Tout le monde n’y a pas perdu dans cette Grande Accélération du siècle dernier, en plus des millionnaires et milliardaires qui se sont multipliés. La fameuse « classe moyenne » s’est consolidée (ou constituée) par l’accumulation d’une portion notable des richesses créées pendant la période. « L’innovation majeure du XXe siècle : la classe moyenne patrimoniale » titrait Thomas Piketty dans Le capital au XXIe siècle (2013). Au début du XX siècle, le décile (les 10%) les plus riches possédait la presque totalité du patrimoine(( patrimoine : Biens de famille, biens hérités de ses parents.)) : 90%, et la « classe moyenne » (les 40% du milieu) ne possédait que 5% du patrimoine, à peine plus que les 50% inférieurs qui possédaient aussi, collectivement, 5% du patrimoine. Aujourd’hui, les 50% inférieurs n’ont pratiquement pas changé alors que la classe moyenne possède plus d’un tiers du patrimoine en Europe, ou un peu plus du quart, aux États-Unis.
Les diplômés, premiers bénéficiaires des réformes d’après-guerre, et les entrepreneurs-propriétaires, premiers bénéficiaires de la libéralisation (entendez la privatisation des surplus) des années 80, ces deux groupes qui s’opposent souvent politiquement dans nos sociétés capitalistes-démocratiques, Piketty les appelle « gauche brahmane » et « droite marchande ». Mandarins et autres élites administratives, scientifiques, culturelles qui sont souvent à gauche, ou libérales dans le sens américain. Ces forces qui parfois s’opposent mais aussi souvent s’allient aux entrepreneurs et propriétaires de la « droite marchande ».
Ces « forces sociales » que sont les « classes moyennes » sont une création des sociétés et des États, qui les ont nourries, chouchoutées depuis 75 ans. Nous les avons d’abord éduquées collectivement, puis les avons laissées libres, lâchées lousse : c’était moins compliqué que de les mobiliser vers l’intérêt collectif, dans la construction d’une société plus juste, ou plus…? riche ? En fait le seul intérêt collectif qui ait été partagé aura été celui de s’enrichir ! Qui étions-nous, en effet, pour définir l’intérêt collectif ?
Et puis, oui, le « touche pas à ma bagnole » c’est un peu la version banlieusarde du « pas dans ma cour ». Il faudra y répondre en trouvant des solutions — en investissant / innovant des alternatives. Ou encore en articulant de nouvelle manière les investissements en cours de planification : réduire la part de transport individuel sur les autoroutes en augmentant les parts de véhicules partagés, de transport public et communautaire. Il faudra aussi trouver réponse au « touche pas à mon capital immobilier » ! Ce qui risque d’être un gros écueil, considérant l’importance de ce type d’épargne dans la composition du patrimoine de la classe moyenne !