digression botanico-politique

J’aimerais que l’eau dissolve la barrière physique qui actuellement nous sépare. Je veux ressentir ce que ces cèdres ressentent, savoir ce qu’ils savent.
Robin Wall Kimmerer. Tresser les herbes sacrées

Kimmerer est fille de la nation Potawatomi, une nation autochtone de la région des Grands Lacs. Elle est botaniste, auteure et professeure, alliant les savoirs autochtones et les sciences écologiques modernes. Son livre Tresser les herbes sacrées est un récit autobiographique qui nous amène de sa jeunesse avec sa famille, à sa période de formation universitaire, à sa vie dans une grande maison avec un jardin et un étang dont elle a tenté de restaurer la vitalité pendant des décennies avec ses filles… à son travail avec des étudiants qui découvrent la nature avec elle.
Je me suis demandé comment on pouvait intégrer une telle sensibilité (« je veux ressentir ce que les cèdres ressentent« ) dans un contexte aussi minéralisé qu’une ville, une métropole.

Malgré tout, ce livre est un baume à l’âme meurtrie et une ode à la beauté du monde.


Cette connaissance de la nature n’est pas une connaissance qui passe par l’écrit ! Ou très peu : par la pratique mimétique, l’expérience attentive et l’observation cumulative. Cette dernière se traduisant parfois par écrit…

Si, comme le dit Paul Graham, la capacité d’écriture se perd de plus en plus, qu’adviendra-t-il de la capacité de penser ? Mais qu’en faisons-nous, maintenant, de cette capacité de penser ? On se fait des peurs, ou des châteaux en Espagne. On se fait rire ou pleurer sur grand écran, pour oublier la grisaille de nos vies.

Ce n’est pas d’abord pour « sauver la planète » (et nous sauver nous-même) que nous devons changer : c’est parce que ce sera meilleur ! Des villes et des vies moins grises, plus vivantes, plus satisfaisantes. « il y a bien, au-delà des convictions éthiques, des raisons tout à fait égoïstes de se détourner de l’idéal consumériste. » Une vie plus satisfaisante, vraiment, pendant que les guerres se multiplient et les désastres s’additionnent ?

avant même l’insoutenabilité écologique de la croissance, ce sont ses dommages sociaux et culturels, et plus encore son absence de finalité, qui nécessitent de s’en détourner.
(En finir avec le mythe de la croissance verte, François Brien dans Socialter HS Automne 2024, p. 48)

Il y a parfois de l’angélisme dans la position écolo-socialiste, comme si la haine, l’agression et la cupidité ne pouvaient pas motiver et donner du sens et de la satisfaction à leurs protagonistes. Comme si le sentiment de faire ce qui est juste et bon pouvait faire contrepoids à l’avidité et à l’égoïsme qui dominent la culture. Une avidité qui prend forme dans des produits lourds, des pratiques coûteuses qui font l’envie des losers et autres quidams. Les prolétaires, quand à eux, se contentent d’y gagner un salaire. Quitte à y perdre sa vie.

La machinerie médiatique et les machinations corporatistes font bon ménage avec la politique des petits pas et des comités producteurs de rapports et de promesses. Il faut accentuer, approfondir les contrôles sur les entreprises qui se sont arrogées l’espace public, les communication entre citoyens et organisations… le commerce et le transport, les loisirs et le divertissement. Le miracle de l’équilibre dynamique maintenu par ce système à travers crises et guerres… un « équilibre » qui a permis une croissance phénoménale de la population, et de la quantité de produits mis en circulation, de déchets enfouis ou rejetés dans l’air ou l’eau. Jusqu’à ce qu’on commence à étouffer, à se sentir moins sûrs de nous et à douter.

Et si l’American way of life n’avait été qu’une courte période d’insouciance, un rêve réalisé pour les uns, un cauchemar quotidien pour d’autres et une vie grise pour le reste, qui se déroule sur les rubans d’asphalte d’un avenir pétrifié ?

_ "ligne de désir"

Le terrain vague derrière chez moi, que j’ai découvert et exploré durant la pandémie, n’a pas encore été minéralisé… Les capitaux des propriétaires sont sans doute plus profitables ailleurs. Pour le moment.

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