En terminant la lecture de ce petit (199 pages) bouquin (My brain made me do it : the rise of neuroscience and the threat to moral responsability) par Eliezer Sternberg, je suis à la fois satisfait tout en restant sur ma faim.
L’auteur fait un bon et accessible résumé des théories actuelles mais il pousse un peu trop loin la rhétorique de « confrontation » avec les sciences neurologiques, décrites comme déterministes et, donc, incompatibles avec un respect de la libre volonté (free will) et la responsabilité morale des individus. En fait c’est comme si, selon lui, on ne pouvait qu’être totalement déterministe ou pas du tout. Alors que j’ai plutôt l’impression qu’en ces matières, il y a lieu d’être «déterministe-probabiliste». Est-ce qu’on accuse les météorologues ou les climatologues d’être non-scientifiques parce qu’ils ne peuvent prévoir de façon certaine, mécanique, les développements du prochain ouragan ?
Parce que les facteurs déterminant une décision ou une pensée sont très nombreux (Edelman parlait de populations neuronales ou de darwinisme neuronal) il est aussi impensable de représenter mécaniquement ce processus que de dessiner le mouvement de chaque molécule d’un système météo. Et encore, dans ce dernier cas, les variables en jeu semblent plus limitées que celles qui déterminent qu’un neurone réagira à la prochaine stimulation ou simplement ajoutera celle-ci à son potentiel d’action cumulé… C’est parce qu’il y a un espace d’incertitude, un temps d’arrêt pendant lequel le travail réflexif peut être fait, que peut s’exercer le libre arbitre et la responsabilité.
Une autre faiblesse de cette vision opposant de manière un peu factice les déterminants matériels et la liberté de pensée réside dans la réduction de la conscience au seul discours intérieur… interdisant d’autant la possibilité d’une conscience non-humaine… et plus encore d’une morale animale. Pourtant…
Par toutes sortes de moyens on tente de préserver le caractère exceptionnel de la « bête humaine » alors que s’il y a une différence, c’est simplement de degré… d’évolution. Aux outils et aux connaissances de son environnement, qui n’étaient pas uniques à l’homme, le développement du langage lui donnera des possibilités inespérées d’accumulation et de transmission de savoirs. L’écriture ajoutera une capacité de stockage quasi infinie. Cette capacité du langage de refléter le monde, le réfléchir et le comprendre a donné à l’homme un contrôle relatif sur les déterminants de sa vie, une relative liberté.
Liberté d’action et de pensée qui nous apparaît toute relative, quand on tourne dans son lit et qu’on voudrait bien arrêter de penser pour s’endormir… ou qu’on peine à respecter une décision, toute sensée et rationnelle qu’elle soit, de ne pas (ou moins) fumer, manger ou boire…
Les exemples de dilemmes moraux utilisés par Sternberg l’amènent à souligner que l’expérience vient peser de son poids sur les mots du discours soliloque. L’expérience mais aussi l’intérêt, celui de l’agent moral pensant.