Après lecture et écoute de la conférence du ministre de la santé à l’Association québécoise de gérontologie, quelques réflexions en vrac, en attendant le texte du projet…
Le ministre Hébert devrait bientôt rendre public son projet de loi (ou livre blanc ?) décrivant sa conception d’un système de santé orienté vers la prévention, la première ligne, les maladies chroniques et les soins de longue durée. Une nouvelle transformation, nouveau vent de réformes dans cet amas d’organisations, d’intérêts, de clientèles qu’est devenu le système de santé québécois. Oui, c’est vrai que la dernière réforme date de dix ans… 2003 avec l’arrivée au pouvoir des Libéraux, la « réforme Couillard » qui créait les CSSS, harnachant dans les dernières régions récalcitrantes (dont Montréal) les services de première ligne (CLSC) à ceux de longue durée (CHSLD), mais aussi réduisant drastiquement le nombre d’entités juridiques (notamment le nombre de syndicats) : les 12 CSSS de Montréal rassemblant dorénavant ce qui avait été… plus de cent CLSC, CHSLD, hôpitaux. Une transformation majeure qui s’est inscrite sur le terrain à partir de 2005-2006. Nouvelles règles du jeu auxquelles se sont adaptées plus ou moins rapidement, avec plus ou moins d’enthousiasme ces nouvelles entités – qu’on appelait parfois les « instances locales ». D’autant moins enthousiastes que très rapidement ces organisations auront à contenir la pression – largement artificielle, finalement – d’une épidémie appréhendée, et le fardeau de compressions budgétaires, bien réelles celles-là, aussi permanentes que les besoins qui croissent.
Transformer ou pas… les réformes passent et les forces et systèmes restent. Une particularité de cette réforme-ci ? L’afflux de nouveaux revenus (500M$ de nouveaux investissements publics annoncés en plus des épargnes et achats privés en croissance) qui permettra peut-être de « blanchir », de rendre plus visibles et prévisibles les investissements publics discrets développés depuis cinq – six ans sous la forme de crédit d’impôt remboursable. Deux cents cinquante millions publics et plus de cinq cents millions de contribution de la clientèle. La croissance de ce secteur a été plus importante que l’investissement public en services à domicile. Elle aura permis de soutenir le développement rapide de services — à moindre coût pour l’État qu’un financement à travers le réseau public. C’était aussi une reconnaissance obligée des services déjà offerts, achetés par les aînés dans ce réseau des résidences avec services qui avait été jusqu’alors à peine toléré par le cadre légal (M. Charpentier).
Mais ces nouveaux services demeuraient le plus souvent imprécis, flous sauf pour ce qui est des prix. À quel moment la personne sera-t-elle jugée incapable de demeurer dans son lieu de vie ? C’était la grande inquiétude d’un système qui n’intervenait qu’en réponse à la maladie, et qui n’avait souvent comme solution que d’institutionnaliser la personne quand l’intensité des besoins dépassait la capacité de soutien du milieu ou la capacité de payer de la personne.
À partir du moment où l’on souhaite respecter le désir de la personne d’être soignée où elle habite on doit prendre les moyens de rendre les services nécessaires en temps utile et de manière qualifiée. La période qui s’ouvre sera celle de la reconnaissance des qualifications déjà acquises et de la valorisation monétaire conséquente pour les personnels actuellement moins normés des résidences privées. Les plus hauts salaires pour les personnels d’aide aux AVQ-AVD dans le secteur public (dans la mesure où ils sont associés à une formation et un encadrement professionnel plus poussés) exerceront un pression à la hausse sur les bas salariés des réseaux privés.
Il faudra séparer les services de longue durée de ceux à court terme. Les premiers relevant d’une caisse autonomie distincte, il faudra éviter de « désengorger les urgences », encore une fois, avec ces nouvelles ressources.
Dans son allocution à l’AQG, le ministre Hébert souligne au passage les taux d’institutionnalisation trop élevés à Montréal. On héberge publiquement alors que les besoins en heures-soin sont moindres qu’ailleurs, alors que ces besoins pourraient être comblés autrement, à domicile ou dans un milieu moins « institutionnalisé », médicalisé. Pourtant, lorsqu’on ne réduit pas l’institutionnalisation à la prise en charge publique mais qu’on regarde les taux de personnes en institution publiques et privées, Montréal apparaît comme une région où le taux est plutôt bas ! Comment expliquer cela ? Si le taux d’institutionnalisation publique est plus élevé à Montréal, mais que le taux d’institutionnalisation général y est moins élevé qu’ailleurs, c’est donc que le taux d’institutionnalisation privé y est beaucoup moindre qu’ailleurs. Une des causes possibles : les ainés vivant à Montréal sont plus pauvres. Autre raison possible : les ressources privées en région sont plus abordables et de meilleure qualité et attirent plus de clientèles. Certaines régions devenant même des destinations-retraite ?
Les « besoins en soins de longue durée » doubleront, ou tripleront même dans certaines régions — d’ici 2031 (R. Choinière, 2010). On peut mettre de l’argent de côté, pour couvrir les besoins économiques de ces années supplémentaires — non prévues aux régimes de retraites — on peut aussi mieux définir et soutenir les services de longue durée qui seront offerts aux futures cohortes de grand âge. Jusqu’où faut-il définir ces futurs besoins à partir des besoins actuels ? Jusqu’où le « grand âge » de demain sera-t-il ou non différent de celui d’aujourd’hui ? Difficile de présumer que les tentatives de « rendre les gens plus actifs » seront vraiment plus effectives dans l’avenir… Il y aura sans doute une certaine amélioration, d’origine cognitive. Mais peuvent s’exercer en parallèle des pressions contraires : plus de télé, plus de médicaments de gestion de la passivité sédentaire…
Reste que nous avons la possibilité de soutenir, encourager des comportements, des relations, des développements et des équipements qui, en accroissant la qualité de la vie (sociale, physique) menée par les personnes vieillissantes réduiront d’autant l’apparition de pertes et limitations impliquant des mesures de soutien palliatif. Les services financés par la Caisse autonomie seront-ils seulement palliatifs et curatifs, intervenant à postériori ou s’ils incluront aussi des services aux milieux de vie, aux coopératives et réseaux sociaux qui animent et structurent la vie sociale de ces populations.
S’agit-il de créer un nouveau réseau de CPE, mais cette fois pour les ainés ? Un réseau unique, public, prioritaire laissant à la marge les solutions privées ? L’importance de la part privée en matière d’hébergement avec services rend la solution « unique-publique » improbable. Par ailleurs la priorité accordée aux services à domicile, par rapport aux « solutions lourdes » de l’hébergement, donne une longueur d’avance au secteur public.
Mais la dimension hébergement de la « solution » n’est pas qu’une dimension, c’est un investissement lourd, de capital foncier à plus long terme. C’est aussi un choix que peut faire, dans la mesure de ses moyens, un citoyen de tout âge. Et le poids de l’hébergement diffère grandement dans le budget d’une famille, suivant la région qu’elle habite. Une valeur foncière urbaine plus élevée qui incite à des solutions plus collectives. Mais une valeur foncière qui est aussi poursuivie frénétiquement par le capital privé, alors que les valeurs publiques s’étiolent plus qu’elles ne se développent : couvents, églises, écoles et hospices deviennent des condos ou, parfois, des coopératives. La dimension « hébergement » de la continuité de services de longue durée ne devrait pas être laissée au seul marché privé. Parce qu’elle doit s’articuler à un riche environnement social et humain, cette dimension de l’hébergement pour personnes fragiles ne devrait pas être réduite par l’incapacité financière de ces personnes. Il faudrait que le fait d’héberger une personne pauvre soit aussi payant pour l’entreprise que d’héberger une personne à revenu moyen. Mais en même temps il ne faudrait pas que les personnes pauvres deviennent des clientèles captives d’intérêts privés — l’entreprise hébergeant une majorité de personnes « pauvres » devrait être (ou s’engager à le devenir) « sans but lucratif ».
Il serait justifié de permettre le développement d’un secteur public témoin en matière d’hébergement avec services, afin de gagner et préserver l’expertise nécessaire à l’évaluation de la qualité et des coûts dans ce secteur. Confiner le secteur public à n’héberger que des populations quasi hospitalisées, en grande perte d’autonomie c’est s’interdire de stimuler le développement de bonnes pratiques, et d’expérimenter l’articulation fine des continuités de services évoluant dans la longue durée.
Ici j’ai poursuivi la réflexion, en marchant. Un soliloque de 9,14 minutes (mp3).
Ajout : La conférence de mars du ministre à l’AQG a amené son lot de réactions et commentaires :
- Les aînés craignent les pièges de la désinstitutionnalisation, AQDR (pdf)
- L’assurance autonomie et les femmes, Le devoir
- L’assurance autonomie : pour humaniser les soins à domicile, RPCU
- Un livre blanc sur l’assurance autonomie, La presse
- Les travailleurs sociaux s’inquiètent, Le devoir
- Québec reçoit des appuis, Le devoir
- Persistance de la dévalorisation du travail des femmes, Le devoir
- Assurance autonomie pour tous, La presse
- Les EÉSAD favorables, EÉSAD
- Les Tables de concertation des ainés, TCAQ
Réflexion intéressante, Gilles.
Je vais mettre l’hyperlien dans le prochain bulletin électronique de l’AQDR.