Comme je le soulevais dans un billet précédent, certains gestes qui peuvent à première vue paraître anodins et même justifiés (ce sont leurs productions, après tout, ils peuvent en faire ce qu’ils veulent !) : le fait que certains textes déposés sur le Web ne soient pas accessibles ou ne le soient que partiellement, ces gestes risquent de prendre un sens beaucoup plus important dans les débats qui s’annoncent autour d’un « traité secret – ACTA – qui pourrait changer la face d’Internet ». J’y reviendrai plus loin.
Est-il plus important de faire respecter par les étudiants les droits d’auteurs, en leur interdisant de copier un paragraphe, une ligne d’un document mis en ligne ou s’il ne serait pas plus utile et productif de leur apprendre à distinguer entre droits d’auteur, utilisation légitime (ou équitable), emprunt, plagiat et citation ?
Ici j’ai rassemblé rapidement quelques sources pour ceux qui voudraient creuser la question…
- Principes généraux du droit d’auteur
- Internet et le droit d’auteur : du point de vue du ministère de l’Éducation
- Droits d’auteur et bibliothèques : utilisation équitable
- Du point de vue de l’enseignant; de l’étudiant
- le « fair use » américain
- Un site de Teluq
Quel est le message qu’on passe, lorsqu’on interdit de copie un document qu’on juge cependant suffisamment pertinent pour l’avoir édité, corrigé, publié… et déposé sur un site web ? Le message sous-jacent en est un de « protection contre le vol », d’affirmation de la propriété… L’idée que cette protection vise à contrer la facilité du « copier-coller » devenu trop facile me semble insoutenable, puisque, comme je l’ai déjà dit, le dépistage des emprunts et plagiats sera d’autant plus rapide et fidèle si on n’a pas obligé le recopiage manuel, avec les erreurs que cela comporte.
Si l’on doit (et c’est certainement le cas) enseigner aux étudiants d’aujourd’hui à écrire par eux-mêmes plutôt qu’à faire du copier-coller… c’est sans doute un défi nouveau mais pour lequel les enseignants d’aujourd’hui devraient se doter d’outils adaptés, plutôt que de mener une lutte d’arrière-garde qui ressemble fort à ces profs de mathématique qui interdisaient l’usage de la calculatrice… Sans doute y a-t-il des limites à respecter lorsqu’on emprunte, à coup de copier-coller, pour faire son travail. Mais à moins qu’on impose à ses étudiants de s’appuyer uniquement sur une bibliographie qui serait toute « non-copiable »… ce n’est pas en essayant de bloquer la copie au niveau des fichiers PDF qu’il faut travailler, mais bien dans la manière dont on prescrit et corrige les travaux.
Tout ceci ressemble fort à une excuse (les manies de leurs étudiants) utilisée par des auteurs pour renforcer leur affirmation propriétaire sur leurs textes. Je l’ai dit : je ne conteste pas la propriété de leur production intellectuelle. Tout au plus aurais-je quelques réserves sur la longueur de la protection imposée par la loi du copyright qui fait que la grande majorité des productions culturelles du vingtième siècle ne seront pas libres de droits avant des décennies. Cela n’a pas toujours été comme ça : l’empire médiatique de Walt Disney s’est construit à coup d’emprunts à une époque moins frileuse à ce niveau pour finalement se protéger de lois qui interdisent les « emprunts » jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur !
À ce sujet, voir le petit document vidéo fort édifiant de Lawrence Lessig, ou encore son livre, traduit en français et disponible gratuitement : Culture libre : comment les média utilisent la technologie et la loi pour confisquer la culture et contrôler la créativité.
Moi qui croyais que la dissémination de leurs idées et l’impact de leurs recherches et productions sur la réalité (vous savez, le monde qui existe en bas de la tour d’ivoire…) était quelque chose de très valorisé dans le monde universitaire. N’est-ce pas ainsi qu’on mesure l’influence d’un article scientifique : en calculant le nombre d’articles qui le citent. Peut-être l’influence des articles sur le développement des communautés (voir article précédent) ne se mesurent plus à cette aulne ?
Comme je le disais d’entrée de jeu, la question risque de déborder largement l’accessibilité à un compte-rendu de colloque en travail social… si les pressions des grands du marché font finalement plier les gouvernements afin qu’ils imposent un respect du copyright qui viendrait tuer la dimension de prise de parole, de communications latérales et démocratiques caractéristiques de l’Internet aujourd’hui : « Le traité [ACTA] (…) forcera les fournisseurs de services sur internet à faire la police du copyright, rendant du même coup l’hébergement de contenus générés par les utilisateurs impossible à assumer financièrement » [ACTA : le traité secret…].
Plusieurs professeurs et universitaires ont, depuis le début de l’Internet, contribué à l’économie du don et aux mouvements qui ont promu de plus en plus d’accès libre aux savoirs et productions scientifiques et culturelles. Car il ne faut pas se faire d’illusion : les technologies de l’information n’ont pas seulement libéré la communication « latérale » mais elles ont aussi favorisé un formidable mouvement de concentration de la propriété des contenus. La situation des revues scientifiques qui ont pâti de leur passage en mode « privé » durant les années 90, enrichissant les Elsevier de ce monde, a conduit plusieurs universités à soutenir l’émergence de revues d’accès-libre…
Les travaux d’Elinor Ostrom sur la gestions des biens communaux (Governing the Commons) ont montré la fausseté (ou la courte vue) de ceux qui affirmaient la « Tragédie des biens communs » (The tragedy of the commons) comme conséquence inévitable de l’accès gratuit aux ressources partagées… Une « vision tragique » qui avait ouvert grande la porte aux privatisations comme solution à ces « abus inévitables ». Dans leur recueil Understanding Knowledge as a Commons, Elinor Ostrom et Charlotte Hess (et les auteurs invités) appliquent au monde du savoir les principes d’une gestion des biens communaux. Un document sur lequel je reviendrai mais qui me semble déjà proposer une base intéressante de réflexion sur la question.
Finalement, dans une société où les universités sont financées à… (80-90% ?) par le public, les résultats des travaux devraient vite trouver le chemin de ce fonds commun de savoirs à partir duquel toute nouvelle connaissance peut être produite. Même lorsque les universités sont financées par des frais d’inscription exorbitants, cela ne fait pas disparaître la culture et l’histoire sur lesquelles reposent les recherches et productions intellectuelles d’aujourd’hui !