassant des chars dans des hangars. L’Europe doit surtout entendre la demande de justice économique, fiscale et climatique venue du Sud. Elle doit renouer avec les investissements sociaux et dépasser définitivement les Etats-Unis en formation et en productivité, comme elle l’a déjà fait pour la santé et l’espérance de vie. Après 1945, l’Europe s’est reconstruite grâce à l’Etat social et à la révolution sociale-démocrate. Ce programme n’est pas achevé : il doit au contraire être considéré comme l’amorce d’un modèle de socialisme démocratique et écologique qui doit maintenant être pensé à l’échelle du monde.


Article reproduit du blogue de M. Piketty que je ne pouvais lier dans un post sur Facebook. Aussi je l’ai reproduit ici.

métacrise et crise du logement…

Il y a un malaise dans l’air. Le monde a l’impression de se précipiter vers quelque chose, même si personne n’arrive à s’accorder sur la nature de ce quelque chose. Derrière les débats sans fin, les changements politiques, les avancées technologiques et les conflits mondiaux, il y a une crise plus profonde – UNE MÉTACRISE – qui parle de l’effondrement du sens (The crisis of meaning), de la dégradation de la vérité (Post-Truth) et de l’érosion des liens humains (Loneliness in a Connected World).

The Metacrisis, Our Fears and the Road to Authoritarianism (ma traduction)

Dans son article sur la « métacrise » Chusana Prasertkul propose un graphique qui parle. J’en ai fait une traduction que voici :

Sur la question de la diminution des liens sociaux, un sujet que déjà en 2000 Robert Putnam abordait (fr) dans son Bowling Alone: The Collapse and Revival of American Community, Derek Thompson propose un long article dans le dernier numéro (février 2025) de The Atlantic : The Anti-Social Century ($).

J’ai dû m’abonner (premier mois gratuit) pour avoir accès à cet article. J’en ai fait ici une traduction française. Un très bon article que je vous recommande !

crise du logement

Dans son excellent livre Our Crumbling Foundation : How We Solve Canada’s Housing Crisis, » Gregor Craigie passe en revue la situation du logement dans différents pays (et villes) : Tokyo, Singapour, Helsinki, Paris, Vancouver, Montréal, Berlin, Saint-Boniface (Québec), Londre, Toronto, Calgary…

Le chapitre sur Montréal porte sur l’effet Airbnb. Celui sur Saint-Boniface, en Mauricie, porte sur la difficulté des familles monoparentales avec plusieurs enfants à se loger… Ici quelques paragraphes (ma traduction) du chapitre THE AIRBNB EFFECT – Montreal

L’effet Airbnb – Jean-François Raymond ne s’attendait pas à recevoir un avis d’expulsion dans les derniers jours de 2022. Cela faisait vingt-deux ans qu’il vivait dans son spacieux appartement du quartier Hochelaga-Maisonneuve, dans l’est de Montréal.

Une recherche rapide sur Airbnb montre que les appartements de deux chambres à coucher de la rue Ontario se louent entre 265 et 460 dollars la nuit en juillet. (…)un appartement comme celui de Jean-François pourrait atteindre plus de 10 000 dollars par mois en été, s’il était rénové.

La location à court terme est une préoccupation à long terme dans de nombreuses villes, mais l’inquiétude est particulièrement prononcée à Montréal en raison du grand nombre de locataires dans la ville. En fait, Montréal a la plus grande proportion de logements occupés par des locataires de toutes les grandes et moyennes villes d’Amérique du Nord. Selon le recensement de 2016, plus de 63 % des logements montréalais étaient loués. La ville a été connue pendant de nombreuses années comme un paradis pour les locataires en raison des loyers bas et des taux d’inoccupation élevés, grâce à une abondance de logements locatifs de faible hauteur.

En annexe de son livre de 320 pages Gregor Craigie rassemble les 37 recommendations auxquelles il est parvenu suite à ses recherches (ma traduction) :

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