L’Europe a besoin d’espace et de ressources, le Canada a besoin de personnes. Passons un accord
Why Canada should join the EU Europe needs space and resources, Canada needs people. Let’s deal
The Economist
En matière de conflits internationaux, aucun n’a aussi peu perturbé l’ordre mondial que les « guerres du whisky » qui ont opposé le Canada au Danemark pendant quatre décennies. Cette querelle improbable, qui a éclaté en 1984, concernait une île d’un kilomètre carré située au milieu d’un canal glacé de l’Arctique et marquant la frontière entre le Groenland (aujourd’hui partie autonome du Danemark) et le territoire canadien du Nunavut. Les deux parties considéraient que le rocher leur appartenait. Ce qui aurait pu être considéré comme un casus belli par des pays moins importants est devenu, pour le duo nordique, un exercice de civilité diplomatique. Les fonctionnaires canadiens en visite sur l’île ont marqué leur territoire en laissant du whisky et des drapeaux ; les Danois ont affirmé leur souveraineté en s’emparant de l’alcool et en laissant leur propre schnaps à la disposition des Canadiens. Au lieu de coups de feu, des lettres polies sont parfois échangées. Lorsque la querelle est devenue lassante, un groupe de travail a passé des années à se mettre d’accord pour diviser l’île en deux, mettant ainsi fin à toutes les hostilités en 2022.
Avec de tels ennemis, qui a besoin d’amis ? Il s’avère que l’Europe et le Canada pourraient être à la recherche d’alliances améliorées. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le 20 janvier, s’accompagne de la perspective de tarifs douaniers et d’une fanfaronnade chauvine. Les nerfs sont à vif des deux côtés de l’Atlantique Nord. Les pays en marge de l’Union européenne repensent leurs liens avec le club. La Suisse a accepté une alliance plus étroite et l’Islande organisera un référendum en 2027 sur son adhésion. Le Groenland, qui a quitté l’UE en 1985 après avoir obtenu l’autonomie du Danemark, pourrait envisager de la rejoindre, compte tenu de l’obsession de M. Trump à son égard. Mais c’est peut-être le Canada qui a le plus de raisons de s’inquiéter. M. Trump harcèle son voisin en suggérant qu’il est sur le point de devenir le 51e État américain et en qualifiant son premier ministre de « gouverneur Justin Trudeau ». Des fonctionnaires d’Ottawa et des capitales de l’UE ont échangé des notes sur la manière de gérer un nouvel épisode de M. Trump.
Charlemagne, qui jouit d’un héritage à la fois européen et canadien, a une solution toute prête pour résoudre les problèmes des deux pays : l’UE devrait inviter le Canada à devenir son 28e membre.
Les arguments (pas tout à fait simples) en faveur du Canada datent d’avant M. Trump. En bref, le Canada est vaste et doté de ressources naturelles, mais relativement peu peuplé, tandis que l’UE est petite, exiguë et pauvre en minerais. Certes, les règles de l’UE réservent l’adhésion aux « États européens ». Pourtant, malgré un attachement résiduel à l’esprit pionnier, les Canadiens peuvent être considérés comme des Européens honoraires. Le pays a connu trois vagues de colonisation en provenance du vieux continent, à commencer par une brève incursion des Vikings.
Comme les Européens, les Canadiens pensent que les marchés fonctionnent, mais qu’ils doivent être tempérés par des États-providence. Leurs gouvernements proposent des solutions similaires à leurs citoyens : des impôts élevés, une politique parlementaire désordonnée (le Canada pourrait bientôt avoir un nouveau « gouverneur », compte tenu de l’impopularité de M. Trudeau) et un bon niveau de vie pour la quasi-totalité de la population. Les deux pays commercent ouvertement, s’inquiètent du réchauffement climatique et n’aiment pas les armes à feu, la peine de mort et l’agression russe.
Mais l’Europe a plus à gagner d’un rapprochement avec le Canada que de l’accès aux réserves stratégiques de sirop d’érable du Québec. Les Européens peuvent être convaincus de l’intérêt de l’élargissement par la perspective de voir leur union tripler sa superficie tout en ajoutant seulement 40 millions de Canadiens à une population de 440 millions d’habitants. L’UE passerait d’une densité de population proche de celle de la Chine à celle de l’Amérique, à condition que suffisamment de Grecs ou de Belges se portent volontaires pour vivre dans des conditions plutôt froides. L’Europe manque également d’énergie ; le Canada possède beaucoup de pétrole, de gaz et d’énergie hydraulique. Un nouveau membre riche aiderait les finances de l’Union européenne.
La France, historiquement réticente à l’élargissement de l’UE, sauterait sur l’occasion d’accueillir un nouveau membre francophone – même si elle pourrait se contenter d’accueillir le Québec francophone, qui marmonne à nouveau l’idée de faire sécession. Accueillir le roi Charles III, le chef d’État canadien, aux conférences de l’UE plairait à ceux qui pleurent encore le Brexit. Les Européens pourraient apprendre du Canada comment autoriser l’immigration de manière à ce que la population l’accepte plutôt qu’elle ne la tolère, même si la pénurie de logements a récemment ébranlé ce consensus. La manière dont le Canada traite ses populations autochtones, du moins au cours des dernières décennies, pourrait être imitée par les Européens (même si les Premières nations canadiennes pourraient à juste titre s’opposer à des liens plus étroits avec d’anciens colonisateurs). Les liens du Canada avec le Pacifique, en partie grâce à d’importants flux migratoires en provenance d’Asie, compléteraient l’orientation régionale de l’Europe. L’euro paraîtrait beaucoup plus global s’il était accepté à Vancouver.
L’Europe a quelques leçons à donner au Canada, qui pourrait faire valoir les avantages de l’adhésion à l’UE auprès de sa propre population. Le mécanisme antitrust de Bruxelles a fait du bon travail pour maintenir une concurrence dynamique dans des domaines tels que la banque, les compagnies aériennes et les télécommunications, ce qui permet aux Européens de bénéficier d’un meilleur traitement que celui dont bénéficient les Canadiens. Les pays de l’UE ont trouvé le moyen de créer un marché unique (aussi imparfait soit-il) qui facilite les échanges entre eux, alors qu’il est souvent plus difficile pour les entreprises canadiennes de commercer entre les 13 provinces et territoires de leur propre pays. Les membres européens de l’OTAN dans leur ensemble dépensent aujourd’hui plus de 2 % de leur PIB pour la défense, atteignant ainsi l’objectif fixé par l’alliance en 2014. Le Canada, quant à lui, ne consacre qu’un maigre 1,4 % de son PIB à la défense.
Sirop d’érable et gaufre belge
Hélas, l’Europe insiste toujours sur le fait que l’UE est réservée aux Européens. Le Canada serait réticent à rejoindre une union douanière qui mettrait en péril ses liens commerciaux vitaux avec l’Amérique. Mais bon. Si le CanadEU reste une expérience de pensée géopolitique, cela n’empêche pas une relation de plus en plus étroite. Le Canada participe déjà à plusieurs projets européens, tels que la mobilité militaire et les voyages spatiaux. Il est possible d’aller plus loin : Le gaz canadien ne peut pas atteindre les côtes de l’UE en raison d’un manque d’infrastructures de transport de GNL. L’accord commercial entre le Canada et l’UE, promulgué en 2017, est le plus ambitieux de l’Union, mais il reste d’application « provisoire » ; dix pays de l’UE doivent encore ratifier ses mesures les plus ambitieuses. À défaut de faire entrer le Canada dans le club, les Européens pourraient commencer par faire passer cet accord. ■