Extrait de Les femmes et la représentation parlementaire, par Manon Tremblay dans Social-démocratie 2.0 – Le Québec comparé aux pays scandinaves, dir. : Stéphane Paquin et Pier-Luc Lévesque.
« Si la participation des femmes aux rouages de la politique législative résulte d’une conjoncture alliant des facteurs culturels, socioéconomiques et politiques, l’idée que j’ai cherché à faire valoir est que les explications qui puisent aux facteurs politiques sont les plus convaincantes. En effet, sur les plans culturel et socioéconomique, le Québec et les pays nordiques se ressemblent à maints égards. Certes, la portée de ces facteurs sur la proportion de femmes à l’Assemblée nationale du Québec reste à préciser par d’autres travaux mais, de prime abord, ils ne semblent pas féconds pour expliquer l’écart entre la proportion de femmes au Parlement du Québec et dans ceux des pays nordiques. En effet, le Danemark, a Finlande, l’Islande, la Norvège, le Québec et la Suède baignent dans une culture égalitaire et, sur le plan socioéconomique, ils comptent parmi les communautés politiques les plus privilégiées du monde; et, pourtant, le Québec affiche un Parlement moins féminisé que ceux des pays nordiques (quoique l’écart soit moins prononcé avec le Danemark). En revanche, les facteurs de nature politique, notamment ceux qui concernent les institutions, semblent recéler un potentiel explicatif plus convaincant quant au déficit de représentation qui frappe les Québécoises.
« Trois facteurs politiques de nature institutionnelle ont été examinés: le mode de scrutin, le système de partis et les partis politiques, auxquels se sont ajoutées les mobilisations du mouvement féministe sur le terrain électoral. Alors que dans les pays nordiques, le multipartisme, un clivage entre la droite et la gauche, ainsi qu’un effet de contagion sur les partis traditionnels de politiques progressistes portés par de petites formations de gauche semblent avoir contribué à l’élection des femmes en politique, rien de tout cela ne s’est manifesté au Québec.
« Mais le facteur institutionnel qui semble le moins contribuer à la réalisation du rêve de ces Québécoises qui aspirent être députées est le mode de scrutin majoritaire, et tout particulièrement son composant uninominal qui se traduit par une joute à somme nulle dont plusieurs femmes font les frais. Finalement, rien ne laisse croire que les mobilisations des Québécoises sur le terrain de la politique électorale aient connu l’ampleur et les succès de celles de leurs vis-à-vis des pays nordiques, notamment des Islandaises, des Norvégiennes et des Suédoises.
« La question se pose alors de savoir si l’adoption par le Québec d’un mode de scrutin comportant un volet proportionnel pourrait contribuer a ce que plus de femmes siègent à l’Assemblée nationale. Je me suis déjà prononcée à quelques reprises sur cette question (voir, entre autres, Tremblay, 2005a: 265-276, 2005b), m’appuyant notamment sur Farrell
(2001: 167) pour qui «… it is not the electoral system which is at fault for the under-representation of women in parliaments, so much as the party selection committees ». En d’autres mots, l’accroissement de la proportion des femmes en politique passe moins par une réforme du mode de scrutin que des partis politiques et, surtout, du principe de la joute à somme nulle qui encadre la sélection des candidatures aux élections législatives. Certes, les modes de scrutin proportionnels comportent rarement des districts uninominaux et presque toujours des districts plurinominaux, minimisant ainsi les effets délétères pour les femmes du principe de la joute à somme nulle[^Ce que je gagne, l’autre le perd]. Des solutions sont pourtant possibles dans le cadre du mode de scrutin majoritaire et uninominal utilisé au Québec. Par exemple, il est possible pour la direction nationale d’une formation politique de voir à ce qu’un nombre égal de candidates et de candidats portent ses couleurs le jour du scrutin, comme cela s’est vu dans le cas de Québec solidaire aux scrutins provinciaux de 2007, 2008 et 2012. Il est aussi possible d’instituer des cibles de représentation de groupes minoritaires désignés, comme l’a fait le Nouveau Parti démocratique sur la scène fédérale. Il est également possible pour le législateur d’offrir aux partis politiques des incitatifs afin que plus de candidates briguent les suffrages, comme l’avait proposé le gouvernement libéral dans le cadre des plus récents scénarios de réformes électorales. Toutefois, la mise en pratique de ces mesures exige une réforme en profondeur des partis politiques, et surtout de la logique guerrière qui anime la sélection des candidates et des candidats aux élections législatives (particulièrement dans les circonscriptions les plus compétitives). Une telle réforme peut se faire attendre longtemps sans des pressions de la société civile, et notamment du mouvement féministe, qui seraient ressenties par les partis comme de véritables menaces électorales, à l’exemple de ce qui est survenu en Islande et en Suède. Si le gouvernement du Parti Québécois s’est doté d’un ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, la question de la sous-représentation des femmes en politique n’apparait pas à son programme, et rien ne laisse présager qu’elle y sera inscrite de sitôt. » (p. 329-331)
Tremblay, Manon, Les femmes et la représentation parlementaire, chapitre 14 de Social-démocratie 2.0 – Le Québec comparé aux pays scandinaves, 2014