Il y a quelques mois, je rencontrais un ex-directeur général de CLSC (il l’avait été dans l’Outaouais et à Montréal) et sa réaction immédiate sur les CLSC d’aujourd’hui a été de dire : «Il faut retourner au travail dans la communauté. Je suis atterré de voir comment on a perdu de vue cette orientation ». Réaction similaire, quoique sur un autre registre, du président du RQIIAC : « bien des choses ont changé depuis 20 ans, mais une chose ne doit pas changer : le cap sur une vision politique du changement social ». Bref, il y a un sentiment assez répandu qu’on étouffe et qu’il faut revenir aux motivations initiales de l’organisation communautaire en les inscrivant certes dans le nouveau contexte bien sûr mais aussi en évitant de simplement s’adapter à celui-ci. (extrait)
« En santé et services sociaux, l’omniprésence de la santé publique et de sa conception technocratique des choses fait des ravages« . Louis Favreau n’y va pas de main morte ! Qualifiant l’avenir de l’organisation communautaire en CLSC d’incertain. De la part de quelqu’un qui a autant d’expérience, on aurait aimé un peu moins de « j’ai rencontré un directeur » ou « lors d’une réunion, untel disait » et un retour un peu plus systématique. Notamment, parmi les textes publiés par l’observatoire de l’Outaouais, un des rares documents à avoir porté un regard systématique sur la relation entre l’organisation communautaire et la santé publique, ne permet pas de conclure de manière aussi simpliste. «[L]a recherche a le grand mérite de nous faire voir comment se vit de manière concrète le travail en organisation communautaire sur certains dossiers majeurs de santé publique». (Pratiques d’OC et santé publique, René Lachapelle) Les conclusions de la démarche de René (soutenue par le RQIIAC) ne tracent pas un portrait aussi noir, mais ouvre plutôt sur des conditions de collaboration et de partage à explorer.
Comment contrer l’hospitalo-centrisme de notre système si la première chose qu’on s’empresse de faire est de tirer dans le dos des alliés que sont les gens de la santé publique dans ce réseau ?
Dans les faits, les interventions de l’équipe d’organisation communautaire n’ont pas moins accompagné les quartiers, les concertations locales… Oui, on nous reprochera peut-être d’avoir participé aux activités de vaccination, comme tous les autres employés des CSSS… Sans doute est-ce là un autre complot des technocrates de la santé publique.
Un changement important depuis 5 ans, lorsqu’on pense aux années des CLSC, aura été de donner à la mission de première ligne publique un peu plus de mordant devant les cliniques médicales, et devant les autres réseaux (CRDI et autres CJ). Douze CSSS sur l’île de Montréal peuvent certainement mieux se faire entendre et se concerter pour faire respecter leurs missions que 29 CLSC… Nous ne sommes plus à l’époque de la création d’emplois libérale où les décideurs se contentaient de répondre à la pression populaire sans se préoccuper de reddition de comptes, sinon en termes électoraux. Aujourd’hui l’intervention se veut planifiée, mesurée et conforme aux « pratiques probantes ». Doit-on regretter que le prochain programme « Québec-Enfants » arrive à Montréal après une année de mobilisations locales et régionale autour des conclusions d’une enquête sur la « maturité scolaire » ? On peut contester les paramètres de cet outil de mesure… questionner la coalition des intérêts de fondations privées et des programmes de santé publique. Mais on ne peut simplement regretter le bon vieux temps…
L’articulation plus serrée des orientations au niveau régional n’aura pas servi que les CSSS. Elle a aussi bien servi les programmes de santé publique, jusqu’ici. Même si les tensions entre le local et le régional ont sans doute transformé autant les orientations régionales que rapproché les stratégies locales : l’évolution importante des pratiques SIPPE, de même que la formulation d’une orientation régionale de développement communautaire en témoignent. Cette réorganisation a des retombées et exigences sur les organisateurs communautaires du réseau. Si un mode de fonctionnement « léger » au niveau régional a pu suffire durant la période des CLSC, où l’orientation de ceux-ci n’avait que peu de cohérence régionale, il en est autrement maintenant que les responsables locaux se rencontrent régulièrement (à la table régionale de santé publique) et que s’élaborent de sérieuses politiques de développement local communautaire… Les organisateurs devront-ils, simplement, s’instituer en contre-pouvoir institutionnel, en extériorité à l’appareil technocratique régional ? Assurant par là une certaine liaison avec les dynamismes sociaux locaux… Mais le mouvement communautaire occupe déjà très bien ce créneau. Les professionnels de l’organisation communautaire et du développement social local ont aussi d’autres rôles à jouer : interface avec les autres réseaux institutionnels (municipalité, universités, ministères…); liaisons avec les programmes et pratiques santé-sociales… Il y a une place à occuper au niveau régional dans la relation avec certaines initiatives (de développement urbain, de développement communautaire, de recherche sociale…). Je suis inquiet de constater le peu de place occupée par les OC de CLSC dans une initiative comme Collectif Quartier. Bon, peut-être n’est-ce qu’une initiative municipale qui désire se donner une interface avec le monde communautaire… Mais lorsqu’une telle initiative se veut un carrefour d’animation et de diffusion mettant en valeur les expériences et les savoir-faire montréalais, en matière de développement local et territorial intégré… l’expertise des CLSC-CSSS devrait y être portée, reconnue. Une telle présence-reconnaissance devrait-elle reposer sur la seule volonté personnelle des intervenants ? Sur leur « responsabilité professionnelle » ? Ou si leur réseau devrait aussi soutenir une telle articulation ? C’est clairement le cas du côté des représentations municipales…
Même si ton billet s’adresse visiblement aux gens ‘du réseau’ en milieux urbains dont je ne suis pas et même si je ne suis pas certain d’en comprendre le fond, je ne puis résister à ajouter mon grain de sel sur le phénomène de la ‘régionalisation’ et de ses conséquences sur le ‘très local’. Je parlerai de Saint-Armand puisque j’y suis mais, j’en mettrais ma main au feu, cela vaut pour des dizaines sinon des centaines de villages du Québec…
On ne cesse de dire que les villages ‘éloignés’ se dépeuplent au profit des villes à cause de l’attraction urbaine et du vieillissement de la population. Ce qu’on dit moins, c’est que le phénomène est aussi dû à l’hyper régionalisation des services qui provoque leur dispersion et leur dépersonnalisation. Graduellement, nos services publics locaux ont déménagé ‘en ville’. Inutile de les nommer; il ne reste ici de publics, à Saint-Armand, que les services municipaux (et la petite école primaire avec son directeur à mi-temps, administrée à Granby, à 70 km d’ici). C’est un fait palpable, un constat indéniable, une réalité implacable avec laquelle il nous faut composer. Soit.
Mais, pendant ce temps… ces mêmes services publics maintenant dispersés pour des raisons politico-économiques dans l’une ou l’autre des ‘villes centres’ de la Montérégie… Ces mêmes services améliorés ont graduellement oublié Saint-Armand, ne se préoccupent plus du tout de la population comme telle de Saint-Armand qu’ils ont administrativement amalgamée dans ce qu’ils appellent la population rurale. Si j’étais le moindrement parano, je croirais que tout ce beau monde des services publics régionalisés tous secteurs confondus s’est ligué pour accélérer la disparition de notre localité sur la carte : il y a même une idée qui fait son chemin par ici voulant faire de Bedford – la plus proche de nos ‘villes-centres’ – la ville des aînés! (et y attirer ainsi la moitié de nos 1 200 âmes…)
Depuis plusieurs années, ce qui m’attriste le plus, c’est de constater — et ton billet me le rappelle — que nos services de santé ont suivi exactement le même parcours que les autres malgré leur importance capitale pour chaque citoyen, citoyenne. Regroupés, régionalisés, spécialisés : ce qui est excellent pour eux, je n’en doute pas, et pour leur ‘ville hôte’. Mais pour nous, à Saint-Armand : dépersonnalisés, éloignés, dispersés, compliqués…
Je ne sais trop ce que sous-tend l’expression « développement local et territorial intégré » à la fin de ton billet, mais j’y vois une occasion intéressante de reconnexion avec le vrai monde.
La Sureté du Québec de Brome-Missisquoi qui s’occupe de notre protection à partir de Cowansville à 35 km d’ici, a eu la bonne idée l’an dernier de ‘jumeler’ avec chaque petite municipalité un de ses membres : quelqu’un en chair et en os, Mélissa Pelletier, ‘s’occupe de nous’ là-bas et communique avec nous périodiquement, notamment via une chronique dans notre journal local!
Je me demande si les gens du C3S ne pourraient pas s’inspirer de cette formule personnalisée pour renouer eux aussi avec le monde de Saint-Armand et celui des autres villages environnants laissés pour compte.
Merci Jean de ce commentaire,
J’espère que les collègues de ta région saisiront la perche et répondront à tes questions… qui sont lourdes de sens, certainement. Et qui ont un écho dans les villes comme Montréal, où les services de proximité ont grandement régressé au cours des dernières décennies : de 12 paroisses qu’il y avait dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve lorsque j’y suis arrivé il y a 33 ans, il en reste… 4-5; et pour les caisses populaires, c’est encore pire : il n’en reste que deux alors qu’il y en avait onze.
Il faut, effectivement, exiger des liaisons personnalisées, qui permettent des suivis et engagements adaptés, et favorisent le maintien et le développement du (fameux) « capital social ». Merci de ton témoignage, Jean.