Dans le but de faciliter le positionnement des CSLC de Montréal sur la question des Ressources intermédiaires (RI) pour les personnes en perte d’autonomie, j’ai pris connaissance d’un certain nombre de textes légaux, administratifs et de recherche (voir annexe ) et j’ai rencontré Mme Carole Lécuyer, responsable de ce dossier à la régie de Montréal. Ma lecture de ces documents s’appuie sur une expérience dans le réseau des CLSC depuis 1976.
Je tente ici une première synthèse à soumettre au comité régional sur les services à domicile du Regroupement des CLSC de Montréal.
Très peu de ressources intermédiaires existent à Montréal : deux ou trois ressources existent depuis longtemps et datent d’avant l’adoption du cadre de référence sur les RI par le Ministère. Elles totalisent moins de cent places.
Alors que le plan 1998-2002 de la régie régionale prévoyait un développement de 400 places, un budget de développement d’à peine 80 places fut alloué. Cependant les difficultés de la mise en place ont fait qu’elles ne sont pas encore ouvertes.
Alors que la province compte 2 787 places en RI en avril 2002 (Charpentier, 2002 :25), si on avait à Montréal la même proportion de RI qu’on y compte proportionnellement de places en CHSLD publics et privés conventionnés, nous devrions avoir 34 % de ce nombre, soient un peu moins de 1000 places (947).
Plusieurs raisons peuvent expliquer le peu de résultats et la première en tête de liste est sans doute l’absence de budgets de développement. Cependant d’autres raisons s’ajoutent, puisque les 80 places budgétées ne sont pas réalisées à ce jour. Ne pas prendre en compte ces autres raisons nous expose à rater le coche quand arriveront les budgets…
La complexité des critères d’accréditation pourrait être la deuxième raison. Nous y reviendrons.
De plus, les conditions dans lesquelles ont eu à évoluer les deux réseaux des CLSC et CHSLD au cours des quatre dernières années explique sans doute le peu d’enthousiasme devant une ressource nouvelle à développer :
- les CHSLD devaient rencontrer des objectifs importants de réorientation vers des clientèles plus lourdes (passer de 44 à 60 % de clients demandant plus de 2,5 heures/soins par jour), pour lesquels la régie estimait nécessaire un budget de 47 M$. Une fraction seulement de ce montant fut allouée ne permettant pas d’atteindre l’objectif de 60 % (47,6 % en 2002).
- les CLSC auront connu durant cette période une très importante hausse de la quantité et de l’intensité des services rendus depuis 1996-97 : 31 % de plus de clients concurremment à une hausse de 13% de l’intensité.
Ces conditions, associées aux difficultés inhérentes à une période de compression budgétaire peuvent expliquer le peu d’ouverture au développement d’une formule complexe d’hébergement dont on vient de clarifier le cadre de référence (MSSS, avril 2001) et l’interprétation du cadre de référence (RRSSS et MSSS, mai 2002).
S’il y avait au Québec, en 2002, quelque 47 344 places en CHSLD (publics et privés), RI et RTF, on évaluait à près de 100 000 les places en résidences privées, dites sans permis. Un ensemble recensé par le ministère et les régies en 1994, qui avait alors dénombré 2 349 résidences totalisant 78 141 places (RVGQ, vol.1 p. 20).
Si toutes ces places en résidences privées n’accueillent pas des personnes en perte d’autonomie, une évaluation sérieuse réalisée dans la région de Sherbrooke en 1995 faisait état de 64 % de la clientèle hébergée comme étant en perte d’autonomie. « 44 % des propriétaires ont affirmé garder un résident devenu trop lourd pour les services disponibles, une proportion qui grimpe à près de 60 % dans les petites résidences ». (Bravo et al., 1998, p. 148, cité par Charpentier, p. 33).
Les CLSC ne sont pas sans connaître la situation puisqu’ils sont légalement responsable des services à offrir dans ces « domiciles », une responsabilité encore réaffirmée dans les Orientations du Ministère en avril 2001. Une « responsabilité » qui n’implique pas pour autant que les services soient rendus adéquatement, puisque dans son dernier rapport le vérificateur général du Québec soulignait : « l’information recueillie concernant 21 dossiers de personnes en attente d’hébergement d’un territoire et logées dans des résidences privées sans permis a révélé que, dans une proportion de 71 p. cent, elles ne recevaient aucun service du CLSC. Dans les autres cas les services se limitaient à de l’aide au bain une fois par semaine. » (RVGQ 2002, vol. 1, p. 41). Nous soulignons : ces personnes étaient en attente de placement et donc devaient se trouver en perte d’autonomie importante. De deux choses l’une : ou bien les CLSC ont dans ces dossiers fait preuve d’un manque grave à leurs responsabilités ou bien (dans un contexte de rareté de ressources) il fut jugé que la résidence privée, même sans permis, accomplissait un travail suffisant.
Notre objet n’est pas ici de faire le point sur la question des résidences privées « sans permis ». Cela a été fait par Michèle Charpentier, dans son ouvrage publié il y a quelques semaines aux Presses de l’Université du Québec Priver ou privatiser la vieillesse. Malgré un titre provocant, le document ne vise pas à promouvoir la privatisation mais bien à forcer la reconnaissance d’un état de fait : il y a au Québec des dizaines de milliers de personnes qui sont en perte d’autonomie vivant dans des ressources à qui notre réseau de santé n’a pu jusqu’à présent reconnaître un statut satisfaisant.
À notre avis le développement d’un réseau souple mais consistant de ressources intermédiaires pourrait nous permettre à la fois de reconnaître l’expertise réelle de plusieurs de ces résidences privées tout en y injectant des sommes qui en favoriseraient l’accessibilité. Non pas que toutes les nouvelles RI devraient originer de ces résidences privées mais bien qu’une partie d’entre elles pourraient être ainsi reconnues et soutenues pour continuer de faire ou mieux faire ce qu’elles font déjà. Mais nous reviendrons à cette avenue plus loin.
Terminons cette partie en rappelant à quel point la situation de « sans permis », avec ce que cela implique de menace potentielle d’éviction, ne prédispose pas ces résidences (ou les clientèles qu’elles hébergent) à faire appel aux services publics responsables de la santé des résidents en pertes d’autonomie : les CLSC.
La mise en place de RI peut être vue comme un moyen d’atteindre l’objectif d’alourdissement des clientèles hébergées en CHSLD (60 % de 2,5 h +). Encore en 2000-2001 quelques 584 personnes (17 % des entrées) furent admises en CHSLD même si elles avaient besoin de moins de 1,5 heures/soin par jour, 56 % d’entre elles n’ayant pas besoin de surveillance continue. On peut penser que le développement des RI permettrait de répondre à priori à ces clientèles.
Pour les CLSC qui supportent à domicile des clientèles s’alourdissant, certaines en attente d’hébergement ou d’autres qui ne sont pas « assez lourdes » pour espérer un hébergement en CHSLD mais ne bénéficient pas d’un milieu adéquat ou sécuritaire… il est quelquefois nécessaire de référer vers des ressources « sans permis » ou encore on tente de pallier pour un milieu inadéquat avec les limites que l’on sait pour notre réseau de services à domicile.
Qu’un nombre substantiel de places en RI soient développées, soutenues financièrement et professionnellement par le réseau public, et il ne sera plus nécessaire d’orienter des personnes en perte d’autonomie vers des « sans permis ».
La mise en place de telles ressources libérerait les CLSC de la charge de ces cas plus lourds, favorisant d’autant les services auprès des populations délaissées ou non priorisées. Les services non professionnels étant repris par la RI alors que les services professionnels sont financés à même les budgets de développement des RI et alloués aux établissements responsables.
Ceci même dans le cas où certains CLSC pourraient être (théoriquement) identifiés par la régie comme « établissement responsable » de la RI.[1] En effet, les budgets associés à la création de places en RI impliquent des budgets alloués aux établissements pour les charges administratives et professionnelles que cela représente.
Le temps ne semble pas propice pour avancer une telle revendication afin que les CLSC soient potentiellement reconnus comme « établissements désignés » chargés du recrutement, de l’évaluation et du suivi professionnel de RI. Au moment où la régie s’apprête à lancer un appel au développement « massif » de plusieurs centaines de places (on parle même de mille places – ce qui ne ferait que ramener Montréal dans la moyenne québécoise) une approche de concertation pour le développement serait mieux perçue qu’une bataille pour obtenir la maîtrise d’œuvre.
Cette perspective (la responsabilité de certaines RI), cependant, devrait clairement guider à moyen terme la stratégie des CLSC et ce, dans l’intérêt des objectifs même de développement des RI : non seulement les CLSC sont-ils toujours professionnellement responsables des clientèles à domicile, en résidences privées « sans permis », en attente d’hébergement… mais ils sont aussi les plus au fait des ressources du milieu pouvant devenir « porteurs de projets » de RI.
L’expertise des CLSC en matière de concertation et de développement communautaire pourrait être ici d’une grande utilité pour faire lever des projets et les mener à terme.
Clairement le législateur, en adoptant le cadre de référence définissant les ressources intermédiaires, a tenu à y inclure souplesse et diversité : on identifie quatre types d’organisation résidentielle (appartement supervisé, maison de chambres, maison d’accueil, résidence de groupe) en plus d’ajouter un « autre type résidentiel » afin de soutenir « de nouveaux modèles organisationnels permettant de répondre adéquatement à l’évolution de la pratique et des besoins des usagers ».
[1] Si cette avenue ne semble pas privilégiée actuellement par la régie et le ministère nous croyons que l’expertise des CLSC devrait être reconnue à ce niveau, surtout si on cesse de voir les RI comme des « mini CHSLD » pour en faire de véritables ressources « diversifiées, flexibles, favorisant l’intégration sociale et respectées par leurs partenaires ». Ce sont les termes tirés des principes directeurs du Cadre de référence du ministère sur les RI.