énergie propre et patrimoine

[Ajout 8 déc.] Un manifeste paru après la rédaction de cet article : 14 revendications d’un regroupement de la société civile pour un avenir énergétique juste et viable au Québec.

Si vous n’avez pas vu passer la consultation menée par le gouvernement du Québec sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec c’est normal : elle se sera tenue du 1er juin au 2 août, sans tambour ni trompette. C’est un article du Devoir, signé Alexis Riopel, qui m’a mis la puce à l’oreille : Ode à la sobriété énergétique. Une entrevue avec Bruno Detuncq, professeur de génie mécanique à Polytechnique Montréal, à la retraite depuis 2017.

Riopel parlait du mémoire déposé par le professeur dans le cadre d’une consultation dont je n’avais pas entendu parler… J’ai réussi à trouver le site officiel de la consultation, mais pas les mémoires déposés. M. Riopel m’a bien aimablement dirigé vers le site élaboré par le Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec. On peut y trouver le mémoire du professeur Detuncq (Avenir énergétique du Québec – Sobriété et Problèmes énergétiques) de même que 25 autres.

Cette incursion dans le monde de la planification énergétique m’a obligé à me familiariser avec des termes tels le bloc d’électricité patrimonial, accumulateurs de chaleur, tarification dynamique et autres. Mais les enjeux entourant la fourniture d’électricité « propre » pour l’avenir sont très liés à l’atteinte de nos cibles de décarbonation. À l’évidence, il faudra ajouter des capacités de production d’électricité pour remplacer les sources d’énergie fossile dont il nous faut sortir au plus tôt.

De l’énergie à revendre !

Faut-il pour autant continuer de promouvoir le Québec comme terre d’accueil de tous les projets énergivores ? Des batteries pour Hummer, vraiment ? Des parcs de cryptomonnaie ? Plusieurs mémoires présentés lors de cette consultation s’inquiètent de l’orientation productiviste des documents déposés et des questions posées par ce gouvernement.

[L]a lecture des documents fournis en appui à cette consultation et le contenu du questionnaire que vous proposez à la population, auquel nous avons choisi de ne pas répondre, nous font craindre que la cible de décarbonation d’ici 2050 soit un prétexte et non l’objectif réellement visé, qui serait en fait une vigoureuse relance du développement industriel et son cortège de mesures corrosives pour la nature et la société.

Vers la sobriété énergétique, mémoire du RVHQ (je souligne)

Alors que des gouvernements d’autres pays adoptent l’approche sobriété-efficacité-renouvelables, le gouvernement du Québec mise sur la croissance de la production et n’offre qu’un simulacre de consultation sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec. Nous remettons en question l’idée selon laquelle la demande et la production d’énergie au Québec doivent augmenter de façon « naturelle », continue et apparemment sans limite.

Mémoire de Greenpeace (je souligne)

La sobriété, qui devrait être au premier rang d’un plan de développement d’énergie propre (les kWh évités sont les plus propres !), semble la dernière des préoccupations gouvernementales. C’est vrai que ce gouvernement semble plus intéressé à flatter les désirs d’enrichissement à court terme de ses électeurs (étalement urbain et autoroutes plutôt que transport collectif et densification) que de faire face à la « réelle révolution énergétique, écologique, économique et sociale » (mémoire FTQ) qui est devenue nécessaire.

Parler sérieusement de sobriété, ça veut dire (tous les acteurs s’accordent là dessus) adapter le code du bâtiment afin que tous les nouveaux bâtiments soient d’une efficacité énergétique croissante, allant vers la carboneutralité (2040 ?). Pour le stock de logements déjà construits des interventions plus ou moins lourdes et coûteuses devront être faites. Des interventions difficiles à justifier économiquement considérant que le retour sur investissement est minimisé par la tarification actuelle à bas prix du secteur résidentiel bénéficiant d’un interfinancement des secteurs industriel et commercial. 1Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

La sobriété énergétique d’ici 2050, c’est dans 27 ans, et cela devrait se traduire par une diminution du nombre de voitures automobiles sur les routes. Ce n’est pas juste le ministre Fitzgibbon qui le dit… Ce à quoi le chef s’est empressé de rétorquer que son gouvernement n’avait pas l’intention d’empêcher quiconque de s’acheter une deuxième voiture (« notre approche, c’est vraiment de dire qu’il faut aller vers l’auto électrique »). Ce gouvernement se veut celui de la carotte, et non du bâton ! Mais quand il n’y a pas de carotte où il devrait y en avoir, que se passe-t-il ? Le Québec investi trois fois moins par habitant que son voisin ontarien en transport collectif (1548$ VS plus de 4000$ en Ontario, mémoire du RVHQ).

Les pays européens comme la France et l’Allemagne planifient une réduction importante (40%) de leur consommation d’électricité. Ici, on dirait qu’on favorise une augmentation de la consommation : à chacun sa voiture électrique, son bungalow en banlieue et son chalet à la campagne (ou son voyage annuel dans le sud).

En mettant l’accent sur l’accroissement nécessaire de la production électrique plutôt que sur la transition vers un mode de vie plus sobre et propre… on évite les débats difficiles et les arbitrages nécessaires. On reporte à plus tard ? On laisse à d’autres (aux mécanismes du marché ?) le soin de décider ? C’est ce qui se dessine quand on affirme que la libéralisation du marché de la production est nécessaire pour rencontrer les besoins de demain.

Privatiser ou non ?

La première recommandation du mémoire déposé par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal :

Recommandation 1 : Ouvrir rapidement le marché de la fourniture d’électricité aux consommateurs industriels à tous les producteurs.

La grande majorité des autres mémoires déposés s’oppose à une telle libéralisation (privatisation) même si plusieurs promeuvent l’autoproduction et l’engagement des municipalités, coopératives et communautés autochtones dans la production d’électricité.

On s’oppose pour s’assurer collectivement du contrôle dans un secteur jugé stratégique… et pour maintenir l’accessibilité (les bas prix) de l’énergie, en pensant particulièrement aux populations pauvres et peu fortunées qui pâtiraient grandement d’une « mise à niveau » du prix de l’électricité vers les coûts réels actuels de développement.

[C]es bas prix contribuent grandement à la très forte consommation des Québécois. Pour réussir la transition énergétique, le gouvernement devra revoir son approche à la communication des prix de l’énergie de manière à conditionner les attentes et comportements des consommateurs.

Mémoire Chaire de gestion de l’énergie

Le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) est aussi d’avis qu’il faut une tarification reflétant les coûts actuels de développement pour inciter à la sobriété et l’efficacité.

Recommandation 19
Le RNCREQ est d’avis que les tarifs de l’électricité devraient refléter son vrai coût et inciter à la sobriété et l’efficacité énergétiques. Ainsi, le RNCREQ recommande d’étudier et de faire évoluer les tarifications et les autres mesures fiscales en ce sens, tout en développant des mesures de compensation pour ne pas impacter les ménages à faible revenu.

Comme le soulignait la Chaire dans son mémoire, citant une recherche récente : l’annonce d’une augmentation à venir accroit l’impact en terme de changements comportementaux. Adopter un plan annonçant d’avance les changements tarifaires stimulerait d’autant les investissements en sobriété et efficacité que les économies seraient substantielles.

Comment se fait-il que les grands projets de développement immobiliers n’ont pas encore adopté la géothermie (associée à des mesures de stockage local) comme source écologique d’énergie ? Parce que les tarifs résidentiels pratiqués actuellement ne justifient pas de tels investissements. Ni pour Hydro-Québec, ni pour les constructeurs. Pourtant, comme plusieurs le suggèrent, si la production décentralisée (municipalités, coopératives) était favorisée, avec des mesures de stockage et d’échange bi-directionnel permettant de diminuer la pression de pointe sur le système (par exemple en permettant d’utiliser la batterie des autos électriques ou les accumulateurs d’ensembles résidentiels) c’est la productivité de l’ensemble qui y gagnerait.


Il ne faut pas s’attendre à ce que la CAQ se fasse chantre de la sobriété ! Ce gouvernement semble plutôt orienté vers la vente à bon marché des ressources énergétiques et environnementales de ce pays ! Et quand il y aura de l’opposition à transformer chaque vallon et chaque rivière en source d’énergie… on se tournera vers l’énergie atomique ?

En terminant, le mémoire du Front commun pour la transition énergétique est court (8 pages) et se veut surtout un appel au débat et à la prudence. Celui, déjà cité, du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement est le seul, il me semble, à mettre de l’avant le développement des échanges inter-provinciaux. Plusieurs misent sur la sobriété et une approche écologique respectueuse du vivant (Cessons la fuite en avant, Boulimie énergétique écocide, Priorité au vivant, Une décarbonation en harmonie avec le vivant). Le mémoire du professeur Detuncq, Ode à la sobriété énergétique, est celui qui résume le mieux, il me semble, en les quantifiant les besoins d’électrifications des différents secteurs.

Notes

  • 1
    Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

ESS, régulation, écologie solidaire

Un résumé critique du livre de Robert Boyer (L’Économie sociale et solidaire Une utopie réaliste pour le XXIe siècle) par Benoît Lévesque dans la Revue de la régulation : L’avenir de l’économie sociale et solidaire : l’éclairage de la théorie de la régulation. À propos du livre de Robert Boyer. Pour ceux et celles qui s’intéressent à l’économie sociale et solidaire, Benoît Lévesque donne le goût de lire le petit livre de Boyer, tout en soulevant quelques bonnes questions.

J’ai bien l’intention de lire le livre de Robert Boyer mais une petite phrase à la fin de l’article de Lévesque a attiré mon attention : « Bernard Billaudot (2022), dans un riche ouvrage, montre que toutes les sociétés sont fondées à la fois sur une vision du monde (une cosmologie) et sur des modalités de justification de leurs activités et de leurs relations. »

Dans un riche ouvrage, ça m’a intrigué. J’ai trouvé cet ouvrage : Société, économie et civilisation. Vers une seconde modernité écologique et solidaire, qui, malgré son fort volume (quelques 3000 pages !) est disponible gratuitement en format epub, pdf ou en ligne.

Si vous n’aviez pas encore de lecture pour la fin de l’été…

l’espace et le temps

Lectures d’été

Il arrive des moments où je ne sais plus où donner de la tête. Particulièrement durant l’été, où les échéances s’étirent ou s’estompent… où on peut se permettre d’être encore plus dilettante, explorateur que d’habitude. Je me demande si je dois poursuivre ma lecture du deuxième tome de la somme 1deux fois 800 pages! Une histoire de la philosophie, volume sous-titré Liberté rationnelle – Traces des discours sur la foi et le savoir, par Jürgen Habermas. J’en suis à la page 155, juste après le chapitre La séparation de la foi et du savoir : protestantisme et philosophie du sujet et avant d’aborder Au croisement de la pensée postmétaphysique : Hume et Kant. J’en suis à la deuxième de ce que l »auteur appelle ses Considérations intermédiaires. Un coup d’oeil à la table des matières des chapitres qui me restent à lire. Ça s’annonce passionnant :

Chapitre VIII. Au croisement de la pensée postmétaphysique : Hume et Kant

  1. La déconstruction par Hume de l’héritage théologique de la philosophie pratique
  2. L’explication anthropologique des phénomènes du droit et de la morale
  3. La réponse de Kant à Hume : le sens pratique et l’arrière-plan relevant de la philosophie de la religion du tournant transcendantal opéré par la philosophie
  4. La justification postmétaphysique d’un intérêt intrinsèque à la raison

Chapitre IX. L’incarnation de la raison dans le langage : de l’esprit subjectif à l’esprit « objectif »

  1. Les impulsions politiques, économiques, culturelles et scientifiques poussant au changement de paradigme
  2. Les motifs conduisant au tournant linguistique chez Herder, Schleiermacher et Humboldt
  3. L’assimilation de la foi au savoir opérée par Hegel : le renouvellement de la pensée métaphysique après Kant
  4. La raison dans l’histoire : autonomie contre mouvement autonome du concept

Troisième considération intermédiaire. De l’esprit objectif à la socialisation communicationnelle des sujets connaissants et agissants

Chapitre X. La contemporanéité des jeunes hégéliens et les problèmes de la pensée postmétaphysique

  1. Le tournant anthropologique de Ludwig Feuerbach : sur la forme de vie des sujets incarnés organiquement et socialisés sur le mode communicationnel
  2. Karl Marx sur le thème de la liberté située historiquement des sujets productifs et politiques
  3. L’écrivain religieux Sören Kierkegaard sur la liberté éthique et existentielle de la personne individuée du point de vue biographique
  4. Des processus d’interprétation entre rapport à la vérité et rapport à l’action : Peirce, initiateur du pragmatisme
  5. Sur le mode d’incarnation de la raison dans les pratiques de la recherche et de la politique
Une histoire de la philosophie, tome II, J. Habermas, 2023

J’ai pris une pause dans cette lecture pour me plonger dans une plaquette (119 pages) du même auteur : Espace public et démocratie délibérative : un tournant. Ça me semblait un élément pertinent pour une réflexion sur les enjeux liés au développement d’initiatives telle Projet collectif et ses Praxis et En commun… Bon, je n’ai pas encore formulé cette réflexion, j’ai bien quelques notes écrites mais pas encore de billet. J’ai par la suite pris congé des lectures sérieuses en lisant un « policier-techno » : Red Team Blues, de Cory Doctorow. Une histoire de « forensic accountant » (comptable-criminaliste ?), de crypto-monnaies et de rêve californien…

De fait, ça fait un certain temps que j’ai délaissé Une histoire de la philosophie, car j’ai entretemps lu la monographie de Robert Boivin, Histoire de la clinique des citoyen de Saint-Jacques.

La Clinique des citoyens, Bonnie Sherr Klein, offert par l’Office national du film du Canada

Ce qui me donnait matière à contextualiser un autre billet en préparation : sur les années 1970-1973 dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve autour du projet de Centre communautaire de santé. Je me suis replongé dans des documents d’archives rassemblés il y a longtemps, ou dont j’ai hérité récemment (Merci Jean P.-R.). Yves H. me suggérait aussi de lire la biographie de Robert Burns, qui fut élu député de ce quartier en avril 1970. Et effectivement je trouve des traces de la pensée « hyper-démocratique » (c’est le qualificatif qui me vient !) de Burns dans un projet lié à un colloque tenu cet été là au Collège Maisonneuve.

Je me suis plongé avec d’autant plus d’intérêt dans ces documents d’archive que j’y trouvais des traces de l’action menée par Annette Benoît, PSA, dans et autour du projet de proto-CLSC, cette Petite soeur de l’Assomption qui a célébré son centenaire récemment. J’ai la chance de m’entretenir avec elle régulièrement depuis quelques années, aussi elle a pu m’éclairer sur la dynamique à l’oeuvre dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve de cette époque, il y a 50 ans. C’est un autre billet sur lequel j’accumule des matériaux : le centenaire d’une activiste, d’une entrepreneure sociale. J’ai un peu de difficulté à séparer les contenus de ce billet et du précédent : les années 70-73 dans le quartier. Je devrai sans doute les rédiger en même temps, pour référer de l’un à l’autre…

Il y a aussi ces auteurs découverts récemment (Hartmut Rosa {Remède à l’accélération; Rendre le monde indisponible}; Andreas Malm {Comment saboter un pipeline; L’anthropocène contre l’histoire}; Chris Otter {Diet for a Large Planet – Industrial Britain, Food Systems, and World Ecology}. Pour ce qui est d’Andreas Malm, j’ai pu lire une introduction critique Le kaléidoscope de la catastrophe : lumières et opacités chez Andreas Malm. C’est Hartmut Rosa qui m’intéresse le plus en ce moment.

Notes

  • 1
    deux fois 800 pages!

la bataille du siècle

lectures récentes (3)

« Les très bons objectifs sont ceux qui, au moment où on les lance, sont hors de portée de nos moyens de départ, mais qui nous permettent de créer des dynamiques d’accumulation de forces en cours de route, qui nous donnent la capacité de les atteindre finalement. »

La bataille… page 71

Jon Palais, militant de la question climatique

Il s’est engagé sur la question climatique avec l’association basque Bizi ! après avoir commencé à militer à Greenpeace. Co-fondateur des mouvements climat Alternatiba en 2013 et Action Non-Violente COP21 en 2015, il a participé au lancement des Camps climat en France, et à l’animation de nombreuses mobilisations et campagnes d’actions non-violentes depuis une dizaine d’années.

Quatrième de couverture

À partir de ses expériences l’auteur identifie les principes qui l’ont guidé ou les leçons qu’il a tirées afin de porter un mouvement, qui s’est développé rapidement dans des dizaines de localités, et s’est exercé à des actions à l’échelle nationale, vers une échelle plus grande, un rapport de force capable d’obtenir des changements plus rapides et significatifs.

Palais nous fait vivre la mobilisation pour bloquer ou déranger la tenue d’une conférence internationale des pétrolières qui allait se tenir quelques mois à peine après l’accord de Paris 2015… Il nous introduit au réseau Alternatiba.

« [Nous devons] nous organiser sous la forme d’un réseau décentralisé de groupes, à la fois autonomes et connectés les uns aux autres.

Trois grands axes complémentaires peuvent guider le développement d’un tel réseau de groupes, qui correspondent à trois valeurs déjà bien développées dans les mouvements écologistes : la résilience, la résistance, et la solidarité.

la résilience correspond au développement des alternatives. Les alternatives seront toujours le cœur de notre capacité d’adaptation aux changements de contextes : il s’agit des moyens concrets permettant de vivre autrement;
L’axe de la résistance correspond à notre capacité à nous opposer, nous interposer, et à empêcher les projets et les activités qui aggravent le dérèglement climatique et la destruction écologique. (…) [T]out projet climaticide que nous empêcherons sera une victoire partielle mais très concrète dans la limitation du dérèglement climatique.
Le troisième axe est celui de la solidarité, qu’il faudra défendre face aux réactions de repli identitaire, aux logiques de clan, de compétition et d’individualisme, d’intolérance, qui peuvent facilement être exacerbées en cas de perturbation du système actuel, tant par le libéralisme autoritaire que par l’extrême droite. (p. 249-50)

Après avoir mené des actions dans des dizaines de territoires différents en même temps, (…) nous devons désormais nous projeter dans des actions décentralisées sur des centaines de territoires simultanément. Tout en inscrivant cette action dans une mouvance internationale. »

Les principes d’action mis en pratique par ce mouvement sont liés à l’approche non-violente qui permet d’accueillir des publics plus largement, et facilite l’intégration des nouveaux. Une formation politique à partir de la pratique plutôt qu’à partir des livres et théories. Une grande attention est portée aux processus démocratiques afin que les intellectuels, les « grandes gueules » ne prennent trop de place… afin que tous s’expriment et contribuent. Des principes de rigueur, de ponctualité… qui sont parfois difficiles à accepter pour certains, mais qui permettent une efficacité nécessaire. La rigueur n’exclut pas les moments festifs!

Il faut porter une attention fine à l’accueil et l’inclusion des nouveaux, jeunes ou vieux, au sein du mouvement, une attention qui doit être continue, soutenue car il y a une tendance spontanée à faire évoluer l’organisation vers un cercle militant, exigeant, certains diraient woke. Un cercle où il devient difficile d’entrer à moins de satisfaire à une liste de critères.

Radicalo-pragmatisme, pour un mouvement à la fois radical et populaire.
L’exemple de la monnaie locale1Une monnaie complémentaire qui ne peut être utilisée que sur un territoire donné Eusko (monnaie locale du Pays Basque), comme outil de relocation de l’économie, mais aussi comme levier pour « flécher le type d’activités économiques où elle peut être dépensée, sur la base d’un cahier des charges qualitatif. » Ce cahier de charges aurait pu être maximal, ce qui aurait réduit les utilisateurs à ceux qui ont déjà des pratiques « vertueuses ». Il pourrait aussi être minimal, et laxiste ce qui toucherait plus de monde mais ne changerait pas les pratiques. Un cahier de charge progressif a plutôt été élaboré où le nombre de critères à l’entrée a été réduit à 2, à partir d’une longue liste, la démarche collective devant par la suite faire progresser le commerçant participant vers plus de qualités.

« Ce système de monnaie locale complémentaire permet de doubler la monnaie : quand vous avez échangé 100 euros contre 100 euskos, vous n’avez perdu aucun pouvoir d’achat, car vous pouvez acheter les mêmes quantités de pain, de bière, de légumes, que si vous aviez utilisé vos 100 euros. Mais les 100 euros que vous avez échangés contre vos 100 euskos n’ont pas disparu, ils existent toujours quelque part : ils sont placés dans un fonds à la Nef, une banque éthique qui ne finance que des projets répondant à des critères écologiques et sociaux.

La bataille du siècle, page 75

Des logiques d’alliances. Palais décrit deux luttes menées en 2012 contre des projets imposés par le groupe Vinci qui se mènent simultanément : contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et contre le projet de Ligne à Grande Vitesse (LGV) au Pays Basque.

Les expériences d’alliance avec des maires du PS alors que la politique du Parti était conspuée, dans la bataille du LGV; ou d’alliance avec des maires de droite dans le premier cas… lui permettent de critiquer les positions « puristes » et d’affirmer l’indépendance politique de la démarche.

La mobilisation citoyenne. La description minutieuse de la campagne des Faucheurs de chaises, qui visait à dénoncer l’évasion fiscale soutenue par les grandes banques, met en lumière la tactique de l’action dilemmatique qui consiste à mettre l’adversaire devant des choix qui lui sont tous défavorables. À 34 reprises des militants sont entrés dans des succursales bancaires pour y faire des « réquisitions citoyennes » de chaises. Près de 200 chaises ont été ainsi « réquisitionnées ». Elles seraient remises à leurs propriétaires quand ceux-ci rembourseront l’impôt dû ! Les banques ont riposté en poursuivant des leaders, mais se sont rétractées, finalement, n’osant pas se présenter au tribunal devant le ridicule de leur situation. Dans un autre coup publicitaire, elles ont été finalement déposées devant le siège social de la BNP, et laissées aux bons soins des policiers qui avaient établi un cordon de sécurité.

Village des alternatives Alternatiba Dans le creux de la vague du mouvement pour le climat, en 2011-12 les militants de Bizi! décident d’organiser un « village des alternatives » qui occupera tout le centre-cille de Bayonne où des dizaines de kiosques, des activités culturelles, des banquets sont organisés, après un an de préparation, pour rendre plus concrète la problématique du climat : « plutôt qu’un sujet flou et inaccessible, les alternatives qu’on souhaite mettre en avant sont au contraire très concrètes, tangibles, et liées à notre vie de tous les jours. Elles sont déjà présentes sur nos territoires au niveau local, on peut les voir, les toucher, les goûter, les expérimenter concrètement. » Une initiative qui fera florès : dans les deux années qui suivent, on voit éclore cent « villages des alternatives » « principalement en France mais aussi dans d’autres pays, en Autriche, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, au Royaume-Uni, en Haïti et au Sénégal, où s’organisent également des Villages des alternatives  » Alternatiba « ».

La mobilisation autour de ces Villages favorise l’implication de gens qui ne s’étaient jamais engagés auparavant. Et ce travail ne se fait pas que par Twitter, Facebook ou TikTok ! Ce sont les réseaux sociaux réels, les paroisses, les marchés publics, les boulangeries qui sont parcourus, sollicités…

Avoir des chorales un peu partout dans le Village le jour J crée ainsi une ambiance festive et conviviale, tout en donnant à voir concrètement comment la philosophie « moins de biens, plus de liens » peut contribuer à inventer une société bas-carbone joyeuse, épanouie et enrichissante. Les chorales, qui ne s’étaient pas mobilisées pour le climat jusqu’ici, se retrouvent à jouer un rôle important dans l’atmosphère et le message politique de l’événement. (…) Pendant des mois, des centaines d’associations et d’acteurs divers qui n’ont a priori aucun lien avec la lutte pour le climat mettent ainsi à l’ordre du jour de leurs réunions la possibilité de participer au Village.

La méthode de mobilisation d’Alternatiba montre ainsi comment une approche par la pratique et un travail autour des réseaux sociaux physiques entraînent des dynamiques de mobilisation populaires intégrant des publics diversifiés. Cette méthode a contribué à construire des strates du mouvement climat en intégrant des personnes au-delà des cercles purement militants et politisés.

La bataille… p. 127 et 141

Des stratégies de mobilisation qui se sont appliquées pour s’opposer à la transformation de logements en AirBnB… ou encore pour « décrocher Macron » en l’interpelant Climat, justice sociale : où est Macron ?

Jeudi 21 février 2019, des militants d’ANV-COP21 entrent simultanément dans quatre mairies à Lyon, Paris, Biarritz et Ustaritz, y décrochent le portrait officiel du président Macron et repartent avec. (p. 163)

La bataille devra se mener à la fois contre le capitalisme prêt à tout pour continuer ses pratiques prédatrices et contre une droite qui se durcit, une extrême-droite qui s’organise. Une bataille qui sera longue, malgré l’urgence qui s’accroit. La seule certitude, c’est que rien n’est certain… et qu’il faut être prêt à pallier aux effets néfastes qui se multiplient, par résilience et solidarité, tout en étant préparé à saisir les opportunités qui s’offriront de faire avancer le message, grandir les réseaux et capacités de résistance, faire des gains qui amélioreront notre rapport de forces.

Ce livre est un manifeste contre le défaitisme et en ce sens on pourrait le rapprocher de celui que je commentais précédemment : How to be a climate optimist ? Mais c’est un optimisme bien différent car il se base d’abord sur une compréhension fine de l’engagement social et de la lutte politique. Palais ne fait que très peu, ou pas du tout de référence aux nouvelles sources d’énergie ou aux enjeux liés à la transformation des procédés industriels… La promotion de l’agriculture paysanne et biologique ou encore la critique de l’hyper mobilité ancrent son récit dans une approche de la décroissance matérielle permettant une sobriété heureuse.

Partir du terrain, de la pratique pour mobiliser largement, sortir des cercles militants et faire des alliances stratégiques pour développer une « écologie populaire », ce sont des principes que Jon Palais articule de manière convaincante dans son livre. Si j’avais à identifier une faiblesse, c’est dans la dimension internationale du mouvement qui devra être développée. Il le dit lui-même :

Comme beaucoup d’autres phénomènes en France, les mouvements militants de l’hexagone sont assez autocentrés sur la France métropolitaine. Là aussi, il y a un changement d’échelle à penser. Même si nous avons énormément de chantiers à réaliser à l’échelle française, le développement de la dimension internationale du mouvement climat global doit faire partie des priorités. (p. 275)

La question qui se pose en terminant ce « guide » est celle, politique : le changement d’échelle sera-t-il suffisant pour forcer les formations politiques en place à se réformer, se métamorphoser (pour reprendre un terme cher à Bizi!) ? Ce qui me semble une belle introduction au prochain billet portant sur le livre L’esprit démocratique du populisme, par Frederico Tarragoni.

Notes

  • 1
    Une monnaie complémentaire qui ne peut être utilisée que sur un territoire donné

économie écologique

Lectures récentes (1)

L’économie face à la nature – De la prédation à la coévolution, de Harold Lever et Antoine Missemer, publié par l’Institut Veblen et Les Petits matins en janvier 2023.

Je ne me souviens plus de ce qui m’a conduit à cette publication, mais la présence de l’Institut Veblen a sans doute joué, ayant déjà apprécié leurs travaux notamment sur la « traçabilité » ( Réussir le « Green Deal » : un programme social-écologique pour sortir l’Europe de la crise, 21 mars 2020, Institut Veblen).

Un livre sobre, écrit par des économistes, court malgré ses 250 pages (dont 20 pages de bibliographie) vue l’ampleur historique et épistémique du parcours.

« Par coévolution nous entendons une économie où les interdépendances entre activités humaines et dynamiques naturelles sont placées au cœur des modes de production et de consommation, où les êtres humains agissent par et pour le vivant en sélectionnant les innovations institutionnelles, techniques ou organisationnelles les plus adaptées à cet objectif.

« En lieu et place d’une vision économique de notre environnement naturel (prix des ressources, coûts financiers de dégâts écologiques, etc.) nous devons adopter une vision écologique de nos économies dans laquelle la cohabitation entre humains et non-humains devient la priorité. »

Les premiers chapitres retracent l’histoire de la perception de la nature d’un point de vue économique et soulignent les efforts passés pour inclure l’économie dans le vivant, dans la Nature. Mais aussi la tendance dominante à évaluer cette dernière d’abord en termes de gains et pertes pour l’humain plutôt que d’équilibre et de gains partagés, de coévolution. J’ai quand même l’impression qu’il manque à cet exercice historique et épistémologique une appréhension réaliste du poids actuel que fait peser l’économie capitaliste thermo-industrielle sur la nature.

Une impression similaire devant la partie « Nourrir l’être humain sans détruire les écosystèmes » : on ne pose pas vraiment la question de la capacité de nourrir 8 milliards d’humains avec une agriculture biologique et circulaire… sinon en soulignant qu’il y a du potentiel de croissance de cette dernière.

Certaines politiques de réensauvagement (ex: réintroduction des loups) conduisent à des compensations des éleveurs alors que de nouvelles perspectives (bénéfices) économiques se développent : tourisme d’observation de la nature…

À la page 198 j’apprends que la Cour suprême du Canada « a innové en décidant de donner priorité aux actions de restauration écologique avant le remboursement des dettes financières de l’entreprise en faillite ».  Une petite recherche me conduit à la cause Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd (2019) sur le site de la Cour suprême : « Une entreprise pétrolière et gazière qui a fait faillite doit s’acquitter de ses obligations environnementales provinciales avant de rembourser ses créanciers. » Intéressant. Reste à savoir si les provinces vont vraiment prioriser la restauration de l’écosystème plutôt que de soigner leurs relations (souvent serviles) avec l’industrie minière.

En fin de compte, malgré les critiques soulevées, ce tour d’horizon donne à voir les nouveaux champs d’application d’une économie qui ne s’enfermerait pas dans le seul marché. Pour reprendre quelques phrases de la conclusion :

« Encastrer l’économie dans les dynamiques naturelles, reconnaître la dette écologique des systèmes économiques, nourrir l’être humain sans détruire les écosystèmes, apprendre à vivre avec la biodiversité sauvage, transformer le contrat social en un contrat naturel : ces cinq principes constituent le vade-mecum d’une économie de la coévolution, dont l’avènement est devenu impératif face aux alertes environnementales que nous connaissons, en particulier l’amorce de la sixième crise d’extinction du vivant. »

La reconnaissance du pouvoir des municipalités de freiner le développement immobilier (ou industriel) afin de respecter la capacité limitée des systèmes en place (égouts, eaux, routes) est déjà reconnue dans le projet de loi 16 actuellement à l’étude à Québec. Ne pourrait-elle être étendue au respect de la capacité des environnements naturels ? Ça semble le cas quand les villes tentent de faire respecter les zones humides et espaces verts mais elles rencontrent des difficultés qui prennent la forme de poursuites pour « expropriations déguisées » (Voir billet précédent : nos villes et nos villages).

(22.05.23)À noter une publication récente (18 mai) de l’IRIS sur un thème approchant : L’empreinte matérielle de la couverture des besoins de base au Québec.
(25.05.23) Un épisode du podcast La terre au carré (France Inter) avec Harold Levrel et Antoine Missemer, L’économie face à la nature : vers une transformation écologique de l’économie ?


Ce billet aurait pu s’intituler « mes dernières lectures » comme j’en écris parfois, pour noter mon appréciation et ce que j’en ai retenu, avant de tout oublier ! Quatre livres donc : L’économie face à la nature; How to be a climate optimist;  La bataille du siècle; puis L’esprit démocratique du populisme.
NOTE : Après avoir rédigé les deux premiers commentaires j’ai décidé de les publier séparément.

le temps qui nous reste

Le bulletin quotidien Daily Dose of Resilience me fait connaître le blogue d’un astrophysicien, Tom Murphy, Do the Math. Je retiens deux articles publiés récemment : The Cult of Civilization (2022.10.04) et The Simple Story of Civilization (2022.12.19).

Une version vidéo (30 minutes) sous forme d’entrevue portant sur ce dernier texte a été réalisée par Nate Hagens :

Ce même Tom Murphy (enseignant à l’Université de Californie à San Diego) publiait en 2021 un document de référence (textbook) : Energy and Human Ambitions on a Finite Planet (PDF gratuit de 465 pages).

Un tour d’horizon des sources actuelles et potentielles et des difficultés prévisibles (ou impossibilités) pour remplacer les actuelles énergies fossiles. Comme il le disait à la fin de son « The Simple Story… » (ma traduction)

« la poussée vers la transition vers les énergies renouvelables est, à mon avis, malavisée. Le but implicite est de préserver la civilisation dans essentiellement son état glorieux actuel en la maintenant alimentée pour continuer de la manière la moins perturbatrice. Perturbateur de quoi? De nos préoccupations économiques? La civilisation s’avère être terriblement perturbatrice pour le monde naturel. En donnant la priorité à la préservation de la civilisation, nous élevons cette construction éphémère et artificielle au-dessus de la biodiversité et d’un écosystème sain: une prescription pour un échec certain. »

Il n’y a pas de solution facile, de plan à suivre simplement… mais il faudrait arrêter de s’imaginer qu’on peut juste changer les moteurs à essence pour des moteurs électriques ! Le virage nécessaire est beaucoup plus radical.


herbe à poux ou armoise commune ?

J’ai été heureux de constater que ce que je croyais être des plans d’herbe à poux, dans la petite friche près de chez moi, mais vraiment beaucoup d’herbe à poux, se révèlent être des plans d’armoise. Bon je ne sais trop s’il s’agit d’armoise commune, annuelle ou vulgaire. Mais au moins ce n’est pas de l’herbe à poux, avec ce que cela impliquait d’allergènes bientôt relâchés dans l’air ambiant. En fait j’ai assez facilement identifié les plans de grande herbe à poux, dont le feuillage est très différent de la petite herbe à poux (ce dernier lien menant au site du gouvernement québécois). La confusion de l’herbe à poux avec l’armoise vulgaire semble fréquente (« L’armoise vulgaire peut être confondue avec la petite herbe à poux (Ambrosia artemisiifolia) au stade végétatif« , dit le site de l’IRIIS).

Ainsi l’identification faite dans le premier relevé des plantes présentes sur le peitit « carré vert » (voir la 6e photo) nommait Petite herbe à poux (Ambroisie à feuilles d’armoise) ce qui s’est révélé, avec la maturation, être de l’Armoise vulgaire. (je vais bientôt change la description) En plus de la manière dont les graines sont disposées, (celles de l’herbe à poux sont beaucoup plus concentrées sur la tête) la coloration de la feuille de l’armoise est typique : presque blanche à l’endos.

Par ailleurs l’armoise semble une plante pleine de qualités : on la cultive même pour ses vertus médicinales. Certains l’appellent l’absinthe chinoise.

une riche petite friche

Je ne cesse de découvrir de nouvelles espèces de plantes, fleurs, arbustes ou arbres… dans ce petit terrain laissé en friche depuis plusieurs décennies. Voir l’album par ordre alphabétique déposé sur Flickr. Dominé par de grands peupliers deltoïdes, on y trouve des asclépiades, des cerisiers de Virginie, des carottes sauvages… et beaucoup d’herbe à poux et de vignes vierges. Un ou deux ormes d’Amérique, dont un qui a bien deux mètres… des « érables à Giguère » et un érable argenté…

Avec quelques voisins (et l’appui du propriétaire) nous aimerions avoir quelques conseils dans l’aménagement de cet espace afin d’y laisser croitre les « bonnes espèces » et faciliter la maturation d’un petit espace vert diversifié ayant le maximum d’impact positif sur la qualité de l’air, la faune aviaire… et la captation de carbone. Je me demande bien qui pourrait nous donner de tels conseils ? Un service de la Ville ou de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve ? L’Institut de recherche en biologie végétale (situé au Jardin botanique) ? Le Conseil régional de l’environnement ? Je cherche ! Si vous avez des suggestions…

Hé oui, il y a même des cerisiers de Virginie…
Ce que ma mère appelait des « cerises à grappes ».

Merci au groupe Facebook La flore du Québec pour l’aide à l’identification de certaines. J’ai aussi utilisé les applications PlantNet, ainsi que les aides à la reconnaissance par images de Google et Bing. Pour les noms latin et anglais, j’ai eu recours à Canadensys.

Se battre pour ne pas désespérer

Comment garder espoir en l’avenir quand le gros des efforts semble se borner à ne pas reculer en quatrième vitesse ? Il nous faudrait un plan pour éliminer TOUS les VUS (véhicule utilitaire sportif) de nos routes d’ici quelques années (et non quelques décennies) et on continue d’ajouter des autoroutes, d’empiéter sur les terres agricoles… La publicité pour ces véhicules continue même d’occuper la première place sur les ondes télévisuelles. C’est « normal »  puisque ce sont les véhicules les plus vendus : ces « véhicules énergivores composaient  79,9% des nouveaux véhicules personnels vendus en 2020 », selon la dernière étude d’Équiterre.((Voir les recommandations d’Équiterre pour réduire notre dépendance aux VUS.)) Comment prétendre préparer le changement alors qu’on continue de promouvoir les vieux modèles ? Ces publicités sont la meilleure preuve de l’incapacité du capitalisme à nous sortir de l’impasse, disait Bernard Perret, dans Quand l’avenir nous échappe, 2020.

Il semble bien que l’homo economicus domine sans partage : celui qui ne pense qu’à son intérêt individuel à court terme. Après moi le déluge ! ou encore YOLO (You Only Live Once) résument bien sa philosophie. Pour d’autres, un peu moins cyniques en regard de l’avenir et des autres, ce sera : « Une dernière fois » — « C’est mon dernier VUS »… Pourtant il y en a déjà trop. Il faudrait tout mettre en oeuvre pour inventer de nouvelles solutions, expérimenter de nouveaux modes (de transport, de partage, de travail). Il faut arrêter de creuser parce que l’objectif est de sortir du trou !

La plus grande victoire des néo-libéraux depuis quarante ans aura été de nous convaincre de l’incompétence, ou pire de la nocivité, de l’intervention publique. Ce qui a conduit au recul systématique et sur tous les fronts de la légitimité de l’intervention publique, au nom des supposées plus grandes efficacité, flexibilité ou créativité de l’entreprenariat capitaliste. Comme souvent les meilleurs mensonges comportent une part de vérité, l’intervention publique de la fin des 30 glorieuses (fin des années ’70) était devenue pléthorique, trop puissante pour la qualité du projet social qu’elle proposait : de plus grands HLM, des polyvalentes encore plus immenses, des autoroutes encore plus larges passant par les quartiers les plus pauvres… Des investissements structurants qui ne menaient nulle part, ou ne savaient plus où aller. Mieux valait laisser l’argent entre les mains de « ceux qui  le produisait », comme on se plaisait à le colporter à l’époque : « Les services publics sont financés par la richesse produite par le secteur privé ». Heureusement de telles inepties sont moins populaires aujourd’hui : la richesse privée ne peut exister sans les multiples formes de soutien du public, du communautaire, du philanthropique, du religieux… La richesse privée n’existerait pas sans la culture commune qui fonde tant le respect de la loi que la croyance en la valeur des contrats ou de l’argent. 

Toujours est-il que pendant plus de quarante ans la bride a été laissée, en quelque sorte, sur le dos du capital, pendant que les États étaient amenés (forcés) à réduire leurs ambitions, l’ampleur et le caractère structurant de leurs interventions. Plutôt que de construire des institutions et des infrastructures on a distribué des prestations… à crédit. (Voir W. Streeck, Du temps acheté, 2014) Mieux valait laisser libre cours à la créativité des groupes d’intérêts. Regardez le progrès : tous ces iPhones qui se promènent avec un humain en laisse; et toutes ces livraisons d’Amazon qui arrivent magiquement sur le pas de nos portes. Toute cette richesse de créations culturelles qui siphonne par dizaines de milliards les poches des consommateurs : à qui les Disney, HBO, TV+, Netflix, Prime, et autres fourgueurs de rêves ? 

Autrement dit nous avons laissé se développer les industries du rêve et de l’illusion, un système producteur de «gadgets and profits », disait Fraser au dernier colloque du CRISES, plutôt que de nous préparer à ce qui était déjà annoncé il y a 50 ans (Halte à la croissance ?, 1972), et prévisible depuis plus longtemps encore. Le report de l’intervention à plus tard semblait justifié alors puisque la technologie allait, demain, résoudre plus facilement les problèmes soulevés par le développement (pollution, surpopulation, réchauffement, extinctions de masse…).  Aussi il  était difficile d’arrêter un modèle, un plan d’action. On a plutôt investi dans les technologies de l’information et des communications, la micro-informatique et la diffusion de masse, les réseaux et contenus « intelligents »… Le transport des marchandises et des personnes s’est aussi grandement développé au cours des dernières décennies. C’était la concrétisation de l’idéal néolibéral: plus de commerce à l’échelle du globe et la planète s’en portera mieux, avec moins de guerres et plus de développement dans les pays « du sud » ! Mais c’était aussi, pour beaucoup, le développement de « gadgets » profitables parce qu’orientés vers des clientèles solvables et nombreuses : les fameuses classes moyennes (3 graphiques tirés de Capital et idéologie de T. Piketty, et quelques commentaires). Des gadgets et des cabanes, avec des autoroutes pour s’y rendre. 

Nous avons laissé se développer une infrastructure hypertrophiée des communications et du transport des marchandises au détriment d’une emprise plus fine qui soit respectueuse de la qualité des milieux de vie et des habitats mobilisés par la production marchande. De même les entreprises d’extraction (de minéraux, de bois, de produits végétaux, d’élevage et de la pêche) se sont développées sans égards (ou si peu) aux conséquences sur la viabilité à long terme de notre monde. 

Jusqu’à la chute du mur de Berlin, on pouvait prétexter, pour ne pas se préoccuper de la planète, des conceptions incompatibles du monde entre les protagonistes géants qui ne pouvaient avoir la confiance nécessaire à une telle entreprise commune. Mais après la chute ? Il n’y avait plus d’urgence, plus de menace extérieure questionnant la légitimité même du système capitaliste. Ne restait que la pression des associés et des compétiteurs, des groupes de citoyens et de consommateurs, des syndicats et des corporations professionnelles… Les États ont quand même poursuivi certaines discussions et négociations autour d’enjeux d’intérêt particuliers (droits des mers, pollutions spécifiques telle les HFC, changements climatique…) tout en préservant, valeur ultime, la libre circulation du capital

Ce qui nous donne un peu d’espoir, malgré tout

Les appels à l’action, « Au delà de la rhétorique », de la part d’agences ou d’instances qui sont plutôt discrètes habituellement : 

Les grands groupes financiers se font demander ce qu’ils ont de « valeurs viciées », de capitaux à risque de dépréciation rapide dans leurs coffre-forts et au coeur de leurs alliances industrielles. ( Mark Carney : Values: Building a Better World for All )

Les États aussi se feront demander ce qu’ils ont fait, au delà des discours et de la petite politique : Quels gestes ont été posés, avec quels résultats ? Plutôt que d’agir de manière défensive et tactique, un pied sur l’accélérateur et l’autre sur le frein, les États doivent renouer avec des missions mobilisatrices et audacieuses : il nous faudrait pour le climat l’équivalent du plan « Shot to the moon » lancé par Kennedy pour « atteindre la lune avant la fin de la décennie ». Voir Mariana Mazzucato et sa remise en valeur de l’action publique, de l’État (Mission Economy: A Moonshot Guide to Changing Capitalism, 2020 ; L’État entrepreneur 2020 [The Entrepreneurial State, 2011, 2013, 2015] ).

Mais ce qui me donne aussi de l’espoir, car on ne peut totalement se défaire de ses responsabilités sur le dos des élus et des riches… C’est qu’on était 500 000 dans la rue et que demain nous serons 1 000 000. C’est que l’action collective, la vitalité des engagements citoyens, communautaires, bénévoles ou philanthropiques ne cessent de m’épater. Les coalitions inédites et audacieuses se multiplient : les G15+, Québec ZéN, Alliance Ariane (sans parler des Équiterre et autres Fondation Suzuki qui agissent sur ce front depuis longtemps) sont essentielles car l’objectif n’est pas simplement de remplacer les F150 au pétrole par des F150 électriques ! Nos industries devront s’adapter — et elles le feront d’autant mieux que des balises, des limites dures, non-négociables seront établies. 

Les comportements et les choix individuels et locaux devront aussi s’adapter, évoluer. Il faut discuter et dénoncer les abus et promesses non tenues, débusquer les discours vides et trompeurs qui masquent l’inaction ou les actions contraires aux principes et à l’intérêt public. La critique et la dénonciation sont aussi nécessaires que l’encouragement et l’incitation. Les « malus » sont aussi importants que les « bonus ».  Encourager la vertu n’est pas suffisant, il faut dissuader les comportements nocifs… Saviez-vous qu’il n’y a pas si longtemps on pouvait fumer à bord d’un avion ou dans un autobus au long parcours, sans aucun remord ! Hé bien aujourd’hui l’autobus, c’est la planète. Oui, cette mince couche d’air qui entoure la terre et permet aux êtres vivant de respirer… on y rejette CO2 et autres polluants sans vergogne, parce que c’est permis, ou encore parce que « mon produit trouve des acheteurs‘.

Finalement, et contrairement à ce que je laissais entendre plus haut, l’homo œconomicus n’est pas le seul modèle d’humain raisonnable. Elinor Ostrom, dans Collective Action and the Evolution of Social Norms, montre bien qu’en plus de l’égoïste rationnel (homo œconomicus) il existe au moins deux autres types de personnes : le coopérateur conditionnel et le châtieur (punisseur) volontaire [willing punishers]. Et si l’égoïste rationnel peut profiter, ou exploiter un temps la situation, seule l’existence des deux autres types de personnalité permet de construire des sociétés durables. L’égoïste rationnel ne peut pas être le seul modèle de rationalité, pas plus que le secteur privé n’est le seul producteur de richesse.

Billet aussi publié, le 2 juin, sur Nous.blogue