ESS, régulation, écologie solidaire

Un résumé critique du livre de Robert Boyer (L’Économie sociale et solidaire Une utopie réaliste pour le XXIe siècle) par Benoît Lévesque dans la Revue de la régulation : L’avenir de l’économie sociale et solidaire : l’éclairage de la théorie de la régulation. À propos du livre de Robert Boyer. Pour ceux et celles qui s’intéressent à l’économie sociale et solidaire, Benoît Lévesque donne le goût de lire le petit livre de Boyer, tout en soulevant quelques bonnes questions.

J’ai bien l’intention de lire le livre de Robert Boyer mais une petite phrase à la fin de l’article de Lévesque a attiré mon attention : « Bernard Billaudot (2022), dans un riche ouvrage, montre que toutes les sociétés sont fondées à la fois sur une vision du monde (une cosmologie) et sur des modalités de justification de leurs activités et de leurs relations. »

Dans un riche ouvrage, ça m’a intrigué. J’ai trouvé cet ouvrage : Société, économie et civilisation. Vers une seconde modernité écologique et solidaire, qui, malgré son fort volume (quelques 3000 pages !) est disponible gratuitement en format epub, pdf ou en ligne.

Si vous n’aviez pas encore de lecture pour la fin de l’été…

société civile, espace public et… champignons

« La solution n’est pas d’inventer une nouvelle institution alors que les institutions se sont vidées depuis longtemps faute de société civile active »

Bruno Latour

Cette affirmation de Latour, dans le cadre d’une entrevue du magazine Reporterre, aura été l’impétusqu’il me fallait pour commencer ce billet. Cette affirmation et quelques autres du même genre : « [L]ʼÉtat aujourd’hui est totalement incapable d’anticiper ce quʼil faut faire pour passer du système de production visant le développement à lʼinfini, à un système qui suppose de pouvoir durer sur un territoire viable. » Ou celle-ci, encore plus forte : « [S]avoir si l’on va pouvoir se servir de la crise pour que la société civile s’empare de la situation et plus tard parvienne à «recharger»l’État avec ses nouvelles tâches et de nouvelles pratiques ».

Le phénomène des gilets jaunes en France est le prétexte de l’entrevue, fil jaune qui oriente les questions de l’interviewer alors que les réponses de Latour débordent largement ce phénomène pour poser la question de l’atterrissage de l’humanité, le retour sur terre des humains qui s’étaient envolés grâce à un mode de production insoutenable. (Voir Où atterrir ?) C’est moins à Mai 68 qu’il faut comparer les gilets jaunes qu’aux « cahiers de doléances » du mois d’août 1789. Les protestataires d’aujourd’hui devraient s’inspirer de ces cahiers, dit-il, (voir en annexe de l’article  les cahiers de Niort et de Travers), pour formuler des revendications qui soient moins générales que « faisons payer les riches » et une position qui soit moins attentiste à l’endroit de l’État.

J’ai aussi ce sentiment, devant l’urgence et l’ampleur de la Transition nécessaire, que la solution ne peut venir d’en haut. Non pas qu’il ne faudra pas en venir à un plan, à des programmes établis et financés… mais parce que ce plan exigera de chacun de tels engagements et changements qu’il serait contreproductif de vouloir les imposer du dehors ou d’en haut. Il faudra que ces changements viennent du dedans. Ou des voisins, des pairs… de là l’importance de cette société civile, et des organisations de la société civile (OSC). Comme disait Latour :

La transformation de la société, de son infrastructure matérielle, est une entreprise tellement colossale que ce n’est pas quelque chose à demander à l’État, ou au président.

Cependant, valoriser la société civile à l’encontre ou en dénigrant les pouvoirs publics, IMG_0804.png
c’est une orientation, un point de vue déjà présent chez Hayek, le maître à penser de nos gouvernements néolibéraux depuis 35-40 ans. Jean-Louis Laville le rappelle bien dans Civil Society, the Third Sector and Social Enterprise : Governance and Democracy (1) (pages 146-149, 160) et dans Associations et Action publique (2) (pages 551-557, 582, 600). Hayek préfère les mécanismes du marché, de l’agrégation des choix individuels aux mécanismes de la délibération et de l’action collective. Il met en valeur les OSC parce que ça coute moins cher, c’est plus souple, et qu’on les contrôle plus facilement que des programmes et institutions publiques. Laville et Salmon, en s’appuyant sur Habermas, Ostrom, Polanyi et Mauss, montrent que ces OSC peuvent se définir autrement que comme de simples producteurs de services moins chers, et plutôt comme des participantsà la création d’espaces publics, capables d’une action publique qui déborde les formes traditionnelles de l’action politique.

Espace public et économie

Nancy Frasercritique Habermas quand il rejette l’économie hors de la sphère publique. « La rhétorique de l’économie privée exclut certains sujets et intérêts du débat public en les plaçant dans une logique économiste, en considérant qu’ils sont déterminés par les impératifs impersonnels du marché ou qu’ils relèvent des prérogatives de la propriété “privée”, ou encore qu’ils constituent des problèmes techniques pour les managers et les planificateurs. » (3) Toujours citée par Laville (2), Fraser montre le « caractère inadmissible, du point de vue féministe, de la position habermassienne rapportant l’économie et l’État aux systèmes, l’espace public et la famille aux mondes vécus. » (4).

« [P]ar rapport à Habermas qui s’insurge contre la technicisation des débats économiques les soustrayant à la discussion publique, Fraser (5) fait un pas de plus en identifiant la portée des formes économiques alternatives. Comme elle le note ‘ leur mise en débat dans l’espace public n’est pas séparée de ces pratiques mises en œuvre par les personnes concernées. Des activités sont organisées autour de biens communs comme l’eau, la santé sans qu’elles soient dissociables des espaces publics où elles sont abordées ‘. » (Association et Action publique, p. 597).

Il faut inclure l’économie dans l’espace public, non pas l’économie de marché (ou pas seulement) mais l’économie substantive, cette « autre acception de l’économie, qui insiste sur les interdépendances entre les êtres humains et avec les milieux naturels. Cette seconde définition substantive repose sur une anthropologie économique, qui fait alors apparaître des principes de comportements différents du marché, la redistribution où une autorité centrale a la responsabilité de répartir les richesses, la réciprocité qui correspond à la relation établie entre des groupes ou des personnes grâce à des prestations prenant sens par le lien social dont elles attestent, l’administration domestique structurant la production et le partage en vue de la satisfaction des besoins des membres de la famille. » (6)

Cette inclusion, ce réencastrement de l’économie dans la société prend une nouvelle dimension lorsqu’on veut tenir compte non seulement des besoins humains mais aussi des équilibres et besoins d’autres espèces vivantes et ressources de nos environnements. Latour, dans l’entrevue déjà citée : « Il faut refaire maintenant, avec la question écologique, le même travail de réinscription dans les liens et les attachements que le marxisme a fait à partir de la fin du XIXe siècle. Sachant que les êtres auxquels on est relié pour subsister, ce ne sont plus les êtres dans la chaîne de production ou dans les mines de charbon, mais tous les êtres anciennement « de la nature ». Et que c’est beaucoup plus compliqué, et donc, c’est mon argument, beaucoup plus nécessaire. »

Anthropologie et champignons

MatsutakeC’est à une telle lecture des attachements et liens interespèces, associée à une approche d’anthropologie économique que Anna Tsing se livre avec Le champignon de la fin du monde(7). Et, non, il ne s’agit pas du champignon atomique.

Il s’agit des champignons matsutake, qui ont la particularité de pousser sur les ruines, dans les forêts détruites. Aussi, l’auteure ira à la rencontre des cueilleurs de l’Oregon, vétérans des guerres américaines ou immigrants sans-papiers, qui vendent chaque soir les fruits de leur cueillette. Sur les ruines des forêts de grands pins Ponderosa, elle étudie comment sont organisés, souvent sur des bases ethniques et culturelles, les échanges d’un produit de luxe, le matsutake, qui se retrouvera finalement dans les épiceries fines japonaises. Son enquête l’amènera en Finlande, au Japon, en Chine, où l’on retrouve chaque fois la destruction d’une ancienne forêt et les conditions précaires de cueilleurs à la recherche d’un champignon qui pousse en relation symbiotique avec les premiers arbres (pins, le plus souvent) qui repoussent sur les ruines. C’est une saga interespèces où s’insèrent une leçon d’économie politique sur la chaine d’approvisionnement dans différents pays et une introduction à la mycologie où sont exposées les relations interrègnes de dépendance entre le monde végétal et celui des champignons.

 

En conclusion : s’il faut inclure l’économie dans nos débats et concertations, dans nos espaces publics, il faut la saisir dans toutes ses formes (marché, redistribution-services publics, réciprocité-coopération, domestique). La réintégration devenue nécessaire des « externalités » (pollutions, rejets divers, effets sur la nature et la société) dans le calcul des coûts-bénéfices ne pourra se résoudre que par la délibération des parties prenantes. Mais comment tenir compte, faire participer les espèces non-humaines à ces délibérations autour de communs à préserver ? C’est à une question semblable que Lionel Maurel tente de répondre dans une série d’articles sur son blogue S.I.Lex :

Bonne lecture !


(1) Jean-Louis Laville, Dennis Young, et Philippe Eynaud, éditeurs, Civil Society, the Third Sector and Social Enterprise : Governance and Democracy, Routledge, 2015
(2) Jean-Louis Laville et Anne Salmon, dir, Associations et Action publique, Desclée de Brouwer, 2015
(3) Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et distribution, Paris, La Découverte, 2005
(4) Nancy Fraser, Le féminisme en mouvements. Des années 1960 à l’ère néo-libérale, Paris, La Découverte, 2013
(5) Madeleine HersentJean-Louis Laville et Magali Saussey, entretien avec Nancy Fraser, Revue française de socio-économie, n ° 15, 2015
(6) Jean-Louis Laville, Pleyers, Bucolo, Coraggio, dir., Mouvements sociaux et économie solidaire, page 10, 2017
(7) Anna Lowenhaupt Tsing , Le champignon de la fin du monde, 2017

 

Articles suggérés : 

 

2017- une année charnière ?

Non je ne ferai pas une revue de l’année 2017 à l’échelle internationale… Juste quelques souvenirs et rapides commentaires avant de faire, succinctement, le tour du jardin qui fut le mien en 2017…

50 ans après l’année 1967… année du 100e anniversaire de la Confédération canadienne ; année de l’Exposition universelle de Montréal, du Vive le Québec libre ! de Charles de Gaule ; année de parution du Sgt. Peper’s Lonely Hearts Club Band ; année de naissance du Flower Power au Summer of Love à San Francisco, aussi l’année des émeutes  Détroit et de la mort du Che Guevara…

Après huit années de Barack Obama au pouvoir aux États-Unis, Trump s’avance dans la controverse du nombre de participants à son inauguration…

Deux images (extraites de L’année en images du New York Times) illustrent bien la division du peuple américain.

Des centaines de milliers participent à la Marche des femmes sur Washington le 21 janvier pour dénoncer le chauvinisme du nouveau président.

En août, des néo-nazis marchent sur l’Université de Virginie.

Malgré les reculs et conséquences néfastes des politiques d’austérité menées au Québec et ailleurs, les forces « de gauche » marqueront des points en 2017, notamment avec l’élection de Valérie Plante à la mairie de Montréal en novembre.

Pour ma part, l’année de mes 65 ans fut plutôt occupée. J’ai l’impression qu’elle le fut un peu plus que les précédentes. Illusion due à l’importance plus grande qu’on donne aux évènements récents ?

Pour faire ce « bilan », j’ai d’abord jeté un coup d’oeil sur mon agenda Google, qui conserve (pendant des années) mes rendez-vous et réunions. Je remarque les multiples inscriptions automatique qu’a générées le logiciel d’entrainement à la course utilisé, pendant quelques mois, pour suivre l’évolution de ma performance. Quelques mois seulement…

Je suis surpris du nombre de cahiers de notes remplis au cours de l’année. L’équivalent de 6 cahiers. Continuer la lecture de « 2017- une année charnière ? »

le « ventre » de l’économie

Respecter le « local », dans ce qu’il a d’unique, d’idiosyncrasique* et non seulement pour sa capacité à se conformer à la norme. Le local est aussi générateur de normes nouvelles, il a une capacité instituante autant que critique (ou de détournement) de la norme, confronté qu’il est aux défis et contradictions posés par des interventions et des programmes centraux toujours en retard d’une ou deux coches sur la réalité.

L’autorité centrale peut parfois aider, à certaines conditions. Et toujours elle doit « partir de ce qui existe ». Ne pas simplement faire descendre un cadre, des normes…

Par ailleurs le citoyen lambda est souvent moins préoccupé de participer aux débats et à la décision établissant de nouvelles règles que de voir ces décisions finalement prises et surtout implantées équitablement et fermement pour tous. « Qu’ils se décident et on s’adaptera, on se conformera à un nouveau contexte. »

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On a beaucoup parlé d’économie sociale et solidaire (ESS) ces derniers temps : dossier spécial dans La Presse, numéro spécial de la revue Interventions économiques, symposium international anniversaire… À plusieurs reprises on a mentionné le chiffre de 10% du PIB pour dire l’importance de ce secteur. Un secteur qui a su se développer en un écosystème d’institutions, de réseaux et de passerelles (Lévesque, 2016)((Économie sociale et solidaire et entrepreneur social : vers quels nouveaux écosystèmes ?)). Un secteur qui porte des valeurs et des objectifs qui sont plus que jamais essentiels dans le contexte de crise actuel (Favreau, 2016)((Économie coopérative et solidaire, écologie et développement des communautés : les nouveaux défis en habitation)). Mais comment le secteur se voit-il dans quelques années ? Représentant 12, 15 ou 20% du PIB ? En grugeant des parts de marché dans les secteurs qu’il occupe, ou en développant de nouveaux services ?

Mais qu’en est-il des 90% ou 85% restants ? N’y a-t-il pas une certaine urgence à changer les choses non pas à la marge, mais sur toute la page ? À défaut de transformer l’ensemble de la société en une fédération de coopératives et d’OBNL… il nous faudra bien trouver moyen d’inciter au changement, de mobiliser dans l’action le gros de l’économie… son ventre.

appartements

Je suis toujours sidéré par les discours bien pensants qui n’hésitent pas à mettre dans le même panier toutes les entreprises privées, tout ce qui n’est pas public ni coopératif et sans but lucratif. Dans le même panier que Walmart et Exxon le restaurant du coin, le boulanger, le couvreur ou le petit entrepreneur… Quand on conflictualise ainsi l’économie, la saisissant d’un bloc, caractérisé par sa capacité d’exploitation des hommes et de la nature, une capacité de production de biens et services (que nous sommes par ailleurs les premiers à apprécier, pourvu qu’ils soient de qualité et à bon marché)… Quand on amalgame la grande entreprise et celle, artisanale, de la petite entreprise où le travail du patron est aussi essentiel à la survie de l’entreprise que celui de l’ouvrier… petite entreprise dont l’objectif est moins de croitre que de survivre, se maintenir dans la niche qu’on s’est construit à force de travail, d’expérience, de constance…

Ce ventre de l’économie n’est pas plus capitaliste qu’il ne serait socialiste dans un autre contexte…

Les entreprises sociales sont définies par leur objet (Ni État ni marché), par leur structure qu’on étudie et modélise en idéal-types (Laville et alii, 2016)((Théorie de l’entreprise sociale et pluralisme : L’entreprise sociale de type solidaire)). Mais les entreprises économiques qui se sont développées sur des terrains non investis par l’État et l’économie sociale doivent-elles se contenter de payer leurs impôts et soutenir Centraide comme seules manières de participer à l’émergence d’une nouvelle économie plurielle, plus équitable, plus durable ? Nous avons besoin d’une conception de l’économie qui fasse de la place et fasse connaitre les multiples façons qu’a et qu’aurait l’entreprise « traditionnelle » de participer à cette émergence, ce changement de régime. Par la philanthropie, l’investissement responsable; par l’inclusion, les stages ou le compagnonnage; mais aussi par des technologies et procédés éco-responsables…

Considérant l’urgence d’un changement profond, paradigmatique, on ne peut se priver de l’apport volontaire, créatif des petites (et moyennes) entreprises. La philanthropie, qu’elle soit financière ou d’expertise, peut être une alliée précieuse pour le développement d’une économie plus solidaire. Mais toute la philanthropie ne passe pas par l’économie sociale et solidaire. Et toutes les collaborations à visées sociales n’ont pas à être formalisées; elles ne seront pas toutes visibles si ce que nous cherchons à impulser n’est pas simplement une loi, ni même un programme… mais un changement de paradigme, un mouvement. Au delà des finalités sociales, dont on peut faire un critère de distinction, d’inclusion ou d’exclusion, il y a la finalité globale, qui devra inclure des fins sociales, économiques, écologiques…

Les finalités qui tisseront l’écheveau d’une société plus durable, plus durable parce que plus économe, plus équitable et plus solidaire, ces finalités seront sociales, mais aussi économiques (faire bien à juste prix) et écologiques. Comment éviter que les lois et programmes de soutien à l’économie sociale et solidaire ne deviennent des barricades et des remparts opposant les tenants de l’ESS et les autres ? Comment faire pour construire des alliances débordant largement les rangs de l’ESS pour mobiliser le « ventre de l’économie » ? Des alliances capables de mettre en œuvre un nouveau modèle de développement ?

Une alternative propre, solidaire et d’avenir. Qui sache mobiliser le gros de l’économie – rallier les petits entrepreneurs, les cadres et professionnels éclairés, mais aussi les petits épargnants…

23915835489_b2140bcd30_oPar mobiliser plus largement que les seules franges de l’ESS, j’entends reconnaitre, respecter la valeur, l’existence de ce qui ne participe pas nécessairement de la même idéologie / religion de l’ESS. Excusez la comparaison, mais en regard du poids des principes, des filières, de la vertu dans les finalités… on ne peut s’empêcher d’utiliser de tels termes.

Est-ce à dire que mon approche est simplement libérale : rassembler au delà des idéologies ? Vivre et laisser vivre ? Laisser exister les secteurs de l’économie qui n’ont pas de finalité sociale, ou plutôt qui n’ont pas d’autre finalité sociale que de produire des biens (ou services) qui soient de qualité, utiles, technologiquement innovateurs ou porteurs de traditions, de savoirs. Je ne crois pas car s’il y a une reconnaissance de secteurs à finalités autres que sociales, il y aura toujours du social dans l’économique (amitiés, camaraderies, solidarités, partages d’expertises et de savoirs) tout comme cette entreprise devra toujours s’insérer dans une société.

De même, il y aura toujours mille façons pour l’entreprise de s’inscrire dans ce mouvement pour une nouvelle économie. Une économie plus propre, plus sobre de moyens, moins axée sur le développement brut du PIB que sur la durée, la qualité, le réparable plutôt que le jetable. Cette même entreprise participant par ailleurs à d’autres mouvements, soutenant d’autres causes et solidaire de familles et collègues frappés ou dans le besoin.

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Au delà des mots

Le danger de ne pas voir, ne pas comprendre ou tenir compte de ce qui n’est pas dit. Ce qui n’est pas explicite mais plutôt tacite, passant par les actes, la pratique plutôt que les mots. Le danger de prendre les mots pour le réel – il suffirait de se prétendre généreux pour ne plus avoir à l’être. Le risque, particulièrement fort pour les intellectuels, de prendre la carte pour le territoire.

La délibération est un art qui s’apprend en le pratiquant, comme tous les arts. Aussi est-il normal que ceux qui ont passé 20 ans sur les bancs d’école à discuter et débattre auront plus de facilité à délibérer. Mais les processus collectifs de délibération conduisent-ils toujours à de meilleures décisions que les structures moins explicites, plus individuelles ? De fait, les processus moins délibératifs et plus tacites ne sont pas nécessairement individuels : les structures d’action et de décision peuvent être éminemment collectives, construites sur les actions passées, des rapports de pouvoir, des partages de compétences…

[Contribution à Nous.blogue, à paraitre le 30 mars]

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* idiosyncrasique : comportement propre à un individu résultant des interactions historiques ou actuelles avec son milieu

** paradigme : conception du monde, modèle de penser et d’agir

écosystèmes de l’ESS

Un numéro spécial de la revue Interventions économiques, sur le thème : Économie sociale et solidaire, ses écosystèmes. On y retrouve, parmi d’autres,  un texte introductif de Benoît Lévesque Économie sociale et solidaire et entrepreneur social : vers quels nouveaux écosystèmes ?; de Jean-Louis Laville et al. Théorie de l’entreprise sociale et pluralisme : L’entreprise sociale de type solidaire; et de Hugues Sibille D’où vient, où va l’entrepreneuriat social en France ? Pour un dialogue France-Québec sur l’entrepreneuriat social.

le paquebot de l’extractivisme

Quelques réflexions suscitées par ce récent billet de Louis Favreau (État social (2) : le New Deal proposé par l’écologie politique) et celui qui l’a précédé (L’État social au Québec à une étape critique de son histoire : état des lieux (1)). 

L’économie sociale et solidaire, les mouvements écologiste et syndical sauront-ils à eux seuls faire virer le paquebot de l’extractivisme capitaliste ? À temps pour minimiser l’impact en retour des dettes environnementales accumulées jusqu’ici par la société industrielle ? Non, évidemment. Si, comme le dit Louis Favreau citant le BIT, l’économie sociale compte, à l’échelle internationale, pour « 10% du PIB, 10% des emplois, 10% de la finance » – en effet, « ce n’est pas rien ». Mais ça ne pèse pas lourd devant les 50% d’emplois, 60% du PIB et 80% de la finance (mes approximations) qui sont inscrits dans une stricte logique de marché. Il faudra plus que des positions communes et de la concertation (« sortir du travail en silo ») pour donner au 10% l’effet de levier nécessaire pour changer de cap, rapidement.

La verve avec laquelle Favreau tisse une synthèse de plusieurs écrits et mouvements est inspirante et nous donne un peu d’air dans une conjoncture étouffante. De quoi penser quand on a l’impression de tourner en rond. Nous t’en savons gré, Louis.

Mais j’ai des doutes, comme je viens de le dire, sur la capacité de cette « écologie politique » d’influencer l’orientation de l’État suffisamment pour transformer l’économie. J’ai aussi des réserves, de fortes réserves quand je le vois pester contre la professionnalisation (des mouvements sociaux, des organisations communautaires) [La professionnalisation de l’action collective a amené sur le devant de la scène le lobby, l’expertise, l’organisation de colloques…La transformation d’ex-militants en consultants et de chercheurs en experts – et j’aurais pu ajouter plusieurs autres citations. J’ai déjà critiqué cette façon qu’il a d’opposer militants et professionnels, groupes d’intérêt et mouvements sociaux. ]. Pourtant il reconnait que les forces progressistes ont « peu de présence dans l’espace public, espace plus occupé que jamais par les Think Tanks amoureux du « tout au marché » ». Il en faudra des professionnels de la finance, de l’écologie, de la politique et des communications pour déconstruire les idées préconçues instillées par les dits think tanks depuis des décennies.

Il en faudra des think tanks de gauche (et de centre aussi) pour faire connaitre des modèles alternatifs de développement. Et pas seulement alternatifs à la marge :  une alternative à cette société fondée sur l’extraction intensive (d’énergie, de matières, de richesses) sans égard à l’avenir. Une utopie « social-écologique », oui, mais qui se donne les moyens de ses ambitions. Qui ne reste pas qu’une utopie, donc. Comment pourrons-nous « contrer cette pensée et cette politique du « tout au marché » de plus en plus omniprésente » ? Ici, et ailleurs dans les deux textes de Favreau, je crois qu’il faudrait faire une distinction entre le marché et le capitalisme. Entre l’entreprise privée et le capitalisme. Un capitalisme dominé par les entreprises monopolistiques et la finance internationale. Un capitalisme financier bien servi par des gouvernements endettés, à genoux pour renouveler leurs emprunts et quémander des investissements.

Malgré une reconnaissance du bout des lèvres que les PME, c’est pas la même chose que le « capitalisme de marché globalisé », la conception de la société qui sous-tend l’utopie de Favreau est encore en noir et blanc : il y a l’État et le marché. Il faut faire fléchir l’État vers une orientation « social-écologique », grâce à une alliance des syndicats, coopératives et mutuelles… et quelques mouvements sociaux. Mais elle est où l’économie dans tout ça ? Pas juste l’économie des multinationales mais celle de ces milliers d’entreprises, petites et moyennes, qui emploient encore la majorité des travailleurs.

Comment allons-nous sortir ces travailleurs des « griffes » idéologiques des CAQ et autres partis de droite ? Beaucoup de ces petites entreprises sont le fait d’artisans qui ont gagné la confiance d’une clientèle par la qualité de leur produit et la fidélité, la proximité de leur service. Pour beaucoup de ces (petites) entreprises le capital financier a moins d’importance que le capital humain : la gestion, la motivation de leurs ressources humaines prend plus de place que la gestion financière. Le soin accordé aux relations à la clientèle prend plus de place que la gestion financière. Ces entreprises sont moins capitalistes que petites !

Si nous souhaitons encore vivre en démocratie, nous devrons mobiliser ces travailleurs et propriétaires de PME, les assurer qu’ils auront une place dans la nouvelle société que nous imaginons. Et ce n’est pas en brandissant le modèle coopératif que nous les convaincrons. Ni en promouvant le retour de l’État social, même renouvelé à la sauce écologique. Il nous faudra une approche plus inclusive, qui n’impose pas les solutions d’avant-garde comme modèles, mais saura inciter au changement même les entreprises privées.

Il y a plus de social qu’on le pense dans les PME « ordinaires ». (Voir Entreprises du XXIe siècle). Un social à reconnaitre, renforcer plutôt que de le mépriser. Si nous devons inventer un nouveau mode de production mieux adapté aux limites et au caractère fini des ressources de cette planète, ce sera avec le monde. La responsabilité sociale des entreprises, la mesure de leur impact social, le soutien aux dimensions sociales qu’elles incarnent sont des avenues à explorer, des expérimentations à faire.

Enfin, je suis surpris de ne pas trouver de lien dans le texte de Favreau vers la réflexion menée par le RIPESSVision globale de l’économie sociale solidaire: convergences et différences entre les concepts, définitions et cadres de référence. Enfin une clarification de la différence entre économie sociale et économie solidaire. Une définition inclusive, pluraliste de cette dernière. Des questions et stratégies que nous devrions étudier encore, notamment en vue du prochain Forum social mondial qui se tiendra à Montréal en 2016 !