Quel avenir pour le mouvement communautaire ? (document PDF, 22 pages; extrait vidéo 21 min.) C’est la question que se posaient quelques 125 personnes lors d’une rencontre organisée le 5 mai dernier par le RIOCM et la FOHM, où, entre autres, Louis Favreau et Lorraine Guay tentaient de répondre à la question.
Incidemment, c’est sur le nouveau carnet de Louis Favreau que j’ai appris (ou qu’on m’a rappelé) la tenue de ce colloque. Un carnet qui rassemble articles et conférence de ce professeur de travail social, responsable de la Chaire de développement des collectivités à l’Université du Québec à Hull.
Mais revenons au colloque du 5 mai 2009…
À lire ou entendre certains discours communautaires s’opposer à la professionnalisation, qu’on associe curieusement à la standardisation; refuser tout contrôle de l’État tout en demandant reconnaissance et financement; se distancer de toute « responsabilité populationnelle »… une personne qui n’est pas « du milieu » pourrait ne percevoir que du corporatisme, ou une forme d’étroitesse plutôt éloignée de l’image d’un communautaire accueillant, inclusif… Il est peut-être bon de se rappeler ce que ces positions ont, historiquement, de justifiées, même si elles apparaissent à première vue contradictoires.
Plusieurs secteurs du monde communautaire doivent leur origine aux limites et à l’inflexibilité des services professionnels et publics de l’époque. Notamment dans le domaine de la santé mentale où après avoir enfermé « les fous », on les a mis à la rue, pour ainsi dire… où les « soins » proposés par les institutions publiques et corps médicaux spécialisés n’étaient pas très subtils ni souples…
Centres de femmes, centres de jeunes, groupes d’aînés, groupes d’entraide de toutes sortes se sont développés comme des mouvements identitaires, faisant connaître et reconnaître des problématiques, mais aussi des sujets sociaux qui étaient jusque là délaissés par les acteurs dominants, dont les pouvoirs publics. De nouveaux acteurs sociaux qui ont exigé droit de parole, puis droit d’exister, d’avoir des lieux de rencontre et d’expression, des services adaptés, compréhensifs de leurs différences, de leurs besoins particuliers. Une prise en compte, reconnaissance qui fut d’autant plus « enthousiaste » que cette démarche recelait des trésors de créativité, de mobilisation de pouvoirs, de croissance et de développement pour des populations que l’approche traditionnelle soit confinait au rôle de « patient » et d’assisté, soit ne voyait tout simplement pas. De plus, beaucoup de ces ressources ont vu le jour durant des périodes de chômage endémique, où les programmes gouvernementaux préféraient soutenir l’expérimentation et l’activité significative plutôt que de laisser des masses de chômeurs s’incruster dans l’inactivité. Cette « reconnaissance » du mouvement communautaire s’est aussi particulièrement déployée après la fin des « trente glorieuses », cette période de développement économique rapide et de croissance des services et institutions publiques caractéristique des 3 décennies d’après-guerre (1945-75). Trente glorieuses qui furent suivies par 30 années de périodes de crises (énergétique, délocalisation, crises boursières, chômage de longue durée…). Les « solutions » des gouvernements d’occident devant ces crises prolongées ont parfois pris la forme d’un néo-libéralisme cru (Tatcher-Reagan-Mulroney) où les règles du marché devaient résoudre les problèmes (supposément) engendrés par l’étatisme trop poussé des périodes précédentes… ou encore par un renouvellement de la doctrine social-démocrate (Giddens-Blair-Bouchard) qui tente de tracer une « troisième voie » entre le capitalisme et le socialisme (ou l’ancienne social-démocratie).
Les ressources communautaires ont su utiliser les différents programmes (création d’emplois, mesures d’employabilité puis programmes plus ciblés, adaptés à des objectifs sociaux précis) pour résister, survivre et se développer. Le mouvement a su faire reconnaître sa nature et l’intérêt que représente le respect de son autonomie du point de vue démocratique et des politiques publiques.
Mais si pour défendre son autonomie il faut miner la légitimité des institutions publiques et démocratiques… c’est un peu comme de scier la branche sur laquelle on est assis.
Quelques mots sur les 3 principales conférences de ce colloque du 5 mai. Lorsque George Lebel, prof de sciences juridiques à l’UQAM, en appelle aux idéaux de la Révolution bourgeoise contre la « bien petite bourgeoisie québécoise », parce que celle-ci serait trop portée sur la concertation et le partenariat… on retrouve bien là un certain discours syndical, où le tiers-secteur n’a pas lieu d’être… où il n’y a de solution qu’étatique, alors que, justement cet État est décrié comme cherchant à se libérer de ses responsabilités en contractant au communautaire le travail, tout en gardant le contrôle. Qu’est-ce que veut M. Lebel, alors ? Une seule et unique fonction publique, seule garante d’un service universel, accessible et de qualité. Autrement dit, M. Lebel répond à la question du colloque (Le communautaire a-t-il un avenir ?) en suggérant que le seul avenir possible, le seul qui compte si on ne veut pas faire le jeu d’un État néo-libéral, c’est de joindre les rangs du secteur public et (on présume) d’élire un gouvernement de gauche. Mais quelle gauche ?
L’intervention de Lorraine Guay, fondée en bonne partie sur sa longue expérience dans le mouvement communautaire en santé mentale, me semble plus nuancée et intéressante : elle reconnaît une certaine utilité à la professionnalisation des services, notamment dans les CPE (une « récupération souhaitable »). Elle se distancie des raccourcis sur la privatisation et le désengagement de l’État pour définir la création des ressources communautaires comme « un élargissement de la sphère publique ». Elle ose même critiquer certains courants populistes au sein du mouvement communautaire, qui remettent en cause la nécessité d’un État, ce dernier « garant de droits et de grandes missions constitutives de cohésion sociale (justice, santé éducation, culture) ». Elle en appelle d’une position non dogmatique du mouvement communautaire (« être à une table de planification une journée et dans le rue le lendemain »), d’une position ouverte vers un mouvement communautaire citoyen qui saura non seulement poser la question de son avenir, mais de l’avenir de la société québécoise, l’avenir du monde. Une approche que je trouve « rafraichissante » en regard des réflexes trop souvent défensifs de ceux qui ne veulent surtout pas partager la « responsabilité populationnelle » avec le secteur public.
Quant à Louis Favreau, dont on retrouvera l’intervention in extenso sur son carnet (résumée dans le document du colloque), il tente de poser la question de l’avenir du mouvement communautaire dans le contexte d’une discussion générale sur les relations entre l’État et les mouvements sociaux. Bien que je trouve sa réflexion engageante sur plusieurs aspects, il y a au moins deux dimensions qui me semblent critiquables. La première concerne sa manière d’opposer mouvements sociaux et groupes d’intérêts. Comme si les mouvements sociaux n’étaient pas toujours porteurs d’intérêts, défenseurs de groupes identitaires. S’il peut y avoir des différences entre mouvements identitaires (jeunes, femmes, gays…) et mouvements de « mobilisations de ressources », les deux types de mouvements sont porteurs d’intérêts. Mes sources à ce niveau ne sont plus très jeunes, mais elles me semblent encore solides (Cohen et Arato, 1994).
Mais c’est surtout de sa manière d’opposer militants et professionnels, et de donner ainsi crédit à une critique à courte vue de ce qu’on appelle « la professionnalisation » dans les (ou des) groupes communautaires, que je tiens à me distinguer.
Opposer militantisme et professionnalisme, de façon quasi ontologique, irréconciliable, nous empêche de (bien) poser un certain nombre de questions qui sont au coeur des enjeux sociaux d’aujourd’hui et de demain, des questions dont la complexité ou la qualité exigent d’être portées par des professionnels ET des mouvements citoyens. Je pense ici aux enjeux liés au nouvel urbanisme, au développement régional, à l’écologie et au virage énergétique… mais aussi à de plus vieilles questions que cet « anti-professionnalisme » nous empêche d’aborder : la transformation du réseau de santé primaire… Dans la même veine, le discrédit jeté sur l’institutionnalisation masque le fait que les avancés et les gains sociaux prennent parfois, souvent cette forme (nouvelles institutions, nouvelles lois, règlements…). C’est une manière de sortir du précaire, de la mode et la volatilité du mouvement (et la motilité des gouvernements) pour garantir une certaine stabilité dans la réponse, la valorisation de certaines pratiques, de certaines réponses à des besoins sociaux. Mais pourquoi donc en sommes-nous à réaffirmer de telles évidences ?
Tous les mouvements ne méritent pas d’être institutionnalisés, toutes les pratiques professionnalisées. De là un nécessaire débat démocratique et public. Mais il n’y a pas de honte à voir reconnues au point d’être institutionnalisées certaines pratiques sociales. Cela devrait être célébré ! C’est une victoire, non ?
Oui, de telles victoires ont rarement le goût de la « victoire finale »… Il s’y glisse des « odeurs de compromis ». Mais compromis n’est pas compromission ! Il faut savoir reconnaître les acquis, les gains à long terme et permettre ainsi un déplacement de la mobilisation citoyenne vers de nouveaux enjeux, de nouveaux moments instituant.
Il y a quelque chose d’un cul de sac à vouloir maintenir à tout prix un caractère de mouvement social à des pratiques qui n’ont plus nécessairement à l’être. Et puis, ce n’est pas de la professionnalisation qu’il faut se méfier mais du manque de professionnalisme, de la « salarisation » à bon marché conduisant à la déqualification de ce que l’action volontaire portait de nouveau et de bon. Ce risque est particulièrement présent lorsque l’action salariée doit s’appuyer sur des programmes conçus à d’autres fins (employabilité, formation, réinsertion sociale…).
Une question très peu soulevée dans ce débat concerne la place des volontaires, des « bénévoles »… des citoyens engagés. On parle des militants qui deviennent experts, puis salariés-professionnels… mais est-ce qu’une des qualités de ces professionnels du monde communautaire n’est pas, ne devrait pas être, cette capacité de travailler avec, d’orchestrer l’action de citoyens, jeunes, familles, aînés… pas nécessairement en tant que « militants » partisans d’une cause, mais parfois, simplement, en tant que voisins, citadins, démocrates, parents… responsables ? Une telle capacité d’action exige des qualités, de l’expérience et de l’assurance qui semblent parfois incompatibles avec les conditions de précarité trop souvent imposées aux ressources communautaires.
Le mouvement communautaire a-t-il un avenir ? Certainement ! Mais son avenir sera d’autant plus brillant et prometteur si nous cessons d’enfermer le mouvement dans les programmes qui le financent et maintenons une ouverture sur la citoyenneté apte à soulever les questions d’aujourd’hui et de demain sans séparer le cerveau gauche du droit… sans opposer les ressources professionnelles et institutionnelles et la volonté citoyenne, mais bien plutôt en relevant le défi d’un dialogue, d’une chimie à inventer.
Ce débat n’est pas clos… il y aurait tant de choses à dire encore. Mais j’y reviendrai. Je vous incite seulement, pour l’instant à lire ces quelques textes… et peut-être participer au débat !
D’autres lectures, pour poursuivre la réflexion, notamment pour les organisateurs des CSSS :
- Apports de l’organisation communautaire en CSSS aux nouvelles infrastructures communautaires de développement des communautés.Par René Lachapelle et al. 2009, 64 pages
- Transversalité et concertation : entre facteur de développement ou d’enfermement des initiatives locales. Denis Bourque, 2009. Pour un développement sur ce thème : Concertation et partenariat. Entre levier et piège du développement des communautés.
Je n’ai pu m’empêcher dans le cadre de cette réflexion de revenir à ce deuxième colloque du RQIIAC, tenu à Montréal en 1990. Bientôt 20 ans ! Le thème de ce colloque était : L’avenir est au communautaire, mais où va l’avenir ? Je n’ai pu m’empêcher, non plus, de relire cette intervention, faite en tant que président sortant du RQIIAC, lors de la plénière d’ouverture : Garder le cap sur l’essentiel.
Les temps changent… mais pas tant que ça !
Gilles Beauchamp, 3 août 2009
Texte publié d’abord comme billet. Des commentaires y ont été laissés.