optimiste ou pessimiste ?

Ridley (The Rational Optimist) mène sa bataille contre les pessimistes, avec raison dans la mesure où toutes les prédictions de fin du monde se sont avérées fausses, mais il a tendance à oublier à quel point les histoires de peur ont pu amener, accélérer les changements nécessaires : la peur et le catastrophisme sont peut-être nécessaires pour faire bouger les « masses » ou les systèmes politiques démocratiques ?

Je n’ai pas aimé ses pointes régulières contre les « gouvernements bureaucratiques », qui font trop échos aux diatribes antigouvernementales républicaines américaines… même s’il s’est timidement racheté à la fin, convenant que les gouvernements font aussi de bonnes choses !

J’ai par ailleurs apprécié non seulement le coup d’oeil sur l’évolution millénaire de l’échange comme moteur du développement… mais aussi son point de vue sur la nécessaire poursuite du développement – à l’encontre des prophètes du minimalisme et de la croissance négative. Sa critique des « solutions écologiques », genre faire du fuel avec le maïs ou le sucre, avec les effets sur les prix de la nourriture et en terme de terres affermées, je l’ai trouvée rafraichissante. L’utilisation de l’énergie fossile restera encore la solution la plus économique et écologiquement et socialement responsable pour beaucoup de sociétés en développement.

Powering the world with such renewables [parcs éoliens, bio-fuels…] now is the surest way to spoil the environment. (Of course, coal mining and oil drilling can and do spoil the environment, too, but compared with most renewables their footprints are surprisingly small for the energy they yield.) [tiré de The Rational Optimist, page 343]

L’énergie nucléaire de nouvelle génération, une taxe sur le carbone (qui saurait éviter d’enrichir les spéculateurs, la corruption et le soutien des fausses solutions – biofuels – ce qui est en soi un défi), réduction des subventions au secteur de l’agriculture en Europe et Amérique du Nord, création de zones de libre échange et consolidation des droits informels (non documentés) de propriété actuellement poussés vers les franges illicites ou illégales en Afrique… Quelques-unes des pistes de solution envisagées par Ridley pour soutenir sa vision optimiste de l’avenir. Son crédo final ? Libérer (ou préserver des contraintes) les échanges et l’innovation et l’humanité trouvera des solutions à ses problèmes.

Je qualifierais sa position d’optimisme économique politiquement naïf. Il est relativement facile de dire que les États doivent cesser de subventionner l’agriculture. Mais pourquoi cela se fait-il encore ? Parce que les structures politiques des États du nord sont encore basées sur des territoires où les populations agricoles, même en petits nombres, ont un pouvoir disproportionné. Parce que les structures politiques sont encore marquées par les structures claniques ou corporatives… alors il ne suffit pas d’identifier les solutions rationnelles mais bien de les négocier, de les concrétiser à partir des matériaux disponibles, qui ne sont pas des métaux malléables à souhait mais plutôt des tissus sociaux formés par l’histoire, porteurs de sentiments et ressentiments. Matériaux foncièrement irrationnels, même s’ils sont la source de seules décisions rationnelles possibles.

Incidemment, le blogueur JF Lisée poursuit sa publications d’extraits ( premier, deuxième, troisième, quatrième) de son bouquin « Imaginer l’après-crise ». De nombreuses pistes de solutions politiques sont suggérées, allant de changements à la fiscalité internationale (disparition des paradis fiscaux, imposition du prix écologique…) à de nouvelles règles de responsabilisation des corporations. Mais pourquoi de telles bonnes idées ne sont-elles pas sur le programme de tous les partis politiques de la planète ? Parce que les partis politiques nationaux (ou provinciaux) gèrent la passivité ou l’inconscience des populations beaucoup plus qu’ils ne mobilisent l’action ou la conscience de leurs commettants. Parce que les « populations » sont composées d’hommes et de femmes aux horizons plutôt restreints : trouver un emploi, prendre sa retraite, payer sa maison ou encore l’éducation de ses enfants… quand ce n’est pas la prochaine épicerie.

Autre lecture : Cinq clés pour une gestion européenne de la crise (Le Monde).

équilibre budgétaire et dépenses militaires

Ces Américains qui ne veulent pas payer plus de taxes, alors qu’ils sont parmi les moins taxés de l’OCDE, aux côtés des Corée du Sud, Turquie, Chili et Mexique. J’ai toujours eu un malaise…

Mais ne peut-on les comprendre, d’un certain angle ? Chaque dollar de taxe payé par le travailleur américain se trouve investi, à  35-40 % (mon hypothèse de départ) dans les dépenses militaires… Celles d’un gendarme du monde de plus en plus décrié. En 2010 les dépenses militaires américaines représentaient 43 % des dépenses militaires mondiales, loin en avant du deuxième pays (Chine) avec 7 % des dépenses !(Voir aussi la page Wikipedia sur les forces armées américaines.)

Alors ou bien on laissera le géant s’écraser, les vautours et autres hyènes cherchant à tirer leur pitance dans la tragédie… Ou bien ne pourrait-on renverser la situation ? Aider le redressement américain en acceptant de prendre à charge une juste partie de la dépense militaire ! Ce serait une force internationale permanente dirigée à partir des institutions internationales plutôt que de l’aile ouest de la Maison blanche.

Bon, mais même dans ce monde virtuel… il n’est pas sûr que la pression ainsi levée des épaules du payeur de taxes états-unien l’amène à une vision plus sociale ou responsable du rôle de l’État. Devrait-on simplement compter sur le bon sens et l’impact de l’exemple du plus grand nombre ? Hmmm. Par ailleurs n’est-ce pas le genre de contrainte que la Banque mondiale peut imposer aux pays auxquels elle vient en aide, que de demander d’accroître les taxes ? Dans ces cas, il me semble que c’est plutôt pour assurer le paiement des intérêts et du capital de ces prêts consentis et non pour augmenter la couverture en services et biens sociaux. Il me semble que ces banquiers internationaux viennent plutôt demander de sabrer dans les services, pour garantir le service de la dette.

Tout de même, ne serait-il pas préférable de donner un certain sens collectif, politique aux efforts de sortie de crise qui devront être consentis, encore. Sans une telle action les négociations se limiteront aux échanges de billets et de promesses basées sur des équilibres plus que précaires – et donc des tractations d’autant plus opaques. Qui décidera de la portée et de l’orientation des prochaines années ? Les banquiers, chinois en premier lieu, qui ont prêté sans contrainte ni condition ?

On peut toujours faire semblant que chaque pays est indépendant… que c’est chacun pour soi. Ce qui est loin d’être le cas, notamment en Europe. Les grandes décisions et mouvements qui ont déchiré la scène internationale des dernières décennies ont souvent été le fait de leaders américains (les guerres Bush) mais aussi la conséquence de processus souterrains lents ayant conduit à l’effritement de formations sociales (effondrement de l’URSS, printemps arabe). On aura beau questionner, condamner les agissements du « gendarme américain », il a agi d’autant plus librement que les solutions alternatives étaient muettes ou désorganisées.

Ce serait intéressant de voir la part de l’endettement américain actuel qui relève de ses engagements militaires dans le monde.  Je trouve ce billet sur un blog du Monde.fr  – La dette des Etats-Unis : le Congrès de la Honte :

Faut-il rappeler que dans les 14.000 milliards de dollars de dette publique la seule guerre en Irak atteint un montant de 3.000 milliards de dollars ? Que la guerre en Afghanistan représente plus de 1.000 milliards ?

L’auteur ne se prive pas de fustiger les congressistes et sénateurs :

L’hypocrisie est totale : on vote un budget et on bloque les autorisations d’emprunt de ce budget. Il est irresponsable de voter un budget et de ne pas donner au Gouvernement les moyens de le financier. Ce double langage est  proprement scandaleux.

Pour évaluer le poids des dépenses militaires dans le budget américain, il y a plusieurs façon de présenter la chose (le contraire eut été surprenant !). Selon Wikipedia, les dépenses militaires représentent 20 % du budget 2010 totalisant 3,5 mille milliards $. Mais ce budget étant largement déficitaire, on reporte souvent les dépenses militaires sur les revenus de taxe prévus.

The U.S. Department of Defense budget accounted in fiscal year 2010 for about 19% of the United States federal budgeted expenditures and 28% of estimated tax revenues. Including non-DOD expenditures, defense spending was approximately 28–38% of budgeted expenditures and 42–57% of estimated tax revenues.

Une autre façon de voir est celle de la War Resisters League, qui additionne les dépenses militaires actuelles au poids des dépenses militaires passées (soutien aux vétérans, et intérêts sur la dette – 80% – créée par les dépenses militaires passées). Ce qui portait le total à 54 % du budget, pour l’année 2009.

Finalement je n’étais pas très loin du vrai, en pensant spontanément que 35-40% de chaque dollar de taxe payé par un travailleur américain allait aux dépenses militaires… Y’a de quoi développer une allergie, même irrationelle, aux taxes !!

* * * * *

Bon, c’était un billet de circonstances, et de vacances ! En vrac… comme d’habitude !

indice du mieux-vivre

Dans le cadre des activités entourant son 50e anniversaire l’OCDE lançait 4 documents sur la croissance verte :

De plus, un site comparant les pays de l’OCDE grâce à un indice Vivre mieux était aussi lancé. On peut comparer les pays en regard de chacun des 11 éléments composant l’indice ou encore pour une pondération à votre choix. Créez VOTRE indice et comparez les pays.

J’ai déjà parlé ici et du National Account of Well Being, qui compare aussi les pays (Europe seulement, dans ce cas) mais à partir des réponses à une enquête sociale et de santé. Dans le cas de l’indice de l’OCDE, les indicateurs sont plus « objectifs » : taux de chômage, taux de particules dans l’air…

maîtres d’hier et d’aujourd’hui

Alan Greenspan, l’ancien grand patron de la Réserve fédérale américaine de 1987 à 2006, publie un assez long article (18 pages) intitulé Activism (pdf). Paul Krugman ne semble pas d’accord.

If he wants to redeem himself through hard and serious reflection about how he got it so wrong, fine — and I’d be interested in listening. If he thinks he can still lecture us from his pedestal of wisdom, he’s wasting our time.

bonheur, économie

Un article du G&M (que je ne réussis pas à retrouver sur leur site !) de la fin de semaine m’apprend que le gouvernement Cameron de Grande-Bretagne vient de financer une commission pour étudier des alternatives à la mesure « brute » du PIB. Des mesures alternatives de la prospérité, qui ont déjà fait l’objet de travaux par une commission française dirigée par MM Sen et Stiglitz qui remettait son rapport l’an dernier et dont je parlais ici en début d’année. L’article du Guardian commentant la nouvelle, il y a 3 semaines, pointe vers son Data Blog, qui lui même introduit les National Accounts of Well-being (Comptes nationaux du bien-être), où l’on peut comparer les pays (Europe) sur différents indicateurs, mais aussi répondre soi-même au questionnaire qui a servi à construire cet indicateur de bien-être… On peut télécharger le rapport d’analyse ainsi que les tableaux de données à cette adresse.

Suivant le statisticien canadien John Helliwell, « The UK plans are putting into action the two most important elements of the Stiglitz/Sen report: systematically measuring subjective wellbeing as part of a broader national accounting system, and using these data to inform policy choices.» Lorsqu’on cite à plusieurs reprises le Canada comme étant un pays qui sonde ses résidents sur l’appréciation de leur bien-être, je présume qu’on fait référence aux Enquêtes sur la santé des collectivités canadiennes. Continuer la lecture de « bonheur, économie »

retraites, immigration et travail

Plus d’un million de Québécois prendront leur retraite d’ici 2017. La moitié d’entre eux auront quitté leur emploi dans moins de trois ans. En 2009 seulement, le gouvernement prévoit environ 100 000 départs. La plupart des travailleurs partiront à 58 ans dans le secteur public, et à 61 ans dans le secteur privé. [lesaffaires.com – oct. 2009]

Avec 49 489 immigrants au total en 2009, (statistiques récentes) les jeunes qui arrivent sur le marché du travail pourront-ils combler la différence ? Certaines études affirment que non.

L’arrivée des jeunes sera insuffisante pour remplacer cette génération. D’après les projections de Statistique Canada, la population âgée de 15 à 64 ans amorcera une baisse { au Québec} dès 2013, tandis qu’elle continuera de croître au Canada et en Ontario. [Point de vue économique, Desjardins – 13 août 2008 – pdf]

Avec des taux de chômage à la baisse (p. 4 du document cité), il y aura un effet de rétention sur les travailleurs plus âgés et d’attraction pour les plus jeunes… Continuer la lecture de « retraites, immigration et travail »

revenus de riches et leçon d’économie

Dans son article le plus récent, le même Krugman y va d’une leçon sur les fondamentaux de l’économie, comparant l’analyse de la situation économique actuelle entre les économistes « classiques » et les keynésiens (dont il est) : How The Other Half Thinks.

Plusieurs liens dans cet article pointent vers des chapitres d’un écrit de Keynes (The General Theory of Employment, Interest, and Money) disponible en ligne (the classical theory of the interest rate, the “classical theory” of employment). J’ai trouvé le même bouquin, en traduction française, disponible en ligne Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) dans cette mine d’or Les classiques des sciences sociales, animée depuis dix ans par Jean-Marie Tremblay.

déprimants horizons

So I don’t think this is really about Greece, or indeed about any realistic appreciation of the tradeoffs between deficits and jobs. It is, instead, the victory of an orthodoxy that has little to do with rational analysis, whose main tenet is that imposing suffering on other people is how you show leadership in tough times.

And who will pay the price for this triumph of orthodoxy? The answer is, tens of millions of unemployed workers, many of whom will go jobless for years, and some of whom will never work again. [Krugman, NYT, The Third Depression]

Krugman, dans cet éditorial du New York Times mais aussi J-F Lisée, sur son blogue de l’Actualité, soulignent le danger et le caractère idéologique des « solutions » mises de l’avant par les leaders orthodoxes et conservateurs, Harper le premier.