J’ai commencé ce billet en commentaire du dernier congrès du parti Projet Montréal, qui se tenait au collège Maisonneuve les 2 et 3 novembre dernier. Je n’ai pas été assez rapide pour en terminer l’écriture avant que l’éléphant n’entre dans la pièce…
Animateurs de talk-show, journalistes, analystes et sondeurs ont tous proposé leur interprétation de la victoire de T. ou de la défaite de son adversaire. Parmi les commentaires retenus, ceux de Monbiot, journaliste au Guardian, et de Wallace-Wells, du New-York Times. Pour votre convenance (et la mienne aussi !) j’ai traduit les deux articles: Les démocrates sont l’establishment, par WW et Trump s’est engagé à faire la guerre à la planète, par Monbiot.
« Partout, l’argument centriste selon lequel la gauche doit abandonner ses principes pour combattre le fascisme, ne laissant le choix qu’entre les bureaucrates corporatistes et les nazis, a eu pour effet de renforcer le pouvoir des nazis. C’est une formule qui échoue à chaque fois. »
Cette citation de feu David Graeber résume assez bien le point de vue de Monbiot et d’autres critiques de la campagne menée par les Démocrates : on a réduit les attentes, caché les enjeux climatiques et environnementaux, pour rallier le centre, pour atteindre une majorité. Le texte de Monbiot est fort en ce qu’il inscrit la conjoncture actuelle dans le long terme : les gouvernements d’hommes forts, d’autocrates et de dictateurs ont été la norme plutôt que l’exception dans l’histoire humaine.
La démocratie est une expérience récente, et qui a de toute façon toujours été partielle et impotente à soumettre vraiment les intérêts de la classe dominante à l’intérêt public. Sauf en de rares périodes, comme dans l’après-guerre, une période souvent dite celle des « Trente glorieuses ». Et même là… il est bon de se rappeler l’origine de cette expression, comme le fait Jules Calage dans le dernier hors-série de Socialter : Décroissance : Réinventer l’abondance.
Ces « Trente glorieuses » années se terminaient sur des appels à la raison et à la prudence (Limites à la croissance, 1972) car elles se sont réalisées sans égard aux ravages infligés aux vivants et aux équilibres bio-physiques. Trente glorieuses qui ont coulé dans le béton et l’acier, un modèle de développement insoutenable. Plutôt que de suivre la voie de la prudence, les trente années suivantes ont été celle d’un hubris amplifié, accéléré par la libéralisation des échanges, la diminution importante de l’impôt sur la richesse, réduisant la capacité d’agir des gouvernements et libérant d’autant une capacité axée essentiellement sur l’accumulation de profit à court terme. L’hubris de la Grande accélération, pendant laquelle le gros du « budget carbone » qui nous restait fut consommé.
Pour Wallace-Wells, « Le parti démocrate a occupé la Maison Blanche pendant 12 des 16 dernières années et se battait pour en occuper 16 sur 20. (…) [ L]es démocrates sont désormais le parti du pouvoir et de l’establishment, et la droite est le foyer naturel de toutes sortes de ressentiments anti-establishment – dont il est désormais clair qu’ils sont très nombreux. »
Un programme en discussion
Pour en revenir au congrès de Projet Montréal, J’ai été membre de PM assez tôt dans son histoire. J’y contribue financièrement à chaque élection… mais c’était la première fois, autant que je me souvienne, que je participais aussi directement à la discussion sur le programme. Lors de la réunion locale, à l’arrondissement, où l’on a formulé des amendements à proposer au comité directeur (ou du programme…) j’ai défendu quelques propositions, par écrit, envoyées au maire, mais seulement une ou deux oralement lors de la rencontre… le temps était compté et chacun avait ses propres amendements à défendre. Une de mes propositions concernait la promotion d’obligations communautaires pour aider au financement de projets d’acquisition, de rénovation de logements afin d’accroître le stock « hors-marché ». Elle a été soumise à la discussion du congrès puis adoptée.
J’avais formulé une autre proposition concernant la géothermie dans les ensembles domiciliaires.
Celle-ci n’a pas été retenue pour être discutée mais j’ai trouvé, dans le cahier du participant, un amendement similaire faisant partie d’une proposition d’ajout à la section 4 par l’arrondissement Lachine. En recherchant l’acronyme RThU (Réseaux Thermiques Urbains) je suis arrivé sur le site de Projet Montréal, où l’on annonçait le 4 mai dernier la création d’un comité stratégique :
Un comité stratégique, en partenariat avec le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE), le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques de la Faune et des Parcs (MELCCFP) et Hydro-Québec.
J’aurais aimé qu’on me piste là dessus au moment de la discussion à l »arrondissement… Cela nous aurait peut-être amenés à mieux formuler notre proposition sur les obligations communautaires. « Un comité de réflexion stratégique et d’expérimentations locales avec la participation d’acteurs clés » du domaine… plutôt qu’une simple recommandation de « Soutenir les initiatives »…
Cette référence à la géothermie est inscrite dans un ajout proposé par Lachine à la section 4 du programme qui porte sur la bonification des services aux citoyens. Sont rassemblées dans cette section les questions du déneigement, de la propreté, des sports et loisirs jusqu’à la gestion transparente et efficace des travaux… L’ajout de Lachine introduirait, dans un article comprenant déjà plusieurs sections (6), une septième section qui serait intitulée Montréal efficiente et prospère, elle-même divisée en sept parties (de a. à g.). Un ensemble d’amendements tous intéressants… Je ne sais s’ils ont été discutés sur le plancher du congrès ou si cela a été déféré au « comité » ? Je me souviens qu’on a discuté d’agriculture urbaine, de poules par mètre carré de terrain… mais pas de géothermie.
Je fais dans le détail, je sais. On peut penser que je voudrais l’impossible, genre un congrès qui durerait une semaine, le temps de passer démocratiquement à travers une centaine d’amendements et d’ajouts1En fait, il y en avait 107 ! Moi qui n’ai pu endurer deux jours d’un tel « supplice » ! En effet, je suis parti avant la fin, n’en pouvant plus de la procédure d’amendements en sous-amendements… alors que le gros des propositions allait être référé à un comité, par manque de temps.
Je ne veux pas laisser entendre que le comité qui a préparé ce congrès a mal fait son boulot. Il a fait un travail remarquable, avec une proposition principale riche, discutée par les instances qui l’ont enrichie de plusieurs façon. Je crois simplement qu’il aurait fallu un ou deux tours de roue supplémentaires pour permettre aux militants de s’approprier les dits ajouts et amendements et, peut-être, prioriser autrement la discussion.
J’ai l’impression qu’on n’utilise pas vraiment les technologies de l’information : le processus préparatoire aurait pu se dérouler de la même façon il y a trente ans. Une proposition issue d’un comité, qui envoie un PDF aux comités locaux qui se réunissent une fois pour formuler des amendements qui sont envoyés au comité central qui les retient (ou non) et les met en ordre pour la discussion finale, sachant d’avance que tous les amendements ne pourront être discutés.
J’aurais bien aimé qu’on discute de l’ajout de Lachine… et d’autres, sans doute, qui n’ont pu être discutés et seront simplement référés à un comité. Si on avait fait circuler les amendements proposés par les instances et arrondissements, à la manière d’un groupe delphi, on aurait pu diminuer le nombre d’amendements, les rendre plus clairs, et les ordonnancer en fonction d’un pointage, d’une priorisation donnée par les membres participants. Sans allonger la durée du congrès, on aurait peut-être discuté différemment, parce qu’on se serait approprié plus avant amendements et ajouts… pour aboutir à un programme qui serait porté avec plus de conviction par les membres.
J’apporte ces éléments de réflexion avec toute l’humilité d’un membre qui n’est pas impliqué plus que ça. Ma participation au congrès, même écourtée, m’a rappelé à quel point un parti politique est une organisation humaine. Nos leaders et élus sont des femmes et des hommes, qu’on espère bons, sinon les meilleurs qui ont comme nous tous des limites, une histoire, des tics… Que cet amalgame réussisse à cheminer et développer une capacité d’action collective me surprend encore !
Cette capacité limitée d’action sur le réel, d’autant plus limitée que souvent les leviers et moyens sont ailleurs, peut être améliorée. Nous pouvons, nous devons apprendre et croître ensemble afin de relever les défis qui s’imposent.
P.S. Ce billet n’a sans doute pas rempli les attentes suscitées par son titre ambitieux. Veuillez me pardonner. Les résultats électoraux, ici comme ailleurs, sont rarement encourageants. Le travail « à la base », autour d’objectifs de transformation de mieux en mieux compris et portés me semble aussi important que la formulation de programmes susceptibles de convaincre une majorité élusive…
Notes
- 1En fait, il y en avait 107