Alliance pour le commerce intelligent

La technologie joue un rôle essentiel dans le nouveau monde du commerce international

HENRI-PAUL ROUSSEAU
Délégué général du Québec à Paris

Technology will play a vital role in this brave new world of international trade

The Globe and Mail
11 avril 2025

S’il est impossible de prédire les prochaines actions de l’administration de Donald Trump – et encore moins leurs pleines conséquences – il est clair que le commerce mondial et les relations géopolitiques internationales font face à un bouleversement radical.

En fin de compte, les États-Unis redécouvriront les limites de l’autosuffisance, tout comme leurs partenaires historiques réalisent à quel point il est difficile de réduire rapidement leur dépendance à l’égard des États-Unis.

Le commerce international restera essentiel, car l’autarcie n’est tout simplement pas une option. Mais il n’y aura pas de retour en arrière. Il sera de plus en plus réglementé, avec des restrictions sur certains partenaires commerciaux et sur l’origine des produits pour des raisons géopolitiques. Dans un monde où les chaînes d’approvisionnement sont mondialisées et intégrées, il sera impossible de retracer l’origine d’un produit sans un accès complet aux données retraçant son parcours, ainsi que celui de ses composants, de la production à la distribution.

Les pays qui négocient avec les États-Unis auront besoin de bases de données transparentes et fiables pour prouver la traçabilité de leurs chaînes d’approvisionnement. La rupture provoquée par l’administration Trump offre en réalité aux pays occidentaux une opportunité unique : la création de ce que j’appellerais une Alliance for Smart Trade ( AST).

L’AST comprendrait les 27 pays de l’UE, ainsi que plusieurs pays européens non membres de l’UE (par exemple, la Grande-Bretagne, la Suisse, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Corée du Sud et le Canada). Des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine pourraient également y adhérer.

Si la dépendance des pays occidentaux à l’égard des États-Unis en matière de défense et de sécurité est souvent soulignée, leur dépendance numérique est encore plus grande. La création d’un système de traçabilité national et international à partir de zéro dans une quarantaine de pays serait d’un coût prohibitif, techniquement complexe et difficile à mettre en œuvre dans toutes les industries et pour tous les produits. Une solution plus réalisable consiste à numériser les systèmes existants de collecte de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), comme la taxe sur les biens et services au Canada.

La numérisation de ce système devrait suivre des normes d’architecture numérique communes à tous les pays. Ces normes permettraient de numériser l’activité économique et d’assurer un partage sécurisé et normalisé des données, tout en préservant la confidentialité et la compétitivité des particuliers et des entreprises. La protection de la vie privée et des données commerciales doit faire partie intégrante de la conception d’une telle plateforme.

Tous les membres proposés de l’AST s’appuient déjà sur la TVA pour la collecte des recettes, ce qui en fait des candidats idéaux pour la mise en œuvre de cette solution numérique.

L’Alliance pour le commerce intelligent doterait ainsi les pays membres d’infrastructures numériques nationales et internationales capables de suivre toutes les transactions au sein de leurs économies et entre elles. Nombre de ces pays utilisent déjà des systèmes de traçabilité dans le secteur alimentaire à des fins de santé publique, ce qui rend le concept familier et applicable.

Dans un système numérisé, les taxes sont automatiquement payées aux autorités au moment de la transaction, et les vendeurs sont instantanément crédités des taxes payées aux fournisseurs. En tant que système basé sur la TVA, le registre numérique fournit également un accès immédiat aux informations sur l’origine nationale et étrangère de tous les intrants utilisés dans un produit ou un service donné.

Cette infrastructure offrirait donc aux acteurs publics et privés une plateforme numérique partagée qui faciliterait le commerce national et international, tout en garantissant la traçabilité.

Plus important encore peut-être, cette infrastructure numérique jetterait les bases de systèmes d’informatique en nuage et de centres de données à grande échelle, non américains, libérés des contraintes juridiques américaines telles que le Patriot Act et le Cloud Act. Ces lois donnent aux autorités américaines le droit d’accéder à toutes les données stockées dans des systèmes en nuage appartenant à une entreprise américaine, même si celle-ci opère en dehors des États-Unis. L’infrastructure AST mettrait la souveraineté numérique à portée de main.

Les avantages du commerce intelligent et de la souveraineté numérique seraient indéniables – non seulement pour les membres de l’AST qui ont besoin de diversifier leur commerce international, mais aussi pour l’économie mondiale, y compris les États-Unis. En menant la transition numérique, ces pays renforceraient le commerce international tout en réduisant les risques de dépendance liés à la sécurité, à la santé et à la résilience de la chaîne d’approvisionnement.

Dans un monde où les politiques réglementaires, fiscales et environnementales entravent souvent le commerce, le commerce intelligent est la clé de la croissance économique. Il constitue une réponse viable aux politiques néo-mercantilistes dépassées de M. Trump tout en offrant une opportunité de rendre les économies plus compétitives, diversifiées et intégrées au niveau mondial.L’Alliance pour le commerce intelligent peut sembler un projet ambitieux, mais la situation actuelle exige des solutions pratiques soutenues par des projets qui doivent être proportionnés aux défis auxquels nous sommes confrontés avec cette crise. Nous espérons que l’objectif d’une telle alliance et sa mise en œuvre pratique pourront être discutés lors de la prochaine réunion du G7 (G6 ?) à Kananaskis, en Alberta, en juin.