le tiers secteur québécois, un aperçu

Un billet écrit pour publication sur le blogue de l’ISTR, International Society for Third-Sector Research, qui tiendra son colloque à Montréal du 7 au 10 juillet prochain.

Comment présenter à un visiteur étranger le tiers secteur d’ici ? Grosse commande pour un petit billet ! Sans prétendre vider la question dans les quelques paragraphes qui suivent , trois secteurs me semblent incontournables : l’action communautaire autonome, la philanthropie et l’économie sociale. Je dirai aussi quelques mots sur le réseau montréalais des Tables de quartier. Je terminerai en soulignant les limites de ce billet.

Commençons par ce qu’il est convenu d’appeler ici, au Québec, l’action communautaire autonome. Comptant plus de 4000 organisations**, 60 000 travailleurs et 425 000 bénévoles, regroupés au sein du Réseau québécois de l’action communautaire autonome, c’est sans aucun doute la partie la plus diversifiée et dynamique du tiers secteur québécois. Ces organisations sont impliquées principalement dans la défense et la promotion non partisane de droits, l’engagement citoyens et le développement de services alternatifs. Après des années de mobilisation le mouvement communautaire obtenait l’adoption d’une Politique de reconnaissance de l’action communautaire en 2001. Le soutien financier accordé par le gouvernement québécois à l’action communautaire (autonome ou non) à travers divers programmes et ministères s’élevait, en 2017-2018, à plus de 1,1G$. Ceci n’incluait pas le soutien en provenance des autres paliers de gouvernement (fédéral, municipal) ni les dons en provenance des fondations. 

En ce qui concerne la philanthropie, le Philab (Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie) traçait en 2018 un portrait de l’écosystème philanthropique québécois avec un examen particulier de 3 villes (Montréal, Québec et Gaspé). Plus récemment, le Philab publiait le premier numéro de sa revue bilingue L’année philanthropique. L’Institut Mallet est aussi une source d’information sur l’évolution de la culture philanthropique, grâce à ses Sommets et Forums réguliers. J’ai donné un compte-rendu du Sommet tenu à Montréal en 2017 qui me semble encore pertinent sur mon blogue : Sommets, PIC et dons.

L’économie sociale, cet autre élément dynamique du tiers secteur, aura vu les « coopératives d’épargne » associées aux paroisses catholiques au début du XXe siècle devenir le premier groupe financier coopératif du Canada et l’institution financière la plus présente au Québec (Les Caisses Desjardins) alors que les coopératives agricoles et laitières continuent d’être des acteurs de premier plan de l’industrie. Dans le domaine de l’habitation, la Confédération québécoise des coopératives d’habitation, le Réseau québécois des OSBL d’habitation, le Regroupement des offices d’habitation du Québec témoignent de la vitalité et la diversité du secteur. Le Chantier de l’économie sociale, créé il y a 25 ans à l’occasion d’un Sommet sur l’économie et l’emploi, aura contribué au développement de la nouvelle économie sociale par la mise en place d’instruments de financement, de transfert de connaissance et de concertation. Le TIESS, Territoires innovants en économie sociale et solidaire, créé à l’initiative du Chantier et du CRISES, se veut un outil de liaison et de transfert entre praticiens et chercheurs afin de soutenir l’innovation et la démocratisation des savoirs. 

Si les agents du tiers secteurs se regroupent et se fédèrent spontanément à partir de leur structure juridique (OBNL, coopérative…) ou en fonction des causes ou clientèles mobilisées (jeunes, femmes, habitation…) les regroupements intersectoriels sur des bases régionales ou locales (quartiers dans les villes) permettent des synergies et une expression de l’attachement territorial à une échelle souvent plus humaine que la « nation » ou la grande ville. La dynamique dans les régions a été chambardée récemment. Les « conseils régionaux des élus » (CRÉ) qu’on retrouvait dans chacune des 18 régions administratives du Québec a été abolie par le gouvernement provincial au profit d’une mise en valeur du rôle des élus municipaux et des 95 municipalités régionales de comté (MRC). Les CRÉ avaient développé une interface et une culture d’échange et de concertation entre les élus et les agents du tiers secteur de leur région, notamment pour l’implantation de certains programmes de développement social. La disparition des CRÉ n’a pas fait disparaitre les régions mais a certainement forcé une recomposition des réseaux régionaux de même qu’un questionnement sur la capacité des MRC à reprendre la dimension « développement social » des CRÉ. La Chaire de recherche du Canada sur l’organisation communautaire a réalisé plusieurs recherches qui témoignent de ces transformations, jusqu’en 2017, une exploration que le Centre de recherche et de consultation en organisation communautaire a continué depuis lors. 

Cette concertation de proximité géographique des agents du tiers secteur a pris la forme, dans une ville comme Montréal, des « tables de quartier ». Une structure qui n’a pas subi le revers des CRÉ mais a plutôt connu une croissance du soutien accordé par les instances institutionnelles (municipalité, santé publique, philanthropies).  L’île de Montréal, qui s’étire sur 50 kilomètres dans le fleuve Saint-Laurent et fait 15 kilomètre de large en son centre, rassemble une trentaine de quartiers (parfois d’anciennes municipalités indépendantes) dont les histoires sont souvent centenaires. Les Tables de quartier correspondant à ces territoires sociologiques et historiques sont regroupées en une Coalition montréalaise des Tables de quartier

En vous rendant sur le site de la Coalition montréalaise, vous pourrez cliquer sur la carte et atteindre les sites web de chacune des Tables. 

Ce tour d’horizon rapide et nécessairement incomplet ne peut se conclure sans souligner l’apport de groupes de recherche, centres, chaires qui ont soutenu l’innovation, la réflexion et la croissance d’un tiers secteur en évolution rapide au cours des dernières décennies. Je pense au CRISES, le déjà nommé Centre de recherche sur les innovations sociales de l’UQAM, mais aussi la CACIS (Approches communautaires et inégalités de santé) de l’Université de Montréal, le Karl Polanyi Institute of Political Economy de l’Université Concordia, entre autres. Des programmes temporaires ont aussi grandement contribué à la recherche partenariale : notamment le LAREPPS, Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales, la CRCOC, Chaire de recherche du Canada sur l’organisation communautaire, et aussi, naturellement, ARIMA, un partenariat de recherche sur l’action et les services sociaux en RÉSEAU. 

Et maintenant, si vous n’êtes pas du Canada, vous vous demandez sans doute « et le tiers secteur ailleurs qu’au Québec ? » Les principaux champs d’intervention du tiers secteur étant de juridiction provinciale, celui-ci s’est organisé historiquement à l’échelle provinciale. Mais surtout, la différence de langue commune entre le Québec et le reste du Canada explique les liens ténus entre organisations de la société civile des deux nations. D’autres membres de l’ISTR plus au fait de la situation au Canada anglais pourraient sans doute, mieux que moi, vous introduire à cette réalité. 

Gilles Beauchamp, organisateur communautaire, 
membre du comité directeur d’ARIMA et 
blogueur depuis 2002 sur Gilles en vrac…

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** Quelques-unes des organisations membres du Réseau québécois de l’action communautaire autonome

sentiment d’imposteur

Comme c’est souvent le cas, en finissant une période intense de réflexion et d’écriture (voir dernier billet), j’ai eu un sentiment d’insatisfaction, de culpabilité même. Le sentiment d’avoir tourné les coins ronds, d’avoir parlé au dessus de mes compétences… On appelle cela le syndrome de l’imposteur, ou de l’autodidacte. Je connaissais le premier terme mais j’aime bien le second, qui correspond assez à ma situation professionnelle où j’ai souvent appris par moi-même, l’informatique mais aussi l’urbanisme, l’économie, la santé publique, la gestion du logement communautaire, la nutrition, la gérontologie… en fait tous ces secteurs où mon métier d’organisateur communautaire m’amenait à accompagner des citoyens qui désiraient apprendre, prendre du pouvoir devant des appareils et professionnels qui étaient peu enclins à s’ouvrir à l’influence de leurs clients ou commettants.

Aujourd’hui à la retraite, je continue d’avancer à tâtons, sans avoir de plan ni de vision claire des enjeux. Finalement je poursuis une réflexion très personnelle, un parcours idiosyncrasique. Je suis un « columnist » sans journal qui, du haut de sa colonne, porte le regard, propose une interprétation, porte un jugement ou pose des questions. Du haut de sa boîte à savon, plutôt !

Ma réflexion est ancrée dans une vie de recherche et d’action, une culture d’alternative, d’opposition, de solidarité, d’engagement, de don. Une posture qui ressemble beaucoup à un ancrage religieux même si elle a pu prendre des formes anti-cléricales.

Cette religion qui donnait du sens et cadrait moralement, mais aussi culturellement, matériellement et socialement notre monde s’est disloquée sous la pression des jeunes qui refusaient la répression sexuelle; des femmes qui voulaient contrôler les naissances trop nombreuses et aussi accéder aux même droits que les hommes. La professionnalisation des métiers d’enseignante, d’infirmière, de travailleuse sociale rendait de plus en plus difficile le maintien de l’autorité religieuse sur les institutions de services publics. Cependant que plusieurs religieuses et pères et frères ont été des pionniers, des formateurs et fondateurs dans ces professions du soin et relation d’aide.

Il est temps de revenir à une société moins exubérante et excessive, moins obsédée par la réussite et l’enrichissement personnels. Une société qui valorise la sobriété dans la durée, le respect de la nature et de la vie sans artifice.

P.S. Il semble que j’aie glissé d’un sujet à l’autre… Du syndrome de l’imposteur à… celui de sauveur ? Ça m’apprendra à ne pas laisser un texte reposer quelques heures en mode brouillon !