Quelle proportion des personnels du réseau de la santé prendront leur retraite au cours des prochaines cinq années ? Je ne sais trop mais dans mon petit milieu, c’est une proportion importante, très. Est-ce qu’on parle pour autant de transfert de connaissances ? Pas que je sache…
En fait, le transfert des dossiers (ce qui n’est pas la même chose que le transfert de connaissances, je sais) ne se fait le plus souvent (dans nos domaines plus « mous » de l’intervention communautaire et de promotion de la santé, d’agents de développement social…) qu’après le départ des employés à la retraite… l’embauche de remplaçants n’étant en général réalisée qu’une fois le poste libéré… avec parfois plusieurs mois de retard. J’ai la désagréable impression que ce qui importe encore plus pour les décideurs d’aujourd’hui, dans ce contexte générationnel de relève de la garde, c’est l’occasion de revoir la structure et les mandats plutôt que de s’assurer de ne pas jeter la connaissance avec le départ du retraité.
C’est comme si On voulait se libérer, enfin, de cette « boîte noire » de l’expérience accumulée sur plusieurs décennies par un professionnel, qui rend de plus en plus difficile son adaptation aux changements organisationnels… Il est en effet beaucoup plus facile de donner un nouveau mandat à un nouvel employé que de négocier l’abandon de pratiques ou de clientèles traditionnelles avec un employé qui a non seulement une longue expérience, mais aussi des engagements, formels et informels, avec tout un réseau de partenaires, clients, fournisseurs, collègues…
Donc, j’ai l’impression qu’On ne veut surtout pas que le futur ex-employé vienne brouiller les cartes et obscurcir le tableau vierge que représente le nouvel employé. Pourtant, pourtant… il y a plus dans l’expérience que cette zone de confort dont On subsume que le futur ex-travailleur a d’autant plus de difficulté à sortir que l’âge lui a fait perdre ce qu’il avait de souplesse et d’audace, ingrédients nécessaires pour s’adapter au nouveau…
Il y a de la connaissance tacite accumulée dans l’expérience. Ce genre de connaissance qui fait qu’on ne peut pas devenir médecin ou travailleur social sans faire des stages. Il y a dans l’expérience d’un travailleur bientôt retraité, oui des réminiscences de périodes révolues (dans le temps, avec les comités de citoyens…), mais aussi un savoir implicite, résultat de l’action menée en contextes complexes, de l’interaction entre des acteurs aux motivations multiples, de l’inscription de l’intervention professionnelle dans une conjoncture, une culture locale et régionale, historique et organisationnelle qui n’ont de significations que très rarement explicitées mais qui n’en sont pas moins effectives.
Une courte réflexion sur un sujet qui fait l’objet d’un numéro thématique de la revue d’administration publique, Télescope : Le transfert intergénérationnel des connaissances. (ici le pdf)
Une référence tirée des Carnets de Diane Mercier.
Très pertinent. Que de perte, de « je m’enfoutisme » des dirigeants et gestionnaires, une grande part d’entre eux et elles à tout le moins.
Quels technocrates !
Je désespère certains jours.
Monique Lafontaine
Co-fondatrice et directrice de l’organisme communautaire provincial « Intégration sociale des enfants handicapés en milieu de garde » (ISEHMG)
Nous sommes régulièrement confrontés à cette réalité avec nos complices des réseaux de la santé et de l’éducation.
Merci Monique,
Mais je crois que ce n’est même pas de la mauvaise foi, seulement de la bonne vieille « nature humaine »… tu sais celle qui nous a mené au bord de l’abime écologique, et qui fait qu’on se demande encore comment on pourrait faire pour ne pas trop changer nos habitudes…