sabotage et révolution

J’ai commencé d’écrire ce billet il y a. plusieurs semaines… il n’y avait pas encore la guerre de Gaza. La guerre de l’Ukraine et les tensions sino-américaines étaient bien là mais un nouveau front chaud au Moyen-Orient sous lequel l’Iran montre les dents pourrait-il déstabiliser le fragile équilibre international ? Par l’émergence d’une coalition Chine-Russie-Iran ? Ou bien le poids économique des USA pour la Chine (et vice-versa) comme acheteur de ses produits et fournisseur de biens et services saura-t-il freiner les manifestations guerrières ?

La même journée je recevais un poster de Adbusters et l’annonce du dernier numéro de la revue hexagonale Socialter, dont le thème était On se soulève et on casse ? Le premier pointait un doigt accusateur accompagné d’un impératif Fuck You s’adressant aux décideurs : Vous déclarez une urgence climatique globale avant la fin de l’année sans quoi Nous, le peuple du monde, allons nous soulever et paralyserons votre machine infernale ! Le numéro de Socialter quand à lui reprenait la question du sabotage 1et de la désobéissance civile récemment popularisée par Andreas Malm avec son Comment saboter un pipeline mais aussi, surtout, soulevée par la dureté des manifestations contre certains projets de développement (lignes de transport rapide, projet de « méga-bassines » à Sainte-Soline, dans le département français des Deux-Sèvres).

Il faut passer à l’action… les mots et les promesses qui sont proférés par nos dirigeants sont de plus en plus vides de sens et contredits quotidiennement par les gestes, ou encore par la passivité, le non-geste. Ces deux publications venaient, au même instant, donner du poids, du sens à cette impression diffuse mais persistante qu’il faut aller au-delà des mots, MAINTENANT. Il faut taper là où ça fait mal. Mais où ça, taper ? Sur les propriétaires de SUV, en dégonflant les pneus ? En forçant les participants à une conférence pétrolière à passer une barrière symbolique de reproches ?

J’ai été abonné à la revue Adbusters il y a une vingtaine d’années, du temps où cette petite maison d’édition de Vancouver menait des campagnes d’anti-publicité contre les grandes marques comme Nike, ces chaussures de sport haut-de-gamme fabriquées dans des usines insalubres, ou encore Absolut, cette boisson génératrice d’impotence2Voir image Le dernier numéro de la revue prend la forme d’un manifeste : Manitesfo for World Revolution.

Ce Manifeste pour la révolution mondiale se lit un peu comme les mémoires de Kalle Lasn, initiateur de la revue Adbusters qui fut aussi parmi les animateurs du mouvement Occupy Wall Street. Aujourd’hui agé de plus de 80 ans, il nous raconte ses premières années comme enfant lithuanien vivant dans des camps de réfugiés suite à l’invasion de son pays par l’URSS… ses études en Australie puis en Autriche, sa carrière comme jeune professionnel de la publicité à Tokyo, puis comme documentariste à l’ONF au milieu des années ’80. Comment il a été touché, transformé par les mouvements sociaux… de la Beat generation à Mai 68… à la contre-culture de San Francisco.

Les Beats nous ont donné la permission d’être sauvages et insouciants. Les situationnistes nous ont appris à vivre sans temps mort. Les hippies nous ont repoussés dans la nature. Les punks ont réglé notre radar pour détecter l’hypocrisie et notre volonté de résister. Les « fantassins » d’Occupy Wall Street nous ont fait croire que la révolution mondiale est possible – et ont donné le ton de ce qui est à venir.

Manifesto for World Revolution, p. 196. Ma traduction

En plus d’identifier 7 fronts3 sur lesquels je reviendrai dans un autre billet où mener bataille le manifeste raconte les débuts de la lutte de son groupe pour faire passer de courts messages anti-publicitaires sur les chaines télé au Canada et aux États-Unis. Bataille où toutes les grandes chaines ont refusé de diffuser les messages éducatifs de Adbusters. La contestation juridique s’est arrêtée avant d’atteindre les plus hautes cours, vu les moyens disproportionnés des mass media devant le groupe militant.

Autrement dit ça fait longtemps que la parole publique est muselée, limitée, formatée par les intérêts du commerce, de la finance et de la bienséance. D’ailleurs, la parole sur la place publique n’a-t-elle pas toujours été orientée, colorée politiquement ou culturellement ? La création des média professionnels, rendue possible par les revenus publicitaires, allait contribuer à la grande accélération non seulement en diffusant les messages d’incitation à la consommation mais aussi en refusant les messages qui pouvaient contredire, contrecarrer les effets délétères de notre société de consommation.

Un effet pervers du financement publicitaire des médias : il ne reste plus de place pour un discours alternatif, une remise en question de la mode, des us et des croyances; une recherche sérieuse de la vérité.

Socialter # 60La tragédie de la propriété : quand l’accaparement ruine la planète

Pourtant je dis cela (il n’y a plus de place pour un discours alternatif) alors que ce billet porte sur des publications « alternatives » diffusées librement sur le Net qui appellent à la révolution ou au soulèvement. Bon, la question du soulèvement est abordée, discutée dans le Socialter #59. Le débat entre Monbiot et Malm y est intéressant. Mais c’est la « lettre de lecteur » d’un chauffeur d’autobus en introduction du numéro qui m’a le plus « bluffé ».

Et les perspectives « révolutionnaires » de Adbusters-Kalle Lasn sont utopiques et radicales mais il y manque le « ventre de l’économie » pour en faire un programme capable d’ouvrir la poigne de fer, ou d’enfer qui enserre l’économie du monde.

Notes

  • 1
    et de la désobéissance civile
  • 2
    Voir image
  • 3
    sur lesquels je reviendrai dans un autre billet

Qu'en pensez vous ?