Dans le travail de préparation de certains projets d’intervention auprès des familles avec jeunes enfants, on s’est (re)posé la question : Sur quoi repose notre sentiment, notre affirmation que les enfants de milieux défavorisés fréquentent moins les services de garde que les autres ? On avait lu ça quelque part, en plus de l’avoir constaté (notamment le nombre moindre de CPE dans les territoires plus pauvres).
Dans le rapport régional de l’Enquête sur la maturité scolaire des enfants montréalais, en page 107 :
« Parmi les familles interrogées dans une enquête réalisée en 2006[1], 88 % des familles utilisatrices de ces services étaient biparentales, et près de la moitié des familles avaient un revenu familial annuel de 60 000 $ ou plus. Ces données laissent entrevoir une faible représentation des familles à faible revenu dans les services de garde.
Les statistiques vont en effet dans ce sens. Dans son bilan 2003-2006, le gouvernement estime à 11 500 le nombre d’enfants issus de familles prestataires de l’assistance-emploi accueillis dans les services de garde au Québec. Or, en 2005, le gouvernement estimait à 45 149 le nombre d’enfants de 0 à 5 ans issus de ces familles à l’échelle du Québec. »
Le même rapport, page 108 :
« Lorsque l’on parle des effets bénéfiques des services de garde sur les enfants, on ne manque jamais de spécifier que ce sont des services de qualité qui ont un effet positif sur le développement de l’enfant. On précise aussi que c’est chez les enfants âgés de 2 à 5 ans que cet effet est le plus bénéfique, et surtout chez les enfants vivant en contexte de pauvreté. »
Autrement dit, les enfants qui en profiteraient le plus y sont le moins présents. Cet effet de la fréquentation a été mesuré, notamment au Québec, grâce à l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELDEQ). C’est sur cette étude que s’appuie le 3e rapport national sur l’état de la santé de la population du Québec (Riches de tous nos enfants), lorsqu’il affirme, en page 112 :
« La probabilité d’avoir de faibles habiletés de langage d’après leur enseignant est environ 55 % plus forte chez les enfants vivant dans une famille de faible position sociale, même après avoir tenu compte d’un ensemble d’autres facteurs. Mais cet écart s’atténue grandement chez les enfants qui ont fréquenté des services de garde en bas âge (figure A.6 à l’annexe 4). En effet, chez les enfants qui sont allés à la garderie dès l’âge de 18 mois ou de 29 mois, la position sociale de la famille ne semble plus jouer sur les habiletés langagières. »
Des constats confirmés ailleurs : extrait du texte « Bénéfices et coûts des centres de la petite enfance du Québec » par Gordon Cleveland, ACFAS 2007.
- L’étude du NICHD a suivi 1 300 enfants dans tous les États-Unis, de leur naissance et tout au long de leurs années préscolaires. Selon les différents degrés de qualité offerts aux États-Unis, l’étude a démontré que la qualité avait un effet constant mais modeste sur les résultats scolaires et sur le développement cognitif des enfants (de l’ordre de 0,04-0,08). Par ailleurs, l’étude a permis de constater que le fait de fréquenter un centre de garde plutôt qu’une garderie non officielle et non réglementée entre l’âge de deux ans et de quatre ans et demi environ procurait à l’enfant un bénéfice additionnel important (effet de l’ordre de 0,27).
- L’étude EPPE (Effective Provision of Preschool Education study), en Angleterre, a suivi un large échantillon d’enfants pendant leurs années préscolaires et tout au long de leur primaire. Les enfants ayant fréquenté la prématernelle et la maternelle entraient à l’école en jouissant d’un bénéfice cognitif important par rapport aux autres, de l’ordre de 0,30 à 0,45, ce qui est considérable (Sammons et al, 2002; Sylva et al., 2003). Tous les enfants ont pu en profiter, mais les effets ont été plus marqués chez les plus défavorisés d’entre eux et chez ceux qui avaient passé plus d’heures en maternelle et prématernelle.
Le même 3e rapport national sur l’état de santé des Québécois identifie 4 « effets protecteurs » tirés des études longitudinales auprès des enfants, permettant de réduire les effets de la pauvreté :
- l’allaitement maternel durant les 4 premiers mois;
- la fréquentation précoce des services de garde;
- le soutien social aux parents et
- la sécurité du quartier. (Présentation de Paquet et al. aux JASP 2006).
Mais pourquoi les familles défavorisées n’utilisent-elles pas les services ? Sont-ils mal adaptés à leurs besoins ? Trop chers, même à 7$ ? À la page 107-108 du rapport régional sur la Maturité scolaire des enfants montréalais, on a plus de questions, d’hypothèses que de réponses :
Est-ce que ces familles veulent se prévaloir de ce service et, si oui, se sentent-elles désavantagées dans leur accessibilité par rapport aux familles plus aisées ? Si elles ne veulent pas s’en prévaloir, quelles en sont les raisons ? Préfèrent-elles garder leurs enfants à la maison ? Ont-elles la capacité d’assumer les coûts liés à la garde ? On peut aussi relever le fait que les enfants qui fréquentent les services de garde à 7 $ doivent, en majorité, être inscrits à temps plein. Est-ce que cette exigence convient aux familles, défavorisées ou non, dont le parent est à la maison ou occupe un travail dont l’horaire est non usuel ? Est-ce que d’autres types de garde, offrant plus de souplesse, sont privilégiés par ces familles ?
On rappelle aussi l’enquête Grandir en qualité, de l’ISQ, qui concluait que la qualité des services de garde était en général « passable », en 2003. Ce qui n’est pas pour inciter certains parents à se priver économiquement (7$ par jour sur un budget d’aide sociale) mais aussi symboliquement et socialement (puisque c’est sans doute le rôle le plus valorisant que plusieurs de ces mères ont joué) pour un service qui ne serait pas « à la hauteur ».
Il y a aussi autre chose qu’on ne dit pas et qui mérite de l’être, même si cela devrait sans doute être vérifié. J’ai l’impression qu’il y a une règle (tacite, sinon explicite) à l’aide sociale qui permet aux femmes d’être considérées « non disponibles » si elles ont des enfants en bas âge, ce qui leur évite d’être poussés vers des programmes de retour à l’emploi… Que cette règle existe ou non, il est possible que les jeunes mères à l’aide sociale croient qu’elle existe, et agissent en conséquence.
En terminant, un portrait de la disponibilités des services de gardes par territoire de CSSS en 2008 (fichier Excel), tiré de la page sur les services de garde de la Santé publique de Montréal.
[1] Il s’agit en fait de l’ Enquête sur les besoins et les préférences des familles en matière de services de garde, réalisée par l’Institut de la statistique du Québec en 2004 dont le rapport est paru en 2006.
Note : encore un rapport d’une institution publique dont on ne peut copier une seule ligne ! J’ai obtenu, assez rapidement somme toute, que le document soit déverrouillé. On m’a même assuré que ce n’était pas la politique de l’administration de l’ISQ de ne pas permettre la copie : Le service « cochait habituellement la case pour que le texte puisse être copié. Le problème c’est que cette case n’est pas cochée par défaut et que les oublis sont possibles ».