le passé et l’avenir du RQIIAC

Le Regroupement des intervenantes et intervenants en action communautaire en centres intégrés de santé (RQIIAC) rassemble, depuis 1988, une bonne majorité des organisateurs et organisatrices communautaires travaillant dans le réseau de la santé québécois. Ayant été moi-même organisateur dans un CLSC (puis un CSSS) pendant 36 ans, et ayant participé au développement de ce regroupement (premier président, responsable du bulletin de liaison pendant une dizaine d’années, puis du site web; j’administre encore la liste de discussion ) je me permet cette réflexion au moment où le regroupement se penche sur son avenir.

Si je devais résumer en termes simples la « mission centrale » du RQIIAC  je dirais que son premier objectif est de permettre une formation continue grâce aux échanges entre professionnels de l’organisation communautaire et avec des enseignants, chercheurs et autres praticiens du domaine. Autrement dit, le RQIIAC est une « communauté de pratique ». C’est ce que je proposais dans un court texte écrit il y a 14 ans, utilisant le RQIIAC comme exemple pour définir ce qu’est une communauté de pratique : Communauté de pratique et gestion de savoirs.

Il y a 30 ans es CLSC étaient des acteurs complices du développement global des collectivités locales – ce qui impliquait, exigeait le déploiement de diverses stratégies d’organisation communautaire : action sociale, développement local et planning social, en collaboration avec les réseaux et acteurs des collectivités.

Cette intervention professionnelle aura contribué à la création de plusieurs ressources visant à répondre à des besoins de la communauté (garderie, services à domicile, centre jeunesse…) ou encore à en soutenir le développement (économique, social, culturel) grâce aux CDEC, CDC, Tables de quartier…

L’évolution du cadre institutionnel des CLSC vers les CIUSSS fut accompagnée par l’instauration de programmes d’intervention (santé publique, lutte à la pauvreté, persévérance scolaire) mobilisant une part de plus en plus grande des efforts d’organisation communautaire. Alors que les OC de CLSC pouvaient participer aux efforts de réflexion et de planification du développement des communautés locales, sans trop se préoccuper des silos ministériels, les OC des CIUSSS sont plus susceptibles de travailler dans des cadres étroits, tout en étant rattachés à des structures plus distantes des collectivités locales. Il reste moins de liberté et d’occasions (de facilités) pour innover, pour inventer des solutions pour des problèmes complexes, multidimensionnels. En relation significative, étroite et complice avec les acteurs qui seront porteurs de ces innovations.

Le RQIIAC a été créé à l’époque des CLSC (fin des années ’80), une époque où les pratiques d’OC étaient méconnues, isolées, même si créatives. Le RQIIAC se voulait d’abord un lieu d’échange sur des pratiques innovatrices, espace de discussion sur les enjeux stratégiques ou éthiques soulevés par ces pratiques. Un moment privilégié de formation continue et d’interaction avec les différents départements universitaires formateurs en organisation communautaire.

Les dernières décennies ont vu l’émergence d’autres cadres institutionnels (que les CLSC) s’appuyant sur des pratiques d’OC (CDC, OMH, villes, organisations philanthropiques) en même temps que les pratiques du réseau de la santé avaient tendance à se replier sur leur « champ spécifique » et des programmes de plus en plus normés. La qualité professionnelle et la formation continue en organisation communautaire devraient soutenir la mise en œuvre de toutes les stratégies d’OC utiles au développement des communautés.

Si les objectifs globaux, intersectionnels de développement des communautés n’appartiennent pas à un secteur ou un ministère particulier mais sont le plus souvent partagés et font l’objet de délibérations locales-régionales – il est important de favoriser l’interface et la discussion d’enjeux liés au développement des communautés tels qu’ils se déploient à la frontière de plusieurs réseaux, champs d’action ministériels ou institutionnels. Une telle approche ne peut que renforcer le rôle de passeur, d’homme-frontière que doit jouer l’OC pour qu’émergent les innovations sociales et développements communautaires.

L’irruption (potentielle) des municipalités dans le champ de l’organisation communautaire devrait être favorisée, encouragée, afin de formuler un cadre professionnel pour l’action sociale de ces nouveaux acteurs. Faire une place aux intervenants pionniers de ce secteur soutiendrait la concertation des acteurs sur le terrain. L’articulation des acteurs locaux autour de problématiques d’accompagnement de populations fragilisées demeure un enjeu central de la conjoncture actuelle. Les espaces de concertation et délibération locaux ont été bousculés et sont en processus de reconstruction. Le RQIIAC peut contribuer à cette reconstruction.

La recomposition des espaces démocratiques et institutionnels locaux et régionaux ouvre une période d’innovation et de négociation aux frontières des réseaux et institutions (municipalités, santé, communautaire, éducation, économie sociale). Les enjeux des prochaines décennies ne seront pas que déterminés par les manœuvres néo-libérales à courte vue des gouvernements actuels mais aussi par des obligations sociétales et environnementales qui exigeront des transformations profondes de nos sociétés. Le RQIIAC saura-t-il relever les défis de cette période ?

Les pratiques professionnelles sont partiellement déterminées par le cadre institutionnel à partir duquel elles se déroulent mais elles débordent ce cadre dans la mesure où ce sont les intérêts et les besoins des communautés qui doivent aussi orienter ces pratiques. C’est un ensemble de valeurs, de principes et de savoir-faire , issus de la formation, des expériences passées et de l’interaction avec les clientèles et collectivités qui guident les professionnels. Les communautés et collectivités intentionnelles que les organisateurs accompagnent sont différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient il y a 30 ans.

Les relations du RQIIAC avec différentes écoles et départements universitaires devraient être aussi diversifiées que les pratiques actuelles et potentielles : développement économique local et communautaire, action sociale et politique, conception et critique de programmes sociaux. Si les intervenants et intervenantes sont pour la plupart bacheliers plusieurs d’entre eux et elles poursuivent des études de second cycle pour approfondir et développer leurs pratiques.

Questions d’organisation…
Tenir « à bout de bras » une organisation à l’échelle du Québec, avec des représentations régionales, qui vise un membership potentiel de quelques 400 personnes… il faut y croire ! Ayant été de ceux qui ont fondé cette association professionnelle, nous n’avions d’autre choix que de le faire bénévolement : pas question de demander à nos patrons si nous pouvions consacrer quelques heures (ou une journée) pour aller deviser avec d’autres OC. Mais assez vite nos « patrons » ont compris qu’il était dans leur intérêt que les OC s’organisent et définissent mieux les axes et horizons d’une pratique difficile à saisir. La participation des différentes universités à la préparation des colloques biannuels a aussi favorisé la reconnaissance de ces rendez-vous comme des moments de formation.

Avec le temps, sans doute, le regroupement est devenu un « acquis » et ou plutôt un donné. Les difficultés de recrutement d’adhérents et de représentants se sont accrues et le maintien de la structure de représentation et des moyens de communication pèsent lourd… Les réformes du réseau avec les incertitudes et chambardements que cela amène ne favorisent pas la réflexion sereine sur les perspectives d’avenir…

C’était le cas aussi, en 1987, quand le « Rapport Brunet » parlait ouvertement de laisser tomber l’organisation communautaire, « maintenant qu’on connaissait les besoins » ! Mais nous avions soif de connaître ce qui se passait ailleurs. Il nous fallait absolument rendre visibles des pratiques qui faisaient « la une » seulement quand on accompagnait des citoyens devant le bureau du député ! Les pratiques d’organisation communautaire étaient beaucoup plus diversifiées et complexes que cela, même si elles incluaient aussi cela. C’était l’époque des premières corporation de développement économique communautaire, la montée des projets de coopératives et OBNL en logement, la mise en place de réseaux communautaires (centres de femmes, de jeunes, d’ainés…).

Nous ne sommes plus en 1987, et il n’y a plus 150 CLSC mais plutôt… 22 centres intégrés. Il est sans doute encore important de « faire voir » ce qui peut se faire en organisation communautaire dans ces méga-institutions. Mais peut-être l’organisation communautaire devra-t-elle regarder ce qui se fait ailleurs, dans les villes, les OMH, les CDC, les fondations ou les réseaux communautaires afin de maintenir une vision professionnelle de sa pratique à la hauteur des défis qui se posent pour l’avenir des communautés et ne pas la voir réduite peu à peu à l’administration de quelques programmes bien normés et mesurables.

À mesure que le périmètre de l’institution de rattachement des organisateurs s’étend, passant de CLSC à CSSS puis CISSS, la complexité du labyrinthe institutionnel peut devenir paralysante. Elle peut engloutir le temps en coordination interne et figer l’initiative, conduisant l’intervenant à ne percevoir de la communauté que celle qui entoure l’enfant ou soigne le malade, au détriment d’une approche d’ensemble apte à promouvoir la santé et la solidarité, apte à favoriser un développement en s’attaquant aux causes, à la source des problèmes sociaux et sanitaires.

Comment contrer la tendance de l’institution à transformer les citoyens en malades ou en clients ? L’évolution même des pratiques vers des champs spécialisés, l’évolution des organisations vers plus de professionnalisation tend à reproduire les silos, les champs de compétences reconnus et exclusifs, obligeant la mise en place de mécanismes de liaison inter-institutionnels, de passerelles entre les silos où se retrouvent essentiellement des cadres et des professionnels. Très peu de citoyens.

Pourtant, pourtant… la mobilisation, l’éducation, l’engagement de ces citoyens, nouveaux et anciens, jeunes et vieux, reste un des rares, des derniers moyens que nous ayons d’ouvrir les silos et de contrer l’isolement et l’individualisme qui transforme le citoyen en consommateur. Il me semble que si les OC du RQIIAC veulent maintenir leur rôle de passeurs, d’hommes(femmes)-frontières (1) ils devraient ouvrir leurs rangs aux praticiens qui agissent aussi à la frontière d’autres réseaux – municipaux, éducation, communautaires – et qui travaillent aussi à briser les silos et ouvrir les palissades institutionnelles à l’influence citoyenne et communautaire.

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(1) Mon mémoire de sociologie 1991 : Entre l’institution et la communauté, des transactions aux frontières

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