Introduction

Quinze années de pratiques d'organisation communautaire
au CLSC Hochelaga-Maisonneuve :

Entre l'institution et la communauté,
des transactions aux frontières

On peut consulter une version complète, en format PDF, sur le site de la
Chaire de recherche en organisation communautaire de l'UQO

Mémoire présenté comme exigence partielle
à l'obtention de la maîtrise en sociologie
UQAM,  Septembre 1991


Table des matières

INTRODUCTION  

PREMIER CHAPITRE:
PRATIQUER LE SOCIAL AUX FRONTIÈRES, UNE PROBLÉMATIQUE MULTIPLE

A. À la frontière de la société civile et de l'État  

B. Du côté du mouvement

C. Du côté de l'institution-organisation

D. Pratiques d'organisation communautaire en CLSC

E. L'irréductible village d'Hochelaga-Maisonneuve

Conclusion: notre corpus, notre méthode

CHAPITRE DEUX: 1975-1982

    État de la situation et enjeux en 1975

    A. Le service d'action communautaire   

1. Les rapports à l'institution
2. La dynamique professionnelle dans ses rapports au milieu

    B. L'action communautaire au PPA: ou quand le milieu s'en vient dans l'institution

    C. Autres lieux de pratiques d'organisation communautaire

    Conclusion première période: Le chaudron se refroidit

CHAPITRE TROIS: 1982-1990

État de la situation et enjeux, 1982 - 1983

A. Dynamique institutionnelle et professionnelle: consolidation de la place de l'action communautaire au sein du CLSC

B. De la dynamique dans le milieu

Conclusion de la deuxième période: La soupe est prète...

CONCLUSION

État de la situation et enjeux en 1991

Épilogue

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ANNEXE: Les trois modèles de Rothmans

Remerciements

Liste des tableaux et figures

Tableau I: Les ressources en maintien à domicile, 1981

Figure 1: Le CLSC à la frontière

Figure 2: Structure organisationnelle du projet de Centre communautaire en 1973

Figure 3: Les dossiers d'organisation communautaire au SAC (1975-1982)

Figure 4: Les dossiers d'organisation communautaire au PPA (1975-1982)

 

INTRODUCTION

Enracinés dans l'action, au coeur des débats

Au cours des dernières années, le questionnement sur les pratiques communautaires des CLSC s'est accru. Il s'est manifesté tant au niveau du discours gouvernemental (rapport Brunet), qu'institutionnel (promotion de l'approche communautaire par la fédération des CLSC, production d'un document de réflexion sur l'action communautaire), professionnel (développement du Regroupement québécois des interventants et intervenantes en action communautaire en CLSC-[RQIIAC]) et sociologique (Godbout, 1989; Favreau, 1988, 1989; Lamoureux et Leseman, 1987). Depuis 1986 un ensemble d'interventions publiques ont critiqué, questionné, défendu ou promu les pratiques communautaires en CLSC. Le  contexte apparait favorable à une étude de cas qui pourrait alimenter le débat à partir de l'analyse d'une pratique collective d'organisation communautaire dans un des premiers CLSC, le second du réseau quant à l'importance des ressources qu'il consacre à l'action communautaire (Jobin, 1986), le CLSC Hochelaga-Maisonneuve.

La présente étude se propose donc d'examiner les pratiques d'organisation communautaire qui ont été développées au CLSC Hochelaga-Maisonneuve au cours des quinze dernières années, soit la période allant de 1975 à 1990. Dès le départ, nous étions animés d'un certain nombre de questionnements.

Nous désirions savoir jusqu'où ces pratiques ont pu contribuer au développement dans le milieu de ressources aptes à répondre à des besoins identifiés comme importants?

Jusqu'où l'inscription de ces pratiques dans une institution a pu contribuer à l'enracinement d'une approche, d'un style communautaire au CLSC; à mieux articuler les ressources du CLSC aux besoins  du milieu?

Nous étions intéressés à cerner comment ces pratiques ont pu renforcer la capacité de la communauté à se développer globalement,  à se faire respecter. Ont-elles contribué efficacement à la croissance de l'équité et de la justice sociale dans le quartier, dans la société?

Notre démarche de recherche s'enracine dans l'action. C'est à titre d'observateur privilégié, partie prenante de l'action décrite, que nous avons pu rassembler les documents et matériaux relatifs aux pratiques d'organisation communautaire dans un des premiers CLSC du réseau québécois. C'est en tant que "praticien" que nous avons voulu prendre une distance, réfléchir l'évolution des deux dernières décennies avec un regard moins centré sur les objectifs immédiats, les tactiques et stratégies qui traversent habituellement nos plans d'intervention.

Enraciné dans l'action locale, notre objet d'étude n'en est pas moins au coeur des débats qui traversent actuellement, non seulement le réseau des CLSC, mais aussi tout le réseau socio-sanitaire québécois. La question de l'articulation de l'intervention publique aux ressources communautaires et volontaires des communautés locales constitue même un enjeu de premier plan des orientations mises de l'avant, au niveau international, par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) (O'Neill, 1991).

Dans ce contexte global, international, le Québec se situe "dans le peloton de tête" en ce qui concerne la participation des citoyens à la gestion et au développement du réseau de la santé. L'expérience des CLSC continue d'être  une source d'inspiration et d'enseignement pour plusieurs pays qui désirent faciliter l'adaptation de leur intervention publique aux dynamismes locaux de développement. Cette expérience montre aussi les limites et les écueils d'une intervention étatique qui, de façon formelle, garantit la participation des citoyens mais doit aussi s'articuler à d'autres modes de participation plus autonomes. La reconnaissance d'une place et d'un rôle aux organisations volontaires et communautaires dans les domaines de la santé et des services sociaux constitue, à notre avis, le principal enjeu de la réforme du système socio-sanitaire actuellement en cours de réalisation.

D'un côté comme de l'autre de la tension dialectique opposant et reliant société civile et État, nous avons été témoins, depuis une quinzaine d'années, de développements qui remettaient en question le pouvoir et la légitimité de l'intervention étatique. Ces remises en question ont forcé la reconnaissance de nouveaux partenaires tout en façonnant l'évolution et la transformation des programmes et politiques sociales en place. Jusqu'où ces nouveaux partenaires communautaires, issus des mouvements sociaux et urbains (Hamel, 1991) des dernières années, pourront-ils conserver leurs caractéristiques d'action sociale, de promoteurs de nouvelles valeurs et de démocratisation accrue, dans le contexte d'une reconnaissance de leur rôle d'utilité publique qui accompagne leur inscription de plus en plus étroite dans les mécanismes de la gestion étatique du social?  C'est une question qui se pose actuellement à l'ensemble du mouvement communautaire, mais aussi aux partenaires et aux interlocuteurs de ce mouvement, au sein du réseau des institutions publiques. Formulée autrement, et du point de vue de ces dernières, la question pourrait se dire: jusqu'où la logique des institutions publiques peut-elle s'ouvrir, et accepter d'être réinterprétée, interpellée par d'autres logiques, d'autres dynamismes autonomes? Ellen E. Corin parle de l'urgente nécessité de l'adaptation culturelle des programmes d'interventions publiques aux cultures et sous-cultures régionales (Corin et al., 1990). Elle parle des institutions comme de systèmes ouverts qui devraient être aptes à faire une lecture des besoins et de la maladie qui se démarque de la seule vision épidémiologique actuellement dominante en matière de planification de services publics. Des systèmes ouverts qui sont soumis à l'action contraignante de forces et de cultures diverses, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'organisation: la culture des professions, la culture bureaucratique, celle spécifique à la région, ou à tel mouvement social, tel autre réseau...

C'est donc à la frontière d'un double mouvement, d'une double dialectique que se situent les pratiques d'organisation communautaire que nous entendons analyser. Un mouvement d'ouverture du monde institutionnel à la logique du milieu, une ouverture en tension entre les  différentes logiques à l'oeuvre au sein et autour de l'institution, qui ne peut plus situer son milieu simplement comme un environnement, un marché, une clientèle. Un mouvement communautaire promoteur de nouveaux espaces démocratiques, contestataire de la passivité où les pouvoirs étatiques et professionnels avaient confiné les citoyens et "patients", en tension entre le développement de son rôle instrumental, auquel sa reconnaissance politique et financière par le réseau étatique est intimement liée, et le maintien de son caractère de mouvement social, d'agent de changement, de contestation des logiques professionnelles et bureaucratiques.

Les "partenaires" en présence ne sont pas de même poids. Ils ne sont pas de même nature, pourrait-on arguer à la défense du développement de ce nouveau partenariat entre David et Goliath: la grosseur comptant moins que le fait de permettre à une dynamique, une synergie de se développer entre l'intervention publique et celle de ressources communautaires plus proches des clientèles et des milieux naturels sans lesquels l'intervention publique s'avère de plus en plus contre-productive.  Pour se réaliser, un tel partenariat a besoin de plus que d'une déclaration de principe, ou de bonnes intentions. Les ressources alternatives en santé mentale ont pu l'expérimenter, elles qui ont eu l'occasion de participer, avant même l'application de la réforme Côté, à l'élaboration de PROS (plans régionnaux d'organisation de services), dans le cadre de comités tripartites qui préfiguraient en quelque sorte la philosophie partenariale qu'on retrouve dans la nouvelle loi 120 (réforme Côté). Cette expérience fut un choc, Le choc des cultures. Lorsque le tripartisme se limite à la réunion des partenaires autour d'une même table, sans que soient prises en compte les différences de moyens dont ces partenaires disposent pour participer à l'exercice de planification, et que cette entreprise se trouve lancée à toute vitesse en vue de rencontrer un échéancier idéaliste, le choc des cultures ne peut conduire qu'au désenchantement. L'expérience aura au moins permis un début de reconnaissance mutuelle des partenaires régionaux, et l'identification par les ressources alternatives de conditions minimales nécessaires à une participation fructueuse. Cet exemple récent d'une tentative poussée de partenariat entre ressources communautaires et institutionnelles, partenariat qui n'a pas été imposé mais bien demandé, appelé par les ressources communautaires, auquel ces dernières ont participé avec enthousiasme, montre bien les difficultés qu'auront à résoudre les futures régies régionales prévues par la réforme Côté.

Nous croyons que l'expérience développée depuis plus de quinze ans par certains CLSC en matière de développement communautaire, de coopération avec des ressources communautaires, à partir d'une institution, peut être une source d'inspiration dans le contexte actuel. Le réseau de  la santé et des services sociaux n'est pas le seul à se mettre à l'heure du communautaire. À travers le réseau de Villes et villages en santé, ce sont les municipalités qui tentent d'articuler un partenariat intersectoriel afin de rapprocher décideurs, fonctionnaires et citoyens. Les écoles et le réseau de l'éducation se rendent compte de l'importance cruciale de l'ouverture au milieu, pour tenter de diminuer les taux d'abandon précoce mais aussi pour faire face à des problèmes graves ayant des conséquences directes sur l'assiduité et la réussite des enfants: malnutrition, pauvreté extrême qui ne sont plus, dans un quartier comme Hochelaga-Maisonneuve, des problèmes rares. Le réseau judiciaire et pénitencier a déjà depuis longtemps développé ses programmes de travaux et sentences communautaires, pour lesquels il s'appuie naturellement sur un ensemble d'organisations communautaires. D'origine plus récente est l'investissement des ministères à vocation économique dans le domaine du développement communautaire local, reconnaissant par là la pertinence et l'efficacité du leadership communautaire dans la mobilisation des efforts pour une relance qui tienne compte des contraintes et potentiels spécifiques à la communauté locale.

En examinant l'évolution des pratiques d'organisation communautaire au CLSC Hochelaga-Maisonneuve au cours des quinze dernières années, nous tenterons de les situer en rapport à trois lieux, trois dynamiques interdépendantes. La première dynamique est celle du développement de l'institution elle-même. La place que l'institution a pu réserver à ces pratiques, dans sa structure mais aussi dans sa philosophie, son approche; le rôle déterminant (ou non) qu'ont pu jouer les dirigeants de l'institution. La seconde dynamique à l'oeuvre pour définir les contours de l'organisation communataire, c'est le milieu, la dynamique communautaire locale. Les rapports, conflictuels ou de collaboration, qu'ont entretenus les organisations communautaires du milieu avec le CLSC et ses intervenants ont marqué la place des intervenants communautaires dans le CLSC et l'orientation d'action qu'ils déployaient dans le milieu. Finalement, la troisième dynamique dont il a fallu rendre compte pour bien saisir l'évolution des pratiques d'organisation communautaire est celle des praticiens eux-mêmes, la dynamique professionnelle qui s'est affirmée, questionnée et transformée au contact des deux autres dynamiques et en rapport à sa propre tradition, son propre savoir-faire, ou plutôt son art.

Afin d'éclairer ces dynamiques locales qui étaient inscrites dans des mouvements sociaux et structurels plus larges (développements des CLSC, mouvements syndicaux et commmunautaires) nous avons cru nécessaire de situer les grands enjeux ou moments de ces ensembles plus larges. C'est ce qui constitue notre premier chapitre de problématisation. Cette dernière s'organise autour des trois mêmes dimensions: 1) l'institution CLSC, 2) mouvements sociaux et  communautaires, 3) les pratiques d'organisation communautaire en CLSC. Une quatrième dimension s'ajoute, à la fin de ce premier chapitre, pour introduire le lieu concret d'analyse et situer le contexte historique local précédant la période que nous analyserons plus particulièrement: la dynamique locale et la crise qui ont entouré la naissance du CLSC Hochelaga-Maisonneuve, en 1973, à partir d'un projet de centre communautaire. Ce premier chapitre nous permettra d'identifier un certain nombre de concepts et de contextes qui serviront à l'analyse des pratiques locales. Concepts et contextes  qui nous serviront moins à une démonstration rigoureuse de certaines hypothèses qu'à qualifier une dynamique complexe, questionner une pratique locale. En ce sens la présente étude prend plus la forme d'un essai qui veut rendre compte de ce qui se passe à la frontière de phénomènes sociaux et organisationnels relativement nouveaux et qui, de ce fait, doit référer à plusieurs grilles d'analyse théorique.

Les deux chapitres suivants porteront sur deux périodes, 1975-82 et 1982-90, au cours desquelles nous analyserons les traits caractéristiques marquant les pratiques d'organisation communautaire au CLSC. La structure interne de ces deux chapitres diffère dans la mesure où les services, l'orientation idéologique et les pratiques elles-mêmes ont évolué. Nous avons donc organisé la revue des pratiques au cours de la première période en fonction des lieux de rattachement administratif: le service d'action communautaire et le programme de maintien à domicile en sont les principaux. Un certain nombre de dossiers, typiques de cette période sont examinés pour chacun de ces modes d'insertion institutionnel. Le troisième chapitre, couvrant la seconde période au début de laquelle il y eut création d'un lieu unique rassemblant toutes les pratiques d'organisation communautaire au CLSC, nous l'avons organisé en fonction de trois thèmes: 1) l'évolution de l'inscription institutionnelle des pratiques d'organisation communautaire, ce premier thème référant aux dynamiques institutionnelle et professionnelle que nous voulions examiner; 2) les pratiques de concertation et de partenariat interinstitutionnels dans la communauté; 3) les interventions de développement économique communautaire du CLSC. Une dernière partie à ce troisième chapitre présente succintement les autres pratiques communautaire de cette période qui n'étaient ni de concertation ni de développement économique.

Nous reviendrons, dans le chapitre de conclusion, sur les principaux constats, hypothèses et questionnements qui auront été soulevés au cours des chapitres précédents. Déjà nous pouvons affirmer que les pratiques d'organisation communautaire qui se sont développées au CLSC Hochelaga-Maisonneuve sont des pratiques complexes, qui se jouent à la frontière de plusieurs entités autonomes, plusieurs cultures, sur lesquelles l'organisation communautaire ne peut avoir une influence qu'à la condition  d'être acceptée, partie prenante de ces différentes cultures.

chapitre suivant

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