Soulèvements de la terre, en ville ?

En terminant la lecture de Premières secousses, qui raconte « comme si vous y étiez », les mobilisations de masse au cours des dernières années en France pour s’opposer aux méga-bassines, s’opposer au tout béton… Aussi des réflexions sur les rapports entre une organisation « nationale » et des luttes locales, je me posais la question : est-il possible d’imaginer de tels mouvements, de telles actions collectives dans des quartiers ou des voisinages urbains ?

Peut-on imaginer pareil attachement au territoire, où certains sont prêts à risquer leur vie pour le défendre, le garder vivant… dans un quartier urbain ? Une banlieue dortoir ?

Dans nos villes et métropoles, les batailles pour préserver les friches et espaces verts ont été nombreuses et de plus en plus dures à l’encontre des plans d’aménagement qui les dévalorisent au rang de propriétés marchandes. 

La réflexion et les connaissances accumulées sur les écosystèmes et bassins versants des ruisseaux qui traversaient et pourraient encore traverser nos quartiers… est impressionnante.  Comment développer un véritable plan de bioremédiation de la région (Est de Montréal) sans inclure Montréal-Est et Anjou ? Mettre la pression sur les anciens propriétaires, les pétrolières, pour qu’elles portent le poids financier de cette remédiation.

C’est beau de voir les deux fanas d’écologie (Renard Frak et Anaïs Houde, dit « la magnifique ») nous décrire les actifs et potentiels des terrains protégés et à protéger autour de l’historique ruisseau Molson : La création du parc-nature, quelle est la vision ? (1h26)

Est-ce qu’une telle analyse a été faite pour les terrains en friche de tout l’Est de Montréal, qui auraient bien besoin d’une bioremédiation ? OUI ! En cherchant sur YouTube d’autres vidéos de Plourde-frak, j’en trouve plusieurs, dont un (Il y a 8000 ans dans l’Est de Montréal, 18min)  qui retrace les vestiges des trames forestières et des ruisseaux de Pointe-aux-trembles et Rivière-des-prairies. Dans une autre présentation, Il y a 9000 ans dans l’Est de Montréal, Plourde décrit les traces des ruisseaux et forêts d’antan autour de l’actuel Stade olympique. 

Ce créateur activiste s’est consacré depuis plusieurs années à décrire friches et ruisseaux de l’Est de Montréal en publiant vidéos, mémoires, cartes et livres (dont La forêt de Pointe-aux-Trembles, de 1689 à aujourd’hui). Sa chaine youtube comprend plusieurs dizaines de documents. 

Voir, parmi d’autres, La trame bleue et verte (9:58min).

Des batailles menées pour sauver quelques friches, dont certaines ont plus de 50 ans… perdues parfois (métro Assomption) mais qui se sont articulées et développées pour emporter quelques victoires1la Ville annonçait, le 12 septembre dernier, la sauvegarde du boisé Steinberg et l’acquisition par le CN de la moitié de la friche Longue-Pointe.

Résister et fleurir, tel est le nom du site qui informe et suit les activités amorcées autour d’une pétition demandant une consultation publique (Mobilisation 6600, groupe FB).

Un bon résumé en 10 minutes des enjeux récents (juin 2024) et circonscrits autour de la résistance au projet de Ray-Mont Logistiques.

Voir aussi Montréal verse 17 millions à Ray-Mont Logistiques et protègera le boisé Steinberg (Le Devoir), ou encore le communiqué de presse de RML : Ray-Mont Logistiques et la Ville de Montréal s’entendent pour le développement cohérent du secteur


Je m’en voudrais d’oublier ce document de proposition d’un Corridor des ruisseaux, par le Conseil régional de l’environnement de Montréal en 2020, qui touche ces mêmes territoires et friches.

Ailleurs à Montréal

Il n’y a pas que dans l’Est de Montréal où l’on se mobilise pour protéger et aménager des espaces verts ! Un article du 21 septembre dans La Presse nous présente Ces citoyens qui font naître des parcs. En plus de présenter la lutte de Mobilisation 6600 contre Ray-Mont Logistique, deux autres projets citoyens sont aussi décrits.

Après une bataille de plus de dix ans, le Parc des gorilles est finalement inauguré.

Dans le cadre des travaux de réfection de l’échangeur Turcot, une dalle-parc est l’objet de revendications citoyennes. Faisant face au parc de La Falaise (Sauvons la falaise) où une piste cyclable a déjà été réalisée et plusieurs efforts de mise en valeur (voir Sauvons la falaise), le terrain de 60 hectares attend encore d’être aménagé. Dans le cours de la lutte pour obtenir ces espaces verts, les citoyen.e.s. ont mis sur pied une association éducative : urbanature

Il y a sans doute beaucoup d’autres projets-luttes semblables ailleurs. Je découvre cette Cartographie des mobilisations pour la protection des milieux naturels et du territoire

Au moment d’écrire ces lignes, aucun des trois projets dont parlait l’article de La Presse du 21 septembre dernier : Ces citoyens qui font naître des parcs n’est inclu dans cette cartographie. Est-ce parce que les porteurs de ces projets ne sont pas membres des plateformes de Projet collectif ? Peut-on créer des fiches pour ces projets à partir des infos tirés de l’article de La Presse ?

J’apprends par ce même canal (l’Édito Quinzo) l’appel d’une organisation, Le vivant se défend, à Fermer la ligne 9b (pipeline pétrolier venant de l’ouest (Alberta ou Dakota)). Une organisation visant la résistance citoyenne de masse, à la manière des Soulèvements de la terre. « [U]n vaste mouvement de résistance citoyenne qui se porte à la défense de la vie elle-même, tout au long du tracé des pipelines« . Le 19 octobre prochain se tiendra la première d’une série de manifestations et d’actions visant la fermeture de ce pipeline.

Ce qui me permet de répondre à la question posée en tout début : Oui les Soulèvements de la terre sont possibles « en ville ». Une action disruptive pour rappeler l’urgence, le tragique de la situation. Il faut se rappeler de la violence avec laquelle les capitalistes défendent leurs intérêts… à coups de poursuites pour des centaines de millions…

Depuis maintenant 8 ans, Ray-Mont Logistiques tend la main aux différents acteurs concernés par l’aménagement du secteur pour assurer le meilleur arrimage possible avec les autres projets en cours. De façon proactive, l’entreprise a participé à différents processus de consultation, dont celui de l’Office de consultation publique de Montréal et l’Instance de concertation L’Assomption Sud-Longue-Pointe. C’est le fruit de ce dialogue qui a permis d’arriver à une entente avec la Ville de Montréal, rendant notamment possible l’intégration d’initiatives en matière de verdissement qui bénéficieront aux quartiers avoisinants. [Extrait du communiqué de presse de RML]

Après avoir menacé la ville de Montréal d’une poursuite de 323 M$, RML prétend qu’il a toujours « tendu la main ».

Il faut exiger le droit d’expérimenter et développer la bioremédiation sur tous les terrains vagues et contaminés de l’île.

En attendant, il faut se rendre, le 19 octobre, au robinet de la 9b !


Pour revenir, en terminant, sur le livre Premières secousses… vous y trouverez un compte-rendu, comme si vous y étiez, des mobilisations de masse au cours des dernières années pour s’opposer aux méga-bassines, s’opposer au tout béton… Aussi des réflexions sur les rapports entre une organisation « nationale » et des luttes locales.

Alors qu’il semble parfois plus simple de surfer sur la catastrophe avec la planche du nihilisme, nous plaçons au centre de notre mouvement une nécessité : agir. L’étau se resserre, nous le sentons, alors nous affirmons, avec d’autres, que nous n’avons plus le temps. Lutter avant qu’il ne soit trop tard, agir vite et de manière impactante. Puisque nous revendiquons le fait d’être un mouvement d’action, on dit de nous, à juste titre, que nous sommes des activistes. Le temps presse et pourtant, nous voulons éviter certaines impasses liées à la frénésie induite par l’urgence d’agir. Nous appelons de nos vœux à faire atterrir une écologie dans le sol et dans une organisation politique qui se donne le temps et les capacités de grandir, de se ramifier, de gagner en épaisseur. Afin que l’activité permanente qui caractérise l’activisme cesse de s’éparpiller dans une myriade de micro-happenings et des campagnes aux thèmes changeants qui se succèdent sans prendre le temps d’approfondir ni d’enquêter pour trouver des leviers d’action véritables. Ce n’est pas uniquement la prise de conscience de la catastrophe écologique qui nous met en mouvement, mais un pari tenu ensemble à une époque où les équilibres sociaux, politiques et écologiques vacillent, où les conflits s’intensifient. Celui de réunir nos forces et agir conséquemment pour libérer les terres et leurs usages. La situation est bien trop grave pour que nous ayons besoin de défendre notre radicalité sur le terrain de la bienséance républicaine. Nous avons choisi pour naviguer une approche pragmatique, afin d’ajuster notre pratique chemin faisant. [Premières secousses, p. 71]

Comment ce mouvement a su se développer et s’organiser, se transformer en une organisation transversale…

Nous n’avons pas de Plan de réorganisation globale de l’économie. Nous ne prétendons gouverner ni la planète ni la nation. De toutes nos forces, nous tentons d’enrayer la machine en attaquant les infrastructures de la dépossession. Mais derrière les moteurs à l’arrêt, nous interrogeons l’horizon du désirable. Comment construire les conditions d’une belle vie hors du modèle périmé de l’abondance industrielle? La réponse ne nous sera pas dictée par quelque technocrates. Dans l’élan d’expériences collectives nouvelles ou dans les braises d’un passé qui n’est pas tout entier consumé, nous la cherchons du côté des pratiques existantes.

Les recherches et les pratiques éco-féministes nous fournissent les premières pistes.

Inspirées par les résistances du Sud aux politiques de développement forcé des dernières décennies – par exemple ces paysannes kenyanes qui ont refusé, contre les programmes d’ajustements structurels du FMI, de récolter pour leurs maris le café destiné à l’exportation, ont arraché les plants et cultivé à la place les fruits et les légumes qu’elles ont ensuite distribués sur les marchés régionaux -, certaines féministes proposent ce qu’elles appellent « la perspective de la subsistance » comme horizon des luttes, au Nord comme au Sud.

Mais qu’entendons-nous par subsistance? Prisonnière du mythe de l’abondance industrielle, cette notion reste associée à la pauvreté, à l’arriération, au manque, voire à la survie biologique et, par extension, au « sous-développement », à un défaut de civilisation, c’est-à-dire de blanchité. Cette idéologie s’est construite sur la séparation entre ce que nous avons appelé plus haut le prosaïque et le poétique, les besoins du corps et ceux de l’âme. Selon elle un peuple libre est un peuple libéré du joug de la nécessité par la puissance industrielle, seule à même de produire l’abondance de biens qui l’affranchit des besoins matériels. [Premières secousses pages 149-150]

Des « actions de masses » qui ont permis de construire un mouvement, une organisation résiliente.

Pour juger de la pertinence d’une solution, et définir ce qu’on entend par chemin praticable, il faut partir de la fin.
L’objectif d’une action directe de masse est toujours double : impacter nos adversaires et accroître notre capacité collective à agir. De là une série de questions qui nous semblent 1 pertinentes pour évaluer la réussite d’un acte : l’action per-met-elle sa diffusion ou fige-t-elle la possibilité de sa repro-duction? Se retrouve-t-on plus isolé ou voit-on au contraire notre base de soutien élargie? Les choix tactiques ont-ils entraîné un déferlement de répression ou ont-ils permis de la déjouer? L’action a-t-elle permis de fragiliser sa cible ou a-t-elle au contraire renforcé le camp adverse? La mobilisation a-t-elle fait croître la confiance entre les participantes et la capacité de composition du groupe ou les a-t-elle diminuées?
Est-ce un affect de joie ou d’abattement qui prédomine à l’issue d’une journée de mobilisation? [Idem, p. 250]

J’ai, finalement, été surpris de la sérénité qui se dégage de ce texte malgré la dureté et l’audace des initiatives qui y sont décrites. Des chapitres sous-titrés [Position] sont insérés entre les chapitres décrivant les luttes pour reprendre la terre, ou démanteler l’agro-industrie : Catastrophe et capacité d’agir; Quelle est la « nature » qui se défend ?; All power to the people!, Une écologie de luttes territoriales.

Je termine ce billet touffu avec une dernière citation tirée du chapitre Quelle est la « nature » qui se défend ?

S’il nous fallait un principe, nous pourrions le formuler ainsi : c’est aux habitant-es d’un territoire de décider comment y vivre. C’est à celleux dont la vie dépend de leurs relations à la terre ou aux machines, à leurs voisin-es ou à leurs collègues de décider comment les réguler, non à ceux qui l’exploitent ou l’administrent de loin. All power to the people!
n’est-il pas le meilleur slogan écologiste?

Et comme cette « Nature qui se défend » est un slogan repris allègrement par les activistes qui proposent l’action du 19 octobre prochain, j’ai cru bon scanner ce court chapitre de 9 pages qui expose les utilisations contradictoires de ce slogan.

Notes

  • 1
    la Ville annonçait, le 12 septembre dernier, la sauvegarde du boisé Steinberg et l’acquisition par le CN de la moitié de la friche Longue-Pointe

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