déficit démocratique et financiarisation

Voici un article paru sous le titre Democratic Deficits: Liberalism, Neoliberalism, and Financialization dans la revue American Affairs. Alex Bronzini-Vender y décrit un processus de financiarisation de l’économie (et de la politique) à partir du terrain des villes ou municipalités qui avaient à négocier des conventions collectives dans le contexte d’inflation des années ’70, puis celui de la transformation de la gestion des fonds de pension des années 80-90…

Cet article est, en fait une longue présentation critique (review essay) du livre de Brian Judge paru en 2024 : Democracy in Default: Finance and the Rise of Neoliberalism in America, titre qu’on pourrait traduire par La démocratie en faillite.

Qui est Brian Judge ? Un prof ou ancien prof de science politique à l’Université de Californie à Berkeley, qui est aussi « policy fellow » au Centre pour une IA compatible aux humains (Center for Human-Compatible Artificial Intelligence). Tiré de la présentation (quatrième couverture) :

Brian Judge soutient que la financiarisation a été une réponse presque spontanée à une crise au sein du libéralisme. Il examine comment le libéralisme tend à ignorer le problème des conflits distributifs, ce qui le rend vulnérable lorsque ces conflits éclatent. Lorsque le moteur de croissance de l’après-guerre a commencé à ralentir, la finance a promis de sortir de l’impasse politique qui en résultait, permettant aux démocraties libérales de dépolitiser les questions de distribution et de maintenir l’ordre social et économique existant. Les élus n’ont pas été simplement capturés ou cooptés, mais ont volontiers adopté des solutions financières à leurs problèmes politiques. Le déclenchement de l’impératif financier de générer des rendements monétaires a toutefois inauguré une transformation globale. Des études de cas très concrètes – la faillite de Stockton, en Californie, la stratégie d’investissement du California Public Employees’ Retirement System et la crise financière de 2008 – illustrent la manière dont les priorités des marchés financiers ont radicalement modifié la gouvernance démocratique libérale. Refondant les transformations politiques et économiques du dernier demi-siècle, Democracy in Default offre un nouveau compte-rendu audacieux de la relation entre le néolibéralisme et la financiarisation.

La présentation détaillée que Bronzini-Vender fait de ce livre m’est apparue suffisamment intéressante pour que je la traduise en français et que je prenne ensuite le temps d’y insérer les 88 notes en bas de pages ainsi que les liens hypertextes que ces notes recélaient parfois. Quelques-uns des articles auxquels ces notes réfèrent : Socialize Central Bank Planning, The Crises of Democratic Capitalism

Voici donc, en format PDF : Déficits démocratiques : Libéralisme, néolibéralisme et financiarisation.


P.S. Je vous propose ce texte de quelques 40 pages avec ses 88 notes en format PDF, généré par Word, à partir d’un document composé avec iA Writer puis exporté vers Word . Ce détour par Word me permettait de maintenir les notes en bas de page plutôt qu’en fin de document comme le PDF généré par iA Writer le faisait plutôt.

bifurquer pour s’émanciper

Ce que les scientifiques nous annoncent depuis plus de 50 ans1Halte à la croissance ?, Club de Rome, 1972 ou encore Printemps silencieux, de Rachel Carson, 1965 commence à devenir dangereusement concret: feux de forêt, saisons déréglées avec conséquences désastreuses sur les récoltes, inondations…

L’idée d’une transition graduelle et harmonieuse qui permettrait de maintenir l’essentiel de notre mode de vie actuel — en remplaçant les moteurs à essence par des moteurs électriques — cette idée devient de moins en moins réaliste. 

Inventer des bateaux électriques qui continueraient de racler le fond des mers ?  Électrifier tout le parc automobile sans régler la congestion ? La mode du porté-jeté, des emballages à usage unique parce qu’on transporte nos produits sur des milliers de kilomètres, ou qu’on veut éviter les pertes dues à la manipulation ou à l’oxydation des aliments, cela au prix d’une pollution qui asphyxie les océans…

Pour effectuer la profonde transformation de nos modes de vie, devenue nécessaire et urgente, nous devons abandonner notre conception simpliste de la compétitivité où le prix le plus bas l’emporte sans égard aux externalités — pollution des airs, des mers, des terres — qui ne sont pas inclus dans les prix actuels. Une compétition mondiale qui aura permis aux pays riches d’exporter leur pollution et de réduire drastiquement leurs coûts de main-d’œuvre favorisant d’autant la consommation de produits, qu’ils soient essentiels ou superflus. Après avoir écrit un livre sur la sobriété, Brice dénonce L’impasse de la compétitivité et promeut une réindustrialisation des pays riches et une réduction de la consommation (et des importations concomitantes). 

Mais si le signal prix devient plus complexe parce qu’on décide d’y inclure les externalités jusqu’ici cachées, comment mesurer, comptabiliser ces externalités? Et comment faire des choix éclairés ? Car il faudra faire des choix, prioriser… parce qu’on ne pourra pas tout électrifier, tout conserver de la manière dont 8 000 000 000 d’humains consomment actuellement cette planète.  Comme un troupeau de cerfs broutant heureusement, en se multipliant, la forêt de cèdres qui peuple leur île. 

Faire des choix en se basant sur une mesure fine et continuelle des effets de nos procédés, extractions et rejets sur les équilibres écosystémiques et la capacité de régénération de la biosphère. Une information fiable qui doit alimenter une délibération nouvelle, approfondie sur les priorités de (re)développement, de consommation, de bien-être. [Comment bifurquer]

Mais cette nouvelle délibération, qui la fera ? Et où ? Et dans quels buts ? Quelles sont les fins ultimes, les principes qui devraient guider nos délibérations ? Et qui sont les dépositaires de ces principes ? Les évêques, rabbins et imams? Les universitaires et leurs chapelles dans leurs tours d’ivoire? 

Frère et Laville, avec La fabrique de l’émancipation, nous amènent, dans un premier temps, sur ce terrain des principes. Retraçant les projets (et les angles morts) des différentes écoles (chapelles?) de la « théorie critique traditionnelle » (Adorno-Horkeimer; Habermas-Honneth; Bourdieu) ils proposent une « nouvelle théorie critique », qui ne descende pas de la montagne (ou de sa tour d’ivoire) pour apporter la vérité mais plutôt participe avec les acteurs, praticiens et citoyens, à définir ce qui fait sens. Ce qui doit être critiqué, ou même interdit et ce qui doit être encouragé. 

De nouvelles institutions devront être créées, ou les anciennes transformées. Associations, organisations de la société civile ou entreprises d’économie sociale, sont les lieux où s’expérimentent les nouvelles normes, où les institutions sont questionnées, mises à l’épreuve, transformées.

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Notes

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    Halte à la croissance ?, Club de Rome, 1972 ou encore Printemps silencieux, de Rachel Carson, 1965

à propos de Development in Progress

Après une lecture attentive de la version française de Development in Progress (que je proposais il y a peu), je suis encore impressionné par la qualité de la traduction (par DeepL) même si j’ai trouvé quelques instances de mauvaise traduction. Et j’ai aussi quelques critiques sur le fond.

Erreurs de traduction
La pire que j’ai trouvé : traduire « winner-takes-all » par tout le monde est gagnant (!) en parlant de l’effet des monopoles. La contradiction était si évidente que je suis retourné à l’original. C’est un contresens plutôt embarrassant. De même dans la phrase « Mais à quoi servons-nous en nous détournant des problèmes inattendus » « que visons-nous » ou encore « quelle fin poursuivons-nous » serait une meilleure traduction que « à quoi servons-nous ». Ou encore j’ai tiqué sur l’expression « décès prolongés », qui référait sans doute à de longues agonies.

Cependant, pour un texte de 60 pages (en plus des références) la qualité est encore excellente. Incidemment, parlant des (nombreuses) références j’ai été surpris de voir qu’elles n’avaient pas été traduites (comme c’est le cas pour d’autres moteurs de traduction) et c’est tant mieux : traduire le titre d’un article en référence, ça rend la recherche de cette référence plus difficile !

Vous avez peut-être trouvé d’autres exemples de traduction discutable ? Faites-m’en part, SVP.

Sur le fond
Tout d’abord, les aspects positifs. Sur les effets négligés ou non mesurés du « progrès » la somme des références récentes (2023-2024) est impressionnante. Aussi, pour quelqu’un qui voudrait creuser ces questions, c’est une bonne source.

La critique du réductionnisme et du techno-optimisme est intéressante tout en ne négligeant pas l’utilité possible des technologies dans la recherche de solutions.

La fameuse « équipe jaune », à la fin, est à remettre dans le contexte culturel américain et de la guerre froide, où des équipes rouges avaient pour mandat de trouver les failles dans les défenses de l’équipe bleue. Avec l’équipe jaune, il faut trouver les effets imprévus, nuisibles, à moyen-long terme des innovations, avant que celles-ci ne soient implantées.

Après avoir décrit avec verve tout le pouvoir que les grandes corporations exercent sur les gouvernements, grâce au lobbying et au financement des partis politiques, les perspectives ouvertes en fin de parcours semblent difficiles à atteindre :

« Imaginez que l’équipe jaune et la conception synergique soient enseignées à l’université aux ingénieurs, aux scientifiques, aux étudiants en droit et aux architectes. Imaginez qu’en même temps, d’autres mouvements commencent à promouvoir le retrait de l’argent de la politique, l’internalisation légale des externalités, la création de systèmes de transparence et de responsabilité des entreprises, le renforcement de la surveillance de l’industrie, l’amélioration des pratiques réglementaires, la restriction du lobbying et du financement des campagnes électorales, et l’adoption de lois sur la responsabilité élargie des producteurs. »

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vents favorables

Gabriel Zucman, dans un document1A blueprint for a coordinated minimum effective taxation standard for ultra-high-net-worth individuals commandité par la présidence brésilienne du prochain G20218 et 19 novembre 2024, à Rio de Janeiro, appelle à l’établissement d’un impôt minimal de 2% par an sur les riches milliardaires. Comme il le dit : « Avec le leadership du Brésil au G20, la victoire du Parti travailliste au Royaume-Uni, la victoire de la gauche en France et la demande croissante partout pour mettre fin à la grande injustice fiscale de notre époque, le moment est venu ! » (ma traduction) Ici le résumé en français.

On imagine que les gouvernements de gauche nouvellement élus en France et au Royaume-Uni pourraient saisir l’occasion de prouver leur bonne foi. À moins que le désir de ne pas effaroucher ces puissances financières qui ont encensé les travaillistes… Ces derniers abandonnaient leurs engagements écologiques à mesure que leur victoire devenait assurée (Majority Without a Mandate, par Richard Seymour, 2024.07.05). Des gouvernements divisés, en proie à des luttes intestines, ou paralysés par la peur de faire « fuir les capitaux »… ce n’est pas tout à fait ce qu’il nous faut pour faire face à la musique. Mais c’est ce qu’on a. Alors comment faire pour sortir de cette situation plus forts qu’avant et plus aptes à faire « face à la musique » ?

D’abord reconnaître le poids de la droite dans certaines régions, certaines catégories sociales… La stratégie de réindustrialisation (relocalisation) prônée par Durand (Comment bifurquer) pourrait-elle répondre à certaines demandes de ces régions ? Un contrôle aux frontières, oui, mais pour mesurer les contenus et la provenance des produits importés et les effets des produits exportés sur les équilibres écologiques et politiques.

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Notes

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    A blueprint for a coordinated minimum effective taxation standard for ultra-high-net-worth individuals
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    18 et 19 novembre 2024, à Rio de Janeiro

lectures récentes, à venir

Cette dernière lecture m’a été, comme souvent, suggérée par Olivier de chez Gallimard à Montréal. Un philosophe britannique d’origine polonaise que je ne connaissais pas : Zygmunt Bauman. Achevée juste avant son décès, cette courte1213 petites pages monographie, Retrotopia, trace un bilan philosophique et sociologique des régressions récentes. Les quatre principaux chapitres parlent de retours : Retour à Hobbes ?Retour aux tribusRetour aux inégalitésRetour à l’utérus. Malgré tout ce n’est pas un livre pessimiste même si sa dernière phrase pourrait le donner à penser :

Nous – habitants humains de la Terre – nous retrouvons aujourd’hui, et comme jamais, dans une situation parfaitement claire, où il s’agit de choisir entre deux choses : la coopération à l’échelle de la planète, ou les fosses communes.

Le dernier numéro de la revue Jacobin2qui se définit comme « une voix dominante de la gauche américaine, offrant des perspectives socialistes sur la politique, l’économie et la culture » consacrait un dossier sur la religion. J’étais curieux de voir le traitement qu’allait faire de cette question une revue se voulant « radicale ». Je n’ai pas été déçu ! De la militance chrétienne socialiste à une histoire des tentatives soviétiques pour remplacer la religion, l’impact de la Réforme sur la culture politique européenne… quelques pages sur la place des églises polonaises, comme expressions de la créativité des communautés locales… le prophète syndicaliste-socialiste irlandais Jim Larkin… l’histoire des Mormons socialiste de l’Utah au XIXe siècle… et une revue de l’évolution récente des religions dans le monde.

J’ai poursuivi ma recherche sur l’écologie sociale et la décroissance avec ces deux livres : Comment bifurquer, les principes de la planification écologique et Having Too Much, Philosophical Essays on Limitarianism. Le premier faisait l’objet de recensions dans Le vent se lève et dans Le journal des alternatives. Critique du capitalisme vert et appel à un retour de la planification, augmentée des nouvelles capacités numériques, auxquelles nous devrons consacrer de nouvelles institutions politiques. Je reviendrai sur ce livre de Cédric Durand et Razmig Keucheyan, quand je l’aurai lu !

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Notes

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    213 petites pages
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    qui se définit comme « une voix dominante de la gauche américaine, offrant des perspectives socialistes sur la politique, l’économie et la culture »

crises, chaos et idée simple

Les crises : environnementale, politique, économique, sociale, financière, technologique…

Les valeurs, l’éthique, l’individualisme et le court-termisme… Le citoyen consommateur et rentier plutôt que militant et croyant.

La crise philosophique, éthique ou culturelle qui se manifeste par l’atomisation des parcours individuels et la diffusion, dilution des attachements devenus plus nombreux mais plus superficiels, temporaires, conditionnels. Même les mariages sont devenus temporaires !

Nous, babyboomers, sommes la génération qui se sera libéré de la chape de plomb du catholicisme ultramontain qui s’était réfugié de France au début du XXe siècle. Je reprends les mots de Nancy Huston :

Ma génération (je suis née dans les années 50) est très spéciale à cet égard: à peu près tous nos parents étaient croyants et pratiquants, à peu près aucun de nos enfants ne l’est. C’est chez nous, en nous, que ça bascule. C’est énorme! Et pourtant, nous n’en parlons jamais. Comment s’est passé dans notre esprit, mais aussi dans notre corps, le désenchantement du monde? Quels en sont les avantages […] et les inconvénients? Nous avons tellement déblatéré contre la religion, son contrôle du corps et de la sexualité, sa façon de plonger les gens dans la passivité, de les distraire de leurs vrais problèmes en faisant miroiter un paradis illusoire, nous avons si prestement remplacé les croyances religieuses par les certitudes scientifiques et politiques que nous oublions, souvent, les aspects plus positifs de la religion, pour lesquels nous n’avons trouvé aucun substitut. […] Nous manquent […] la possibilité de s’extraire du quotidien pour renouveler nos forces; le sentiment d’un espace-temps à part, non utilitaire et non économique; le bonheur important de se sentir appartenir à quelque chose.

citée par Grégory Baum dans Vérité et pertinence

La crise des finances publiques, c’est un refrain déjà entendu qui revient vite à la mode… avec son cortège de réduction de services, privatisations plus ou moins déguisées, réduction d’accès… Diminution de l’intensité et de l’amplitude de l’action publique. Alors que nous aurions bien besoin d’audace, d’innovation et de vision dans l’intérêt public. Les finances publiques saignées à blanc par la réduction drastique de l’impôt sur les haut revenus et capitaux que les néo-conservateurs ont imposé (Reagan-Thatcher) et que les néo-libéraux (Blair-Clinton) ont maintenu comme vérité indubitable : l’argent sera mieux utilisé, plus productif entre les mains d’agents privés plutôt que par des représentants de l’intérêt public. Des capitaux à la recherche de bonnes affaires insuffleront bulles et craches boursiers (1987, 2000, 2008). Des crises qui seront des occasions de concentrations d’où émergeront, avec l’aide de lois draconiennes sur la propriété intellectuelle, les géants de la technologie d’aujourd’hui.

La crise de la représentation politique où socialistes et socio-démocrates perdent leurs repères alors que l’URSS s’effondre et que le capitalisme d’État chinois se développe. La mondialisation devient semble un phénomène incontournable forçant l’intégration des économies et diminuant d’autant l’autonomie des gouvernements nationaux. Les nouveaux mouvements sociaux (jeunesse, femmes, autochtones, tiers-mondes) font éclater le carcan des partis ouvriers de la gauche traditionnelle. Les politiques social-démocrates semblent plus aptes à répondre à des demandes identitaires qui s’harmonisent mal avec la conscience de classe… mais les dictats du développement économique auxquels se soumettent les socio-démocrates sont de moins en moins compatibles avec les limites écologiques.

La crise écologique qui devient de plus en plus indéniable et perceptible partout sur la planète n’est pas encore assez grave ou immédiate pour changer les modalités de gestion et l’orientation des sociétés capitalistes : le profit à court terme, la propriété privée priment encore sur l’intérêt des collectivités humaines et non-humaine. Les forêts d’Amazonie et d’Indonésie sont détruites à grande vitesse pour produire huile de palme ou soja et bestiaux parce qu’il y a un marché pour ça. La conscience des effets de l’action humaine sur la santé et les équilibres de la planète se fait plus pressante, mais les changements envisagés demeurent soumis à la logique du capital. Les gouvernements se donnent un vernis écologique en subventionnant ici ou là, l’automobile électrique ou l’usine de batteries, mais sans remettre en question les principes ancrés depuis 50 ans de néo-libéralisme : laisser l’économie décider où investir; se méfier de l’intervention publique; considérer l’enrichissement privé comme la valeur suprême.

La crise idéologique et identitaire rend plus difficile la mobilisation unitaire. Municipalisme, régionalisme, nationalisme, féminisme, internationalisme, interspécisme… tous ces mouvements portent des revendications fondées mais comment unir et ordonner toutes ces demandes en un programme, une force capable de stopper la machine capitaliste dévoreuse de mondes ?

Et si les systèmes qui nous ont permis de vivre et de croître jusqu’ici étaient sur le point de sombrer dans le chaos ? Quels sont les changements systémiques qui nous permettront d’éviter ou, plus probablement, d’y survivre et, éventuellement sortir du chaos ? Nous ne sommes pas aux commandes. Et nous ne changerons pas la nature humaine. L’homme nouveau, c’était un idéal poursuivi par les aventures fascistes et soviétiques du siècle dernier.

Il nous faut quelques idées simples, autour desquelles réunir la coalition des vivants. Les néo-conservateurs ont pris le pouvoir il y a 45 ans avec des idées rassembleuses telles : « Moins de taxes » ou « Moins de bureaucratie ». Et ils ne manquaient pas d’exemples où taxes et bureaucraties avaient été mal utilisées au cours des « trente glorieuses ». Il sera sans doute plus difficile de faire la promotion de la sobriété, même joyeuse, que de stimuler l’appétit et l’égoïsme « naturels » des consommateurs-payeurs de taxes ! Mais le chaos nous aidera !

Une idée simple : ces richesses accumulées au cours de la Grande accélération des cinquante (70 ?) dernières années appartiennent à la terre. Elles ont été extraites de la terre, du travail et des ressources humaines et non-humaines. On les a laissées entre des mains privées par convenance : on ne savait pas trop qu’en faire ! Plus d’autoroutes ? Plus de HLM et des polyvalentes encore plus grosses ? En laissant les richesses se multiplier librement, ça nous a donné… les bulles immobilières et la croissance des parcs automobiles, informatiques et audio-visuels. Des objets de consommation ou d’accumulation individuels, marqueurs de statut social


Un texte présenté à une rencontre de réflexion de Communagir, Québec, 16 avril 2024

capitalisme algorithmique

l’avidité décomplexée

« On voit ici de façon parfaitement nette l’idéologie souvent inavouée des venture capitalists, et même la formulation théorique la plus aboutie du projet politique au cœur du capitalisme algorithmique. » Ainsi Jonathan Durand Folco concluait sa critique virulente du manifeste techno-optimiste publié récemment (16 octobre 2023) par un bonze de la Silicon Valley, Marc Andreessen. Ce dernier s’est fait connaître et a fait ses premiers millions $ avec Netscape, puis il a su investir. « [M]ost of the successful startups in this arena, from Facebook to Groupon to Instagram, have Andreessen as an investor or board member. »1Entrevue dans Wired, 2012.04

Stephen Downes avait publié un assez court billet sur ce manifeste, dès la journée de sortie (16 octobre) dudit Techno-Optimist Manifesto. Dès ce moment Downes est très critique, même s’il se dit lui-même techno… phile, sinon optimiste.

And here’s where I part ways. Because while I do believe that decentralized governnance is the best governance, I don’t believe this governance is best managed through the single-minded pursuit of wealth and money. And so I see this manifesto as embodying everything that has gone wrong with our society, and making it sound as though techno-optimism entails exploitative capitalism. It does not. This manifesto has nothing to do with technology. (Traduction Google2Et c’est ici que je me sépare. Car même si je crois que la gouvernance décentralisée est la meilleure gouvernance, je ne crois pas que cette gouvernance soit mieux gérée par la poursuite résolue de la richesse et de l’argent. Et donc je vois ce manifeste comme incarnant tout ce qui n’a pas fonctionné dans notre société, et donnant l’impression que le techno-optimisme implique un capitalisme exploiteur. Ce n’est pas le cas. Ce manifeste n’a rien à voir avec la technologie.)

https://www.downes.ca/cgi-bin/page.cgi?post=75685

Ce manifeste n’a rien à voir avec la technologie ! C’est bon ça ! La gouvernance décentralisée à développer ne sera pas orientée vers la « poursuite étroite et simpliste (single-minded) de la richesse et de l’argent ». Dans un deuxième temps, le 18 octobre, Downes réplique en pointant vers un texte intéressant, celui de Dave Karpf :

Why can’t our tech billionaires learn anything new?

This is a response to Marc Andreessen’s « techno-optimist manifesto », covered here previously. It quite correctly points out that the techno-optimists have been in charge over the last 30 years. What do we have to show for it? « What we’ve been left with is the largest wealth gap since the 1920s. It turns out that when we stopped taxing the billionaires’ preferred investment vehicles, we ended up with a lot more billionaires…. Economic inequality does not solve itself. Markets are not perfect, self-correcting mechanisms. » The multiple crises we face today, from inequality to war to environmental degradation, represent the failure of this pro-capitalist manifesto.3Il souligne à juste titre que les techno-optimistes ont été aux commandes au cours des 30 dernières années. Qu’avons-nous à montrer pour cela ? « Ce qui nous reste, c’est le plus grand écart de richesse depuis les années 1920. Il s’avère que lorsque nous avons arrêté de taxer les véhicules d’investissement préférés des milliardaires, nous nous sommes retrouvés avec beaucoup plus de milliardaires… Les inégalités économiques ne se résolvent pas d’elles-mêmes. Les marchés ne sont pas des mécanismes parfaits et auto-correcteurs. » Les multiples crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, des inégalités à la guerre en passant par la dégradation de l’environnement, représentent l’échec de ce manifeste procapitaliste. Interestingly, the article also refers back to the old Wired pro-business techno-optimist turn that I criticized at length here in 1998.

https://www.downes.ca/cgi-bin/page.cgi?post=75692 (traduction Google4Il s’agit d’une réponse au « manifeste techno-optimiste » de Marc Andreessen évoqué ici précédemment. Il souligne à juste titre que les techno-optimistes ont été aux commandes au cours des 30 dernières années. Que devons-nous montrer pour cela ? « Nous nous retrouvons avec le plus grand écart de richesse depuis les années 1920. Il s’avère que lorsque nous avons arrêté de taxer les véhicules d’investissement préférés des milliardaires, nous nous sommes retrouvés avec beaucoup plus de milliardaires… Les inégalités économiques ne se résolvent pas d’elles-mêmes. Les marchés ne sont pas des mécanismes parfaits et auto-correcteurs. » Les multiples crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, des inégalités à la guerre en passant par la dégradation de l’environnement, représentent l’échec de ce manifeste pro-capitaliste.3 Il est intéressant de noter que l’article fait également référence au vieux virage techno-optimiste pro-business de Wired que j’ai longuement critiqué. ici en 1998.)

Si ce manifeste n’a « rien à voir avec la technologie » c’est plutôt une déclaration de guerre à situer dans le contexte des poursuites contre les abus de position dominantes (ou pratiques monopolistiques) qui s’accumulent et du débat entourant le développement (trop) rapide de l’IA. Mais il y a plus que cela. C’est une conception du monde qui se dit dans cette défense sans vergogne de l’enrichissement individuel, du culte du héros et du rejet de l’action collective et de l’intérêt public. Voir le texte de Durand Folco.

L’article de Dave Karpf promeut un pragmatisme technologique plutôt qu’une position optimiste ou pessimiste. Il ridiculise la position simpliste d’Andreessen qui conçoit la technologie comme un cadran qu’on pourrait à loisir tourner d’un côté pour accélérer, de l’autre pour décélérer…

J’ai emprunté le titre de ce billet au dernier ouvrage publié par Durand Folco — Le capital algorithmique – Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle par Jonathan Martineau et Jonathan Durand Folco. Publié chez Écosociété.

Notes

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    Et c’est ici que je me sépare. Car même si je crois que la gouvernance décentralisée est la meilleure gouvernance, je ne crois pas que cette gouvernance soit mieux gérée par la poursuite résolue de la richesse et de l’argent. Et donc je vois ce manifeste comme incarnant tout ce qui n’a pas fonctionné dans notre société, et donnant l’impression que le techno-optimisme implique un capitalisme exploiteur. Ce n’est pas le cas. Ce manifeste n’a rien à voir avec la technologie.
  • 3
    Il souligne à juste titre que les techno-optimistes ont été aux commandes au cours des 30 dernières années. Qu’avons-nous à montrer pour cela ? « Ce qui nous reste, c’est le plus grand écart de richesse depuis les années 1920. Il s’avère que lorsque nous avons arrêté de taxer les véhicules d’investissement préférés des milliardaires, nous nous sommes retrouvés avec beaucoup plus de milliardaires… Les inégalités économiques ne se résolvent pas d’elles-mêmes. Les marchés ne sont pas des mécanismes parfaits et auto-correcteurs. » Les multiples crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, des inégalités à la guerre en passant par la dégradation de l’environnement, représentent l’échec de ce manifeste procapitaliste.
  • 4
    Il s’agit d’une réponse au « manifeste techno-optimiste » de Marc Andreessen évoqué ici précédemment. Il souligne à juste titre que les techno-optimistes ont été aux commandes au cours des 30 dernières années. Que devons-nous montrer pour cela ? « Nous nous retrouvons avec le plus grand écart de richesse depuis les années 1920. Il s’avère que lorsque nous avons arrêté de taxer les véhicules d’investissement préférés des milliardaires, nous nous sommes retrouvés avec beaucoup plus de milliardaires… Les inégalités économiques ne se résolvent pas d’elles-mêmes. Les marchés ne sont pas des mécanismes parfaits et auto-correcteurs. » Les multiples crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, des inégalités à la guerre en passant par la dégradation de l’environnement, représentent l’échec de ce manifeste pro-capitaliste.3 Il est intéressant de noter que l’article fait également référence au vieux virage techno-optimiste pro-business de Wired que j’ai longuement critiqué. ici en 1998.

énergie propre et patrimoine

[Ajout 8 déc.] Un manifeste paru après la rédaction de cet article : 14 revendications d’un regroupement de la société civile pour un avenir énergétique juste et viable au Québec.

Si vous n’avez pas vu passer la consultation menée par le gouvernement du Québec sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec c’est normal : elle se sera tenue du 1er juin au 2 août, sans tambour ni trompette. C’est un article du Devoir, signé Alexis Riopel, qui m’a mis la puce à l’oreille : Ode à la sobriété énergétique. Une entrevue avec Bruno Detuncq, professeur de génie mécanique à Polytechnique Montréal, à la retraite depuis 2017.

Riopel parlait du mémoire déposé par le professeur dans le cadre d’une consultation dont je n’avais pas entendu parler… J’ai réussi à trouver le site officiel de la consultation, mais pas les mémoires déposés. M. Riopel m’a bien aimablement dirigé vers le site élaboré par le Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec. On peut y trouver le mémoire du professeur Detuncq (Avenir énergétique du Québec – Sobriété et Problèmes énergétiques) de même que 25 autres.

Cette incursion dans le monde de la planification énergétique m’a obligé à me familiariser avec des termes tels le bloc d’électricité patrimonial, accumulateurs de chaleur, tarification dynamique et autres. Mais les enjeux entourant la fourniture d’électricité « propre » pour l’avenir sont très liés à l’atteinte de nos cibles de décarbonation. À l’évidence, il faudra ajouter des capacités de production d’électricité pour remplacer les sources d’énergie fossile dont il nous faut sortir au plus tôt.

De l’énergie à revendre !

Faut-il pour autant continuer de promouvoir le Québec comme terre d’accueil de tous les projets énergivores ? Des batteries pour Hummer, vraiment ? Des parcs de cryptomonnaie ? Plusieurs mémoires présentés lors de cette consultation s’inquiètent de l’orientation productiviste des documents déposés et des questions posées par ce gouvernement.

[L]a lecture des documents fournis en appui à cette consultation et le contenu du questionnaire que vous proposez à la population, auquel nous avons choisi de ne pas répondre, nous font craindre que la cible de décarbonation d’ici 2050 soit un prétexte et non l’objectif réellement visé, qui serait en fait une vigoureuse relance du développement industriel et son cortège de mesures corrosives pour la nature et la société.

Vers la sobriété énergétique, mémoire du RVHQ (je souligne)

Alors que des gouvernements d’autres pays adoptent l’approche sobriété-efficacité-renouvelables, le gouvernement du Québec mise sur la croissance de la production et n’offre qu’un simulacre de consultation sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec. Nous remettons en question l’idée selon laquelle la demande et la production d’énergie au Québec doivent augmenter de façon « naturelle », continue et apparemment sans limite.

Mémoire de Greenpeace (je souligne)

La sobriété, qui devrait être au premier rang d’un plan de développement d’énergie propre (les kWh évités sont les plus propres !), semble la dernière des préoccupations gouvernementales. C’est vrai que ce gouvernement semble plus intéressé à flatter les désirs d’enrichissement à court terme de ses électeurs (étalement urbain et autoroutes plutôt que transport collectif et densification) que de faire face à la « réelle révolution énergétique, écologique, économique et sociale » (mémoire FTQ) qui est devenue nécessaire.

Parler sérieusement de sobriété, ça veut dire (tous les acteurs s’accordent là dessus) adapter le code du bâtiment afin que tous les nouveaux bâtiments soient d’une efficacité énergétique croissante, allant vers la carboneutralité (2040 ?). Pour le stock de logements déjà construits des interventions plus ou moins lourdes et coûteuses devront être faites. Des interventions difficiles à justifier économiquement considérant que le retour sur investissement est minimisé par la tarification actuelle à bas prix du secteur résidentiel bénéficiant d’un interfinancement des secteurs industriel et commercial. 1Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

La sobriété énergétique d’ici 2050, c’est dans 27 ans, et cela devrait se traduire par une diminution du nombre de voitures automobiles sur les routes. Ce n’est pas juste le ministre Fitzgibbon qui le dit… Ce à quoi le chef s’est empressé de rétorquer que son gouvernement n’avait pas l’intention d’empêcher quiconque de s’acheter une deuxième voiture (« notre approche, c’est vraiment de dire qu’il faut aller vers l’auto électrique »). Ce gouvernement se veut celui de la carotte, et non du bâton ! Mais quand il n’y a pas de carotte où il devrait y en avoir, que se passe-t-il ? Le Québec investi trois fois moins par habitant que son voisin ontarien en transport collectif (1548$ VS plus de 4000$ en Ontario, mémoire du RVHQ).

Les pays européens comme la France et l’Allemagne planifient une réduction importante (40%) de leur consommation d’électricité. Ici, on dirait qu’on favorise une augmentation de la consommation : à chacun sa voiture électrique, son bungalow en banlieue et son chalet à la campagne (ou son voyage annuel dans le sud).

En mettant l’accent sur l’accroissement nécessaire de la production électrique plutôt que sur la transition vers un mode de vie plus sobre et propre… on évite les débats difficiles et les arbitrages nécessaires. On reporte à plus tard ? On laisse à d’autres (aux mécanismes du marché ?) le soin de décider ? C’est ce qui se dessine quand on affirme que la libéralisation du marché de la production est nécessaire pour rencontrer les besoins de demain.

Privatiser ou non ?

La première recommandation du mémoire déposé par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal :

Recommandation 1 : Ouvrir rapidement le marché de la fourniture d’électricité aux consommateurs industriels à tous les producteurs.

La grande majorité des autres mémoires déposés s’oppose à une telle libéralisation (privatisation) même si plusieurs promeuvent l’autoproduction et l’engagement des municipalités, coopératives et communautés autochtones dans la production d’électricité.

On s’oppose pour s’assurer collectivement du contrôle dans un secteur jugé stratégique… et pour maintenir l’accessibilité (les bas prix) de l’énergie, en pensant particulièrement aux populations pauvres et peu fortunées qui pâtiraient grandement d’une « mise à niveau » du prix de l’électricité vers les coûts réels actuels de développement.

[C]es bas prix contribuent grandement à la très forte consommation des Québécois. Pour réussir la transition énergétique, le gouvernement devra revoir son approche à la communication des prix de l’énergie de manière à conditionner les attentes et comportements des consommateurs.

Mémoire Chaire de gestion de l’énergie

Le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) est aussi d’avis qu’il faut une tarification reflétant les coûts actuels de développement pour inciter à la sobriété et l’efficacité.

Recommandation 19
Le RNCREQ est d’avis que les tarifs de l’électricité devraient refléter son vrai coût et inciter à la sobriété et l’efficacité énergétiques. Ainsi, le RNCREQ recommande d’étudier et de faire évoluer les tarifications et les autres mesures fiscales en ce sens, tout en développant des mesures de compensation pour ne pas impacter les ménages à faible revenu.

Comme le soulignait la Chaire dans son mémoire, citant une recherche récente : l’annonce d’une augmentation à venir accroit l’impact en terme de changements comportementaux. Adopter un plan annonçant d’avance les changements tarifaires stimulerait d’autant les investissements en sobriété et efficacité que les économies seraient substantielles.

Comment se fait-il que les grands projets de développement immobiliers n’ont pas encore adopté la géothermie (associée à des mesures de stockage local) comme source écologique d’énergie ? Parce que les tarifs résidentiels pratiqués actuellement ne justifient pas de tels investissements. Ni pour Hydro-Québec, ni pour les constructeurs. Pourtant, comme plusieurs le suggèrent, si la production décentralisée (municipalités, coopératives) était favorisée, avec des mesures de stockage et d’échange bi-directionnel permettant de diminuer la pression de pointe sur le système (par exemple en permettant d’utiliser la batterie des autos électriques ou les accumulateurs d’ensembles résidentiels) c’est la productivité de l’ensemble qui y gagnerait.


Il ne faut pas s’attendre à ce que la CAQ se fasse chantre de la sobriété ! Ce gouvernement semble plutôt orienté vers la vente à bon marché des ressources énergétiques et environnementales de ce pays ! Et quand il y aura de l’opposition à transformer chaque vallon et chaque rivière en source d’énergie… on se tournera vers l’énergie atomique ?

En terminant, le mémoire du Front commun pour la transition énergétique est court (8 pages) et se veut surtout un appel au débat et à la prudence. Celui, déjà cité, du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement est le seul, il me semble, à mettre de l’avant le développement des échanges inter-provinciaux. Plusieurs misent sur la sobriété et une approche écologique respectueuse du vivant (Cessons la fuite en avant, Boulimie énergétique écocide, Priorité au vivant, Une décarbonation en harmonie avec le vivant). Le mémoire du professeur Detuncq, Ode à la sobriété énergétique, est celui qui résume le mieux, il me semble, en les quantifiant les besoins d’électrifications des différents secteurs.

Notes

  • 1
    Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

économie écologique

Lectures récentes (1)

L’économie face à la nature – De la prédation à la coévolution, de Harold Lever et Antoine Missemer, publié par l’Institut Veblen et Les Petits matins en janvier 2023.

Je ne me souviens plus de ce qui m’a conduit à cette publication, mais la présence de l’Institut Veblen a sans doute joué, ayant déjà apprécié leurs travaux notamment sur la « traçabilité » ( Réussir le « Green Deal » : un programme social-écologique pour sortir l’Europe de la crise, 21 mars 2020, Institut Veblen).

Un livre sobre, écrit par des économistes, court malgré ses 250 pages (dont 20 pages de bibliographie) vue l’ampleur historique et épistémique du parcours.

« Par coévolution nous entendons une économie où les interdépendances entre activités humaines et dynamiques naturelles sont placées au cœur des modes de production et de consommation, où les êtres humains agissent par et pour le vivant en sélectionnant les innovations institutionnelles, techniques ou organisationnelles les plus adaptées à cet objectif.

« En lieu et place d’une vision économique de notre environnement naturel (prix des ressources, coûts financiers de dégâts écologiques, etc.) nous devons adopter une vision écologique de nos économies dans laquelle la cohabitation entre humains et non-humains devient la priorité. »

Les premiers chapitres retracent l’histoire de la perception de la nature d’un point de vue économique et soulignent les efforts passés pour inclure l’économie dans le vivant, dans la Nature. Mais aussi la tendance dominante à évaluer cette dernière d’abord en termes de gains et pertes pour l’humain plutôt que d’équilibre et de gains partagés, de coévolution. J’ai quand même l’impression qu’il manque à cet exercice historique et épistémologique une appréhension réaliste du poids actuel que fait peser l’économie capitaliste thermo-industrielle sur la nature.

Une impression similaire devant la partie « Nourrir l’être humain sans détruire les écosystèmes » : on ne pose pas vraiment la question de la capacité de nourrir 8 milliards d’humains avec une agriculture biologique et circulaire… sinon en soulignant qu’il y a du potentiel de croissance de cette dernière.

Certaines politiques de réensauvagement (ex: réintroduction des loups) conduisent à des compensations des éleveurs alors que de nouvelles perspectives (bénéfices) économiques se développent : tourisme d’observation de la nature…

À la page 198 j’apprends que la Cour suprême du Canada « a innové en décidant de donner priorité aux actions de restauration écologique avant le remboursement des dettes financières de l’entreprise en faillite ».  Une petite recherche me conduit à la cause Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd (2019) sur le site de la Cour suprême : « Une entreprise pétrolière et gazière qui a fait faillite doit s’acquitter de ses obligations environnementales provinciales avant de rembourser ses créanciers. » Intéressant. Reste à savoir si les provinces vont vraiment prioriser la restauration de l’écosystème plutôt que de soigner leurs relations (souvent serviles) avec l’industrie minière.

En fin de compte, malgré les critiques soulevées, ce tour d’horizon donne à voir les nouveaux champs d’application d’une économie qui ne s’enfermerait pas dans le seul marché. Pour reprendre quelques phrases de la conclusion :

« Encastrer l’économie dans les dynamiques naturelles, reconnaître la dette écologique des systèmes économiques, nourrir l’être humain sans détruire les écosystèmes, apprendre à vivre avec la biodiversité sauvage, transformer le contrat social en un contrat naturel : ces cinq principes constituent le vade-mecum d’une économie de la coévolution, dont l’avènement est devenu impératif face aux alertes environnementales que nous connaissons, en particulier l’amorce de la sixième crise d’extinction du vivant. »

La reconnaissance du pouvoir des municipalités de freiner le développement immobilier (ou industriel) afin de respecter la capacité limitée des systèmes en place (égouts, eaux, routes) est déjà reconnue dans le projet de loi 16 actuellement à l’étude à Québec. Ne pourrait-elle être étendue au respect de la capacité des environnements naturels ? Ça semble le cas quand les villes tentent de faire respecter les zones humides et espaces verts mais elles rencontrent des difficultés qui prennent la forme de poursuites pour « expropriations déguisées » (Voir billet précédent : nos villes et nos villages).

(22.05.23)À noter une publication récente (18 mai) de l’IRIS sur un thème approchant : L’empreinte matérielle de la couverture des besoins de base au Québec.
(25.05.23) Un épisode du podcast La terre au carré (France Inter) avec Harold Levrel et Antoine Missemer, L’économie face à la nature : vers une transformation écologique de l’économie ?


Ce billet aurait pu s’intituler « mes dernières lectures » comme j’en écris parfois, pour noter mon appréciation et ce que j’en ai retenu, avant de tout oublier ! Quatre livres donc : L’économie face à la nature; How to be a climate optimist;  La bataille du siècle; puis L’esprit démocratique du populisme.
NOTE : Après avoir rédigé les deux premiers commentaires j’ai décidé de les publier séparément.