Un colloque était organisé par le PhiLab (Laboratoire montréalais sur la philanthropie canadienne), les 20 et 21 avril dernier sur le thème Crises socioéconomique et environnementale : rôles et responsabilités des fondations subventionnaires, de la réflexion à l’action… (programme en PDF)
Plus d’une centaine de personnes ont participé aux ateliers et plénières des deux jours.
Un thème plutôt costaud qui interpellait à la fois les fondations mais aussi les partenaires (communautaires, étatiques, privés, universitaires) avec qui ces fondations sont appelées à définir leurs stratégies et moyens d’action.
Je ne tenterai pas de résumer les 13 conférences(*) qui ont ouvert le colloque, préparé aux ateliers ou conclu l’évènement. Seulement quelques mots, autour de certaines questions posées (ou non) par quelques uns des conférenciers.
La place (ou l’absence) du politique, de l’État
Même si la ministre du Revenu du Canada, madame Diane Leboutillier, a ouvert la conférence et qu’elle est même restée pour la plus grande partie du colloque, cela n’a pas tout à fait comblé le vide (ou le peu de présence) des autres paliers de gouvernement. Le ministère de la santé, qui a depuis longtemps développé des alliances et programmes conjoints avec des fondations, aurait été pertinent avec une réflexion sur les leçons qu’il en tire. Mais peut-être le thème « crises socioéconomique et environnementale » n’était pas assez « santé » pour notre médecin de ministre.
Je n’ai pas épluché la liste des inscriptions mais je n’ai pas vu beaucoup de gens de la santé publique, qui gèrent (avec des représentants de la Ville, parfois) pourtant d’importants programmes de subvention conjointement avec de grandes fondations.
La ministre Leboutillier nous informait, pour sa part, que plus de 20 000 personnes ont participé à la consultation lancée l’automne dernier par son ministère sur les activités politiques des organismes de bienfaisance. Le rapport synthèse devrait être bientôt rendu public.
La conférence suivante était donnée par monsieur Tim Draimin, directeur du SIG, Social innovation generation. Elle avait pour titre : Foundations’ Emerging Roles Tackling Grand Challenges (pdf). Décrivant l’évolution du rôle et de l’agir des fondations qui sont aujourd’hui moins discrètes, et ont une approche, une philosophie plutôt basées sur l’investissement que la levée de fonds. Elles ont développé des collaborations hybrides, reliant les silos. Ces collaborations sont passées du mode transactionnel au transformationnel. On voit venir le « collective impact 3.0« , où l’on construit un mouvement plutôt que de simplement gérer des organisations; où l’on partage des aspirations et non seulement ses agenda; où l’on fait des apprentissages stratégiques et non seulement partager des règles et des données; où les collaborations visent aussi le changement et non seulement le renforcement mutuel . L’innovation sociale doit être vue comme un projet de société s’inscrivant dans une vision écosystémique (Mondragon).
Une planche résume l’écosystème de l’innovation sociale, selon M. Draimin.
M. Draimin termine sur un programme visant la transformation des stratégies et des objectifs des fondations en 5 points :
- Pour le personnel des fondations : passage de la gestion des subventions à l’établissement de relations profondes aptes à soutenir des écosystèmes de solutions des Grands défis du Canada
- Les fondations développent les capacités trans-sectorielles en partageant outils et approches avec les acteurs du privé/secteur public/société civile afin d’accroître la capacité de tous à travailler ensemble
- Les fondations identifient les trous et manques dans l’écosystème de l’innovation et se font catalyseurs de nouvelles infrastructures sociales pouvant combler ces manques
- Les fondations deviennent promoteurs d’un agenda canadien de l’innovation s’attachant à résoudre les inégalités sociales et le changement climatique
- Les fondations deviennent pro-actives dans la promotion d’un nouveau régime de régulation des organisations charitables qui sache libérer les capacités innovatrices des fondations et de leurs partenaires.
« …Canada’s current systems, structures, policies and legislation could be viewed as risk-averse, outdated and constraining, limiting opportunities for innovation, experimentation, revenue generation and cross-sector collaboration. » Extrait de Charting a Path Forward Strengthening and Enabling the Charitable Sector in Canada.
Le troisième conférencier lors de cette plénière d’ouverture était Benoît Lévesque, professeur de sociologie émérite de l’UQAM, qui nous propose une communication (pdf) en trois points :
- La transition sociale et écologique (TSÉ) ouvre un espace d’innovation et de transformation des besoins de base
- La philanthropie est doublement interpellée par cette transition
- Comment institutionnaliser (pérenniser) les innovations utiles à la TSÉ ?
- La transition sociale et écologique vers un développement durable repose sur un nouveau paradigme, une nouvelle vision du monde qui s’est construite depuis le début des années ’70 (Halte à la croissance, rapport Bruntland) jusqu’à s’incarner dans des lois sur le développement durable. Des constats de plus en plus irréfutables imposent de transformer nos modes de production, de consommation et d’occupation du territoire. De nombreux passages s’imposent pour atteindre une économie qui soit soutenable : de l’énergie fossile aux énergies renouvelables; du gaspillage à un usage raisonné des ressources naturelles; besoins à repenser : alimentation, mobilité, logement…Une transition qui a un caractère d’urgence pour contrer l’irréversible.Une transition qui doit être sociale, et conduire à plus d’équité parce que les plus défavorisés sont plus durement touchés par la crise écologique; parce que la pauvreté réduit l’ouverture au changement, et que la grande richesse des uns accroit la pression sur l’environnement. Ce à quoi j’ajouterais, personnellement, qu’une plus grande équité favorise l’engagement du plus grand nombre dans cette transformation sociale nécessaire qui sera d’autant plus rapide et profonde qu’elle sera volontaire. Ces transformations sociales élargissent le champ des activités de bienfaisance et imposent un repositionnement de la philanthropie.
- Malgré leur faible poids économique (elles fournissent 5% des revenus de l’ensemble des oeuvres de bienfaisance) les fondations ont un impact élevé. Notamment grâce à leur grande flexibilité dans l’utilisation de leurs fonds, et leur capacité d’innovation et de réflexivité et de recherche. Aussi grâce à leur réseautage, leur liens politiques et d’affaires.Les fondations sont doublement interpellées par la TSÉ. D’abord en tant qu’entreprises socialement responsables qui doivent se doter de politiques environnementales internes et accepter les modes de transparence, de reddition de compte et d’audit impliqués par cette responsabilité sociale.Mais aussi comme bailleurs de fonds, en tant qu’investisseurs responsables, les fondations devront redéfinir leurs alliances et activités, accompagner et soutenir les organisations et programmes dans lesquelles elles investissent…
- Les innovations sociales nécessaires à la TSÉ devront être stabilisées, institutionnalisées. Des acteurs multiples, à l’échelle individuelle et organisationnelle devront agir en réseau et combiner diverses logiques institutionnelles.Le triangle suivant met en lumière les différents types d’organisations (publiques, privées, formelles, informelles, à but lucratif ou non) et les organisations mixtes qui peuvent agir à la frontière de deux secteurs. La place particulière du tiers-secteur reliant ou participant des trois types fondamentaux (État, marché et communautaire).
M. Lévesque termine son intervention en invitant les fondations à soutenir les innovations et leur institutionnalisation : comprendre ce qu’est la TSÉ au regard de sa mission; favoriser la constitution de niches d’innovation radicales et d’incubateurs; comprendre le rôle indispensable de l’État dans la TSÉ dans sa capacité à définir l’intérêt général et le bien commun avec l’aide de la société civile; devenir des acteurs réseau dans l’écosystème; contribuer à l’ajustement d’un nouveau cadre juridique et de nouvelles modalités de financement vers un nouvel âge de la philanthropie.
En conclusion du pannel, M. Jean-Marc Chouinard, président de la Fondation Lucie et André Chagnon, y allait de quelques commentaires inspirés par les conférences. Il y a urgence de travailler ensemble à la solution des crises. Tous les besoins de base doivent être revus. Il faut redéfinir l’action de chacun, les contours étant devenus plus flous entre l’État, le marché et la société civile. Mais le travail collaboratif et collectif est peu encouragé. En perspective : Il faut rester à l’écoute du terrain, organiser une réflexion systémique. Les fondations n’ont pas les clefs, elle ne peuvent être que des facilitateurs, des catalyseurs. Il terminait en soulignant le message contradictoire que reçoivent les fondations : « Prenez des risques, innovez » mais lorsqu’on en prend, on nous questionne : « Quelle est votre légitimité pour ainsi orienter l’action ? »
La première question posée par une participante en ouverture de la discussion « Et les 96,5 % des fonds que gèrent les fondations sont-ils investis de manière responsable, conséquente aux principes et intentions soulevés par la TSÉ ? » Il faut se rappeler que la loi canadienne sur les fondations fait une obligation à celles-ci de distribuer sous forme de dons et subventions à des organisations de bienfaisance un minimum de 3,5% de leurs avoirs. Ainsi une fondation qui est dotée d’un capital de 500 millions devra distribuer annuellement au minimum 17,5 millions $. Et cette question m’a semblé cardinale, à poser à l’ensemble des acteurs présents.
J’y reviendrai dans un prochain billet.
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(*) Plusieurs textes des conférences sont disponibles sur le site de PhiLab. Voir aussi synthèse des enjeux par Nancy Neamtan: Quel rôle pour la philanthropie dans la transition sociale et écologique, sur le site TIESSS.