Lorsque les camions bleus d’Amazon sont apparus dans nos rues, je me disais que les commerces locaux en pâtiraient comme les librairies l’ont fait lorsque Amazon est apparu sur nos écrans. Mais pourquoi donc nos commerces locaux ont-ils abandonné, il y a de cela des lustres, les services gratuits de livraison ? Sans doute pour la même raison que les centres d’achats ont remplacé les commerces locaux : les clients avaient des automobiles pour transporter leurs achats… d’autant qu’ils en avait besoin pour se rendre au centre d’achat.
C’était oublier cette population nombreuse de clients sans auto, particulièrement en ville où la livraison coûte moins cher. Avec son « catalogue universel » Amazon est devenu incontournable…
Pourquoi Canadian Tire, Rona, BMR et IKEA ne font pas un catalogue alternatif, associé à un service partagé de livraison ? Privilégiant les fournisseurs locaux… tout en développant le « cloud » d’ici !
En me disant cela je reçois le billet de Hubert Guillaud :
Pour une souveraineté numérique non-alignée,
Ce billet de Hubert Guillaud (2025.01.29) m’introduit à ce rapport-manifeste (en anglais) de Durand et Rikap (voir plus loin) ainsi qu’à un bon résumé critique fait en français par Irénée Régnauld Mais où va le web ? .
Ce Durand, auteur dont j’ai lu et apprécié en août dernier le Comment bifurquer: Les principes de la planification écologique.
Cédric Durand et Cécila Rikap, dans une tribune Le Monde
une souveraineté numérique qui ne repose pas sur un illusoire nationalisme technologique mais sur un empilement numérique public non aligné, résultant de l’effort conjoint de nations décidées à interrompre le processus de colonisation numérique dont elles sont victimes
Un « empilement numérique public ».
Un rapport-manifeste : Reclaiming Digital Sovereignty
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Ce document d’orientation présente un programme de réforme progressiste visant à renforcer la souveraineté numérique pour les personnes et la planète. Les technologies numériques sont essentielles au bon fonctionnement des sociétés modernes, mais la manière dont nous organisons actuellement leur développement et leur déploiement favorise la centralisation économique et la dynamique du « gagnant-gagnant », ce qui va à l’encontre du bien public. Compte tenu des coûts élevés de développement de ces technologies, de leur pertinence et de leur empreinte écologique, un plan pour un modèle alternatif exige que les États interviennent et conçoivent des institutions publiques, multilatérales et autonomes par rapport aux gouvernements spécifiques, qui peuvent fournir des infrastructures et des services numériques essentiels en tant que services publics ou biens communs construits grâce à la coopération internationale. À cette fin, nous présentons les quatre propositions clés suivantes :
Tiré de Reclaiming Digital Sovereignty
- 1. Offrir une pile numérique démocratique, dirigée par le public, qui comprendra : 1) une infrastructure numérique en tant que service (pour la formation, le traitement et le développement de solutions numériques) fournie par des consortiums internationaux démocratiques et sans but lucratif ; 2) des plateformes universelles, telles que des moteurs de recherche et des modèles d’IA de fondation, qui devraient être un bien commun régi par de nouvelles institutions publiques avec une représentation de l’État et de la société civile ; et 3) une place de marché publique où les entreprises peuvent offrir leurs services informatiques sans blocage. Pour garantir la demande, les États devront s’approvisionner auprès de cette place de marché et mettre fin aux contrats avec les grandes entreprises technologiques.
- 2. Élaborer un programme de recherche axé sur les développements numériques qui ne sont pas motivés par le battage médiatique ou les pressions du solutionnisme technologique, mais qui ont le potentiel de résoudre des problèmes collectifs et de renforcer les capacités humaines. Cet agenda devrait prendre en compte les impacts éthiques, économiques, écologiques et politiques du développement et de l’adoption des technologies, y compris des applications de l’IA. Il devrait également s’inspirer d’une approche holistique, interdisciplinaire et non lucrative des principaux défis mondiaux. À cette fin, des réseaux publics de connaissances dirigés par une nouvelle agence publique de recherche internationale (ou des agences régionales) pourraient contrebalancer la concentration croissante de la science privée et fermée.
- 3. Fonder la souveraineté numérique sur un internationalisme écologique qui refuse de considérer la souveraineté comme un champ de bataille entre les pays et qui néglige le fait que les dirigeants d’aujourd’hui ne sont pas seulement des États puissants, mais aussi des entreprises de premier plan. Ce mouvement pourrait être promu en tant que chapitre du Mouvement des technologies non alignées, qui reconnaît que les agendas technologiques nationalistes aggraveront l’effondrement écologique et exacerberont le sous-développement. L’internationalisme est également un antidote à la surveillance gouvernementale individuelle et aux abus de pouvoir, et il est essentiel pour minimiser les ressources nécessaires à la construction d’une pile numérique démocratique et publique.
- Établir des mécanismes stricts à chaque étape pour démanteler les formes existantes et potentielles de surveillance étatique ou de détournement des solutions collectives par certains gouvernements. Les accords multilatéraux sur les principes et les règles de l’internet sont des garanties indispensables à la mise en place d’institutions et de solutions autonomes et gouvernées démocratiquement. (Ma traduction)
Des protocoles plus que des plateformes précisait, hier, Guillaud.
« nous devons défendre la portabilité et l’interopérabilité, explique-t-il, qui sont les seuls moyens de rendre de la liberté aux utilisateurs que les plateformes limitent et capturent. »
Dans Pour une souveraineté numérique publique et démocratique Irénée Régnauld fait un bon résumé en français de la proposition Durand et Rikap.
Ce que la souveraineté réclame, affirment-ils, est une implication franche de l’Etat, et plus largement de la puissance publique, fusse-t-elle supranationale, pour une technologie au service des citoyens et de leurs besoins, fondée sur un internationalisme écologique échappant aux proclamations de puissance et à l’étau sino-étasunien. Par souci de diffusion au plus grand nombre, j’en retrace les quelques grandes lignes.
Table des matières de Pour une souveraineté numérique publique et démocratique
1 Une souveraineté publique et internationale
2 Un « Digital stack » public
3 Reprise en main de la recherche et développement
4 Internationalisme écologique
5 Un socle de valeurs démocratiques
6 Impôts et réglementations
7 Services bancaires
construire un cloud réellement public (et data centers associés), reliés par des infrastructures également publiques
moteurs de recherche, plateformes de e-commerce devraient également voir surgir leurs versions publiques, à l’échelle appropriée (internationale, nationale ou locale, comme par exemple, une plateforme ajustée à la taille d’une région).
Subventionnées, ces applications auraient pour but de sortir de l’emprise des Big tech aussi vite qu’il est légalement possible de le faire.
La conclusion de Irénée Régnauld:
Le livre blanc reste cependant limité à une série de grands principes louables mais qui ne donnent pas plus d’éléments sur le coût et la durée du projet, ni sur les efforts politiques à entrevoir pour amorcer de telles négociations (à plus forte raison que les mots « contraindre » et « forcer » reviennent souvent, signalant l’absence d’espace pour tout compromis). Bref, la souveraineté numérique publique est démocratique est avant tout un projet politique et donc, un rapport de force.
Voir aussi
Le Stack, Plateformes, logiciel et souveraineté, de Benjamin H. Bratton.
Protocols, Not Platforms: A Technological Approach to Free Speech, de Mike Masnick
Dans un registre apparenté
DeepSeek : une opportunité d’action collective (internationale) ?
Nous pourrions assister à une sorte de réinitialisation de la course à l’IA, où il est possible pour les entreprises, mais aussi pour les pays, de rattraper leur retard et de trouver une nouvelle voie pour aller de l’avant. Tout comme il existe plusieurs versions de Linux, il y aura plusieurs versions de LLAMA/DeepSeek, mais seront-elles menées uniquement par des entreprises ou des stratégies nationales et internationales verront-elles le jour ? Par exemple, le Canada, l’Europe ou n’importe quel groupe de pays pourrait-il prendre DeepSeek en charge et accorder des réductions d’impôts sur les salaires des ingénieurs qui travaillent sur ce projet open source ? Cela serait-il utile ? (Ma traduction)
Extrait de DeepSeek Reader, de Patrick Tanguay
En conclusion…
La fermeture d’Amazon est un acte de terrorisme économique, par Jim Stanford, sur IRIS
P.S. : Un article de Cédric Durand, sur Sidecar de la New Left Review, ici traduit par mes soins : Fragile Léviathan?