Il ne faut pas seulement verdir le code du bâtiment (isolation, énergie…) mais verdir le zonage ! Extraits d’un billet de Lloyd Alter sur Substack.
Le Canada est le troisième pays en superficie par personne dans les résidences, après l’Australie, les USA. Soixante-douze (72) mètres carrés par personne au Canada, contre 35 en Espagne, 43 en France… Avons-nous besoin de si grand ?
Mettre à niveau le stock actuel de logements, pas par petits projets ciblés ou exemplaires, mais systématiquement, massivement, rue par rue.
Et favoriser la construction de petits ensembles, quatre à six étages, en bois, minimisant le contenu carbone à la construction et à l’usage (chauffage, aération, climatisation).
« [T]he single biggest factor in the carbon footprint of our cities isn’t the amount of insulation in our walls, it’s the zoning ». (Le plus grand facteur de l’empreinte carbone de nos villes ce n’est pas le degré d’isolation de nos murs, c’est le zonage)
À partir du modèle à Trois horizons, les auteurs de « Disruptive seeds… » se concentrent sur l’horizon 2, le moment où les initiatives perturbatrices (disruptive seeds, ma traduction) entrent en conflit avec les régimes dominants et peuvent saisir des « fenêtres d’opportunité » ou mobiliser des alliés pour renverser les rapports de force et s’imposer comme nouveau régime.
L’expérimentation a permis d’identifier, de raffiner des questions pour aider les participants à mieux cerner les moments, les facteurs et les acteurs (alliés ou opposés) d’une bataille à mener.
Même l’éditorial du Globe and Mail s’en mêle : si on veut combler les besoins identifiés par la SCHL (5,8 millions 1soient les 3,5 qui manquent selon la SCHL et les 2,3 millions qui seraient construits « normalement » de nouveaux logements au Canada d’ici 2030), il faudra construire trois fois plus de logements par an qu’il s’en est construit durant les années 2010. Et cela chaque année d’ici 20302Et ça ne compte pas les logements qu’il faudrait rénover pour les mettre à niveau (chauffage, isolation) devant le défi climatique.
L’éditorial souligne que c’est une des rares questions sur laquelle les partis fédéraux pourraient s’entendre.
There also must be new rules to quell speculation. Mr. Eby’s [du NPD de Colombie-Britannique] plan includes a “flipping tax.” More moves on those lines will help. Housing should not be a financial asset. It should not be the pillar of people’s retirement plans. Prices to buy and rent should, at most, tick up modestly over time.
Des taxes sur les « flips » (j’achète, je rénove un peu -ou pas- et je revends un an3Certaines municipalités ou arrondissements peuvent exiger des temps de résidence plus longs plus tard, empochant les profits sans payer de taxe, parce que c’est ma résidence principale). Comme le dit Generation Squeeze, 100% des salaires sont taxés, 50% des revenus de placement, mais 0% des revenus de la résidence principale… alors que la valeur de cette richesse non taxée a augmentée de 350% pendant que le coût de la vie augmentait de 48% (depuis 20 ans). « Notre système fiscal met actuellement à l’abri de l’impôt les 3,2 billions de dollars que les propriétaires de maison ont gagnés depuis 1977 »(tiré de l’article en français sur le site GenSqueezeRompre avec la dépendance…)
Ce même groupe propose une « taxe sur les maisons valant un million ou plus » graduée de 0,2% à 1% de la valeur.
[U]ne maison valant 1,2 million de dollars mènerait à payer 400 $ ; vendre une maison valant 1,5 million de dollars mènerait à payer 1 000 $. Comme pour les programmes d’hypothèque inversée dont on vante tant les mérites à la télévision, vous n’auriez pas à payer ce montant tant que la maison n’est pas vendue, pour éviter de porter atteinte aux personnes qui sont propriétaires d’une maison qui vaut un million de dollars, mais dont les autres sources de revenus sont relativement faibles.
La comparaison que faisait Paul Kershaw4Dans un article du Globe and Mail paru en décembre dernier, animateur et fondateur de GenSqueeze, entre les provinces canadiennes (« The Home Ownership Tax Shelter is unfair to Prairies, Quebec and Atlantic Canada« ) peut très bien s’appliquer à l’intérieur d’une province : les impôts qui sont « épargnés » par les possédants sont nécessairement payés par les autres… Ce qui pouvait faire sens en 19725Moment de l’établissement de l’exonération d’impôt de la résidence principale, comme un moyen de favoriser, encourager l’accès à la propriété à une époque où les maisons étaient un lieu où l’on s’établit pour élever ses enfants… avant d’être un moyen d’épargner à l’abri de l’impôt, ou un investissement payant et peu risqué… cela ne fait plus sens quand il faut mettre 70% de son revenu pour se loger !
In Canada, one of the early adjusters, the average buyer of a detached home now needs to spend nearly 70% of their pre-tax household income on mortgage payments, property taxes and utility bills, according to the Royal Bank of Canada, up from 46% at the start of 2020.
Je décroche un peu quand Kershaw propose d’affecter les 5 G$ recueillis à faire du logement abordable mais aussi aux services aux aînés ! Déjà, juste pour le logement, je me demande ce que ça représente en regard des besoins.
Quel est le poids de 5 G$ devant les besoins identifiés par la SCHL : 5 millions de logements. À 500K$ par logement, c’est 2,5 B$ soit presqu’autant que la bulle de l’abri fiscal immobilier (3,5 B$) accumulé depuis 1977 : sur sept ans, d’ici 2030, c’est 300-500G$ par année. Donc le 5 G$ d’une taxe spéciale représente un levier de l’ordre de 1-2% de l’effort nécessaire.
Mais ce ne sont pas les mêmes maisons qui seraient construites, suivant la courbe « normale » ou celle « suralimentée » par une intervention publique et collective concertée pour du logement abordable pérenne. Du logement entre les mains des collectivités, au service des ménages plutôt que de la finance.
On ne construit pas les mêmes logements, condos, ensembles de résidences et services de proximité… si on vise d’abord la formule de placement, facile à revendre; qui prend rapidement de la valeur; plutôt que la réponse aux besoins des familles, des jeunes, des retraités, des immigrants de diverses origines.
Et puis, cet effet de levier ne se ferait pas nécessairement contre les « forces du marché » mais en alliance avec une partie de celui-ci : c’est ça le « levier ». Lorsque Pomeroy ( cité à la fin de mon billet précédent) en appelait des parents et grands-parents « qui se plaignent que leurs enfants seront incapables de devenir propriétaires », pourquoi ne pas imaginer qu’ils participent à développer une solution qui nous sorte de l’actuelle crise ? En investissant une partie de leur pécule dans des projets d’investissement patient pour des logements abordables pérennes.
Notes
1
soient les 3,5 qui manquent selon la SCHL et les 2,3 millions qui seraient construits « normalement »
2
Et ça ne compte pas les logements qu’il faudrait rénover pour les mettre à niveau (chauffage, isolation) devant le défi climatique
3
Certaines municipalités ou arrondissements peuvent exiger des temps de résidence plus longs
4
Dans un article du Globe and Mail paru en décembre dernier
5
Moment de l’établissement de l’exonération d’impôt de la résidence principale
Cinq regroupements typiques (clusters) de propriété locative. Beau travail de Cloé St-Hilaire, Mikael Brunila & David Wachsmuth. Extrait de High Rises…
« Les municipalités devraient rendre les informations sur la propriété accessibles au public afin de faciliter l’examen public de l’utilisation des terrains résidentiels et de protéger plus efficacement les droits des locataires, concluent les chercheurs [Cloé St-Hilaire, Mikael Brunila et David Wachsmuth] dans un article récent du journal de l’Association américaine de planification (Journal of the American Planning Association)
« Une boîte à outils méthodologique basée sur la récupération de données publiques – mais peu accessibles – afin d’explorer la relation entre les propriétaires financiarisés, l’utilisation du sol et les variables démographiques. »
Grâce à un travail de décryptage minutieux les auteurs ont pu identifier les 600 plus grands propriétaires de Montréal, qui possèdent 32% de tous les logements locatifs alors qu’ils ne représentent que 0,46% des propriétaires. L’étude permet d’affirmer que « des proportions élevées de propriété financiarisée sont associées à des niveaux plus élevés de stress lié au logement et à des typologies de logement plus denses. »
Je me questionne cependant sur l’exclusion des petits propriétaires individuels : “landlords identified as humans and not present in the top 600 were categorized as non financialized”.
Pourtant, les nouveaux acheteurs, les rénovateurs, les investisseurs dans une propriété trop chère pour eux sont tous sous la coupe des banques, entreprises financières s’il en est. Les petits propriétaires qui n’ont plus d’hypothèque (ou presque plus) peuvent accepter des loyers plus bas que les nouveaux qui ont acheté au prix d’aujourd’hui (ou d’hier). Par ailleurs ces petits proprios sans dette ont peut-être tendance à négliger l’entretien de leurs logements si les revenus sont trop bas…
L’importance d’un accès à l’information sur les véritables propriétaires souligné par les trois auteurs est à retenir. Le gouvernement fédéral a mis en place depuis quelques années un Registre public national de la propriété effective pour les corporations fermées relevant de sa compétence, alors que « Québec a emboîté le pas et a annoncé que ses exigences relatives au registre de transparence pour toutes les entreprises faisant affaire au Québec (indépendamment de leur territoire de constitution) entreront en vigueur le 31 mars 2023 ». « Le gouvernement fédéral a annoncé qu’il entend travailler avec les provinces et les territoires afin de promouvoir une approche nationale à l’égard d’un registre de la propriété effective des biens immobiliers qui est similaire au registre en place au Royaume-Uni (disponible uniquement en anglais). (extraits de Beaucoup de bruit pour peu et Pour une transparence totale).
les causes de la flambée des prix
La série de trois articles cités plus haut Explorer les causes de la flambée des prix… par Steve Pomeroy répond avec aplomb aux mythes qui ont cours : c’est le manque de construction (l’offre) qui cause la hausse des prix… ou encore c’est la demande excessive. Dans le premier article Pomeroy montre que le marché a produit plus de nouveaux logements que la croissance des ménages, à hauteur de 30 000 logements par année, pendant la période 2006-2016. Le vrai problème de l’offre c’est que « les nouvelles constructions ne correspondent pas au genre de logis ni à la superficie recherchés, qu’elles ne se situent pas dans des endroits désirables, ni offertes à des prix abordables. »
Dans le second article, l’auteur rappelle que « au cours d’une année donnée, il n’y a que 5 % des ménages qui sont actifs et responsables des résultats du marché. (..) Ce nombre relativement restreint de participants au marché est composé de personnes à revenu élevé (en particulier des familles à deux revenus) et de personnes ayant accumulé des fonds propres, un gain inattendu dû à la hausse des prix des propriétés. » Alors, « Ce n’est donc pas la quantité d’acheteurs (p. ex. la demande globale, provenant de la croissance des ménages et de l’immigration), mais la qualité (les revenus et le patrimoine, aidés par de faibles taux hypothécaires) de cet infime segment de « teneurs de marché » qui a fait monter le prix des propriétés. » Le problème du côté de la demande n’est pas qu’il y a trop d’acheteurs mais qu’il y a des acheteurs « suralimentés » par leurs capacités accumulées (patrimoine).
Le troisième article rappelle que ce sont des changements aux lois qui ont favorisé la croissance de l’habitation comme forme d’investissement. Des changements à ces lois pourraient inverser le cours des choses, par exemple en réduisant ou éliminant l’exemption de gain de capital pour la résidence principale. Une proposition controversée, certes : « une telle politique fiscale constituerait un suicide politique étant donné que les deux-tiers des électeurs sont des propriétaires existants« . Ou encore une transformation de la « taxe de bienvenue » qui serait payée par le vendeur plutôt que l’acheteur et qui serait « suffisamment élevée pour pouvoir confisquer une portion significative de la plus-value, puisqu’il s’agit de l’élément qui alimente la capacité d’achat à des prix élevés et qui exacerbe les prix excessifs des habitations« .
Plutôt que de créer un stimulus général d’offre les gouvernements devraient investir directement pour augmenter l’offre là où le marché n’y subvient pas, ou encore en permettant aux organismes à but non lucratif d’acquérir des actifs locatifs existants.
La conclusion de Pomeroy :
Les parents et les grands-parents qui se plaignent que leurs enfants seront incapables de devenir propriétaires constituent en fait un obstacle à une réforme sérieuse. Ils peuvent aider à créer un meilleur avenir pour leurs enfants, mais seulement s’ils renoncent à leurs propres gains exceptionnels.
Pour que le système de logement puisse offrir un abri de base à tous, il faut démarchandiser les habitations et les considérer comme étant un bien de nécessité et un droit.