La maison brûle, de N. Klein

La maison brûle, il faut agir. Ce n’est plus assez de dire Non, de critiquer, il faut faire des propositions, concrètes et audacieuses qui soient à la hauteur des défis. 

Le dernier livre de Naomi Klein, La maison brûle, est composé de conférences prononcées ces dernières années ou de commentaires sur des évènements récents qui lancent un appel éloquent à une action rapide, urgente, pour mettre en branle une transition qui ne fera pas que confronter les effets des changements climatiques mais aussi devra réduire les inégalités, entre les pays, entre les gens. 

Le récit commence par une introduction (Nous sommes le feu de forêt) au temps présent, mars 2019, moment de manifestations internationales pour l’environnement. Suivent des textes présentés chronologiquement :  juin 2010 (Un monde perforé), moment de la crise Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique; novembre 2011 (Le capitalisme contre le climat), où elle fait un retour sur les années de néolibéralisme et la pénétration de son idéologie : « En 2007, selon un sondage Harris, 71 % des États-Uniens étaient d’avis que la consommation incessante de combustibles fossiles altère le climat; en 2009, cette proportion était tombée à 51 %; en juin 2011, elle avait encore chuté pour atteindre 44 %. » Elle résume son propos : « Contrer le réchauffement planétaire requiert de contrevenir à toutes les règles du libre marché, et ce, de toute urgence. Il faut reconstruire le secteur public, révoquer les privatisations, relocaliser de larges pans de l’économie, rompre avec la surconsommation, renouer avec la planification à long terme, imposer une réglementation stricte et un fardeau fiscal digne de ce nom aux grandes entreprises – voire en nationaliser certaines –, réduire les dépenses militaires et reconnaître que les pays du Nord ont une dette envers les pays du Sud. » Ce qui constitue un assez bon résumé du recueil.

Suit un court texte sur les dangers et tentatives actuelles, en cours de la géo-ingénierie (La géo-ingénierie, ou l’art de naviguer en eaux troubles, octobre 2012). 

Le texte suivant, daté d’octobre 2013 (Quand la science affirme qu’une révolution politique est notre seul espoir),relate certaines interventions faites au congrès annuel de l’American Geophysical Union qui réunissait cette année-là 24 000 personnes à San Franciso. Elle cite des scientifiques, dont plusieurs reconnaissent que le retard pris dans les actions à porter exige maintenant des mesures plus radicales : « [L]es tergiversations politiques et la timidité des mesures adoptées (sur fond d’explosion des émissions) ont entraîné une telle perte de temps qu’il faut maintenant procéder à des réductions si draconiennes qu’elles mettent en cause la logique expansionniste. » Des critiques sévères sont adressées à ceux qui « pour entretenir leur image de gens raisonnables dans les milieux néolibéraux, ces savants minimisent les implications de leurs résultats de recherche. » « Chose plus inquiétante, alors que les «budgets carbone» s’épuisent, les scientifiques s’intéressent de plus en plus à la géo-ingénierie, qui présente l’avantage de ne pas mettre en cause les diktats des économistes. » Je souligne. 

Elle cite Kevin Anderson, un des plus éminents climatologue du Royaume-Uni : « Aujourd’hui, après vingt ans de simulacres et de mensonges, le respect de cette limite de 2 °C exige une transformation révolutionnaire de l’ordre politique et économique établi. » 

Le texte de 2015, Un Vatican de gauche?, relate sa participation au lancement de Laudato Si, encyclique du pape François sur l’environnement, au Vatican. Elle est impressionnée (« pendant ces trois jours à Rome, j’ai vu prendre forme un évangélisme écologique »), exaltée ? ( « It’s thrilling » traduit par « Il est exaltant » ?) Palpitant, saisissant ou même sensationnel comme suggérés par Google… Pour ma part j’aurais dit curieux, ou intriguant, le reste de la phrase décrivant une certaine « dissonance cognitive » dans le fait de discuter de ces choses dans un auditorium nommé en l’honneur de saint Augustin, « ce théologien dont la méfiance à l’égard des réalités corporelles et matérielles a profondément marqué l’Église catholique ».

Ce texte est le seul qui se termine par un post-scriptum, où elle avoue être déconcertée à la relecture de son texte. Son ton était en effet plutôt enthousiaste devant la radicalité des positions promues par l’encyclique et devant l’ouverture de l’appareil à l’idée de porter cette « bonne nouvelle » partout… La puissance de l’Église catholique comme alliée dans la bataille du climat, c’est pas rien ! Mais les difficultés ou l’incapacité du Vatican à « forcer ses propres dirigeants à reconnaître leur responsabilité dans les agressions sexuelles subies par tant d’enfants et de nonnes (…) mine l’autorité morale du pape sur d’autres enjeux, dont la crise du climat. »

Le texte de septembre 2016, Un bond vers l’avant: mettre fin au récit de l’infinitude, relate les intentions et le processus d’écriture du manifeste The Leap, (Un bond en avant), rédigé par 60 militants liés à des organisations d’horizons différents, à la veille de l’élection canadienne de 2015. Le peu d’impact sur la campagne et ses résultats, pour ne pas dire le flop de ce manifeste auraient mérité une plus profonde introspection, peut-être ? Mais on ne change pas des idées promues et chantées depuis 40 ans par la droite néolibérale en une campagne électorale. Il y avait dans ce manifeste l’affirmation, la reconnaissance du besoin de passer d’une coalition des « contre » à un regroupement des « pour ». Il faut construire d’autres récits, « des récits qui reconnaîtront les limites du monde naturel et de tous les êtres qui l’habitent, et qui nous apprendront à prendre soin les uns des autres et à régénérer le vivant en respectant ses limites. Des récits qui mettront fin une fois pour toutes au mythe de l’infinitude. »

Les deux derniers chapitres ainsi que l’épilogue portent sur le Green New Deal

Klein rappelle la force des mouvements populaires, syndicaux et intellectuels qui ont poussé et lutté pour obtenir le New Deal et le Plan Marshall des années 30 et de l’après-guerre. C’était « une époque où les mouvements progressistes étaient mobilisés à un point tel que ce programme (qu’on jugerait radical de nos jours) semblait alors le seul moyen de prévenir le déclenchement d’une révolution à grande échelle. » Elle critique les porteurs d’une version trop lâche de l’appellation Green New Deal, où l’on ne s’engagerait pas à laisser le pétrole dans le sol… ou l’on ne prendrait pas les moyens pour « que les salaires issus des bons emplois écologiques qu’il créera ne soient pas immédiatement affectés à des modes de vie fondés sur la surconsommation ». 

Ce ne sont pas seulement nos transports et nos manières de produire de l’électricité qu’il faut changer mais bien notre conception du plaisir, du bonheur, de la réussite. « La transition passe par l’imposition de limites strictes à la consommation. Mais il faut aussi offrir aux gens de nouvelles possibilités de produire du sens tout en dissociant la notion de plaisir du cycle sans fin de la consommation, que ce soit par le financement public des arts ou un accès universel à la nature. » Elle cite George Monbiot, journaliste à The Guardian, « le nécessaire sur le plan personnel et le luxe sur le plan collectif, [sous forme de] parcs et de terrains de jeu extraordinaires, de piscines et de centres sportifs publics, de galeries d’art, de jardins communautaires et de réseaux de transport en commun». Et l’économiste Kate Raworth [qui disait] dans un essai intitulé La théorie du Donut: l’économie devrait «satisfaire les besoins de tous, dans la limite des besoins de la planète». Si certains secteurs devront décroître, « la transition créera aussi de nouveaux plaisirs et de nouvelles sources d’abondance. » Klein poursuit : « Je suis fermement convaincue qu’on ne réglera pas la crise sans adopter une nouvelle vision du monde, fondée sur une philosophie du soin et de la réparation. Il faut réparer le territoire. Réparer les biens matériels. Réparer les rapports sociaux. Réparer les relations entre pays. »

Un petit vidéo de 7 minutes, à la production duquel elle a participé, mais aussi Alexandria Ocasio-Cortez comme narratrice : A message from the futur with Alexandria Ocasio-Cortez

Pour contrer le défaitisme, il faut montrer que c’est possible. Ce sera difficile, mais ça en vaut la peine. Une transformation aussi radicale du transport, de l’habitation, de l’énergie, de l’agriculture, de la foresterie… c’est presqu’inimaginable, dit Klein, pour la plupart des gens. 

Pourtant, n’est-ce pas ce que nous avons connu, au Québec, durant les années 60 ? Une transformation rapide et importante des moeurs, des valeurs, des comportements et des modèles de réussite. Ce n’était pas qu’un abandon de la religion, c’était aussi une période de grande créativité, de développements sociaux, économiques, culturels et institutionnels intenses. 

Klein rappelle l’importance de la production artistique (des centaines de milliers d’oeuvres produites avec le soutien public) dans le cadre du New Deal. Elle termine avec un épilogue résumant en neuf arguments les atouts d’un New Deal vert. Le dernier : Nous sommes nés pour ce moment !

C’est un texte stimulant, roboratif que nous livre Naomi Klein. Une pierre à l’édifice collectif. Certaines questions restent, évidemment. C’est un processus, un « work in progress ». Des questions sur la construction de nouvelles institutions, qui donneront à l’action publique, collective une nouvelle capacité d’initiative et d’action. Des questions sur le financement de telles initiatives, sur les coûts de cette Transition. 

Deux entrevues avec deux économistes, Mariana Mazzucato et Gaël Giraud, amènent des pistes de réflexion et de réponse à ces questions seront examinées dans mon prochain billet. 

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