J’y pense de plus en plus souvent, de plus en plus sérieusement. Ce qui me retient (retenait) encore de partir, après 35 ans de services (en septembre dernier) ? L’impression d’avoir un job avec un espace de créativité, où je pouvais (prétendre) avoir une influence sur le développement et l’orientation des choses.
Mais les choses se corsent. Le contexte local devient de moins en moins favorable à l’expérimentation et l’innovation. Les contraintes liées aux processus d’optimisation et d’agrément… rétrécissent l’horizon plutôt qu’elles ne l’ouvrent. Et les collaborations régionales se résument de plus en plus à des voies de communication à sens unique où l’on consulte le local sur des produits déjà formatés, des problématiques déjà circonscrites avec bien peu d’espace pour poser des questions non déjà prévues au programme. Le dernier exemple en date étant le rapport sur les inégalités où les enjeux soulevés tournent essentiellement autour des compétences des équipes en place.
Où sont les efforts pour identifier et réduire les iniquités dont sont victimes les ainés dans leur accès aux soins et traitements ? Quelle est la portion de l’écart de longévité (entre classes de revenus) qui pourrait être corrigée pour peu que les conditions de vie en centres d’hébergement privés soient prises en compte ? Comment expliquer le silence entourant le caractère régressif du « crédit d’impôt pour maintien à domicile d’une personne âgée » qui fait qu’on soutient des deniers publics les personnes en fonction de leur portefeuille plutôt que de leurs besoins ?
Je me demande, finalement, si mes compétences ne seraient pas mieux utilisées hors du réseau, ou à tout le moins hors du statut de salarié-syndiqué. Des contrats en vue ? Je ne dis pas non, mais le stress des échéances impossibles, et le « mess » des interventions de dernière minute associés à l’action de contractuels ne m’attire pas plus qu’il faut. J’ai de moins en moins de facilité à passer mes journées entières scotché à l’écran, assis huit heures d’affilées sur mon cul… Je dois bouger plus : les décennies que j’ai passées à fumer ont laissé des séquelles.
Et puis je me dis que les enjeux importants de l’heure, en terme d’intégration des services (à la petite enfance, aux ainés), qui sont actuellement freinés par les intérêts de réseaux et de corporations distincts seraient peut-être mieux servis par l’engagement de citoyens aptes à favoriser l’harmonisation autour des besoins des usagers.
Une des choses qui me refrènent encore : l’accès à l’information. Comment ferais-je pour continuer ou même intensifier mon travail de blogueur si je n’ai pas accès à l’information interne du réseau ? Non pas que cette information « interne » soit particulièrement importante : mon statut « non-cadre » me laisse encore trop souvent sur la touche. Aussi je devrais mettre en place mon propre réseau d’informateurs sur lesquels je pourrai compter, en échange d’analyses et de rediffusions.
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Où sont les paroles citoyennes permettant de soulever les besoins qui restent en plan, entre les intérêts des réseaux publics, communautaires et privés, dans les domaines essentiels des services aux jeunes enfants, aux ainés fragilisés, aux malades ? Combien de femmes enceintes n’ont pas de médecins de famille ? Et les diabétiques et personnes vieillissantes qui doivent se contenter des cliniques sans-rendez-vous pendant que les corporations de médecins de famille et de spécialistes multiplient les faux-fuyants pour expliquer l’inertie d’un système encore basé sur le nombre d’actes plutôt que le suivi de clients.
Combien de familles doivent improviser et faire avec les « solutions du marché » qui confinent au noir quand il faut trouver une place en service de garde pour le petit dernier ? Combien de femmes retarderont leur retour au marché du travail ou aux études devant la piètre qualité ou les coûts encore trop importants représentés par ces « solutions du marché » ? Des conditions qui contribueront à perpétuer la pauvreté plutôt que de soutenir la croissance.
Combien de familles, de femmes âgées se satisferont de services inadéquats, de logements inadaptés, de résidences mal fagotées parce qu’elles ne peuvent encaisser de payer 70 % des frais de services nécessités par leur état ?
Des questions qui trouvent parfois un écho dans les journaux et médias mais c’est pour être aussitôt remplacées par une autre nouvelle du jour. Est-ce que les « concertations intersectorielles et multi-réseaux », comme on les appelle, soutenues par les trois mousquetaires que sont la Ville, Centraide et la santé publique de Montréal jouent efficacement leur rôle à ce niveau ou si ce ne sont pas d’abord des lieux d’articulation (nécessaires) entre réseaux publics et communautaires, avec parfois une timide présence du privé ?
Et vous, cher lecteur déjà retraité ou qui, comme moi, y pensez, quels sont vos projets de retraite ?