Il est essentiel que les systèmes d’information sur la santé se parlent mieux

André Picard (traduction : Gilles Beauchamp)
The Globe and Mail 17 décembre 2024

L’interopérabilité n’est pas un terme qui roule facilement sur la langue. Ce n’est pas non plus un concept qui capte l’imagination de quelqu’un d’autre que les experts en données.

Pourtant, l’interopérabilité, c’est-à-dire la capacité des différents systèmes d’information, dispositifs et applications à accéder aux données, à les échanger et à les intégrer de manière coordonnée, est essentielle à la fourniture de soins de santé de qualité à l’ère du numérique.

Pourtant, le manque d’interopérabilité est un problème dans ce pays depuis l’introduction des dossiers médicaux électroniques et des bases de données dans les années 1960, et n’a fait que s’aggraver à mesure que l’utilisation des dossiers médicaux électroniques s’est généralisée.

Les systèmes dont nous disposons aujourd’hui sont principalement utilisés à des fins de facturation et pour collecter des données sur des patients individuels. Ils ne sont pas conçus pour nous aider à comprendre des schémas plus larges et des problèmes systémiques – ce qui va être ressenti à l’ère de l’IA. L’incapacité des prestataires et des patients à accéder facilement aux données et à les partager cause déjà des dommages et coûte de l’argent aux contribuables, et la situation ne fera qu’empirer si nous n’agissons pas. Comme c’est souvent le cas dans le secteur de la santé au Canada, nous avons simplement laissé ce problème s’envenimer sans le résoudre, et nous avons atteint un point critique.

Selon Inforoute Santé du Canada, seuls 29 % des médecins peuvent partager des informations sur les patients en dehors de leur cabinet. L’absence de partage d’informations est à l’origine de nombreux problèmes, en particulier pour les patients qui consultent plusieurs prestataires de soins de santé : Tests inutiles et redondants, temps d’attente prolongés et séjours à l’hôpital, erreurs de médication.

Sans parler de l’énorme perte de temps pour les prestataires et les patients. Les médecins passent au moins deux heures de plus par jour à chercher des informations sur les patients qui devraient être facilement accessibles dans les DME.

Les patients eux-mêmes sont également gênés. Seuls 40 % d’entre eux peuvent accéder à n’importe quelle partie de leur dossier médical. Il y a peu de choses que les patients détestent plus que de répéter leur histoire encore et encore parce que leur dossier est incomplet ou inaccessible.

L’absence de partage de l’information fait mentir tous les discours sur la nécessité d’être « centré sur le patient » et de lui donner les moyens d’agir. Les systèmes d’information sanitaire archaïques pèsent également sur les résultats financiers des praticiens et des établissements de santé.

Canada Health Infoway estime que l’amélioration de l’interopérabilité permettrait au système de santé d’économiser 2,4 milliards de dollars par an. L’organisme comprend bien le problème : En 2001, peu après sa création, Inforoute a reçu 500 millions de dollars pour créer des normes pancanadiennes d’interopérabilité afin que les DME puissent échanger facilement des informations. Aujourd’hui, ces normes n’existent toujours pas.

Bien entendu, un groupe de travail s’est penché sur la question et a produit un rapport, car au Canada, nous adorons produire des rapports. La mise en œuvre des recommandations, elle, pas vraiment.

Aujourd’hui, Inforoute donne un nouveau coup de pied dans la fourmilière et promet une feuille de route pancanadienne sur l’interopérabilité d’ici 2027. Le gouvernement fédéral a également déposé un projet de loi, la Loi sur les soins connectés pour les Canadiens. S’il est adopté, le projet de loi C 72 pourrait avoir un effet significatif sur la résolution des problèmes d’interopérabilité, car il obligera les entreprises informatiques offrant des services de santé numérique à adopter des normes communes, ce qui facilitera les échanges d’informations sécurisés et protégés entre les différents systèmes.

Mais les obstacles à l’interopérabilité ne sont pas seulement techniques. Les obstacles au partage d’informations sont essentiellement d’ordre culturel. Les institutions canadiennes, y compris celles du secteur de la santé, sont obsédées par le secret, au détriment des soins et de l’autonomie des patients.

La création de normes permettant à diverses plateformes de se connecter sans interruption est la partie la plus facile, le web mondial en étant un bon exemple. Changer la gouvernance, la politique, les réglementations et, surtout, les attitudes, c’est plus difficile.

Un rapport récent d’un quatuor de puissants groupes de santé – l’Association médicale canadienne, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, le Collège des médecins de famille du Canada et Inforoute Santé du Canada – souligne qu’il est également essentiel d’obtenir l’adhésion des prestataires de soins de santé. Pour ce faire, il faut les impliquer dans le changement du système, et non l’imposer. Le rapport du groupe de travail sur l’interopérabilité dans le domaine de la santé numérique soulève également un point essentiel qui est souvent négligé : Les cliniciens collectent des données principalement pour soutenir les soins aux personnes, ce qui est très différent de la collecte de données pour l’amélioration de la qualité, l’amélioration de la santé de la population et la recherche médicale.

Ce fossé fondamental entre l’approche des gouvernements et des institutions et celle des cliniciens n’est pas infranchissable. Nous pouvons et devons faire les deux : collecter simultanément des données individuelles et des données au niveau des systèmes. Mais nous ne pourrons le faire que si nous nous en donnons explicitement l’objectif, si nous disposons de normes communes et de systèmes interopérables.

Cela nécessite non seulement un plan, mais aussi un leadership. Comme l’indique un autre rapport, « L’interopérabilité sauve des vies » : « Il est difficile de réparer quelque chose si personne n’est responsable.