Bien d’accord, il faudra de l’audace, de la confiance en soi. Comme ces jeunes, dans le centre de contrôle de la NASA qui n’avaient que 26 ans de moyenne d’âge et ont réalisé l’impossible… (Why I spent Christmas on the Moon.) Il faudrait un grand projet, comme celui de la Baie James, souligne Clément Laberge. Mais c’est moins à un mégaprojet, un grand défi technologique qu’il faut penser qu’un ensemble de transformations rapides, touchant les valeurs, les orientations institutionnelles et professionnelles de centaines de milliers de personnes. Laure Waridel (La transition c’est maintenant) rappelle et résume en quelques mots l’ampleur et la rapidité des changements sociaux et économiques qu’on a appelé la Révolution tranquille.
« Entre 1961 et 1964, on crée le ministère des Affaires sociales, le ministère des Affaires culturelles, le ministère des Affaires fédérales-provinciales, le ministère des Richesses naturelles ainsi que le ministère des Terres et forêts. »
« C’est aussi durant cette période qu’un régime de retraite est mis en place avec la création de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Sous le slogan «Maître chez nous», René Lévesque, alors ministre des Ressources naturelles, nationalise la production et la distribution de l’électricité, ce qui donne un puissant élan au développement économique de la province, créant des emplois partout sur le territoire et offrant de nouvelles opportunités pour des entreprises. » Ceci sans parler des modifications au Code civil et au droit du travail, notamment pour reconnaître la capacité juridique des femmes.
Mais cette période d’intense transformation reposait sur un fort consensus social autour des objectifs poursuivis par le gouvernement et les forces sociales d’alors, engagées dans la sécularisation et la modernisation des institutions publiques : donner un accès gratuit à une éducation moderne et laïque et à des soins de santé modernes et laïcisés. Ce consensus s’était construit sur des décennies de frustrations accumulées devant le conservatisme religieux, la dépendance nationale, le sentiment de retard, de rattrapage à faire vis-à-vis des autres nations.
De mars à septembre les manifestants sont passés de 200 000 à 500 000 dans les rues de Montréal. Faudra-t-il qu’il y en ait 1 million ? Peut-être. À la fin du film Après demain, on fait le tour rapidement des mouvements sociaux des années passées, droits civils américains, droits des femmes (avortement), anti-apartheid… qui ont marqué et changé rapidement les lois, les pratiques (moins vite), les cultures.
Ce film « Après Demain », pour mieux comprendre les défis et difficultés à rendre pérennes ou répliquer les initiatives décrites dans le film Demain. Difficultés de « mise à l’échelle », de passer de l’artisanal à l’industriel. Si Danone peut le faire, alors pourquoi pas General Motors ou Nike ?
A ma première lecture du texte de Waridel, je souriais devant tant de naïveté, tant d’appel à la bonne volonté, à l’amour même, comme elle le chante quasiment en conclusion. Elle dit quelque chose comme “il faut que ça soit agréable et payant de faire la transition”. En y revenant, je me dis qu’il est non seulement possible mais bien nécessaire que ça soit agréable et payant. Est-ce qu’il sera agréable de faire grève pour “la planète” ? Pas nécessairement… mais on peut rendre ça le plus agréable possible. Sera-ce payant de donner une partie de son salaire pour “la cause” ? Est-ce que ce sera agréable de changer d’emploi parce que son employeur a fait faillite, ou, pire, que son secteur industriel est en rapide déclin? Agréable et payant de voir les prix des billets d’avion doubler? Oui, si on a développé des alternatives locales, des circuits de vacances aussi peu chers qu’une semaine à Cuba tout compris… Et oui, encore, si on a mis en place des formations, soutien à l’entrepreneuriat, à l’innovation et à la création d’emplois.
Rob Hopkins, dans Après demain, dit quelque chose comme “On peut tenter de dire aux gens, aux grands, aux puissants ce qu’ils devraient faire. Ou bien on leur montre que, de toute façon les gens sont déjà dans le changement, et qu’il n’en tient qu’à eux de se joindre au mouvement ! “Une révolution tranquille est en marche.” Ça c’est textuel. Celui qui a fondé et animé le réseau des Villes en transitions… Il est tellement persuadé de participer à un mouvement capable de changer le monde, que ça pourrait bien arriver.
Les perspectives d’un Piketty, d’un Rifkin ou d’une Waridel sont clairement, profondément ancrées chacune dans leur contexte national et continental. Trois perspectives différentes mais qui se rejoignent en ce qu’aucune d’elles ne souhaite abolir le capitalisme, c’est-à-dire la possibilité de faire de l’argent avec son argent. On encourage l’investissement responsable, les « banques vertes », l’économie solidaire. Mais pas au point d’interdire ou d’empêcher l’entreprise privée. Tout au plus lui intimer d’être responsable de ses déchets et autres « externalités ».
A travers des monnaies locales, mais aussi, pourquoi pas, des programmes communaux d’investissement local ? Voir A Smart Commons, a new model for investing in the commons.
Il faut revoir et assouplir, multiplier les modalités de propriété partagée, d’usage commun, de profit mutuel. Ici avons-nous l’opportunité d’ouvrir un chantier s’appuyant sur les compétences nombreuses en programmation ET en action collective !
Nos économies nationales sont intégrées dans de grands ensembles participant du « marché mondial ». Mais l’intégration est d’abord et surtout continentale. Et nationale. Et régionale. Le local c’est beau mais nous devons relier nos efforts pour une transition rapide et effective, qui soit démocratique, pluraliste et sociale. Mettre en commun nos efforts, nos connaissances, nos expérimentations, afin d’en tirer des leçons, puis des règles.
Sui-je pessimiste ou optimiste, à l’aube de cette décennie critique ? Optimiste par principe, parce qu’il y a toujours moyen de faire mieux, de se sortir du pétrin, de trouver la meilleure solution. Prudent parce que ce n’est pas juste un problème technique, c’est un problème humain, qui s’inscrit dans des histoires, des rancœurs, des conflits de valeurs et d’intérêts. Il n’y aura pas Une solution, une Marque, un Parti. Il y a une convergence à soigner, un momentum à construire et un, des moment(s) à saisir.
Il faudra réensauvager (rewilding) les espaces naturels et nos coeurs (comme disait Mark Beckof dont j’ai parlé ici) mais aussi nos habitudes politiques. C’est la seule manière de contrer la démagogie dominante, dit George Monbiot, dans un article du Guardian : There is an antidote to demagoguery – it’s called political rewilding. La confiance radicale en la capacité des gens de décider ce qui est bon. Des politiques visant ou permettant la participation maximale ou optimale, qui génèrent des communautés plus résilientes, plus heureuses.
Les contes de fée comme un moyen de faire rêver ? Faire oublier les difficultés, les blocages, les négociations difficiles ?
Suffit-il d’une bonne idée pour en faire un projet de société mobilisateur ? Les solutions “raisonnables”, les conclusions rationnelles s’imposeront-elles d’elles-mêmes? C’est l’impression qu’on a en lisant Waridel. En écoutant Archambault réciter Vivre en ville (ci-haut). Ou, avec plus de passion encore, Bob Hopkins dans Après Demain. Comme si on avait peur de reconnaitre qu’il y aura des conflits… Mais en même temps, comme le dit Hopkins dans son message « de la lune » : ceux qui ont réalisé l’impossible (atteindre la lune et en revenir vivant) en dix ans n’avaient pas sur leurs murs des affiches qui disaient « Tout est foutu ! Il est trop tard! ».
I worry that in much of our work around climate change, we start with assuming that it’s too late, that it’s technologically too complicated, and that it’ll be too costly, shooting ourselves in the foot before we even begin.
Bob Hopkins
À défaut d’avoir UN PLAN central qui articule toutes les dimensions de manière harmonieuse (habitation, transport, nourriture, industrie, éducation, représentation, taxation…) nous devons soigner, cultiver la convergence. Avec, peut-être, un maximum, une limite supérieure qu’on imposerait à la liberté de prédation, de consommation sans vergogne et sans honte qui a dominé depuis quelques décennies (quelques siècles). Une réflexion en ce sens par un groupe de Finlande pose qu’il faudrait réduire l’empreinte matérielle moyenne des ménages finlandais au tiers de ce qu’elle est actuellement, d’ici 2030-2035.
The goal of reconstruction is that the net emissions of greenhouse gases decline as fast as possible, reaching zero around 2030–2035. Subsequently, carbon sinks will be bigger than carbon sources. At the same time, Finnish use of natural resources (both domestic and imported) will decrease to a globally sustainable level – roughly one third of the average per capita level in 2019.
Ecological Reconstruction
Les mots ont un sens, ils ont un poids, un efficace certain, comme le rappelle cet article, cité par Éric Holthaus : “story-based media can shift social norms, values and beliefs more effectively than traditional, fact-based messaging“. Holthaus qui publiait le 8 janvier dernier un décompte avec ce qu’il faudrait faire au cours de chacune des dix prochaines années pour mettre un terme à l’urgence climatique : In 2030, we ended the climate emergency. Here’s how
Ces années ne seront pas faciles, et nous devrons prendre soin de nous en même temps que nous poursuivrons la lutte. Ce que dit George Monbiot, dans This can be the year when we recharge nature – and ourselves. Il avoue, candidement, « I admit that I’m feeling quite close to burnout. »
Ce matin, le gouverneur de la Virginie annonce un plan pour rendre l’État carbo-neutre en 2050.
Virginia’s Governor pledged to transition the state’s electric grid to be 100% carbon zero by 2050. Here’s a comprehensive way to get it done right: https://t.co/SrZEjcrLB0
— NRDC 🌎 (@NRDC) January 14, 2020
Et en décembre dernier, un plan (qui n’est pas encore adopté!) pour que le Royaume-Uni atteigne la neutralité carbone d’ici 2050 : Absolute Zero
Ce ne sont que des plans, et on a tous connu des projets de réforme beaucoup plus superficiels et inoffensifs se perdre dans les corridors des bureaucraties et des châteaux-forts corporatistes… Il faudra beaucoup plus que des plans. Comme le rappelait Cory Doctorow dans Science fiction and the unforeseeable future: In the 2020s, let’s imagine better things : « As Franklin D. Roosevelt is said to have told activists who demanded bold work to address the Great Depression, “You’ve convinced me. Now go out and make me do it.” «
Prochaines lectures :
A Planet to Win: Why We Need a Green New Deal, voir présentation dans Foreign Policy : When the Green New Deal Goes Global.
Climate Leviathan
A Political Theory of Our Planetary Future par Joel Wainwright and Geoff Mann. Une introduction à ce livre, en français dans La vie des idées : L’improbable État de la justice climatique