Non seulement faudrait-il qu’un avis « dommageable à la santé publique » soit inscrit mais il faudrait, comme on l’a fait pour les pubs pour l’alcool et le tabac, interdire de telles publicités parce qu’elles sont contraires à l’intérêt public et encouragent des comportements nocifs pour la santé de tous. Merci Alain Stanké pour ce billet mordant!
Se posera alors la même question que lorsqu’on a interdit la publicité du tabac lors d’événements sportifs : qui va payer, dorénavant, pour l’organisation de ces événements? Qui va payer pour les émissions de télé qui se financent actuellement avec de telles pubs… indécentes. C’est le mot.
Avec une avidité certaine j’ai lu, l’un après l’autre, des auteurs et des ouvrages qui commentent, analysent, décrivent la situation générale de la planète comme approchant de la fin. La fin d’un règne, celui de l’humanité dominatrice, consommatrice, « extractiviste ».
Ross Douthat, un chroniqueur du New York Times dont j’avais lu avec intérêt le livre sur les luttes de pouvoir au Vatican autour de l’élection du pape François (To Change the Church, Pope Francis and the Futur of Catholicism), publiait récemment The Decadent Society, How We Became the Victims of Our Own Success.Ses quatre chevaliers de la décadence : stagnation, stérilité, sclérose et répétition, sont assez convainquants. En effet, les domaines où l’innovation est encore de prime importance sont, au mieux superficiels, au pire relèvent de l’obsolescence programmée. Douthat nous rappelle que la décadence peut durer longtemps, surtout si elle peut compter sur la passivité engourdie et confortable de citoyens repus.
The most feared “barbarians” in the Western world today aren’t invaders from the distant steppes; they’re the Rust Belt deplorables voting for Trump, the gilets-jaunes burning shops on the Champs-Élysées, the little Englanders forcing their country into an unexpected Brexit.
Douthat, Ross Gregory . The Decadent Society: How We Became the Victims of Our Own Success (pp. 171-172). Avid Reader Press / Simon & Schuster. Édition du Kindle.
Son commentaire sur le dernier Houellebecq (Soumission) est stimulant, de même que le regard qu’il pose sur l’évolution de la Chine ou encore les relations entre l’Europe et l’Afrique. Le monde sera-t-il sauvé par une renaissance spirituelle ? Pas sûr…
Tout dépend, sans doute, du sens que l’on donne à ce concept d’Esprit, de spiritualité opposée à la matérialité, au matérialisme et au consumérisme caractéristiques de nos sociétés dites « avancées ». C’est d’ailleurs le thème de la dernière livraison de la revue Relations : La spiritualité pour changer le monde ? Un dossier où l’on retrouve des contributions touchant l’écoféminisme et le sacré; une perspective musulmane sur la dimension spirituelle de l’action sociale; l’engagement social, le changement de civilisation et la spiritualité… Un des contributeurs à ce dossier, Dominique Bourg, développait dans Une nouvelle terre (2018), deux conceptions, deux sens à donner à la spiritualité : comme transcendance, extériorité du monde connu (ou concret) et comme idéal, finalité et accomplissement de soi.
Autrement dit, le monde lui-même nous offre un double aspect, tant esprit que matière, la pensée n’étant pas moins réelle et mondaine que la matière elle-même. Ainsi la connaissance humaine relève d’un processus plus général par lequel le monde lui-même se pense. (…) Ma conscience n’est pas alors le produit illusoire d’un système clos, elle n’est pas « dans » mon cerveau, mais relève d’une réalité plus englobante, celle de cette dimension de la réalité qu’est la pensée, à l’instar du corps qui ne saurait lui non plus exister sans être porté par un milieu plus large.
Ici, je ne suis pas sûr de suivre Bourg jusqu’au bout. Oui la pensée ne peut exister sans une culture, un langage, des icônes et des symboles. Ceux-ci ont été incrustés, forgés en des édifices, institutionnels comme physiques. Des pratiques, des rapports sociaux, des comportements admis, valorisés ou réprimés. Cette pensée, incarnée dans des choses, pesant de tout son poids historique ou de valeurs, n’est pas séparée, extérieure à la matière. Elle est en relation (dialectique?) avec la matière, dont elle informe l’organisation, l’utilisation autant qu’elle s’en inspire. Faut-il pour autant voir « dans la pensée non une activité spécifiquement humaine, mais une activité cosmique » ?
En reliant l’évolution des technologies et celle de notre conception de la Terre et notre relation à la nature, Bourg met en lumière les conditions d’émergence de la modernité et de la démocratie. Une libération des contraintes imposées par la religion et l’ignorance, appuyée sur le développement rapide des sciences et des forces productives. Une libération conduisant à l’exploitation sans limite, sans autre contrainte que celle, technique, de la capacité de faire. Laudato Si’, l’encyclique du pape François sur l’environnement (2015), permet à l’auteur de citer la Genèse et ses interprétations différentes ou conflictuelles de la relation que l’homme doit avoir avec la Nature : la dominer, la soumettre et l’exploiter ou la soigner, comme un jardin. Le péché originel, la sortie de l’Éden serait concomitante du développement de l’agriculture, de l’avènement des cités et de l’État. Autrement dit, les racines de l’hubris contemporain remontent loin. Dans un autre livre publié en octobre dernier, Le marché contre l’humanité, Bourg donne parfois l’impression que la vie au temps paléolithique, avant l’agriculture, alors que les humains se déplaçaient par bandes de chasseurs-cueilleurs, que cette vie était bien meilleure !
chasseur-cueilleur du Paléolithique, exerçant son intelligence à décrypter à chaque chasse un milieu foisonnant d’indices, à exercer ses talents à diverses activités artisanales, tutoyant les esprits, s’adonnant à des rites communautaires et des jeux, en communion avec la vie végétale et animale…
Bourg, Dominique. Le marché contre l’humanité (Hors collection) (French Edition) (p. 111). Presses Universitaires de France. Édition du Kindle.
Oui, c’est sans doute vrai que le passage à une société sédentaire et agricole, plutôt que de chasse et de cueillette, a signifié « une restriction du spectre d’expériences de l’immense majorité de l’humanité ». Mais ce que les tenants d’une telle idéalisation de la vie paléolithique oublient souvent de rappeler, c’est le risque et les aléas de la vie nomade. La sédentarisation et l’urbanisation ont permis une croissance démographique inimaginable auparavant. L’écriture, la culture, la science sont filles de l’urbanisation.
Toujours est-il que « pour faire front à la dynamique en cours de destruction de l’habitabilité de la Terre, il conviendrait d’organiser une redescente rapide de nos flux de matière et d’énergie, de notre emprise sur les territoires et de notre démographie ». Et pour cela il faudrait que les libertés individuelles, négatives (tout ce qui n’est pas interdit ou ne nuit pas à la liberté d’autrui), soient encadrées, limitées par les libertés positives déterminées démocratiquement. Bourg cite l’idée d’une « carte carbone à puces permettant de limiter les consommations individuelles directes et indirectes carbonées ».
Il n’y a rien d’autoritaire, ni d’arbitraire en la matière. Est bien plutôt totalement arbitraire d’autoriser des modes de vie dont l’accumulation ruine l’habitabilité de la planète. On passe d’un type de liberté à un autre, de la liberté négative à la liberté positive, avec une réduction du pouvoir individuel arbitraire de nuire.
Le 16 avril dernier Dominique Bourg, (avec Philippe Desbrosses, Gauthier Chapelle, Johann Chapoutot, Xavier Ricard-Lanata, Pablo Servigne et Sophie Swaton) publiait 35 Propositions pour un retour sur terre. Un texte articulé autour de deux grands objectifs :
ÉCONOMIE : Produire moins de biens (sobriété), et mieux (efficacité), pour que nos économies s’insèrent dans le cadre des limites planétaires et deviennent régénératives plutôt que destructives ; resserrer les écarts de revenus.
ÉTAT : refonder la représentation, enrichir les procédures démocratiques, protéger les biens publics et les biens communs ; redonner du sens au service du public.
une accélération récente
S’il est vrai que l’origine de l’actuelle crise climatique remonte à la révolution industrielle et scientifique des XVIIIe et XIXe siècles, les dernières décennies ont été… climaciques((adjectif à partir de climax)) ? Un climax dont on ne peut imaginer qu’il se poursuive encore longtemps !
Many perceive global warming as a sort of moral and economic debt, accumulated since the beginning of the Industrial Revolution and now come due after several centuries. In fact, more than half of the carbon exhaled into the atmosphere by the burning of fossil fuels has been emitted in just the past three decades. Which means we have done as much damage to the fate of the planet and its ability to sustain human life and civilization since Al Gore published his first book on climate than in all the centuries—all the millennia—that came before.
Wallace-Wells, David. The Uninhabitable Earth (p. 4). Crown. Édition du Kindle. (C’est moi qui souligne)
Après avoir passé en revue les différentes dimensions de la catastrophe climatique appréhendée (chaleur mortelle, famine, noyade, sécheresse, mort des océans…) Wallace-Wells, dans son The Uninhabitable Earth,en soulignant à quel point l’accélération des consommations de carbones est récente, pointe vers notre responsabilité mais aussi notre capacité immédiate devant l’avenir.
« [T]he degree to which [the climate crisis] transforms the world of our grandchildren is being decided not in nineteenth-century Manchester but today and in the decades ahead. »
Adaptation par l’oubli et l’indifférence. On se réconcilie avec ce qui arrive, en dénonçant ce qui s’en vient tout en oubliant ce qu’on a pu dire du caractère inacceptable et immoral des conditions dans lesquelles on se trouve, finalement. C’est comme ça que Wallace-Wells explique l’apathie généralisée.
« we are always coming to terms with what is just ahead of us, decrying what lies beyond that, and forgetting all that we had ever said about the absolute moral unacceptability of the conditions of the world we are passing through in the present tense, and blithely. »
Pourtant, finalement, Wallace-Wells reste (un peu) optimiste :
« we have all the tools we need, today, to stop it all: a carbon tax and the political apparatus to aggressively phase out dirty energy; a new approach to agricultural practices and a shift away from beef and dairy in the global diet; and public investment in green energy and carbon capture. »« Personally, I think that climate change itself offers the most invigorating picture, in that even its cruelty flatters our sense of power, and in so doing calls the world, as one, to action. At least I hope it does. »
Et dans une postface (Afterword) écrite fin 2018-début 2019, il peut souligner nombre de développements positifs : manifestations de plus en plus massives pour « sauver la planète »; prises de positions de l’ONU; montée des appuis pour un Green New Deal aux USA… Sera-ce suffisant ? Nous avons dix ans pour virer de bord et trente ans pour atteindre l’objectif de neutralité carbone. À l’échelle globale.
C’est un peu ce que tente de décrire Eric Holthaus, dans un texte de politique fiction portant sur les trois prochaines décennies : The Future Earth, A radical vision for what’s possible in the age of warming, paru en juin. Dans un billet de Janvier dernier intitulé In 2030, we ended the climate emergency. Here’s how, il avait développé, année après année, un scénario pour la prochaine décennie. On sent bien que Holthaus n’est pas porté sur la description de l’apocalypse. « [T]he narrative of climate apocalypse is not a catalyst to action. Instead, it helps reinforce the business-as-usual trope: If we’re going to lose the Bahamas anyway, why change course? » Je devrai revenir sur ce livre The Future Earth, car je ne l’ai parcouru que rapidement.
le « bon sauvage » ou la guerre de « tous contre tous » ?
J’avais déjà commencé Humankind – A Hopefull History, de Rutger Bregman. Manière de changer des discours apocalyptiques. Hobbes ou Rousseau ? L’homme, à l’état de nature, avant l’avènement de la civilisation (agriculture, écriture, État…), était-il un être bon, paisible, généreux qui savait profiter de la vie et des richesses que la nature fournissait, comme l’imaginait Jean-Jacques Rousseau (« l’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt »), ou menait-il une vie « solitary, poor, nasty, brutish, and short » (solitaire, pauvre, méchante, brutale et courte), comme le prétendait Thomas Hobbes dans son poème Leviathan.
Bregman prend clairement parti pour Rousseau dans cette polémique presqu’aussi vieille que la philosophie. Même si je peux lui faire le reproche que je faisais à Bourg : l’idéalisation de la vie paléolithique oublie un peu facilement les dangers et misères de la vie nomade, Bregman nous amène dans sa quête à découvrir plusieurs histoires qui ont été trafiquées ou tordues pour servir de « preuve » à la version hobbesienne de la nature humaine. Des histoires, comme Sa Majesté des mouches, ou encore des expériences pseudo-scientifiques (mais encore utilisées dans la formation des policiers) comme la théorie de la vitre brisée, ou encore le Stanford Prison Experiment.
Les humains ne sont pas des bêtes assoiffées de sang qu’un mince « vernis de civilisation » (violence légitime laissée à l’État) empêcherait de s’entretuer. Ce sont plutôt des primates avec une grande capacité d’empathie (voir Le bonobo, Dieu et nous – À la recherche de l’humanisme chez les primates, par Frans de Waal). La conception que l’on se fait de la nature humaine se reflétera dans les politiques éducatives ou encore les mesures de répression ou de rééducation à l’égard des délinquants. La comparaison entre le système carcéral américain et celui de Norvège est assez probante.
N’est-ce pas déprimant de lire dans le détail les échéances qui approchent ou que nous dépassons dans le calendrier d’une apocalypse qui semble de plus en plus inévitable ? Non, parce que de mieux comprendre les mécanismes par lesquels les humains s’aveuglent sur la nature de leurs liens entre eux et avec le monde; de développer une perspective historique et philosophique sur la relation nature/culture; et surtout de voir, au cours des derniers mois, que la planète entière peut se lever de concert… je suis, non pas rasséréné mais énergisé. Pour parler de la situation, chercher des solutions, en sachant que les pires catastrophes sont souvent l’occasion de l’expression du meilleur chez les humains.
J’ai pensé qu’il serait bien, dans le contexte actuel où l’on se questionne sur les moyens de réparer ou améliorer les conditions de vie des aînés, de mettre à jour la carte montrant l’utilisation faite du crédit d’impôt remboursable pour maintien à domicile par les contribuables de 70 ans et plus à Montréal. Ici la première carte, réalisée en 2012 avec les données de l’impôt de 2008.
Avec les données les plus récentes disponibles (Statistiques fiscales des particuliers 2016), et la collaboration bienveillante d’une ex-collègue, voici donc la répartition par circonscription électorale provinciale sur l’île de Montréal. (version PDF)
La situation est assez claire : les montants versés dans les quartiers les plus pauvres sont les plus bas, alors que ceux versés dans l’ouest de l’île et à Westmount sont les plus élevés : de trois à quatre fois plus élevés ! Évidemment, puisque le programme rembourse en proportion des dépenses réalisées par la personne. Soit 35% de la dépense admissible (services de repas, de soutien ou soins à domicile). Ainsi plus une personne a de moyens de s’acheter des services, plus elle sera remboursée. C’est près d’un demi milliard de $ (456 M$) qui ont ainsi été versés en 2016, surtout aux riches !
Pourtant, on pourrait procéder autrement, comme on le fait pour un autre crédit d’impôt remboursable : celui pour les frais de garde d’enfants. À savoir rembourser à des taux différents selon les revenus de la famille : de 25% à 75% des dépenses admissibles sont remboursées (jusqu’à un maximum). Si on faisait de même pour le crédit de maintien à domicile des aînés, probablement que les personnes habitant Hochelaga-Maisonneuve, Laurier-Dorion ou Saint-Henri pourraient se payer de meilleurs services en résidence… car c’est bien à cela que sert l’essentiel de ce programme : soutenir la qualité des services offerts dans les résidences pour ainés.