l’affaire Rogoff-Reinhart

Je n’avais pas entendu parler de Rogoff et Reinhart avant ce matin, quel ignorant j’étais ! Il semble que ces économistes américains aient fourni les arguments « scientifiques » aux prêcheurs d’austérité en Europe… mais que leurs erreurs méthodologiques aujourd’hui reconnues semblent tout à coup invalider.  Yakabuski, en conclusion de son article A simple data error, and Europe’s pain : Une simple erreur de donnée et l’Europe se remet à dépenser. Il n’y va pas de main morte dans son diagnostic sur l’Europe : « too much spending toward supporting those over 60 ». Il faudra des réformes structurelles pour intégrer les jeunes qui chôment à 40, 50 ou 60 % dans les pays endettés.

Mais ces réformes semblent orientées vers une vision particulière « No amount of austerity will do the trick unless structural reforms needed to spur entrepreneurship and private investment are implemented ». La confiance des investisseurs et la réforme des lois du travail semblent les seules voies possibles, en complément de l’austérité, pour sortir l’Europe de la crise.

La plume colorée du journaliste du G&M (« the bite of a poor pinot noir ») nous fait presqu’oublier le ton lourdement idéologique de ce commentaire, ou le jugement de valeur l’emporte sur l’argument. La scène est campée dans l’opposition entre dépensiers et économes… le privé et le public… alors que, finalement, la leçon à tirer de cette affaire Rogoff-Reinhart est qu’il n’y a pas de mesure simple ni se seuil magique (comme 90 % du PIB d’endettement) pour dire la relation entre l’endettement et la croissance. Voir Krugman.

Normand Baillargeon raconte avec beaucoup de pédagogie cette affaire Rogoff-Reinhart, posant finalement la question « Comment expliquer que des idées aussi simplistes, puis discréditées, que celles de Laffer et de Reinhart et Rogoff aient pu avoir l’influence qu’elles ont eue? » Le biais de confirmation. Cette tendance qu’a l’esprit humain à préférer ne retenir de l’information disponible que celle qui vient confirmer son point de vue. Ce qui conduit aux discussions de sourds, aux parti-pris idéologiques qui ne s’emm…êlent pas avec des considérations méthodologiques ou scientifiques – ne retenant des faits que ceux qui viennent confirmer l’opinion, le sens commun, le préjuger.

Mais si c’est vraiment ce biais de confirmation qui est à l’oeuvre, la théorie Rogoff-Reinhart, qui n’était en fait qu’une rhétorique, sera remplacée par une autre. Mais ce qui est en jeu ne sera pas résolu par une théorie ou une autre. Cela le sera par la pratique, la négociation, l’innovation, le risque, le compromis, la continuité et la rupture… Ne voir l’avenir (et mesurer le présent) qu’à travers la « confiance des investisseurs » ou la liberté d’entreprendre… et réduire le volet public de l’équation à « la réforme du travail »… c’est peut-être une position confortable dans certains salons, entre amis, mais ça n’ouvre pas vraiment de porte au dialogue constructif et inventif dont nous avons le plus grand besoin.

Si les conservateurs et autres apôtres de l’austérité (des comptes publics – car les personnes privées doivent continuer de pratiquer les vertus de l’enrichissement) peuvent perdre un peu de leur assurance vindicative à l’occasion de ce retournement – il ne faudrait pas que les Keynésiens se contentent de glousser de joie.  C’est l’occasion rêvée de construire des ponts, ouvrir des discussions sur de nouvelles bases, un peu moins idéologiques, un peu plus « au ras des pâquerettes ».

accès au jardin – 2

« Entre le 21 juin et le 29 septembre 2013, le Jardin botanique de Montréal accueillera les Mosaïcultures Internationales. Ainsi, tous les membres [des Amis du Jardin botanique de Montréal] devront exceptionnellement s’être acquittés une seule fois d’un billet d’entrée valide pour les Mosaïcultures afin de conserver leur accès illimité au Jardin pour les cent jours que durera l’événement. » [les privilèges des membres]

Ainsi pour un « petit » 45$ de cotisation individuelle (30$ étudiant, 60$ famille) et 29,50$ de billet d’entrée aux Mosaïcultures… je pourrai continuer de fréquenter les jardins extérieurs (voir billet précédent). Je veux bien soutenir le jardin en devenant membre des Amis… et je peux concevoir que le Jardin trouve un intérêt (esthétique ?) financier dans l’organisation de ces expositions thématiques (chaque automne, il y a aussi les lanternes chinoises pendant les quelles l’accès est, là encore, limité). Est-ce que les Amis du Jardin ont leur mot à dire sur de telles décisions ? Jusqu’où peuvent-ils parler pour les « usagers montréalais » ? Ne sont-ce pas les élus municipaux des territoires aux alentours du Jardin qui devraient parler au nom de ces usagers — ou si l’évolution récente de cet Espace pour la vie a définitivement (ou risque de le faire) transformé notre jardin en une machine à produire des sous avec les touristes ??

le Jardin botanique privatisé pour l’été

J’ai le grand privilège d’habiter à une distance de marche du jardin botanique de Montréal. Je ne sais combien de gens des quartiers Rosemont, Mercier-Ouest et Hochelaga-Maisonneuve font comme moi ? Le jardin botanique de Montréal c’est mon parc, ma destination privilégiée quand je sors prendre l’air et une marche…

EspacePourLaVie

Le Jardin fait maintenant partie de l’Espace pour la vie. Doit-il pour autant cesser d’être notre espace de vie ?

MerledAmeriqueEn terminant une randonnée dans le parc, dimanche dernier, à observer et photographier pics chevelus, mésanges  et merles d’Amérique, j’apprenais en sortant que « dès la mi-mai les jardins extérieurs seront accessibles de 9 h à 18 h seulement ». Donc, pour les personnes qui travaillent le jour, c’est foutu.

Mais le paragraphe suivant de l’affiche annonce que ces jardins ne seront plus du tout accessibles gratuitement. Du 22 juin au 29 septembre 2013, autrement dit pour tout l’été, il faudra payer à chaque fois pour entrer – sauf le samedi 6 juillet, où cela redeviendra gratuit pour une journée. Une journée pour les pauvres ! Après que l’on eut privatisé et cadenassé le parc Olympique depuis l’an dernier, assistera-t-on à une évolution similaire de l’accessibilité du Jardin botanique ? Manière de rentabiliser au maximum cet Espace pour la vie.
AccesBotaniqueJe voulais faire un billet, à l’occasion de cette Journée de la Terre, commentant le film Survivre au progrès mais aussi le fait que ce film n’ait été distribué que sur la chaine mi-privée Explora. Encore une réduction de l’espace public au profit d’espaces accessibles contre paiement. Il n’y a pas si longtemps la télévision publique et l’ONF auraient été complices dans la présentation d’un tel document pour célébrer le Jour de la Terre, non ? Aujourd’hui on s’en sert plutôt comme levier pour amener les gens à s’abonner à un nouveau poste télé… J’ai la nostalgie du « bon vieux temps » ? En fait c’était peut-être plus simple avant…

Est-ce à dire que nous devons accepter de voir transformé en marchandise notre espace vital ? Je n’ai pu que dire mon malaise à partir d’une photo, prise ce matin là. J’avais fait une première version avec « pour ma santé physique et mentale » à la place de « notre espace de vie ».

autour de Latour

Extraits de Changer la société, refaire la sociologie, une introduction à la théorie de l’acteur-réseau, par Bruno Latour.

Dans des situations où les innovations abondent, quand les frontières du groupe sont incertaines, quand la gamme d’entités qu’il faut prendre en considération devient fluctuante, la sociologie du social n’est plus capable de tracer les nouvelles associations d’acteur. p.19

La dispersion, la destruction et la déconstruction ne sont pas des objectifs à atteindre, mais précisément ce qu’il s’agit de dépasser. Il est plus beaucoup important d’identifier les nouvelles institutions, les nouvelles procédures, les nouveaux concepts capables de collecter et reconnecter le social.  p. 22

[ La sociologie de l’acteur-réseau évite de fonder ses analyses sur des listes et catégories d’acteurs, de méthodes, de domaines déjà établis comme faisant parti du monde social, pour se définir à partir de 5 niveaux d’incertitudes quant à la nature des éléments constituants de ce monde : ]

  1. sur la nature des regroupements : il existe de nombreuses manières contradictoires d’assigner une identité aux acteurs
  2. sur la nature des actions : dès qu’on suit un cours d’action donné, un vaste éventail d’êtres font irruption pour en transformer les objectifs initiaux;
  3. sur la nature des objets : il semble que la liste des entités qui participent aux interactions sociales soit beaucoup plus ouverte qu’on ne l’admet généralement ;
  4. sur la nature des faits établis : les controverses se multiplient sur la nature des sciences naturelles et leurs liens de plus en plus étranges avec le reste de la société ;
  5. et, finalement, sur le type d’études conduites sous l’étiquette d’une science du social, dans la mesure où on ne voit jamais très clairement en quoi les sciences sociales seraient empiriques. 34

La sociologie de l’acteur-réseau prétend être mieux en mesure de trouver de l’ordre après avoir laissé les acteurs déployer toute la gamme des controverses dans lesquelles ils se trouvent plongés. (…) La tâche de définition et de mise en ordre du social doit être laissée aux acteurs eux-mêmes au lieu d’être accaparée par l’enquêteur. 36 [encore des extraits]

Plutôt que de discuter pour s’entendre sur une définition de ce qui est, la discussion porte sur ce qui se passe.

L’exemple de la soie et du nylon, page 60, est plutôt réducteur, et révélateur du fait que mettre trop d’importance à la nature du symbole médiateur peut faire oublier ce qu’il habillait…

Qui parle ? Qui agit ? De quel rassemblement d’acteurs parlons-nous ?
Que font-ils ? Que cherchent-ils à faire ? Comment s’expriment, évoluent leurs objectifs ?
Auprès de qui ? De quoi ? Avec qui ? Comment ? Avec quels moyens agissent-ils ?
Avec quels effets ? Quels sont les faits qui ont soutenu, contribué à définir l’action ?
Qui rendra des comptes à qui ? Quelles formes prendront les produits de la démarche ?

En quoi la théorie de l’acteur-réseau (ANT – actor-network theory) peut-elle servir dans le cadre d’une recherche sur les réseaux locaux de services ? Si on parle d’un processus plutôt que de canalisations, d’un travail en cours d’assemblage réalisé par les acteurs plutôt que de mécanismes d’intégration imposés… si on souhaite décrire les actions, les initiatives de ces acteurs sans les encadrer au préalable dans des perspectives figées, alors oui, la théorie de l’acteur-réseau peut être utile.

Toronto, avril 2013


Quelques photos prises à Toronto, la fin de semaine de Pâques… dans les rues, le Holî indien sur la plage, promenade dans Kensington Market et sur le campus de l’Université de Toronto…

une revue des sciences, en français

Après avoir annoncé qu’il cesserait de produire sa revue mensuelle des sciences, Jean Zin nous a fait plaisir en acceptant de continuer à survoler l’actualité scientifique comme il l’a fait depuis… des années.

Moi-même « amateur » de sciences (biologie, génétique, anthropologie, paléo-anthropologie, écologie, climatologie, informatique…) je trouve très stimulantes ces revues du mois, collation d’articles et de nouveautés dans des domaines cruciaux. Le blogue d’un « touche-à-tout » parfois étourdissant… mais toujours éclairant !

plus d’immigrants au Canada qu’aux USA

nombres et pourcentages d’immigrants depuis 1901, Canada

J’ai toujours pensé que les États-Unis étaient une terre d’accueil des immigrants… mais pas autant que le Canada, suivant ce graphique de Statistique Canada. Un cinquième de la population canadienne était immigrante, en 2006, comparativement à 13 % pour les États-Unis (suivant le Harper’s Index de avril). Incidemment, ce dernier numéro de la revue américaine comprend un inédit de John Le Carre, un article de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss éclairant sur la question des liens de filiation dans le contexte des technologies de la reproduction assistée, une critique des liens que certaines municipalités développent avec Google sous prétexte de donner un accès rapide à Internet à leurs citoyens… Je crois que je vais m’abonner !

évasion fiscale : complément d’info

Pour compléter ou en préparation de l’émission Enquête de ce soir sur l »évasion fiscale, je vous propose une lecture sur le site La vie des idées, parue ce matin, une recension ce livre : Les paradis fiscaux. Enquête sur les ravages de la finance néolibérale. « S’il tient du réquisitoire, l’ouvrage de Nicholas Shaxson sur les « Paradis fiscaux », replace également les marchés financiers, et plus particulièrement les centres offshore, dans une perspective historique. L’auteur parvient à montrer, par de multiples enquêtes, la place qu’occupe la finance offshore au cœur du système économique et financier mondial« . Le document complet : Un siècle d’évasion fiscale.

Vois aussi, sur le même sujet, tiré du même site : Les paradis fiscaux : visite guidée