Extrait de la recension, par Anne Monier, du livre de Olivier Zunz, La philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d’État, Fayard, 2012, 450p.
A la fin des années 1960, la philanthropie est devenue un élément constitutif de la société américaine, mais rien n’unifie encore une multitude d’organisations et d’objectifs. Un petit groupe de personnalités (dont John D Rockefeller III) décide de fédérer et de définir ce « secteur d’activité », afin que toutes les organisations puissent parler d’une seule voix. Sont notamment fusionnés les deux principaux courants philanthropiques : la grande philanthropie (celle des fondations) et la philanthropie de masse. Le nom de « secteur à but non lucratif » s’impose. Ce groupe souhaite défendre l’indépendance du monde philanthropique en le libérant de « sa dépendance croissante vis-à-vis de l’État », tout en insistant pour que l’État honore ses engagements de financement aux services sociaux. Cependant, ces personnalités rencontrent l’opposition des conservateurs, qui souhaitent, au nom de la défense du capitalisme et de la liberté individuelle, mettre fin aux financements publics de services sociaux, mais également supprimer les aides de l’État à toutes les institutions philanthropiques engagées dans la protection sociale et la défense des droits des minorités. Ainsi, pendant trente ans, progressistes et conservateurs s’opposent sur la définition du secteur philanthropique et de sa relation à l’État. Ils finissent par trouver un terrain d’entente, lorsqu’une « convergence inattendue » se fait sur la question du soutien de l’État aux associations caritatives confessionnelles. Conservateurs et progressistes ont tissé des liens avec des groupes religieux et cherché des aides publiques pour leurs alliances respectives. De cette confrontation émerge lentement le secteur à but non lucratif tel qu’il existe aujourd’hui aux États-Unis, défini par le cadre légal 501 (c)(3) [Le cadre légal qui octroie le bénéfice de l’exemption fiscale ainsi que la déduction fiscale des donations reçues].
Une histoire influente auprès des initiatives philanthropiques canadiennes et québécoises. On la prend même pour modèle… même si les contextes gouvernementaux et politiques diffèrent grandement. Pendant qu’aux États-Unis on « tissait des liens avec les groupes religieux », au Québec on coupait et réduisait radicalement l’emprise religieuse sur les services sociaux et de santé. Centraide a occupé (presque) toute la place pendant des années, jusqu’à ce que la FLAC arrive avec ses ententes décennales avec le gouvernement. Il y avait bien, depuis toujours, et plus activement depuis quelques années (’90), des fondations qui s’associaient à des initiatives communautaires ou sollicitaient la collaboration publique. Mais jamais on avait « attaché le gouvernement » aussi clairement et ouvertement, pour dix ans! On l’avait, cependant, sans doute fait pendant des décennies entre organisations privées religieuses et politiques publiques.
Le commentaire du Monde diplomatique, lors de la parution du livre : » (…) comment la charité peut servir de soupape au désengagement de l’Etat. Conscient de ce danger, Franklin D. Roosevelt entreprit, dans les années 1930, de fonctionnariser les employés et bénévoles des agences de bienfaisance ; il tenta également d’intégrer les dons privés dans des programmes nationaux. »