bloguer à plusieurs

Le groupe Nous.blogue a été créé il y a 7 ans, le 1er avril. Depuis, quelques 450 billets ont été écrits et diffusés par ce médium par une trentaine de blogueurs (dont le soussigné) et blogueuses. En 2015, la conjoncture n’était pas brillante, côté développement régional et action collective de développement des collectivités : les CRÉ (conseil régional des élus), les CLD (centre local de développement) de même que Solidarité rurale avec son réseau d’agents de développement avaient été soit carrément dissous, fermés ou grandement fragilisés.

À l’époque, il était apparu important d’ouvrir cet espace de discussion-réflexion (Nous.blogue) afin de pallier à la disparition de ces lieux de concertation et d’accompagnement des processus de développement des collectivités.

Depuis sept ans, qu’est-ce que ce blogue collectif a apporté ? Pour ma part, j’ai apprécié lire plusieurs des contributions que je n’aurais peut-être pas « attrapées » sur les fils d’actualité (quotidiens, FaceBook, Twitter). Je pense aux réflexions de Bernard Vachon sur la décentralisation et le développement des régions; à celles de René Lachapelle sur la démocratie et la transition… et d’autres sur les élections, la militance, l’équité… J’ai aussi certainement profité de cette plate-forme pour diffuser un peu plus largement certains billets aussi publiés ici, sur Gilles en vrac… Même, je devrais dire que la participation à ce blogue collectif m’a parfois incité à écrire : des dates de tombée que je ne me serais peut-être pas imposé tout seul !

Aujourd’hui, en 2022, le contexte ayant amené à la création de cet « outil » a-t-il changé ? Existe-t-il d’autres lieux de discussion, d’expression semblables ? Les déficits démocratiques créés par la disparition des CRÉ et autres ont-ils été comblés ? Les mesures d’austérité qui étaient au coeur de ces décisions gouvernementales à l’époque ont-elle été révisées, compensées ?

Les politiques libérales d’austérité ont été remplacées par des politiques caquistes… puis des politiques de temps de pandémie. Les politiques de centralisation en santé et de décentralisation vers les MRC (au détriment du soutien aux régions) ont été maintenues. Certaines régions s’en tirent mieux que d’autres en matière de développement concerté ou intégré : après tout, ce ne sont pas les CRÉ qui avaient créé les régions ! Là où la tradition était bien ancrée, des processus collectifs ont été maintenus ou redéployés, parfois avec l’aide de certaines fondations.

Ce qui a le plus changé, il me semble, depuis sept ans, c’est l’importance croissante accordée au changement climatique et à la nécessaire transition éco-socio-énergétique (voir évolution des catégories et étiquettes). Cette préoccupation traverse de plus en plus les propos émis sur Nous.blogue mais aussi d’autres espaces collectifs, dont certains sont relativement nouveaux : notamment la plateforme Passerelles, un projet maintenant autonome issu du TIESS. Aussi des initiatives comme le Front commun pour la transition énergétique ou encore le groupe FaceBook Solon qui ont été créé depuis 2014 ou ont pris plus d’importance.

En faisant le tour des groupes ou pages FaceBook dont l’orientation est similaire ou convergente à celle de Nous.blogue : préoccupation pour l’équité, la démocratie, le développement des territoires, des collectivités, la transition… j’en ai relevé plusieurs (voir tableaux à la page suivante). La question se pose : pourquoi pas juste un groupe FaceBook à la place de Nous.blogue ? Géré par un comité qui accueillerait et stimulerait les participations. Ce serait moins compliqué qu’un blogue, non ? Pas sûr… c’est pas compliqué un blogue. Et le contrôle exercé par le groupe sur son environnement est beaucoup plus grand : on peut classer, conserver, organiser comme on veut les contenus.

Si je repasse rapidement le film des comités d’orientation du blogue, dont je suis membre depuis les débuts.((Je pense même être celui qui a suggéré l’idée d’un blogue sur les coupures et mesures d’austérité… pour donner la parole à ces expertises et engagements qui se faisaient cavalièrement remercier.)) Tous ces espaces démocratiques d’interaction entre le politique et la société civile, en lien avec des territoires singuliers, des parcours historiques qui allaient se taire. Il y avait un enthousiasme au début : en témoigne le nombre de billets publiés les premières années :

Nombre de billets publiés par année
sur Nous.blogue depuis sa création

J’ai l’impression qu’on a souvent été, au comité d’orientation, en campagne : trouver de nouveaux blogueurs, rencontrer, s’entretenir avec des « prospects »… stimuler les troupes en suggérant des thèmes pour une période : Élections 2018, ou Nos années 20 ! à l’occasion du 5e anniversaire du blogue en 2020.

Il est intéressant de rappeler les deux commentaires faits au moment du « lancement » de la série Nos années 20!, le 1er avril 2020.

Par Marie-Denise, la première accompagnatrice du blogue, de chez Communagir : « Je dois dire que c’est avec beaucoup de fierté que je vous lis encore! Quelle belle évolution pour nous.blogue. Bravo à toute l’équipe et aux blogueurs toujours plus intéressants et pertinents. »

Et Bernard, ce généreux contributeur au blogue collectif, particulièrement sur les questions de développement régional et rural, de critique du développement trop orienté vers/par les grands centres :

Je crois beaucoup à l’utilité de ce blogue. Il fait mieux connaître nos régions; il emprunte des voies d’analyse inédites parce que souvent fondées sur la connaissance des gens de terrain; il propose un regard et des perspectives tournées vers des réalités porteuses d’espoir; il réunit l’économique, le social et l’environnemental; il explore les « futuribles », c’est-à-dire les futurs possibles; il soumet une critique réfléchie et documentée; il ne craint pas d’ouvrir la porte à l’intuition et à la sagesse de l’expérience.
Longue vie à Nous.blogue!

Bernard Vachon, en commentaire le 3 avril 2020 à 13 h 05 min

Je ne saurais mieux dire. Merci professeur Vachon.

C’était il y a deux ans. La situation a-t-elle changé depuis deux ans ? Mis à part qu’on est dans une situation extraordinaire depuis deux ans ! Oui, la situation a changé : les familles ont connu des stress supplémentaires importants pendant de longues périodes; plus de morbidité, de mortalité que d’habitude, mais moins de contacts sociaux pour amortir, amoindrir les effets de ces pertes. Les gens sont plus susceptibles, plus près de « péter une coche » que jamais… Les divisions ville-campagne, intello-ouvrier, cycliste-VUS, immigrés-natifs sont plus vives, parce que les pôles dominés de ces couples ont été mis en valeur au cours de la dernière période… donnant plus de légitimité à une population habituellement silencieuse.

Ce qui a changé depuis sept ans ? Plus de sources d’information, plus d’initiatives collectives ancrées territorialement, de campagnes de résistance aux projets malvenus ou mal conçus des autorités, d’initiatives locales vers la transition… Chaque grand projet (3e lien, REM, refondation santé…) devrait servir à nous faire avancer vers une société moins gourmande, plus économe, plus créative, plus respectueuse et sociale. Pourtant, trop souvent, ces projets sont fondés sur la perpétuation des modèles dominants, standards.

Je crois aussi qu’il y a encore de la place pour un espace, une voix comme Nous.blogue. Mais il me semble que j’y viendrais plus souvent s’il y avait plus d’informations partagées. En plus des contributions originales auxquelles nous sommes habitués on pourrait ajouter les résultats d’un survol de l’actualité : publications récentes dans certaines collections, de certains éditeurs; colloques et événements à venir; parutions pertinentes dans certains fils Twitter ou pages FB venant de collectifs et d’organisations aux intérêts convergents.

Mais n’y a-t-il pas déjà des bulletins, newsletters, qui rassemblent ces infos ? Je pense particulièrement à Le Quinzo, le bulletin bi-hebdomadaire de Passerelles. Il ne faut pas dédoubler les efforts mais nous avons quand même besoin de faire des liens. Notamment avec ce qui se passe sur FB.

J’imagine une évolution, un développement de Nous.blogue grâce à un bassin de contributeurs étendu, dont certains pisteurs et veilleurs relatant certaines sources en plus des auteurs actuels. Ou encore des contributions photographiques témoignant de la dynamique des régions, des quartiers…

Nous sommes des tisserands et tisserandes d’une toile aux multiples fils. Des paroles individuelles engagées, réfléchies, des témoignages personnels; des récits vrais. Mais aussi pourraient s’ajouter des fils d’infos pertinentes, reflétant l’actualité et l’innovation des mouvements sociaux. L’écosystème du développement des collectivités territoriales et urbaines continuera de se développer. Le grand inconnu de la prochaine décennie : comment les villes et MRC relèveront le défi des services de proximité, avec les partenaires traditionnels des réseaux communautaires et de la santé ? Mais surtout, comment ces acteurs, ensemble, contribueront-ils à avancer la Transition, et l’invention d’un nouvel habiter. La conjoncture pourrait être favorable à l’expérimentation : valorisation des services de proximité, du logement locatif, du transport actif et collectif, du développement décentralisé… Je demeure préoccupé de l’éloignement, de la méconnaissance qui oppose trop souvent collectivités urbaines et rurales… secteurs publics et privés… intellos et manuels… On a pourtant besoin de tous.

L’écosystème de Nous.blogue

Les tableaux qui suivent rassemblent les liens vers des groupes ou encore des pages sur FaceBook avec le nombre de membres (ou d’abonnés) en date du 15 mars 2022. Une façon de se situer parmi d’autres groupes ou diffuseurs. J’ai ajouté, par curiosité, certains partis et leaders politiques, pour relativiser l’importance des « communautés intentionnelles ». Voir page suivante.

milliers de projets, quelques principes

Après l’ACFAS du mois de mai, où plus de 3000 conférenciers sont venus à Montréal présenter leurs projets, théories et résultats, le Forum social mondial réunissait en août quelques milliers de participants autour de centaines d’ateliers, de conférences et discussions définissant de mille façons différentes et plus ou moins convergentes des alternatives au développement extractiviste, capitaliste, court-termiste. Et voici que s’ouvre aujourd’hui le Forum mondial en économie sociale où sont présentées des expériences d’ici et d’ailleurs faisant la preuve qu’il est possible de produire autrement qu’en visant simplement le meilleur prix-profit, en mariant objectifs sociaux et économiques.

Un tel foisonnement de projets, d’idées, de pratiques sociales innovantes a de quoi donner le tournis. Tous ces mouvements pourront-ils un jour converger pour faire pencher la balance ? Naturellement, « ces mouvements » n’ont pas tous la même conception de leur place, la même vision de l’avenir… Certains se préoccupent (c’est le thème du FMES) de leur articulation avec les gouvernements municipaux – qui sont eux-même à se redéfinir en tant que « gouvernements de proximité ». Alors que d’autres se tiendront le plus loin possible de toute forme de gouvernement.

Lorsqu’on posait la question aux porte-paroles d’un projet de développement local en Inde, The Timbaktu collective, qui a réussi après vingt-cinq ans d’intervention et d’accompagnement à sortir de la pauvreté et redonner espoir à quelque 20 000 familles : mais comment porter à plus grande échelle de tels objectifs ? Comment passer de quelques milliers à quelques centaines de millions dans un pays comme l’Inde ? La réponse n’est pas simple : on ne peut faire porter sur les plus fragiles et pauvres la responsabilité supplémentaire de changer le monde ! Sûr que ces projets de développement local, d’économie sociale et de lutte à la pauvreté et l’exclusion font partie de la solution. Ce sont même des démonstrations vivantes de la possibilité de faire autrement, de la faisabilité d’une autre économie. Ce sont aussi des écoles et des laboratoires de l’action collective vers un développement durable…

powerofdoingCertains font de l’addition de ces projets locaux une stratégie, une philosophie d’action, comme le professe Rob Hopkins, fondateur de Transition Network dans son The Power of Just Doing Stuff : How local action can change the world ou encore les auteurs et interlocuteurs du film Demain. Mais il faudra bien un jour, et demain plutôt qu’après demain, fédérerlivre1-Demain ces mouvements et expériences, aussi jalouses soient-elles de leur autonomie, si l’on veut faire changer de cap au paquebot de l’extra
ctivisme forcené de nos sociétés industrielles. Faut-il attendre un mouvement politique unificateur, qui saura articuler le local, le régional, le national et l’international en même temps que négocier l’équité entre les genres, les générations, les classes ?

Ceux qui se sont frottés à l’action politique savent d’expérience à quel point il est facile de tomber dans le sectarisme, les guerres de clocher et excommunications entre alliés potentiels… À chaque étape, étage d’unification doivent être résolus les différends dans l’interprétation des augures, la définition des possibles et la mise bas du réel. Que l’enjeu soit local et très proche des acteurs engagés ou global et propice à toutes les idéations, il y aura toujours des opinions et stratégies divergentes. Il faudra apprendre la délibération sans qu’elle paralyse l’action. Il faudra dégager des principes partagés, communs et s’entendre sur des cibles à court-moyen terme. Et cela en laissant aux collectivités, mouvements et réseaux la marge de manoeuvre qui leur est essentielle.

Est-ce à dire que tout le monde il est gentil et que nous devrons attendre que le dernier et le plus irréductible des climatosceptiques soit convaincu avant d’agir ? Non. Certainement pas. La dénonciation de l’ignorance inacceptable, de l’inconscience et du refus de changer des riches peut devenir un levier d’unification des forces… Je n’ose dire « forces du progrès », tellement ce terme a servi de paravent au développement sans vergogne, à court terme et aveugle. Les forces humanistes ? Celles promouvant la transition ? Peu importe l’étiquette, le branding, l’unification des forces peut se faire autant par l’accord sur des principes et sur un programme que par la dénonciation des délits, des défaillances et des dévoiements.

C’est une des leçons, un des 7 ou 8 principes qu’Elinor Ostrom tirait tant des expériences réalisées en laboratoire que de celles recensées sur le terrain pour définir les contours d’une action collective résiliente, apte à traverser le temps et les épreuves((Collective Action and the Evolution of Social Norms, Elinor Ostrom, 2000. Voir aussi The Calculus of Commitment: The Ostroms, The Workshop and The Commons, par Charlotte Hess, 2010)). Le pouvoir qu’une collectivité a de critiquer, de punir ceux qui profitent de la richesse partagée sans y contribuer à hauteur de ce qu’ils en tirent constitue un vecteur d’équité, de maintien de l’engagement des personnes dans l’intérêt commun et de mobilisation de nouvelles personnes dans l’action collective.

des théories pour nos pratiques

La facilité avec laquelle les gouvernements (conservateur ou libéraux) ont pu défaire récemment des forums, espaces de concertation, de réflexion et d’action collectives est liée à la dépendance de ces mêmes espaces à l’endroit du soutien public.

Un soutien qui peut d’autant mieux se détourner et changer de cap que les gouvernements que nous avons s’appuient sur des portions de plus en plus congrues de la population. On peut aujourd’hui former un gouvernement « majoritaire » avec moins de 40% d’appui électoral.

Qui sommes « nous » ? Ce nous dans Nous.blogue ? Je me suis demandé en préparant ce billet…

Nous sommes moins des porte-paroles que des accompagnateurs, des animateurs, des professeurs… Témoins et facilitateurs de processus collectifs qui mettent ensemble des acteurs et agents de différentes origines, des agents qui sentent le besoin de tisser une toile commune définissant des communautés d’appartenance ou d’intention. Définir ensemble des projets porteurs d’espoirs et d’avenir.

S’il faut se distinguer pour se définir, c’est peut-être autour des concepts de société civile et d’espaces publics que nous pouvons le mieux circonscrire ce que nous sommes, ce à quoi nous tenons.

La mise en échec, la déconstruction des espaces et organisations démocratiques et sociales qui se consacraient à des objectifs de santé, de développement social concerté – ce recul de la place accordée aux acteurs et réseaux de la société civile mobilisant citoyens et volontaires, au profit d’une société plus centralisée autour d’une alliance politico-technocratique – ce reflux pourrait être l’occasion d’une alliance renouvelée de forces professionnelles conscientes de la toxicité de tels mouvements avec des forces citoyennes, civiques et communautaires pour formuler la prochaine mouture de politiques publiques favorables à la santé et au développement social.

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Dans un solide recueil de textes de différents collaborateurs autour du thème « Associations et Action publique [1] », sous la direction de Jean-Louis Laville et Anne Salmon, plusieurs auteurs d’ici nous proposent des retours historiques riches de souvenirs et d’enseignements. Benoît Lévesque y va d’un historique des politiques entourant la garde d’enfants retraçant le long processus d’institutionnalisation s’étalant sur plus de quatre décennies. Yves Vaillancourt examine pour sa part les évolutions de six politiques publiques co-construites qui mettent en lumière les conditions favorisant l’établissement de politiques résilientes, capables de résister au changement des gouvernements. Les exemples tirés de la France, du Maroc, d’Espagne, de Tunisie, de l’Équateur et de Bolivie permettent une compréhension renouvelée des relations entre le monde associatif et des politiques publiques différenciées selon les États et les conjonctures.

Les textes introductifs et de conclusion par Laville et Salmon nous permettent une compréhension des principes fondant les politiques néolibérales actuelles, notamment en résumant les positions encore influentes de Hayek. Habermas, Ostrom, Polanyi, Dewey (entre autres) éclairent les enjeux confrontant les associations dans le monde d’aujourd’hui.

Il ne suffira pas de défendre et faire valoir la place des associations et de la société civile pour « changer le monde ». Il faudra encore que les secteurs « marché » et « État » soient aussi intégrés dans un éventuel « plan de Transition ». Et pour cela il faudra que les différentes « gauches » trouvent à s’entendre pour pouvoir, enfin, faire contrepoids à une droite devenue quasi hégémonique depuis trois décennies.

Le même Jean-Louis Laville vient aussi de publier (2016), aux éditions Le bord de l’eau, « Les gauches du XXIe siècle. Un dialogue Nord-Sud ». Ce sont 28 auteurs en provenance de 4 continents qui posent les perspectives des gauches à venir : réinvention de l’État, redéfinition de la solidarité, rénovation de la social-démocratie, socialisme du XXIe siècle, bien vivre…

Incidemment l’auteur (Laville) sera à Montréal à l’occasion du congrès de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF). Un séminaire où il présentera cette dernière publication. Il semble que les places sont déjà toutes prises… Je me ferai un plaisir de vous en reparler !

Bon été, bonnes lectures, bons débats !

[1] Publié en 2015 aux Éditions Desclée de Brouwer, 630 pages.

qui sommes Nous ?

Des humains ? Des Québécois ? Des collectivistes, socialistes, progressistes ?

La série de billets publiés ces dernières semaines sur Nous.blogue appelait au dialogue, soulignant les conditions et l’importance du dialogue pour le développement des communautés, pour le développement social… Mais que fait-on quand ceux qui décident, ceux qui ont le « gros bout du bâton » ne veulent pas de dialogue ou quand ils font semblant d’en vouloir, c’est pour mettre sur la glace un dossier chaud, comme on met en place un Nième comité d’étude pour repousser à plus tard la décision qu’il faudrait prendre…

Peut-on encore appeler au dialogue lorsqu’on a le dos au mur, ou sur le bord du précipice ? Que faire alors que le sentiment d’urgence écologique devient constant et de plus en plus pressant ?

Les perspectives qu’on nous propose vont encore dans le sens de plus de consommation, des échanges « libérés » avec des pays de plus en plus nombreux alors qu’il faudrait non pas libérer les échanges mais bien plutôt les encadrer, les soumettre à des critères éminemment non économiques afin d’avoir une petite chance d’amorcer le virage de nos sociétés hyper-consommatrices vers un mode susceptible de durée.

économie sociale et action collective

Un beau petit texte de Hugues Sibille, publié il y a un an sur le blogue de Louis Favreau : D’où vient et où va l’économie sociale et solidaire ? Merci, Louis de nous l’avoir rappelé.

Un rappel historique sur les étapes de développement de l’économie sociale et solidaire, mais aussi rappel des difficultés actuelles de collaboration de ces deux courants frères, et des difficultés encore présentes à promouvoir l’entreprenariat social, à percer le « plafond de verre »…

Sur le sujet de la dépendance et du vieillissement, l’ESS est présente partout : mutuelles d’assurance et de santé, associations de services aux personnes, coopératives d’intérêt collectif. Pourtant on laisse in fine assez largement le sujet aux investisseurs privés.

Dans un autre registre, ce texte de Elinor Ostrom, Collective Action and the Evolution of Social Norms (ici en format « textualisé »). J’ai trouvé particulièrement intéressante l’idée qu’il y a des types d’acteurs différents avec lesquels construire une théorie de l’action collective. Le texte se veut une réponse opposée aux théories (Olson, Hardin) de l’acteur individuel « rationnel » qui tendrait « naturellement » à profiter des actions collectives sans s’y engager. Des actions collectives qui, si la théorie était vraie, ne verraient jamais le jour !

LevesqueInnovaJ’ai réécouté la conférence de Benoît Lévesque donnée au Symposium sur l’économie sociale et la finance solidaire récemment. Je venais de terminer la lecture de l’excellent recueil de textes publié par ce dernier, en collaboration avec Jean-Marc Fontan et Juan-Luis Klein : L’innovation sociale, les marches d’une construction théorique et pratique.

On y retrouve plusieurs textes importants publiés depuis 1991 par Lévesque et ses collaborateurs, sur la fin du « compromis fordiste », l’émergence de nouveaux acteurs sociaux. Une présentation de l’approche de la régulation et un positionnement « Ni structuralisme, ni individualisme méthodologique ». Des textes de fond sur l’histoire du développement de l’économie sociale au Québec; sur la gouvernance des territoires; une analyse détaillée du processus d’institutionnalisation des services de garde à la petite enfance;   plusieurs textes sur le « modèle québécois de développement ». Le dernier chapitre « Un monde qui se défait, un monde à reconstruire » est une belle synthèse des crises récentes et des opportunités qu’elles ouvrent.

« Les formes institutionnelles comme produits de compromis institutionnalisés permettent d’articuler le micro et le macro, l’individuel et le collectif, l’acteur et le champ »

Dans sa conférence de février dernier, le professeur Lévesque présentait l’écosystème de l’innovation sociale québécoise sous cette forme : Système innovation sociale

À plusieurs reprises il souligne l’importance de développer des passerelles entre les secteurs. Je crois qu’il en faudra non seulement entre les secteurs de l’économie sociale et entre l’économie sociale et l’économie solidaire… mais aussi entre le socio-communautaire et l’économie sociale; entre l’économie publique, l’économie privée et l’économie sociale…

Une réflexion et un recul historique qui nous font apprécier les efforts déployés au cours des 30-40 dernières années, les constructions sociales et institutionnelles qui sont le fruit de ces efforts. La capacité que ces structures et réseaux nous ont donné collectivement pour résister (un peu) aux virages et déboulonnages néo-libéraux.

Ce livre (L’innovation sociale) est une somme, celle d’un sociologue passionné, chercheur dévoué, pédagogue infatigable qui a accompagné et éclairé mouvements sociaux et syndicaux depuis quarante ans.

<Ajout 03.25> Le thème de la conférence de M. Lévesque donnée au symposium de février se trouve développé dans son introduction au dossier de la revue Interventions économiques sur les écosystèmes de l’économie sociale et solidaire.

action globale, pensée locale

« Penser global, agir local », cette formule employée par René DUBOS lors du premier sommet sur l’environnement tenu à Stockholm en 1972 pourrait être inversée, en mettant l’accent sur l’agir global – après plusieurs décennies de travail pour élever la conscience sur les enjeux planétaires. Le penser local soulignant quant à lui l’importance de dépasser les slogans et d’adapter, de moduler le plan global en fonction des actifs et des besoins locaux.

Je notais le commentaire récent d’un journaliste sur la question de la réduction des gaz à effet de serre (GES) : « Nous avons dépensé 65% de notre budget collectif de carbone, il ne nous reste que 35% ». Mais une telle formulation ne dit rien de la vitesse, de l’accélération avec laquelle ce « budget » a été consommé. Accélération marquée dans la seconde moitié du XXe siècle par l’arrivée de l’automobile et des électroménagers dans chaque foyer. Une accélération telle que dans les 15 prochaines années nous pourrions consommer autant que durant les cent ans qui ont précédé la seconde guerre.

Faut faire quelque chose, c’est urgent… mais ça fait 40 ans qu’on le dit. Je me demande parfois ce que serait la situation si on avait agi avec détermination dès le rapport du Club de Rome « The limits to growth » et la conférence de Stockholm en 1972((Incidemment, voir l’article de John Ralston Saul dans le G&M d’aujourd’hui sur Maurice Strong un Canadien organisateur de ce colloque et premier directeur du PNUD)). Tergiversation, déni, procrastination l’ont emporté d’autant mieux que les tensions internationales étaient à leur comble : choc pétrolier, guerre du Vietnam, inflation galopante…

Sommes-nous mieux placés aujourd’hui pour agir ? Nous avons sans doute plus de moyens de communiquer, d’apprendre; plus de moyens d’agir, de puissance économique (est-ce à dire plus de flexibilité ?). J’oserais dire que le monde est moins guerrier qu’il l’était durant la guerre froide, même si les drones et les « frappes chirurgicales » alimentent aujourd’hui une guérilla anti-impérialiste, un Jihad qui ne semble pas près de s’éteindre. Un supplément de paix (moins de dépenses militaires) qui devrait nous permettre de dégager des ressources pour construire, imposer, faire respecter de nouvelles règles, de nouvelles limites.

Malheureusement le laisser-faire néo-libéral qui a dominé depuis 30 ans a conduit à une privatisation de la richesse collective, par la réduction radicale de l’impôt sur les hauts revenus (voir Piketty, Le capital au XXIe siècle, p. 805, graphique 14.1) et l’endettement concomitant des gouvernements. G14.1

Les grandes fortunes non seulement ne paient plus autant d’impôt, mais elles prêtent ce qu’elles n’ont pas eu à payer. Ou inversement, les gouvernements doivent emprunter avec intérêts à ceux qu’ils n’ont pas eu le courage de taxer.

Cette offensive de la droite, après les « trente glorieuses » de 1945-1975 où la planification d’État et le développement des services publics avaient dominé, semble avoir mis les socio-démocrates sur la défensive alors que les communistes battaient en retraite. Seule la Chine a pu se mettre à l’abri de ce virage, bien que ce fut en devenant la servante-ouvrière de cette fuite en avant du capitalisme financiarisé.

Mais sommes-nous prêts à changer ? Changer quoi ? Jusqu’où ? À quelle vitesse et avec quels risques ? Des risques pour qui ? Il faudra identifier des cibles, et des contraintes qui seront respectées – imposées – aux récalcitrants sous peine que ces derniers se multiplient et rendent les règles caduques et les cibles inatteignables.

Les solutions ne seront pas que technologiques, mais aussi, surtout culturelles, anthropologiques. Nous sommes des êtres d’habitudes et de tradition plus que de raison. Prendre le chemin des solutions technologiques (le supplément de la revue The Economist de cette semaine en est un bel exemple : « The climate is changing because of extraordinaire inventions like the steam turbine and the internal combustion engine. The best way to cope is to keep inventing.« ) sans changer les habitudes risque d’empirer la situation. Par exemple vouloir remplacer le parc automobiles de moteurs à combustion par un parc d’automobiles électriques alors qu’il faudrait évoluer vers un partage de véhicules (électriques et sans conducteur) et des solutions de  transport collectif. Un autre changement d’habitudes qui risque d’être difficile : réduire la part de viande dans notre alimentation (Un rapport de 2006 de la FAO estime à 18 % la part des GES provenant de l’élevage – Wikipedia).

Peut-être qu’une taxe sur la carbone (et sur les intrants carboniques des produits importés) pourra faire évoluer les habitudes alimentaires, d’achat et de transport… mais il faudra plus qu’une nouvelle taxe. Il faudra mobiliser toutes les couches de la société, et c’est dans la manière dont nous traiterons les différends, les inégalités et les libertés que nous maintiendrons ou affaiblirons nos démocraties. Nous devons amorcer un changement de paradigme pour redonner sa légitimité à l’action publique, et réduire l’acceptabilité sociale des comportements d’évasion. La Transition écologique et économique qui est nécessaire devra être portée par un large mouvement social si on veut agir à temps. Mais ci ce mouvement doit être large, il faut qu’il n’y ait ni gagnant ni perdant, seulement des participants à hauteur de leurs moyens – des responsables à hauteur de leurs patrimoines, des agents à hauteur de leur impact.

[Publié sur Nous.blogue, le 2 décembre]

en route vers Action-Climat 2015 à Québec

Samedi le 11 avril, en route vers Québec pour une « action collective de masse » : Action climat, une manifestation de la volonté populaire, démocratique, de la société civile. Une volonté distincte, indépendante de celle des élus mais aussi de celle de la population en général autour des changements climatiques de plus en plus indubitables mais aussi autour des changements dans nos comportements, induits par cette conscience du climat changeant et des limites de plus en plus visibles et mesurables de la capacité d’absorption de la planète, ses océans et ses milieux naturels, absorption de ces extrants, déchets et pollutions, produits de l’action humaine ou encore effets de sa simple présence, en croissance exponentielle.

Croissance de la population multipliée par la croissance par habitant de la ponction en ressources, en matières et énergie.

Pourquoi si peu d’importance accordée à des signaux et constats répétés, de plus en plus alarmants ? Imaginez que l’appel de 1972  Halte à la croissance ? (The limits to growth) ait été pris au sérieux, plutôt que contesté, médit, contredit par des chercheurs et des groupes d’intérêt ? Le principe de précaution n’a pas bonne presse… ça fait des histoires moins sexy que les voitures de sport et la guerre. De toute façon la confiance manquait gravement entre les peuples et leurs dirigeants, pour mettre en œuvre un freinage et un virage dans la consommation de carbone, d’espace, de forêts, de poisson… alors que la Chine était en pleine révolution culturelle, le Vietnam en pleine guerre avec les USA, les pays arabes producteurs de pétrole s’apprêtaient à frapper un grand coup…

 On pourrait interpréter la hausse rapide du prix du pétrole, le « choc pétrolier » de 1973, comme une réponse logique, rationnelle des magnats du secteur devant la prise de conscience qu’il faudra bien, et cela assez rapidement, réduire la consommation de leur produit : si les bas prix (un gallon d’essence coutait 10 cents) se justifiaient dans une perspective d’écoulement à long terme sur un marché qu’ils pouvaient fournir, contrôler, la fin ou la réduction possible, de ce long terme justifiait d’augmenter le prix demandé. Augmentation du prix qui permit, paradoxalement, de soutenir l’exploration et la mise en service de nouvelles sources de pétrole, qui était soutenu par un développement rapide des marchés consommateurs de produits pétroliers.

 À défaut d’avoir été assez prévenants pour agir dès 1972, ne devons nous pas au moins tirer les leçons de notre inaction ? Identifier les causes et raisons de cette déraison ?

L’inadéquation des instances internationales, incapables de contenir les échanges entre parties dans des limites diplomatiques : la « communauté internationale divisée en deux blocs, au moins, se confrontant militairement sur plusieurs fronts… se menaçant de « destruction mutuelle assurée ». C’était la guerre. Froide et chaude. Pas la guerre totale, mondiale, car la menace nucléaire empêchait l’escalade. Mais les conflits entre blocs et régions empêchaient d’envisager même quelque’ action globale, concertée à l’échèle de la planète.

Depuis déjà 25 ans que le bloc de l’Est s’est effondré pouvons-nous identifier une transformation positive de la capacité des ces instances internationales à faire face à ces défis mondiaux ?

une certaine action collective

K, dont la devise est « le développement collectif dans tous ses états », dans un dossier spécial sur ledit développement, se demande si l’élan n’est pas brisé ? (le dernier numéro est en ligne). Il semble que non. Plusieurs plumes appellent à retourner aux sources, donnent une perspective historique, soulignent l’apport des contributeurs qui sont-seront touchés par les mise à pied, les réorganisations et fusions… Le développement collectif n’est pas le produit d’une structure ou d’un programme de subvention. C’est une obligation, une tendance naturelle, une dimension intrinsèque, inextricable de l’agir humain.

NousblogueDans le même esprit, avec certains des mêmes collaborateurs, l’initiative Nous.blogue est lancée ce midi. Pour rassembler les paroles de ceux qui veulent porter, malgré la morosité ambiante, un espoir, une certaine vision d’un avenir à partager. Un avenir qui n’est pas défini, qui reste à définir par celles et ceux qui croient encore qu’il y a autre chose que la peur et l’appât du gain pour nous orienter dans ce monde. Quelque chose de généreux dans cette ouverture au dialogue, dans cette idée folle qu’une responsabilité collective, une conscience commune peut faire la différence, et transformer le chaos, l’austère bêtise aveugle du chacun pour soi en quelque chose de viable, d’agréable même.

J’ai accepté de participer à ce Nous.blogue avec d’autant plus d’enthousiasme (et d’humilité) que la brochette de collaborateurs rassemblait déjà plusieurs dizaines de plumes respectées. Bon, oui je sais, le nom n’est pas fameux… Mais Nous. n’avons pas trouvé mieux… et il fallait bien passer à l’acte même avant d’avoir trouvé le parfait branding. Le message est plus important que le véhicule, quoiqu’en disait McLuhan. Quel message ? Une critique des politiques conservatrices actuelles ? Oui, sans doute. Mais il faudra plus que cela. Les politiques conservatrices ont pu bulldozer institutions et pratiques parce que les think-tanks conservateurs ont lavé les cerveaux plus blanc que blanc depuis des décennies.

Comme le soulignait Robert Laplante, directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), lors de sa conférence dimanche dernier sur la Dépossession tranquille, le lessivage des consciences est fait depuis si longtemps que les gouvernements de droite n’ont même plus à se justifier avant de déployer, à toute vitesse, leurs programmes de réformes. [Voir son article récent dans Le Devoir] On n’a même plus besoin de se donner un projet de société, il suffit de promettre qu’il y aura moins d’impôt et que la dette sera sous contrôle. Pour le reste, si on peut réduire en même temps ces services qui nous coûtent si cher, à nous les contribuables de la classe moyenne, et qui ne servent, finalement, qu’à entretenir des armées de fonctionnaires. Qui, par définition, sont inutiles et coûteux, quand ils ne sont pas nuisibles. Alors tout le monde est content.

Les CRÉ et autres CLD seront-ils enterrés comme l’ont été, sans plus de bilan ni cérémonie, les CLSC après 30 ans de développement. Trente ans de tergiversations et tâtonnements diront les critiques de ces « petites boîtes toutes croches » (si bien représentées par le logo au petit carré penché). Critiques au premier rang desquels étaient les boites de médecine privées… Il ne faut pas oublier cette première étape lancée par le PM Couillard alors qu’il était ministre de la santé. Ce sont des espaces de délibération et d’interface avec la société qui permettaient, justement, de rendre moins aveugles et bêtes les fonctionnaires… qui disparaissent l’un après l’autre.

Je ne voudrais pas, et je ne suis pas du genre à, me planter les talons et résister au changement. J’ai été de ceux qui ont tenté de faire vivre cette nouvelle « responsabilité populationnelle » lorsque les CLSC ont été intégrés aux CSSS. Mais je trouve un peu gênant qu’on puisse faire disparaître des outils et cadres institutionnels qui mobilisaient des milliers de bénévoles en plus d’employer des centaines de personnes (je parle ici des CRÉ et CLD) sans fournir le moindre bilan, la moindre justification à l’appui de telles réorganisations. Sinon cette idée confinant au préjuger qu’il y avait trop de structures, trop de réunions.

Il en faudra pourtant des réunions et des structures pour que nos entreprises puissent rencontrer les normes européennes dans le cadre du prochain pacte d’échanges. Il en faudra aussi pour que nos quartiers et régions ne soient plus développés à l’aveugle pour répondre à la dernière poussée du cours de l’or ou du bitume. Nous avons la chance de pouvoir compter sur des ressources incomparables d’énergie verte, des réseaux publics de santé et d’éducation qui sont des atouts et non des fardeaux, sans compter les richesses mobilisées par nos entreprises, nos professionnels. Nous avons de quoi contribuer de manière productive et créatrice à la solution des problèmes qui se posent avec acuité non seulement dans nos quartiers, nos villes, nos régions mais à l’échelle de notre globe.

Il faudrait arrêter de pisser dans la soupe. Tous les fonctionnaires ne sont pas des paresseux, pas plus que tous les entrepreneurs des fraudeurs. Nous devons trouver un modus vivendi acceptable à tous les joueurs quels que soient leurs couleurs, leurs religions, leurs langues. C’est là que je décroche du discours, par ailleurs très solide et éclairant, de Robert Laplante, lorsqu’il insiste lourdement sur l’iniquité des transferts fédéraux et le statut de minorité du Québec dans l’ensemble canadien. Je ne conteste pas l’iniquité, elle est d’autant plus prévisible que notre machiavélique Stephen n’a pas eu besoin du Québec pour se faire une majorité. Et que le traitement à la dure des minorités récalcitrantes lui fait sans doute des gains auprès de sa base conservatrice anglo-saxonne. Je conteste la présomption qu’un statut de minorité implique nécessairement un rapport défavorable à la nation. Oui, je sais que j’ouvre une boîte de pandore à aborder ainsi la question nationale… mais c’est aussi une action collective. De même que celles qu’il nous faudra articuler avec des ensembles encore plus grands que le Canada.

Incidemment, pendant la période où nous discuterons d’action collective locale et régionale, il y aura peut-être des actions à l’échelle nationale et internationale qui mériteront notre attention. La campagne électorale fédérale ne devrait pas nous laisser indifférent. Le NPD saura-t-il rassembler une majorité autour d’un projet de société qui ne soit pas une version libérale de centre-gauche ? Peut-on imaginer une majorité électorale constituée des provinces centrales et maritimes qui porterait un programme qui ne soit pas extractiviste ? Je crois que c’est possible, mais pas en 2015… et pas dans un seul pays (qu’il soit Québec ou Canada). Si nous voulons prendre au sérieux les avertissements de plus en plus pressants que nous lance la Terre (combien d’oiseaux avez vous entendus récemment ?) nous devrons développer des actions collectives de grande envergure.

Parlant d’initiatives citoyennes d’envergure je m’en voudrais de passer sous silence, même si je m’en veux d’en parler aussi tardivement, l’appel De peuple à peuple lancé par quelques activistes d’Europe pour soutenir l’action locale des collectivités grecques soumises à un régime d’austérité plus que drastique. Il ne reste que 3 jours pour atteindre un objectif… encore lointain. Jusqu’où et à quelles conditions de telles initiatives peuvent venir influencer les structures et forces politiques en place ? Il y a clairement un potentiel, comme l’a démontré l’appel de Nadeau-Dubois lancé à l’émission Tout le monde en parle contre les oléoducs. En quelques jours près de 400 000$ ont été amassés par socio-financement. À défaut de s’engager dans des partis ou groupes militants, il semble qu’on veuille bien soutenir financièrement des causes. Et pourquoi pas, c’est un premier pas qui conduira peut-être à d’autres formes d’engagement. Et même s’il n’y conduit pas, il aura au moins soutenu ceux qui y sont allés.

Finalement, moi qui voulais simplement souligner l’ouverture d’un nouveau blogue collectif… Je vous invite donc à suivre les débats et contributions de la vingtaine, bientôt trentaine de collaborateurs qui s’élancent aujourd’hui sur Nous.blogue [aussi sur FB].  À noter que ce billet que vous venez de lire ne présage nullement de l’orientation que prendra la conversation sur cet espace nouveau… C’était, comme (presque) toujours sur Gilles en vrac… une réflexion personnelle livrée de manière spontanée, à moins que ce ne soit une réflexion spontanée livrée de manière personnelle 😉

les moyens d’une action collective

Du collectif, de l’action collective, des collectivités agissantes… mais de quelles valeurs ces mouvements se font-ils porteurs ? Plus d’équité ou bien moins de contraintes et plus de laisser aller ? Préserver un peu de la planète et de ses ressources pour les générations futures ou bien ne pas entraver les appétits gargantuesques qui arrachent et brûlent de grands pans de la terre pour le confort et la consommation de deux ou trois générations d’humains ?

J’ai toujours eu des doutes, mais sans les avoir soulevés ici, au regard d’une promotion générale, simple de l’action collective… Il me semblait nécessaire d’aller plus loin que l’action collective pour définir les contours d’une revue comme K ou de l’offre de services d’un C. Mais le flou et l’indéfinition sont peut-être préférables dans la période actuelle où la formulation de « valeurs », d’une orthodoxie confinerait à l’établissement d’un programme, de visées organisatrices, vecteurs de mobilisation. C’est aux acteurs de définir leurs buts et objectifs. Pas au médium qui souhaite véhiculer l’expression de ces acteurs et constituer un lieu d’échange et de partage, de discussion et de critique.

Les enjeux de la survie de K ou de C se relativisent toutefois lorsqu’on envisage la disparition pure et simple de partenaires aussi essentiels que les CRÉ et les CLD !

Si les programmes gérés par les CRÉ sont dévolus aux bureaux des préfets dans les MRC, c’est toute une philosophie d’action et ce sont des espaces démocratiques (et un capital social, une confiance mutuelle) constitués laborieusement depuis des années qui risquent de passer à la moulinette d’une centralisation bureaucratique accrue. Les responsabilités importantes des CRÉ dans la planification régionale, notamment au plan de l’environnement et des ressources naturelles mais aussi en termes de développement durable, font que leur disparition réduira l’emprise démocratique des communautés sur leur avenir, au profit d’une soumission plus grande et aveugle aux tractations d’un marché impitoyable.

La seule mesure qui permettrait de compenser un tant soit peu la réduction des espaces démocratiques régionaux serait de faire du préfet un élu. Cette idée n’est pas de moi, mais c’était une des conclusions de Denis Bourque, lors de sa conférence sur Les enjeux de l’action collective au Québec en 2014, tenue hier à l’occasion de l’assemblée annuelle des amis de K, la revue de l’action collective.

Élire les préfets pour conserver un minimum de pouvoir dans les régions

Après le coup de barre du projet de loi 10, abolissant les CSSS, le régime Couillard se dessine, avec l’abolition des CRÉ, comme une ère de centralisation et de bureaucratisation qui confronte directement les processus et réseaux d’acteurs mis en place au cours des dernières décennies. Un autre moment dans la tension « centralisation-décentralisation » qui a marqué l’histoire de l’État québécois depuis sa naissance. Il n’y aura que les technocrates (et les médecins spécialistes sont de beaux spécimens) pour croire que les structures d’approche intégrée, de concertation et de mobilisation des acteurs régionaux que sont les CRE et CLD sont des « structures bureaucratiques » dont on peut faire l’économie alors qu’elles ont été mises en place pour contrer l’étroitesse et les jeux de coulisse de l’action en silo.

Même en élisant les préfets, il faudra qu’ils apprennent à « danser le tango sur un fil de fer » s’ils veulent poursuivre la mission de développement régional.