par Dark Matter Labs\
7 avril 2025
Ma traduction de :
Towards an eco-social contract: the Living Stewardship Agreement, Dark Matter Labs
Depuis la dernière mise à jour, Radicle Civics a développé des prototypes pour concrétiser notre vision de la citoyenneté exposée dans notre blog. Nous avons exploré ce que signifie « élargir notre conception de la citoyenneté […] pour inclure les humains et les non-humains » et « reconfigurer les modes de relation et d’interaction collectives, vers des systèmes non coercitifs, empathiques, bienveillants et peer-to-peer ».
Nous pensons qu’une économie non monétaire et basée sur le soin nécessite de nouveaux outils pour donner un sens concret au monde dans cette perspective relationnelle et multivalente. Cette mise à jour se concentre sur l’outil « Living Stewardship Agreement » que nous avons développé. Pour les systèmes complexes sans frontières claires, il aide les acteurs à comprendre leur interdépendance et utilise des boucles de rétroaction prosociales pour encourager le respect des engagements mutuels, en vue de la prospérité globale du système.
Nous avons commencé par la gestion des biorégions fluviales, qui correspondent à cette caractéristique de gouvernance, mais nous pensons que cette approche peut être applicable à différents contextes.
Les biens communs illimités, un problème critique pour la gouvernance
Si la gouvernance des biens communs et des ressources communes est bien établie par Elinor Ostrom et d’autres, elle nécessite toutefois des « limites clairement définies » tant au niveau des membres que des ressources gouvernées et « doit pouvoir exclure les autres » comme critère essentiel à son succès (Ostrom, 1990). Nous aimons appeler cela les « biens communs limités ».
Cependant, il existe une grande partie des biens communs qui ne répondent pas à ces critères, avec des frontières ambiguës, multiples ou changeantes** (que nous appelons « biens communs illimités »). **Le modèle de gouvernance d’une zone délimitée et d’une adhésion soumise à des protocoles communs n’est pas facile à appliquer. Une rivière en est un exemple classique, qui entremêle une vaste biorégion d’écosystèmes, d’utilisations des terres, de bassins versants et de populations changeantes, mais qui se manifeste également sous la forme d’un lieu linéaire et naturel et d’une ressource fluide.
Pour ces biens communs illimités, nous devons passer à un modèle de système en réseau, axé sur la relationnalité et l’interdépendance entre les acteurs, imbriqués à plusieurs échelles. Cela trouve déjà un écho dans le discours théorique, comme le cadre des systèmes socio-écologiques qui applique la théorie des systèmes complexes à la gouvernance des humains et des non-humains en tant que système cohérent.
Mais la manière dont un ensemble centralisé de règles est appliqué doit également être repensée dans un contexte illimité, où il n’existe pas de lieu d’autorité fixe. Si les biens communs numériques répondent à cette question grâce à une technologie décentralisée, où la participation est conditionnée par le respect des règles, il est problématique d’appliquer l’exclusion à des lieux physiques. Dans ces cas, il peut être judicieux de passer à une approche fondée sur l’engagement, où les individus reconnaissent et déclarent leurs engagements les uns envers les autres pour la prospérité de l’ensemble du système. Pour que cela fonctionne, le partage d’informations entre les acteurs est essentiel afin de permettre une gouvernance adaptative, dans laquelle les individus ajustent et coordonnent leurs actions dans des boucles de rétroaction, en fonction de la santé du système. Mais ce n’est pas tout : cette information doit également s’accompagner d’une signification sociale, où l’engagement est soutenu par un système d’incitations à le respecter.
Le défi consiste à déterminer comment cette approche conceptuelle peut être appliquée dans un contexte pratique et rendue intuitive afin que tous les citoyens puissent comprendre leur rôle dans ce réseau d’interdépendance. C’est précisément dans cette optique que nous développons stratégiquement la LSA, un outil pratique permettant de co-créer une image collective des relations et des engagements les uns envers les autres, et d’encourager la mise en pratique et l’approfondissement de ces engagements grâce à des boucles de rétroaction, afin de créer une « culture » émergente de gestion responsable. Nous commençons par les rivières du Royaume-Uni comme démonstrateur de cette approche, où leur mauvaise gestion résultant d’approches cloisonnées fait l’objet d’un large débat public et crée une demande pour des approches décentralisées et citoyennes de la gouvernance et de la gestion.
Une approche fondée sur l’engagement peut-elle contribuer à la réalisation des droits de la nature ?
Ce parcours a commencé lorsque nous nous sommes demandé comment parvenir à une citoyenneté élargie qui inclut les non-humains. Nous avons suivi de près les travaux du mouvement pour les droits de la nature, qui aborde la même question en incluant la nature, des rivières aux lagunes en passant par la « Terre mère » elle-même, comme des sujets pouvant avoir des droits applicables par le système juridique. Les approches fondées sur les droits de la nature servent d’interface entre l’écosystème et le système juridique des humains.
Mais si les précédents révolutionnaires établis par les initiatives en faveur des droits de la nature constituent en soi des réalisations remarquables, nous avions encore des réserves quant à la manière dont elles tentaient essentiellement d’intégrer les écosystèmes dans nos institutions anthropocentriques (et imparfaites).
Par exemple, pour l’octroi de la personnalité juridique à la rivière Whanganui, qui a constitué une étape décisive tant pour les droits des peuples autochtones que pour les droits écologiques, la structure de gouvernance mise en place était très « horizon 1 » : elle a créé un bureau composé de « deux gardiens », Te Pou Tupua, qui comprend un représentant du gouvernement néo-zélandais et un autre représentant la tribu maorie Whanganui Iwi, qui détient depuis longtemps des droits et des responsabilités coutumiers sur la rivière. Les gardiens sont à leur tour soutenus par des groupes consultatifs et stratégiques.
Cette manière d’organiser les relations, bien qu’elle crée une interface avec les lois et coutumes autochtones, n’en reste pas moins influencée par les structures corporatives conventionnelles, hiérarchiques et délimitées. Maintenant que des précédents en matière de droits de la nature ont déjà été établis dans de multiples contextes, nous nous sommes mis au défi d’imaginer ce que pourrait être le prochain horizon vers une citoyenneté plus qu’humaine.
Stratégies pour une citoyenneté plus qu’humaine
Notre hypothèse pour un « horizon 2 » de civisme plus qu’humain repose sur trois éléments :
- Des systèmes civiques relationnels : de nouveaux systèmes d’organisation sous-jacents qui dépassent les modèles hiérarchiques et délimités simples pour refléter la nature complexe et relationnelle de notre monde. Par exemple, passer de hiérarchies descendantes à des réseaux décentralisés.
- Interfaces relationnelles : nos modèles existants sont en partie ancrés parce qu’ils sont simples à comprendre et à utiliser (par exemple, la propriété attribue un ensemble de droits et de responsabilités largement compris au propriétaire, à l’exclusion des autres). Dans le passage à des systèmes civiques complexes et plus qu’humains, les interfaces peuvent faciliter la transition et les rendre plus intuitifs. Il peut s’agir de nouveaux récits, de nouveaux modèles ou encore de nouvelles technologies. Elles peuvent également remplir différentes fonctions, telles que représenter des entités non humaines, nous aider à surmonter l’objectivation et à reconstruire l’empathie, ou même servir de médiateur entre plusieurs acteurs ayant des besoins différents.
- Moteurs d’engagement : bien qu’il existe de nombreuses formes d’actions et de relations volontaires dans la société civile, elles sont souvent encore soutenues par le pouvoir de l’État en tant que garant ultime. Dans l’aspiration de Radicle Civics à des systèmes « non coercitifs, empathiques et bienveillants », nous devons également dépasser ces modèles d’application centrés sur l’humain, en particulier s’ils doivent être légitimes pour une citoyenneté qui inclut les entités non humaines. Les moteurs d’engagement explorent comment des systèmes d’incitation prosociale, tels que les promesses, la reconnaissance et l’évaluation par les pairs, peuvent être utilisés à la place pour créer une culture de la bienveillance dans ce nouveau type de citoyenneté.
Dans le cadre de ce processus, nous avons collaboré avec des partenaires tels que le groupe Civic Interaction Design de l’Université des sciences appliquées d’Amsterdam (qui travaille sur le projet de recherche intitulé Charging the Commons), Zoöp Nieuwe Instituut (avec Zoönomic Institute) et le groupe Urban Interfaces de l’Université d’Utrecht (Governing the Digital Society) afin d’explorer les différentes manifestations des interfaces relationnelles. Vous pouvez en savoir plus sur les ateliers ici et sur la conférence publique ici et ici.
Réimaginer le « contrat social » pour une citoyenneté qui dépasse l’humain
Nos recherches sur les initiatives en faveur des droits de la nature nous ont également amenés à revisiter les débats sur la nature des droits. L’extension des droits aux agents vivants et même aux systèmes terrestres a soulevé des questions fondamentales sur les cadres fondés sur les droits, telles que la manière dont leur portée est définie, comment ils sont construits et comment ils sont accordés et/ou revendiqués. L’ouvrage de Leif Wenar, Nature of Rights, qui s’appuie sur le cadre conceptuel des incidents de Hohfeld, continue d’influencer fortement notre réflexion.
Mais la question la plus pratique et la plus urgente à laquelle nous avons été confrontés était peut-être la suivante : si nous déclarons que la nature a des droits, comment les rendre réels ? Cette réflexion a mûri tout au long de notre travail sur le projet River Dôn, dans le cadre duquel nous avons organisé des ateliers et des événements avec des membres de la communauté fluviale dans le cadre du programme du Festival of Debate 2023 à Sheffield.
Lors de ces ateliers, nous avons entendu les Friends of the River Cam, qui nous ont invités à assister à leur cérémonie annuelle de déclaration des droits de la rivière. Au solstice d’été 2023, un groupe de personnes soucieuses de la rivière Cam s’est réuni en cercle au bord de la rivière pour déclarer les droits de la rivière, en les récitant collectivement. Ces droits sont les suivants :
- Le droit de s’écouler librement ;
- Le droit d’exercer ses fonctions essentielles d’inondation, de transport de sédiments, de recharge des nappes phréatiques et de maintien de la biodiversité ;
- Le droit d’être exempt de pollution ;
- Le droit d’être alimenté par des aquifères durables ;
- Le droit à la biodiversité indigène ;
- Le droit à la restauration ;
- Le droit de maintenir des connexions avec d’autres cours d’eau et rivières.
Avant la fin de la cérémonie, les participants se sont engagés à agir en tant que gardiens de la rivière Cam et à réduire les menaces qui pèsent sur sa santé et sa survie. Ils ont appelé tout le monde à s’engager dans une relation de respect et de gestion responsable avec la rivière et à cesser son exploitation. Nous avons été émus par la puissance de ce moment rituel, non seulement parce qu’il a rassemblé la communauté riveraine, mais aussi parce qu’il a recentré nos esprits sur notre lien physique et spirituel avec la rivière.
Ce fut également un moment qui a suscité la réflexion. Nous pouvons déclarer qu’une rivière a des droits, mais comment ceux-ci se manifestent-ils exactement ?
« Les droits de l’homme […] étaient censés être indépendants de tous les gouvernements ; mais il s’est avéré qu’au moment où les êtres humains ont été privés de leur propre gouvernement […], aucune institution n’était disposée à les garantir. »
— Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme
Les initiatives actuelles visant à inscrire les droits de la nature dans la loi nous ont rappelé le concept de « droit d’avoir des droits » développé par Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme. Si les droits sont considérés comme universels ou naturels, leur application repose néanmoins sur le pouvoir et l’autorité de l’État. Ceux qui sont exclus d’une communauté politique, c’est-à-dire d’un État, perdent également l’accès aux institutions qui peuvent garantir ces droits, devenant ainsi privés de droits. Si Hannah Arendt faisait alors référence aux réfugiés apatrides, cela peut également être considéré comme une analogie avec la nature. Si nous élargissons nos communautés politiques pour y inclure la nature, cela suffirait-il à garantir ses droits ?
Ces idées s’inspirent largement de la « théorie du contrat social », qui a fortement influencé les conceptions occidentales de la citoyenneté. Elles font notamment écho aux idées de John Locke, qui pensait que dans le cadre de ce contrat social, les individus consentent à se soumettre au pouvoir du gouvernement afin que leurs droits soient protégés.
Pourtant, dans le contexte des rivières sur lequel nous travaillons, en particulier au Royaume-Uni, le gouvernement a déjà échoué à protéger la santé des cours d’eau, que ceux-ci soient considérés comme des sujets de droits ou comme des objets de bonne réglementation. Accorder des droits ou une personnalité juridique à une rivière, tout en créant des voies de recours et de responsabilité (même si elles sont lentes et coûteuses), nécessite toujours le pouvoir de l’État pour réparer ou contraindre les individus et les organisations à réparer nos rivières. Pour nous, cela soulève une question : à qui incombe la responsabilité de garantir que les rivières ont « le droit d’être exemptes de pollution » ? Et suffit-il que les droits permettent d’obtenir réparation lorsque les choses tournent mal, ou est-ce déjà trop tard ? Ne devrions-nous pas plutôt repenser notre façon d’envisager les pratiques quotidiennes de gestion active et la manière dont celles-ci peuvent être encouragées ?
Il est curieux que les théoriciens du contrat social définissent souvent les sociétés organisées par opposition à « l’état de nature », ce monde chaotique et brutal où régnait la loi du plus fort. Pourtant, compte tenu de ce que nous savons aujourd’hui sur les écosystèmes, il s’agissait là d’une caricature. Nous savons désormais que les écosystèmes sont des interactions complexes entre de nombreux agents, chacun réagissant par des boucles de rétroaction au reste du système, afin de créer un équilibre délicat et dynamique, dans le cadre d’un processus adaptatif. Et si nous répondions à la question « d’où viennent les droits ? » d’une manière plus écocentrique, plutôt que d’imposer la logique de l’autorité humaine centralisée à un monde qui dépasse l’humain ?
Un nouveau contrat écosocial nécessite une nouvelle grammaire de l’engagement
Sur la base des changements de vision du monde que nous voulons réaliser dans Radicle Civics (un monde d’acteurs liés entre eux par des relations de commoning), nous voulons explorer comment les systèmes civiques pourraient garantir l’objectif ultime de la prospérité collective. Les droits ne sont qu’un moyen d’atteindre cet objectif, en déclarant un ensemble de droits auxquels les acteurs sont tenus de se conformer. La véritable nature d’un système fondé sur les droits ne se révèle que dans la manière dont les conflits entre les droits des différents acteurs sont résolus.
Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, il est peut-être déjà trop tard pour chercher des remèdes à la violation des droits. Notre hypothèse est que ces droits ont plus de sens lorsqu’ils se manifestent au quotidien plutôt qu’au moment où ils sont réparés. Comme l’explique Paul Powesland, fondateur du River Roding Trust (RRT), dans une interview sur le travail de gestion de cette rivière : « Le RRT et la population locale défendent déjà les droits de la Roding. Je considère la rivière comme une entité sacrée et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour défendre ces droits, que ce soit par le biais de la loi, de campagnes ou d’actions directes. Cela vient de ma conviction profonde que la Roding est sacrée, qu’elle est un être vivant et qu’elle a des droits, et je les défendrai par tous les moyens à ma disposition. »
À ce titre, nous pensons que nous devons créer des systèmes qui encouragent les humains et les non-humains à reconnaître, coordonner et remplir leurs responsabilités et obligations les uns envers les autres dans le cadre d’une pratique continue de gestion responsable. Il s’agit d’une approche mutualiste des droits.
Cette idée mutualiste s’inspire également de ce que nous avons observé lors de notre atelier de cartographie collective de nos liens avec la rivière Don, où chacun s’est mobilisé et a pris ses responsabilités pour faire respecter les droits de la rivière, et a mis en pratique des gestes quotidiens pour soutenir la prospérité collective de la biorégion. Cela incluait non seulement le Don Catchment Rivers Trust, qui a été le moteur des projets de restauration écologique, mais aussi des individus tels que des agriculteurs (qui doivent labourer leurs terres pour les cultiver) qui réfléchissent à la manière de le faire tout en empêchant le ruissellement dans la rivière, ou encore des nageurs et des promeneurs sauvages, dont le plaidoyer et le bénévolat pour améliorer la qualité de l’eau reconnaissent l’interdépendance entre leur plaisir de profiter de la nature et la santé de l’écosystème dont ils dépendent. Dans un contexte où les autorités centralisées ne parvenaient pas à garantir ces conditions pour la prospérité de la rivière, la coalition de citoyens et de groupes civiques a pris le relais, surmontant les frontières juridictionnelles anthropocentriques et le cloisonnement entre les services, et chacun jouant son rôle pour créer les conditions nécessaires.
Nous avons estimé que cette approche des droits nécessite de nouveaux outils d’information, non seulement pour enregistrer et communiquer les droits, mais aussi pour les mettre en pratique de manière coordonnée. L’idée d’une charte et d’une déclaration uniques, applicables par les tribunaux, semblait en contradiction avec notre conception des droits fondés sur des pratiques quotidiennes de gestion mutuelle. Une nouvelle grammaire du contrat social et des droits est nécessaire.
Nous avons été influencés par ce que nous avons appris lors du hackathon de la Fondation Holochain, où nous avons expérimenté avec Arthur Brock, Eric Harris-Braun et Joss Clifford-Frith. Lors du Hackathon, nous avons tenté de créer un outil qui soutiendrait le fonctionnement de ce contrat social mutualiste, en utilisant Holochain. Holochain est un cadre open source pour la création d’applications décentralisées et peer-to-peer. En particulier, ses principes centrés sur l’agent définissent à la fois l’architecture du système et la dynamique sociale émergente des applications basées sur ce cadre, fondée sur la « souveraineté mutuelle » – où les individus ont une capacité d’action mais peuvent s’associer librement en acceptant des règles communes. Cela inclut la souveraineté d’un individu sur son identité et les données qu’il crée, qui sont stockées sur sa propre machine. Mais cela diffère également d’autres approches décentralisées, telles que la blockchain, qui nécessite un consensus mondial pour fonctionner (ce qui a ses propres tendances centralisatrices créant une source unique de vérité). Au lieu de cela, il opte pour des modèles de conception « sans consensus », ne nécessitant qu’un consensus à l’échelle locale impliquant les parties concernées par une transaction donnée.
grammaire rerlationnelle.webp
Voici un exemple (très incomplet) de la manière dont cette grammaire relationnelle pourrait être visualisée dans le contexte d’une rivière.
L’architecture de la technologie correspondait à notre proposition de contrat éco-social. Lors du hackathon, nous avons émis l’hypothèse de structurer ce contrat de manière décentralisée, entre pairs.
Agents (utilisateurs) : il s’agit des utilisateurs humains de l’outil qui participent à l’écosystème de gestion. Ils peuvent le faire en leur nom propre ou représenter des acteurs non humains (par exemple, des plantes, des animaux, etc.) — plus d’informations à ce sujet ci-dessous. (Dans le cadre de Holochain, le terme « agents » désigne uniquement les utilisateurs humains de l’application).
Actants : il s’agit à la fois des humains (y compris les individus et les organisations) et des entités non humaines qui font partie de cet écosystème de gestion responsable. Les actants non humains peuvent être représentés par un ou plusieurs gestionnaires humains qui agissent et utilisent l’outil en leur nom, à l’instar des conseils interespèces.
Relations : elles reflètent nos liens dans l’écosystème de gestion responsable. Ces relations sont par définition bidirectionnelles : elles constituent en fait des droits de la nature réinventés de manière mutualiste. Chaque relation enregistre une condition nécessaire à l’épanouissement d’un actant (son droit) et la manière dont elle est réalisée par les engagements ou les promesses d’autres actants. Si la définition la plus évidente des relations peut être les conditions matérielles nécessaires à l’épanouissement (par exemple, l’habitat, la nutrition), la conception de ce modèle est conçue pour laisser cette question ouverte à d’autres interprétations des relations, qu’elles se concentrent sur des conditions informationnelles, culturelles ou spirituelles, sans catégorisation intentionnelle. Pour nous, l’idée de « promesse » s’appuie sur les normes culturelles relatives à la manière dont les engagements sont pratiqués.
Cette grammaire du contrat éco-social devient une interface relationnelle : elle crée une structure de connaissances de l’écosystème qui est explicitement centrée sur les actants et un registre des relations (plutôt que, par exemple, une carte géographique qui met l’accent sur les territoires et une vision du monde descendante). Cela devient également le fondement d’un moteur d’engagement qui encourage la pratique de ces relations :
Feedback : il s’agit d’une approche éco-centrée inspirée des idées d’écosystèmes autorégulés par des boucles de rétroaction. Dans ce cas, ces boucles de rétroaction sont créées au sein de la structure de connaissances. Tout agent peut soumettre un retour d’information sur n’importe quelle relation : que celle-ci ait été initiée, révisée ou terminée, que les conditions nécessaires à son épanouissement aient été remplies ou non, ou même s’il s’agit simplement de réflexions ouvertes, sous différentes formes, telles que du texte ou des images.
Garantie (Vouching) : Conformément à un système volontaire et non centralisé, la structure des connaissances des relations et de leurs retours (feedback) est également agnostique quant à l’affirmation d’une « source unique de vérité ». La communauté est plutôt autorisée à tirer ses propres conclusions à partir d’une structure de connaissances transparente. Un moyen clé consiste à permettre à d’autres agents de se porter garants des retours fournis, afin de signaler que ces derniers ont été reconnus et vérifiés par des pairs.
Au lieu d’une application centralisée par la contrainte, ce registre ouvert de retours vérifiés[^Ca ressemble beaucoup aux chaines de blocs] par les pairs permet aux différents acteurs d’être tenus responsables de leurs engagements grâce à un examen continu par les pairs et à leur réputation sociale, et encourage également le reste de la communauté à adapter son comportement en conséquence grâce à la signalisation entre pairs. Ce principe repose sur une gouvernance adaptative, où les retours permettent un processus d’apprentissage continu.
Plutôt qu’une charte de droits statique, il s’agit d’un élément « vivant » de l’intelligence collective de l’écosystème, où le moyen d’accord comporte des mécanismes intégrés pour encourager l’auto-conformité.
Accord de gestion vivante : version alpha
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Accord de gestion vivante : version alpha, montrant la carte du réseau de relations, les relations et les commentaires
Sur la base du modèle ci-dessus et de nos engagements auprès de diverses communautés fluviales et écologiques, nous avons créé un prototype fonctionnel de contrat éco-social, que nous appelons « Living Stewardship Agreement » (LSA, accord de gestion vivante). Pour des raisons de facilité d’utilisation (en particulier sur le terrain) et d’itération rapide, nous avons conçu ce prototype sous forme d’application web plutôt que sous forme de Holochain, tout en préservant son esprit décentralisé au niveau social.
Le LSA n’est pas destiné à être imposé à une communauté de manière isolée ; il est plutôt conçu pour être introduit dans le cadre d’une stratégie d’engagement communautaire, avec pour mission de rassembler les acteurs de la société civile afin qu’ils reconnaissent et respectent leurs engagements envers les êtres non humains, afin de concrétiser les droits de la nature.
Afin de présenter le LSA aux communautés, nous avons organisé différents types d’événements publics dans le cadre du projet River Dôn, qui vise à sensibiliser le grand public à la pensée relationnelle. Il s’agit notamment de promenades le long de la rivière, où les expériences incarnées de la nature peuvent être contextualisées par des relations visibles et tacites révélées par des co-animateurs qui possèdent des connaissances écologiques (par exemple, le Don Catchment Rivers Trust). Nous avons également organisé des ateliers, comme indiqué ci-dessus, au cours desquels les parties prenantes cartographient individuellement leurs propres liens avec l’écosystème fluvial et déconstruisent la manière dont leurs propres engagements en matière de soins sont liés aux conditions de prospérité d’autres actants, et vice versa. Au cours de ces engagements, les communautés enregistrent ces relations sur le LSA, jetant ainsi les bases d’un réseau relationnel de leur biorégion.
Une fois le réseau relationnel mis en place, l’interface utilisateur du LSA est conçue pour aider à développer le réseau et encourager la mise en pratique de ses relations et de ses engagements. Les utilisateurs se voient présenter une visualisation (actuellement rudimentaire) du réseau relationnel, montrant les utilisateurs/agents enregistrés dans l’anneau extérieur, les actants humains et non humains qu’ils gèrent, et les relations qui les relient. D’un seul coup d’œil, les nœuds importants de l’écosystème peuvent être évalués intuitivement grâce à la densité des connexions, telles que les relations qui impliquent de nombreux actants ou les actants qui ont un impact sur de nombreux autres.
Avec le développement du LSA, nous espérons explorer différentes méthodes pour rendre intuitifs les réseaux relationnels complexes, qu’il s’agisse de tirer des enseignements généraux de l’analyse du réseau, d’explorer d’autres approches de visualisation ou même d’utiliser l’IA pour « River Storyteller » afin de distiller la dynamique des relations en récits captivants qui aident les citoyens à s’engager dans l’écosystème fluvial dans son ensemble.
Le LSA est conçu pour être utilisé régulièrement par les gestionnaires. Sur la page d’accueil, sous la carte du réseau relationnel, les utilisateurs voient d’abord un fil d’actualité présentant les derniers commentaires sur l’écosystème, ce qui les encourage à les examiner, à les approuver et, s’ils le jugent nécessaire, à prendre des mesures de gestion en réponse, qu’ils peuvent ensuite enregistrer comme commentaires supplémentaires.
Tout utilisateur peut fournir des commentaires, qu’il fasse partie ou non de la relation. Après avoir choisi la relation sur laquelle il souhaite donner son avis, il peut donner un titre à son commentaire et ajouter du texte ou une photo. Il choisit également l’une des catégories de commentaires prédéfinies :
- Signature : un actant de la relation peut ajouter un commentaire « Signature » pour signer son consentement à l’établissement d’une relation. Les gestionnaires humains peuvent également « signer » au nom des actants non humains dont ils ont la charge. Cela permet de valider les relations.
- Manquement : un actant peut signaler que les engagements de la relation ne sont pas respectés, en fournissant des preuves dans le texte ou la photo accompagnant le commentaire.
- Respect : un actant peut signaler que les engagements de la relation ont été respectés, en fournissant des preuves dans le texte ou le contenu photo du feedback.
- Révision : un actant peut proposer une modification de la relation s’il constate que le contexte ou le contenu a changé. Ces modifications peuvent à nouveau être approuvées par un feedback « Signature » des actants concernés.
- Résiliation : contrairement à un commentaire « Signature », si une relation n’est plus active, ce type de commentaire signale l’intention d’un actant de quitter la relation. Une relation dans laquelle tous les actants ont donné un commentaire « Résiliation » peut raisonnablement être considérée comme terminée.
Il est essentiel de noter que le système conserve un enregistrement transparent et complet de tous les retours, mais reste agnostique quant à une « source unique de vérité ». Il permet plutôt à la sagesse collective de la communauté de juger, en se basant sur les retours les plus approuvés et sur les relations qui ont été « signées » par toutes les personnes impliquées.
Les utilisateurs peuvent également développer le réseau lorsqu’ils découvrent des actants ou des relations jusqu’alors inconnus. La section Actants répertorie les actants du réseau. Les utilisateurs peuvent consulter la page de chaque actant, qui répertorie les agents qui gèrent chaque actant. Les utilisateurs peuvent également reconnaître un nouvel actant, lui donner un nom, une photo et inviter d’autres agents à devenir gestionnaires du nouvel actant.
De même, la section Relations affiche une liste de toutes les relations du système et permet aux utilisateurs de consulter la page de chaque relation. Cette page indique les actants qui remplissent les conditions nécessaires à leur épanouissement et les engagements pris par les actants pour réaliser ces conditions. Elle affiche également tous les commentaires enregistrés sur une relation et permet à l’utilisateur d’en ajouter d’autres. Les utilisateurs peuvent également reconnaître une nouvelle relation, où le nom de la relation, la condition et les engagements de prise en charge, ainsi que les actants impliqués sont enregistrés.
L’utilisation de l’outil permet d’enregistrer l’évolution des connaissances de la communauté sur un écosystème à travers le prisme des relations. Cela permet de constituer progressivement un précieux corpus d’intelligence collective qui façonne la réponse de gestion des individus et du collectif, et qui peut être utilisé pour des applications futures, telles que la science citoyenne, la recherche ethnographique ou la formation d’une IA conteuse.
Test en contexte et applications plus larges
Nous avons commencé à le tester avec des communautés en contexte, afin de valider notre hypothèse selon laquelle un outil qui rend les relations et les engagements tangibles soutient la gestion de l’écosystème de manière holistique, tout en permettant l’auto-coordination au sein d’un bien commun illimité.
Pour commencer les tests, nous cherchons à établir des partenariats avec des communautés de gestion écologique qui fonctionnent selon cette caractéristique. Cela inclut des discussions préliminaires avec des organisations telles que Cody Dock, basée dans la Lower Lea River, qui se compose à la fois d’une petite équipe dédiée à la biodiversité et à l’environnement et d’un groupe plus important mais temporaire de bénévoles qui participent à des degrés divers et réguliers. Ils espèrent que la LSA, en servant de source d’information sur les engagements et les actions des différentes parties prenantes, pourra soutenir et coordonner leurs activités de gestion au sein de cette communauté peu structurée.
Une autre communauté avec laquelle nous sommes impatients de travailler est Surge Cooperative, où un groupe de résidents vivant sur (par exemple, des péniches amarrées dans des mouillages communautaires) ou à proximité de la rivière Channelsea à Newham, Londres, s’engage auprès d’un public diversifié mais fluide à travers des événements réguliers de « rassemblement écologique » qui combinent pratique artistique et conservation, et gère collectivement les zones autour de la rivière, y compris le Long Wall Ecology Garden.
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L’approche de la LSA reconnaît que les communautés de gestion écologique possèdent des connaissances profondes et diverses sur leur rivière locale et ont la capacité de mener des actions de restauration sensibles. Mais ces connaissances sont réparties de manière inégale, en fonction de la profondeur et de la durée de l’engagement des membres dans la communauté. Cela signifie également que la coordination des activités de gestion dépend souvent de quelques acteurs principaux et que les connaissances collectives sont très vulnérables aux allées et venues des membres de la communauté. Ce partenariat reconnaît que pour encourager la restauration et la défense de la rivière par la communauté, il faut un espace pour partager les connaissances et établir une culture de gestion résiliente et largement répandue. Le LSA, qui s’inscrit dans une approche participative plus large, peut devenir cet espace numérique, approfondissant l’interconnexion de la communauté avec les cours d’eau et les environnements, ainsi qu’entre ses membres, grâce à un processus collectif de compréhension et de cartographie de leurs interrelations.
Surge Cooperative prévoit que l’accord de gestion vivante sera un lieu où seront consignées les connaissances tacites détenues par tous les membres de cette communauté qui ont différents niveaux d’engagement envers la rivière. Surge Cooperative s’intéresse particulièrement à la possibilité que le LSA devienne un lieu collectif pour les « données denses » ou « chaudes » sur la rivière Channelsea générées par les commentaires des acteurs, reconnaissant la valeur des contextes sociaux, des émotions, des significations et des histoires qui existent autour de l’écosystème. Après tout, nous pensons que donner un sens à sa place dans l’écosystème est un défi social et culturel qui va au-delà du simple défi scientifique, en particulier dans un environnement urbain artificiel tel que la rivière Channelsea. C’est à travers cette construction sociale du sens que nous pouvons véritablement ancrer une culture de la gestion responsable.
Surge Cooperative testera le LSA à long terme au cours de l’année à venir, pendant au moins six mois. Elle espère que l’intelligence collective ainsi générée pourra soutenir ses négociations visant à formaliser des rôles de gestion avec les acteurs institutionnels autour de la rivière. L’exemple le plus marquant est celui de la Surge Cooperative, qui a obtenu une « ordonnance Tomlin » historique de la part du tribunal, lui accordant le droit de négocier l’accès aux espaces fluviaux avec l’Autorité portuaire de Londres, propriétaire du lit de la Channelsea, en vue d’une gestion conjointe. L’intelligence collective accumulée grâce au processus participatif d’utilisation de la LSA peut servir de base factuelle pour évaluer l’impact de leur gestion et éclairer l’élaboration conjointe, dans les mois à venir, de plans de gestion adaptés aux capacités de la communauté.
Ce sera également l’occasion pour nous de tester l’approche LSA de manière longitudinale avec une communauté, et nous recueillerons des commentaires au cours du processus afin d’alimenter les prochaines versions de la LSA et sa feuille de route stratégique. Nous aimerions en particulier voir comment la LSA a changé la façon dont les individus perçoivent leur place dans le réseau d’interdépendance de l’écosystème, leur rôle de gestion et, en fin de compte, leurs actions. Nous aimerions également explorer dans quelle mesure le partage d’informations et les incitations prosociales du moteur d’engagement encouragent et soutiennent les activités de gestion responsable. Nous espérons mener et publier cette recherche en collaboration avec le Dr Sharon Prendeville de l’université de Loughborough, qui nous a mis en relation avec Hannah White et Stephen Shiell (cofondateurs de Surge Cooperative), afin de maximiser son impact non seulement dans ce domaine de l’eau, mais aussi dans le débat plus large sur les systèmes socio-écologiques.
Au-delà des communautés de gestion écologique, nous explorons également comment la structure relationnelle de la LSA peut être utilisée dans divers contextes où une réorientation de l’accent mis sur les frontières vers les relations peut également favoriser des résultats plus génératifs. Il s’agit notamment
Contrats climatiques pour les villes : en s’appuyant sur les travaux antérieurs de Dark Matter Labs avec Viable Cities en Suède, la LSA peut être utilisée comme un registre numérique ouvert pour enregistrer les engagements civiques des citoyens envers d’autres acteurs afin de soutenir la transition climatique, les boucles de rétroaction du moteur d’engagement contribuant à la responsabilisation individuelle, collective et publique.
Déclaration d’utilisation intentionnelle des petits exploitants agricoles : dans le cadre de notre travail avec la Scottish Land Commission, nous avons identifié comment la notion d’« utilisation intentionnelle » des petits exploitants agricoles se concentre actuellement sur le respect des exigences de la Croft Commission. En utilisant le LSA comme registre permettant aux crofters de déclarer eux-mêmes comment leur « utilisation à des fins utiles » des terres profite aux relations plus larges du croft, cette approche s’appuie sur la nature très soudée des communautés rurales et modifie la dynamique de conformité pour la transformer en engagement, encourageant la reconnaissance par les pairs et le partage des connaissances au sein de la communauté des crofters, créant ainsi une riche source de données pour articuler la valeur ajoutée du crofting.
FreeLand et FreeHouse : Une opportunité de passer de la propriété privée à l’auto-propriété consiste à reconnaître les nombreuses relations qui existent autour de la terre et de la maison. Le LSA peut permettre à ces relations et à ces engagements d’être mis en pratique de manière peer-to-peer, avec une responsabilité distribuée, au-delà de la gouvernance limitée associée aux structures traditionnelles, qui reposent sur des adhésions fixes qui fragmentent et diluent la propriété (par exemple, conseils d’administration, fiduciaires, comités, etc.) plutôt que de la supprimer.
Si vous vous trouvez dans un contexte où une approche de gouvernance relationnelle et fondée sur l’engagement peut être soutenue par le LSA, ou si vous pouvez imaginer d’autres applications, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse radiclecivics@darkmatterlabs.org !
Rédigé par Calvin Po avec Fang-Jui « Fang-Raye » Chang, intégrant des idées d’Alexandra Bekker, Indy Johar, et présentant le travail de Shu Yang Lin et Gurden Batra dans la construction du premier prototype. Nous tenons à remercier tout particulièrement Arthur Brock, Eric Harris-Braun et Joss Clifford-Frith pour avoir prototypé cette idée avec nous, ainsi que James Lock, Alban Krashi, le Festival of Debate, Sharon Prendeville, Hannah White et Stephen Shiell pour avoir exploré avec nous les possibilités d’application de la LSA dans leurs contextes respectifs.