Après l’ACFAS du mois de mai, où plus de 3000 conférenciers sont venus à Montréal présenter leurs projets, théories et résultats, le Forum social mondial réunissait en août quelques milliers de participants autour de centaines d’ateliers, de conférences et discussions définissant de mille façons différentes et plus ou moins convergentes des alternatives au développement extractiviste, capitaliste, court-termiste. Et voici que s’ouvre aujourd’hui le Forum mondial en économie sociale où sont présentées des expériences d’ici et d’ailleurs faisant la preuve qu’il est possible de produire autrement qu’en visant simplement le meilleur prix-profit, en mariant objectifs sociaux et économiques.
Un tel foisonnement de projets, d’idées, de pratiques sociales innovantes a de quoi donner le tournis. Tous ces mouvements pourront-ils un jour converger pour faire pencher la balance ? Naturellement, « ces mouvements » n’ont pas tous la même conception de leur place, la même vision de l’avenir… Certains se préoccupent (c’est le thème du FMES) de leur articulation avec les gouvernements municipaux – qui sont eux-même à se redéfinir en tant que « gouvernements de proximité ». Alors que d’autres se tiendront le plus loin possible de toute forme de gouvernement.
Lorsqu’on posait la question aux porte-paroles d’un projet de développement local en Inde, The Timbaktu collective, qui a réussi après vingt-cinq ans d’intervention et d’accompagnement à sortir de la pauvreté et redonner espoir à quelque 20 000 familles : mais comment porter à plus grande échelle de tels objectifs ? Comment passer de quelques milliers à quelques centaines de millions dans un pays comme l’Inde ? La réponse n’est pas simple : on ne peut faire porter sur les plus fragiles et pauvres la responsabilité supplémentaire de changer le monde ! Sûr que ces projets de développement local, d’économie sociale et de lutte à la pauvreté et l’exclusion font partie de la solution. Ce sont même des démonstrations vivantes de la possibilité de faire autrement, de la faisabilité d’une autre économie. Ce sont aussi des écoles et des laboratoires de l’action collective vers un développement durable…
Certains font de l’addition de ces projets locaux une stratégie, une philosophie d’action, comme le professe Rob Hopkins, fondateur de Transition Network dans son The Power of Just Doing Stuff : How local action can change the world ou encore les auteurs et interlocuteurs du film Demain. Mais il faudra bien un jour, et demain plutôt qu’après demain, fédérer ces mouvements et expériences, aussi jalouses soient-elles de leur autonomie, si l’on veut faire changer de cap au paquebot de l’extra
ctivisme forcené de nos sociétés industrielles. Faut-il attendre un mouvement politique unificateur, qui saura articuler le local, le régional, le national et l’international en même temps que négocier l’équité entre les genres, les générations, les classes ?
Ceux qui se sont frottés à l’action politique savent d’expérience à quel point il est facile de tomber dans le sectarisme, les guerres de clocher et excommunications entre alliés potentiels… À chaque étape, étage d’unification doivent être résolus les différends dans l’interprétation des augures, la définition des possibles et la mise bas du réel. Que l’enjeu soit local et très proche des acteurs engagés ou global et propice à toutes les idéations, il y aura toujours des opinions et stratégies divergentes. Il faudra apprendre la délibération sans qu’elle paralyse l’action. Il faudra dégager des principes partagés, communs et s’entendre sur des cibles à court-moyen terme. Et cela en laissant aux collectivités, mouvements et réseaux la marge de manoeuvre qui leur est essentielle.
Est-ce à dire que tout le monde il est gentil et que nous devrons attendre que le dernier et le plus irréductible des climatosceptiques soit convaincu avant d’agir ? Non. Certainement pas. La dénonciation de l’ignorance inacceptable, de l’inconscience et du refus de changer des riches peut devenir un levier d’unification des forces… Je n’ose dire « forces du progrès », tellement ce terme a servi de paravent au développement sans vergogne, à court terme et aveugle. Les forces humanistes ? Celles promouvant la transition ? Peu importe l’étiquette, le branding, l’unification des forces peut se faire autant par l’accord sur des principes et sur un programme que par la dénonciation des délits, des défaillances et des dévoiements.
C’est une des leçons, un des 7 ou 8 principes qu’Elinor Ostrom tirait tant des expériences réalisées en laboratoire que de celles recensées sur le terrain pour définir les contours d’une action collective résiliente, apte à traverser le temps et les épreuves((Collective Action and the Evolution of Social Norms, Elinor Ostrom, 2000. Voir aussi The Calculus of Commitment: The Ostroms, The Workshop and The Commons, par Charlotte Hess, 2010)). Le pouvoir qu’une collectivité a de critiquer, de punir ceux qui profitent de la richesse partagée sans y contribuer à hauteur de ce qu’ils en tirent constitue un vecteur d’équité, de maintien de l’engagement des personnes dans l’intérêt commun et de mobilisation de nouvelles personnes dans l’action collective.