bazar du lundi, livré mercredi

« Comme Nixon, Biden a distillé de petites touches de patriotisme économique pour faire avaler à l’opinion le coût faramineux de l’hégémonie mondiale des États-Unis. (…) L’euphorie de Wall Street au lendemain de l’élection suggère que « les marchés » ne prennent pas très au sérieux les déclarations de Trump sur les déportations de masse ou les droits de douane prohibitifs.  » 
Donald Trump et le désalignement électoral, LVSL, novembre 2024

Le transport collectif à la demande, un moyen efficace d’améliorer l’accessibilité en banlieue, The Conversation, 2024.10.24

Tirés de mon Syllabus hebdomadaire 
(flux personnalisé et autres trouvailles de l’équipe). 

Le service public conçu comme flux (practice) de valeurs publiques et privées co-créées. 
« this paper proposes a public services as practices framework. This framework defines public services as bundles of shared public value co-creation practices that consists of templates and performances. » Public services as practices: towards a framework for understanding co-creation and co-destruction of private and public value, Per Skålén. 

Beyond outsourcing : Re-embedding the state in public value production. 

Par Rosie Collington et Mariana Mazzucato.
La théorie de la valeur publique (PVT) est apparue dans le cadre d’un paradigme plus large de l’administration publique qui appelait au recentrage de l’État dans l’identification et la gestion des activités publiques en réponse aux tentatives des politiciens néolibéraux de le marginaliser. Les partisans de la TPP restaient néanmoins ambivalents quant au rôle de l’État dans la production des biens et services nécessaires à la création de valeur publique. Au cours des décennies qui ont suivi, l’externalisation du secteur public a pris de l’ampleur et s’est étendue, en particulier dans les économies anglo-saxonnes. Le PVT n’est pas en mesure de rendre compte des implications de ce mode de production de valeur publique et des raisons pour lesquelles il peut miner la capacité de l’État à créer de la valeur publique au fil du temps. Dans cet article, nous soutenons que le fait que l’État soit dissocié de la production de valeur publique nuit à sa capacité d’apprentissage et d’adaptation des organisations, qui sont essentielles pour que l’État puisse répondre à l’évolution des besoins et des demandes. Parce que ce qui constitue la valeur publique évolue, les ressources et les capacités de production de la valeur publique doivent également être reconfigurées. En d’autres termes, la création de valeur publique dépend de l’innovation des moyens de production de valeur publique. Nous plaidons en faveur d’une réintégration de l’État dans la production de valeur publique et pour que les secteurs publics aillent au-delà de l’externalisation de la fourniture de services et de fonctions de base. 
(ma traduction)

Repiqués de mon faisceau NetNewsWire (fils RSS)

Logements et terrains publics

Douze propriétés fédérales, dont deux au Québec, libérées pour du logement « pour les Canadiens et Canadiennes de la classe moyenne ».

10.    Laval (Québec) – Montée Saint-François – Pénitencier de Laval
11.     Laval (Québec) – Terrain vacant à côté du 1575, boulevard Chomedey

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énergie propre et patrimoine

[Ajout 8 déc.] Un manifeste paru après la rédaction de cet article : 14 revendications d’un regroupement de la société civile pour un avenir énergétique juste et viable au Québec.

Si vous n’avez pas vu passer la consultation menée par le gouvernement du Québec sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec c’est normal : elle se sera tenue du 1er juin au 2 août, sans tambour ni trompette. C’est un article du Devoir, signé Alexis Riopel, qui m’a mis la puce à l’oreille : Ode à la sobriété énergétique. Une entrevue avec Bruno Detuncq, professeur de génie mécanique à Polytechnique Montréal, à la retraite depuis 2017.

Riopel parlait du mémoire déposé par le professeur dans le cadre d’une consultation dont je n’avais pas entendu parler… J’ai réussi à trouver le site officiel de la consultation, mais pas les mémoires déposés. M. Riopel m’a bien aimablement dirigé vers le site élaboré par le Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec. On peut y trouver le mémoire du professeur Detuncq (Avenir énergétique du Québec – Sobriété et Problèmes énergétiques) de même que 25 autres.

Cette incursion dans le monde de la planification énergétique m’a obligé à me familiariser avec des termes tels le bloc d’électricité patrimonial, accumulateurs de chaleur, tarification dynamique et autres. Mais les enjeux entourant la fourniture d’électricité « propre » pour l’avenir sont très liés à l’atteinte de nos cibles de décarbonation. À l’évidence, il faudra ajouter des capacités de production d’électricité pour remplacer les sources d’énergie fossile dont il nous faut sortir au plus tôt.

De l’énergie à revendre !

Faut-il pour autant continuer de promouvoir le Québec comme terre d’accueil de tous les projets énergivores ? Des batteries pour Hummer, vraiment ? Des parcs de cryptomonnaie ? Plusieurs mémoires présentés lors de cette consultation s’inquiètent de l’orientation productiviste des documents déposés et des questions posées par ce gouvernement.

[L]a lecture des documents fournis en appui à cette consultation et le contenu du questionnaire que vous proposez à la population, auquel nous avons choisi de ne pas répondre, nous font craindre que la cible de décarbonation d’ici 2050 soit un prétexte et non l’objectif réellement visé, qui serait en fait une vigoureuse relance du développement industriel et son cortège de mesures corrosives pour la nature et la société.

Vers la sobriété énergétique, mémoire du RVHQ (je souligne)

Alors que des gouvernements d’autres pays adoptent l’approche sobriété-efficacité-renouvelables, le gouvernement du Québec mise sur la croissance de la production et n’offre qu’un simulacre de consultation sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec. Nous remettons en question l’idée selon laquelle la demande et la production d’énergie au Québec doivent augmenter de façon « naturelle », continue et apparemment sans limite.

Mémoire de Greenpeace (je souligne)

La sobriété, qui devrait être au premier rang d’un plan de développement d’énergie propre (les kWh évités sont les plus propres !), semble la dernière des préoccupations gouvernementales. C’est vrai que ce gouvernement semble plus intéressé à flatter les désirs d’enrichissement à court terme de ses électeurs (étalement urbain et autoroutes plutôt que transport collectif et densification) que de faire face à la « réelle révolution énergétique, écologique, économique et sociale » (mémoire FTQ) qui est devenue nécessaire.

Parler sérieusement de sobriété, ça veut dire (tous les acteurs s’accordent là dessus) adapter le code du bâtiment afin que tous les nouveaux bâtiments soient d’une efficacité énergétique croissante, allant vers la carboneutralité (2040 ?). Pour le stock de logements déjà construits des interventions plus ou moins lourdes et coûteuses devront être faites. Des interventions difficiles à justifier économiquement considérant que le retour sur investissement est minimisé par la tarification actuelle à bas prix du secteur résidentiel bénéficiant d’un interfinancement des secteurs industriel et commercial. 1Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

La sobriété énergétique d’ici 2050, c’est dans 27 ans, et cela devrait se traduire par une diminution du nombre de voitures automobiles sur les routes. Ce n’est pas juste le ministre Fitzgibbon qui le dit… Ce à quoi le chef s’est empressé de rétorquer que son gouvernement n’avait pas l’intention d’empêcher quiconque de s’acheter une deuxième voiture (« notre approche, c’est vraiment de dire qu’il faut aller vers l’auto électrique »). Ce gouvernement se veut celui de la carotte, et non du bâton ! Mais quand il n’y a pas de carotte où il devrait y en avoir, que se passe-t-il ? Le Québec investi trois fois moins par habitant que son voisin ontarien en transport collectif (1548$ VS plus de 4000$ en Ontario, mémoire du RVHQ).

Les pays européens comme la France et l’Allemagne planifient une réduction importante (40%) de leur consommation d’électricité. Ici, on dirait qu’on favorise une augmentation de la consommation : à chacun sa voiture électrique, son bungalow en banlieue et son chalet à la campagne (ou son voyage annuel dans le sud).

En mettant l’accent sur l’accroissement nécessaire de la production électrique plutôt que sur la transition vers un mode de vie plus sobre et propre… on évite les débats difficiles et les arbitrages nécessaires. On reporte à plus tard ? On laisse à d’autres (aux mécanismes du marché ?) le soin de décider ? C’est ce qui se dessine quand on affirme que la libéralisation du marché de la production est nécessaire pour rencontrer les besoins de demain.

Privatiser ou non ?

La première recommandation du mémoire déposé par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal :

Recommandation 1 : Ouvrir rapidement le marché de la fourniture d’électricité aux consommateurs industriels à tous les producteurs.

La grande majorité des autres mémoires déposés s’oppose à une telle libéralisation (privatisation) même si plusieurs promeuvent l’autoproduction et l’engagement des municipalités, coopératives et communautés autochtones dans la production d’électricité.

On s’oppose pour s’assurer collectivement du contrôle dans un secteur jugé stratégique… et pour maintenir l’accessibilité (les bas prix) de l’énergie, en pensant particulièrement aux populations pauvres et peu fortunées qui pâtiraient grandement d’une « mise à niveau » du prix de l’électricité vers les coûts réels actuels de développement.

[C]es bas prix contribuent grandement à la très forte consommation des Québécois. Pour réussir la transition énergétique, le gouvernement devra revoir son approche à la communication des prix de l’énergie de manière à conditionner les attentes et comportements des consommateurs.

Mémoire Chaire de gestion de l’énergie

Le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) est aussi d’avis qu’il faut une tarification reflétant les coûts actuels de développement pour inciter à la sobriété et l’efficacité.

Recommandation 19
Le RNCREQ est d’avis que les tarifs de l’électricité devraient refléter son vrai coût et inciter à la sobriété et l’efficacité énergétiques. Ainsi, le RNCREQ recommande d’étudier et de faire évoluer les tarifications et les autres mesures fiscales en ce sens, tout en développant des mesures de compensation pour ne pas impacter les ménages à faible revenu.

Comme le soulignait la Chaire dans son mémoire, citant une recherche récente : l’annonce d’une augmentation à venir accroit l’impact en terme de changements comportementaux. Adopter un plan annonçant d’avance les changements tarifaires stimulerait d’autant les investissements en sobriété et efficacité que les économies seraient substantielles.

Comment se fait-il que les grands projets de développement immobiliers n’ont pas encore adopté la géothermie (associée à des mesures de stockage local) comme source écologique d’énergie ? Parce que les tarifs résidentiels pratiqués actuellement ne justifient pas de tels investissements. Ni pour Hydro-Québec, ni pour les constructeurs. Pourtant, comme plusieurs le suggèrent, si la production décentralisée (municipalités, coopératives) était favorisée, avec des mesures de stockage et d’échange bi-directionnel permettant de diminuer la pression de pointe sur le système (par exemple en permettant d’utiliser la batterie des autos électriques ou les accumulateurs d’ensembles résidentiels) c’est la productivité de l’ensemble qui y gagnerait.


Il ne faut pas s’attendre à ce que la CAQ se fasse chantre de la sobriété ! Ce gouvernement semble plutôt orienté vers la vente à bon marché des ressources énergétiques et environnementales de ce pays ! Et quand il y aura de l’opposition à transformer chaque vallon et chaque rivière en source d’énergie… on se tournera vers l’énergie atomique ?

En terminant, le mémoire du Front commun pour la transition énergétique est court (8 pages) et se veut surtout un appel au débat et à la prudence. Celui, déjà cité, du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement est le seul, il me semble, à mettre de l’avant le développement des échanges inter-provinciaux. Plusieurs misent sur la sobriété et une approche écologique respectueuse du vivant (Cessons la fuite en avant, Boulimie énergétique écocide, Priorité au vivant, Une décarbonation en harmonie avec le vivant). Le mémoire du professeur Detuncq, Ode à la sobriété énergétique, est celui qui résume le mieux, il me semble, en les quantifiant les besoins d’électrifications des différents secteurs.

Notes

  • 1
    Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

l’espace et le temps

Lectures d’été

Il arrive des moments où je ne sais plus où donner de la tête. Particulièrement durant l’été, où les échéances s’étirent ou s’estompent… où on peut se permettre d’être encore plus dilettante, explorateur que d’habitude. Je me demande si je dois poursuivre ma lecture du deuxième tome de la somme 1deux fois 800 pages! Une histoire de la philosophie, volume sous-titré Liberté rationnelle – Traces des discours sur la foi et le savoir, par Jürgen Habermas. J’en suis à la page 155, juste après le chapitre La séparation de la foi et du savoir : protestantisme et philosophie du sujet et avant d’aborder Au croisement de la pensée postmétaphysique : Hume et Kant. J’en suis à la deuxième de ce que l »auteur appelle ses Considérations intermédiaires. Un coup d’oeil à la table des matières des chapitres qui me restent à lire. Ça s’annonce passionnant :

Chapitre VIII. Au croisement de la pensée postmétaphysique : Hume et Kant

  1. La déconstruction par Hume de l’héritage théologique de la philosophie pratique
  2. L’explication anthropologique des phénomènes du droit et de la morale
  3. La réponse de Kant à Hume : le sens pratique et l’arrière-plan relevant de la philosophie de la religion du tournant transcendantal opéré par la philosophie
  4. La justification postmétaphysique d’un intérêt intrinsèque à la raison

Chapitre IX. L’incarnation de la raison dans le langage : de l’esprit subjectif à l’esprit « objectif »

  1. Les impulsions politiques, économiques, culturelles et scientifiques poussant au changement de paradigme
  2. Les motifs conduisant au tournant linguistique chez Herder, Schleiermacher et Humboldt
  3. L’assimilation de la foi au savoir opérée par Hegel : le renouvellement de la pensée métaphysique après Kant
  4. La raison dans l’histoire : autonomie contre mouvement autonome du concept

Troisième considération intermédiaire. De l’esprit objectif à la socialisation communicationnelle des sujets connaissants et agissants

Chapitre X. La contemporanéité des jeunes hégéliens et les problèmes de la pensée postmétaphysique

  1. Le tournant anthropologique de Ludwig Feuerbach : sur la forme de vie des sujets incarnés organiquement et socialisés sur le mode communicationnel
  2. Karl Marx sur le thème de la liberté située historiquement des sujets productifs et politiques
  3. L’écrivain religieux Sören Kierkegaard sur la liberté éthique et existentielle de la personne individuée du point de vue biographique
  4. Des processus d’interprétation entre rapport à la vérité et rapport à l’action : Peirce, initiateur du pragmatisme
  5. Sur le mode d’incarnation de la raison dans les pratiques de la recherche et de la politique
Une histoire de la philosophie, tome II, J. Habermas, 2023

J’ai pris une pause dans cette lecture pour me plonger dans une plaquette (119 pages) du même auteur : Espace public et démocratie délibérative : un tournant. Ça me semblait un élément pertinent pour une réflexion sur les enjeux liés au développement d’initiatives telle Projet collectif et ses Praxis et En commun… Bon, je n’ai pas encore formulé cette réflexion, j’ai bien quelques notes écrites mais pas encore de billet. J’ai par la suite pris congé des lectures sérieuses en lisant un « policier-techno » : Red Team Blues, de Cory Doctorow. Une histoire de « forensic accountant » (comptable-criminaliste ?), de crypto-monnaies et de rêve californien…

De fait, ça fait un certain temps que j’ai délaissé Une histoire de la philosophie, car j’ai entretemps lu la monographie de Robert Boivin, Histoire de la clinique des citoyen de Saint-Jacques.

La Clinique des citoyens, Bonnie Sherr Klein, offert par l’Office national du film du Canada

Ce qui me donnait matière à contextualiser un autre billet en préparation : sur les années 1970-1973 dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve autour du projet de Centre communautaire de santé. Je me suis replongé dans des documents d’archives rassemblés il y a longtemps, ou dont j’ai hérité récemment (Merci Jean P.-R.). Yves H. me suggérait aussi de lire la biographie de Robert Burns, qui fut élu député de ce quartier en avril 1970. Et effectivement je trouve des traces de la pensée « hyper-démocratique » (c’est le qualificatif qui me vient !) de Burns dans un projet lié à un colloque tenu cet été là au Collège Maisonneuve.

Je me suis plongé avec d’autant plus d’intérêt dans ces documents d’archive que j’y trouvais des traces de l’action menée par Annette Benoît, PSA, dans et autour du projet de proto-CLSC, cette Petite soeur de l’Assomption qui a célébré son centenaire récemment. J’ai la chance de m’entretenir avec elle régulièrement depuis quelques années, aussi elle a pu m’éclairer sur la dynamique à l’oeuvre dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve de cette époque, il y a 50 ans. C’est un autre billet sur lequel j’accumule des matériaux : le centenaire d’une activiste, d’une entrepreneure sociale. J’ai un peu de difficulté à séparer les contenus de ce billet et du précédent : les années 70-73 dans le quartier. Je devrai sans doute les rédiger en même temps, pour référer de l’un à l’autre…

Il y a aussi ces auteurs découverts récemment (Hartmut Rosa {Remède à l’accélération; Rendre le monde indisponible}; Andreas Malm {Comment saboter un pipeline; L’anthropocène contre l’histoire}; Chris Otter {Diet for a Large Planet – Industrial Britain, Food Systems, and World Ecology}. Pour ce qui est d’Andreas Malm, j’ai pu lire une introduction critique Le kaléidoscope de la catastrophe : lumières et opacités chez Andreas Malm. C’est Hartmut Rosa qui m’intéresse le plus en ce moment.

Notes

  • 1
    deux fois 800 pages!

un optimiste du climat

Lectures récentes (2)

How to be a climate optimist, par Chris Turner

Un auteur canadien vivant à Calgary, Chris Turner collectionne les bons coups, les avancées technologiques et politiques (dont plusieurs canadiennes) qui lui permettent d’être encore « optimiste » face à l’avenir climatique. La qualité de son travail lui a valu de gagner le prix Shaughnessy Cohen 1Pour une œuvre politique, décerné par la Société d’encouragement aux écrivains canadiens, est attribué à l’auteur d’un ouvrage non romanesque qui traite d’un sujet politique et qui éveille l’intérêt des lecteurs canadiens tout en approfondissant leurs connaissances sur ce sujet..

Il n’est pas seul à être optimiste, Jon Palais, dans son livre La bataille du siècle sur lequel je reviendrai bientôt, disait « il faut toujours combattre le défaitisme structurel qui est resté très fort dans le milieu politisé et militant écologiste. Il y a une tendance à l’autoflagellation, aux discours pessimistes, aux récits selon lesquels tout est déjà perdu, qui explique une part significative du niveau encore trop faible de notre rapport de force. Le défaitisme est la première condition pour garantir une défaite. » Et aussi « « Il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté », écrivait Antonio Gramsci. Mais il y a aussi un optimisme de la raison. En quoi la transformation de notre société à partir d’alternatives déjà existantes serait-elle moins faisable que d’autres prouesses dont nous avons été capables ces dernières décennies ? Comment s’imaginer incapables d’organiser des villes sans voitures alors qu’on a été capables d’envoyer des hommes marcher sur la Lune ? »  (je souligne).2Mariana Mazzucato, dans son livre Mission Economy est aussi une optimiste qui fait appel à l’esprit du projet Apollo sans que ses arguments soient tout à fait convaincants

Mais revenons à Turner dont la prose engageante nous fait voyager, en tant qu’enfant d’une famille de militaire puis en tant que reporter pour visiter le siège social de Unilever en Allemagne ou encore diverses initiatives autochtones canadiennes en matière d’énergie photovoltaïque. Il me fait découvrir cette compagnie montréalaise dcbel, qui permet de transformer son véhicule électrique en génératrice d’appoint en cas de panne du réseau, ou encore le fait que la Colombie Britannique a adopté un code du bâtiment ( le British Columbia’s pioneering Energy Step Code) visant à faire que chaque (nouvelle ?) maison soit « net zéro » en 2032. Il raconte avec verve les origines et l’impact qu’a eu le projet Energiewende (transition énergétique) en Allemagne. Nous allons visiter une petite île danoise qui expérimente un réseau électrique intelligent…

Turner se fait le chantre d’un optimisme quasi euphorique (« What I mean is dammit this transition has to be optimistic. It has to have some excitement to it, at least a little exuberance, the promise of euphoria » p. 255). C’est probablement plus attrayant en tant que conférencier. Je suis même d’accord avec lui quand il affirme « The global energy transition has to be not a flight from danger but a march, even a race, toward a better world (…) People, masses of them, don’t build something much better in panic and terror. » (pp. 252, 255). Il est tellement optimiste que, d’après lui le scénario d’augmentation de la température à 2,50C est le pire qui puisse arriver ! (the 2.5°C scenarios now strike me as verging on the worst case.) Cet optimisme de principe vise à amadouer le quidam qui, on le sait, a plus peur de perdre maintenant qu’envie de gagner plus tard. Comme dit si bien l’adage : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Mais le parti pris technophile de Turner est un peu trop insistant et facile. Très peu de remise en question du tout pour l’auto, même si sa couverture positive des villes plus denses et complètes (quartiers de 15 minutes) et ses références incidentes à la bicyclette pourraient ouvrir à une telle critique. Restons positifs, tel semble être le motif, la stratégie principale : pour compenser les discours trop défaitistes, sans solution. C’est d’ailleurs la principale critique qu’il adresse à Wallace-Wells et son The Uninhabitable Earth, qui disent qu’il faut changer de paradigme, freiner la consommation, réduire la dépense énergétique : on ne répond pas au Comment ! Comment faire pour changer de paradigme. Les discours s’arrêtent le plus souvent au constat, à la liste des catastrophes actuelles ou attendues, avec souvent comme sous-texte qu’il est (presque) trop tard. Autrement dit on est toujours positif sauf quand il s’agit des environnementalistes à qui il réserve ses pires critiques.

L’auteur raconte avec enthousiasme la construction d’une nouvelle usine d’aluminium au Lac St-Jean3et avec autant d’enthousiasme l’arrivée des F150 électriques qui auront besoin de beaucoup de cet aluminium avec un nouveau procédé plus propre en oubliant d’inclure dans le portrait les dégâts que causent l’extraction de l’alumine (alumina)en provenance de l’Amazonie ! (De quelle couleur est votre aluminium ? En anglais)

On ne peut pas dire que la dimension humaine ou politique soit absente de son essai, c’est même une des parties les plus intéressantes : quand il parle des initiatives autochtones en matière d’énergie photovoltaïque… Mais la solution ne viendra pas de l’ONU, dit-il en tête de chapitre. Il faudra encore des Walmart et des Siemens dans le monde de demain. Pour répondre aux besoins quotidiens des gens autant que pour les déplacer dans les trains du futur…

L’égoïsme, les comportements inadmissibles des minorités riches et des corporations aveugles ? On ne les rencontre pas dans cette hagiographie4Des histoires de saints des innovateurs, des technologies prometteuses, des projets expérimentaux et des miracles nécessaires…

C’est vrai, on ne construit pas un monde meilleur dans la précipitation, encore moins dans un état de panique. Et qu’on n’attire pas les abeilles avec du vinaigre. Mais je ne peux m’empêcher, en terminant ce livre primé comme le « meilleur essai politique canadien », d’avoir un arrière goût d’aluminium dans la bouche. Oui le chemin parcouru au cours des dix ou vingt dernières années est fantastique, surtout quand on se centre, pour les besoins de la démonstration, sur certains aspects de la réalité : les avancées technologiques, les changements rapides d’attitudes…

Mais la rapidité avec laquelle les changements climatiques additionnent les catastrophes, les précédents, les points de bascule potentiels devrait nous inviter à la prudence dans notre optimisme. L’optimisme euphorique dans ce contexte confine à l’inconscience et au déni confortable du repu.

Turner propose une longue citation d’une scientifique (Katharine Hayhoe), où elle souligne que l’information qui a eu le plus d’impact dans ses communications sur le climat est d’avoir dévoilé qu’elle est Chrétienne. La science n’est pas suffisante, c’est l’identification avec le porteur de nouvelles qui pèse, comme on a pu s’en apercevoir pendant la pandémie. L’argument scientifique, la logique et la raison n’ont que peu de poids devant l’habitude, l’intérêt personnel immédiat et le conformisme.

La politique est un rapport de force, c’est ce que n’oublie jamais Jon Palais, dans La bataille du siècle, qui sera l’objet de mon prochain billet.

Notes

  • 1
    Pour une œuvre politique, décerné par la Société d’encouragement aux écrivains canadiens, est attribué à l’auteur d’un ouvrage non romanesque qui traite d’un sujet politique et qui éveille l’intérêt des lecteurs canadiens tout en approfondissant leurs connaissances sur ce sujet.
  • 2
    Mariana Mazzucato, dans son livre Mission Economy est aussi une optimiste qui fait appel à l’esprit du projet Apollo sans que ses arguments soient tout à fait convaincants
  • 3
    et avec autant d’enthousiasme l’arrivée des F150 électriques qui auront besoin de beaucoup de cet aluminium
  • 4
    Des histoires de saints

Montréal, ouest de l’île, à vélo

Rampe circulaire d’accès au pont vers l’île Perrot

À défaut de faire, comme je l’avais d’abord prévu, c’est-à-dire un voyage en vélo dans les Cantons de l’Est, nous avons décidé de faire l’Ouest de l’île en deux jours. J’ai trouvé un motel sur l’île Perrot, annoncé à 80$ la nuit : le Motel Montréal. Sans y regarder de plus près, nous sommes partis. Ma seule crainte, à l’époque, c’était le pont vers l’île Perrot : y avait-il une piste cyclable ? Un coup d’œil au Street View de Google Maps m’aurait permis de voir qu’il y en avait un! Avec un bel accès en tire-bouchon !

Un survol illustré et commenté du chemin parcouru depuis Hochelaga, jusqu’à Cap-St-Jacques, puis Sainte-Anne-de-Bellevue, et le lendemain par la rive côté sud jusqu’au Vieux Montréal (21 minutes de vidéo). Ce fut aussi une première appropriation de l’outil de montage vidéo Final Cut Pro. De là le 21 minutes… C’est + long et + compliqué de faire court…

Partant d’Hochelaga, une quarantaine de kilomètres vers l’ouest, suivant la piste Rachel, jusqu’à Molson pour aller prendre Des Carrières puis le REV St-Denis jusqu’à Gouin pour longer ensuite (autant que possible) la rivière Des Prairies jusqu’au Parc-nature du Cap-St-Jacques. 

Plutôt que de tourner directement sur Gouin, on devrait passer par le parc Jeanne-Sauvé, coin nord-est de l’intersection, ce qui permettrait d’éviter une partie qui n’est pas très agréable… tout en passant par un parc. Mais le retour sur Gouin nous ramène sur une portion où la piste cyclable (à deux sens) est carrément sur le trottoir, à peine plus large que la normale. C’est un des pires aménagements rencontrés. Je préfère le plus souvent rouler dans la rue plutôt que de risquer la rencontre de cyclistes et de piétons en même temps. 

Je me rends régulièrement au Carrefour Providence, où loge mon amie Sœur Annette. Un rendez-vous que nous avons eu en mode vidéo pendant deux ans… et que je me plais à faire maintenant à bicyclette, plutôt qu’en autobus comme avant. Ça me prend le même temps : une heure. 18 kilomètres. Avec le vélo électrique, c’est juste un bon exercice, été comme hiver. 

C’est fou comme on voit « étroit »… comme notre regard est linéaire. Je ne m’étais jamais rendu compte de la proximité de l’hôpital du Sacré-Cœur puisque en passant par O’Brien puis Salaberry, je ne passais jamais devant l’hôpital Sacré-Cœur. Un regard « de haut »  permet d’identifier plusieurs des communautés religieuses qui habitent sur ces terrains adjacents au sud et à l’ouest de l’hôpital. Un coup d’œil à l’histoire de l’hôpital permet de confirmer que les Sœurs de la Providence ont été « en charge » de l’établissement dès 1899, soit un an après sa création. 

Finalement, se rendre jusqu’à Cap St-Jacques nous aura pris plus de trois heures plutôt que les 2 heures 13 prévues par Google Maps. On voulait se rendre au Cap pour dîner… On aurait peut-être dû s’arrêter au Bois de Saraguay ou au Bois-de-Liesse : il y a de belles places que nous avons déjà visité auparavant. Si c’était à refaire je ne chercherais pas à longer la Rivière-des-Prairies, que nous avons pu admirer à quelques reprises mais assez rarement, somme toute. Au sortir du Bois-de-Liesse, côté ouest, une route cyclable en site propre nous aurait conduit jusqu’au Chemin de l’Anse à l’Orme. 

Du Cap à Ste-Anne-de-Bellevue 

La route est partagée (pas de piste cyclable séparée) sur le chemin Senneville, tout comme à Sainte-Anne-de-Bellevue et Baie-d’Urfé. Ça ne pose pas de problème dans la mesure où le trafic y est relativement léger et lent (30 km/h la plupart du temps). Les « demi-pistes » cyclables peintes sur la voie, dans Beaconsfield, sont franchement trop étroites… c’est pire que de simplement partager la route. Est-ce parce que Beaconsfield veut maintenir la vitesse à 50 km ? 

Au sortir du parc Cap St-Jacques, nous sommes tombés sur une vieille grange… que j’ai baptisé la Joconde échevelée. Un chemin champêtre dans sa première partie. La municipalité de Senneville comptait moins de mille habitants pour une superficie de 7,5 km2. On y trouve sans doute les plus grands domaines privés de l’île de Montréal. Ce qui se reflète sur la valeur foncière moyenne de cette municipalité (voir tableau plus bas).

Arrivés à Sainte-Anne-de-Bellevue, nous nous arrêtons pour une collation-dessin-photo à une table près de l’écluse. Les belles portes de l’église catholique, la mécanique de l’écluse… Et je vois la rampe circulaire (en tire-bouchon) pour accéder au pont vers l’île Perrot, où nous irons dormir ce soir. Il est bientôt l’heure de l’apéro que nous voudrions bien prendre au bord de l’eau. En suivant la rue du même nom nous décidons d’arrêter à un resto-bar, Annies sur le lac qui a sa terrasse… sur le lac. De la bière fraîche et des fruits de mer nous satisferont amplement. Il n’est pas très tard que nous reprenons les bicyclettes pour aller voir de quoi a l’air le Motel Montréal. 

Pour 94$ nous avons eu deux lits propres, des fenêtres qui ne s’ouvrent pas, une salle de bain avec des serviettes propres. C’est tout ce qu’il nous fallait. Un Dairy Queen pas loin, pour le dessert en face du Pete’s BBQ où s’étaient donné rendez-vous une centaine de motards… Ça complète le portrait! Une déception: j’avais oublié le chargeur pour mon téléphone. J’en avais bien emporté plusieurs : les deux pour les bicyclettes , celui pour l’appareil photo… mais pas celui du téléphone.

Deuxième journée

Ce smartphone nous aurait été bien utile le lendemain matin alors qu’on cherchait un endroit où déjeuner ! Mais il n’était pas 6 heures quand nous avons quitté l’île Perrot. Le Soleil était encore bas lorsque nous sommes passés devant une des marinas de Baie d’Urfée. Le téléphone nous a aussi manqué quand la piste cyclable marquée sur le pavé nous a tout à coup orienté vers le nord juste avant d’arriver au Village Pointe-Claire… alors qu’on voulait suivre le bord de l’eau. D’ailleurs je n’ai toujours pas compris pourquoi le trajet proposé par Google Map suggérait de quitter le chemin du Bord-de-l’eau / Lakeshore [ à moins que ce ne soit le Boul Beaconsfield] en arrivant à Pointe-Claire, pour nous faire passer (deux fois) pardessus l’autoroute 20… Probablement parce qu’une piste cyclable y a été aménagée pour relier les 3 stations du train de banlieue. Après un moment de confusion, nous sommes revenus vers le chemin du Bord-de-l’eau qui, dans la municipalité de Pointe-Claire était bien joli… [photo GE de maison Village, carte GM avec détour vers la 20]u

Nous avions déjà fait 10 km depuis l’île Perrot. À l’heure qu’il était (5:55) le McDonald de la rue St-Charles à Beaconsfield nous est apparu la meilleure option.  Après dix minutes d’attente on nous informe que, par manque de personnel, la salle n’ouvrirait que dans une heure… Nous roulons de nouveau vers l’est, espérant trouver quelque chose d’ouvert même s’il n’est pas encore 8 heures. Le village Pointe-Claire était charmant même ses boutiques fermées… Nous sommes rendus dans la ville de Dorval quand j’aperçois une femme marchant avec un verre de café de chez Tim Horton. Je lui demande où se trouve le Tim Horton le plus proche… et c’est là, sur ce boulevard près de la rampe d’accès à l’autoroute que nous avons pris un café et un beigne, debout devant le stationnement. Autant pour le côté champêtre de l’ouest de l’île ! 

Dans Dorval, puis Lachine, plusieurs portions de la piste étaient en sites propres… jusqu’à joindre le parc René-Lévesque puis le canal Lachine qui nous mènera, 13 km plus loin, au Vieux Montréal. Le Première Moisson du Marché Atwater nous a enfin servi un bon café. Puis nous sommes rentrés chez nous, sans s’arrêter dans le Vieux… Il était trop tôt pour dîner et on n’était pas dans le mood

En fait on pourrait dire qu’on a un peu perdu notre deuxième journée. À courir après le petit déjeuner, nous avons raté plusieurs “attractions” qui mériteraient certainement qu’on retourne dans ce coin, notamment l’Arboretum, l’Ecomuseum, le musée de l’aviation (peut-être) ou encore le campus du collège Abbott… En utilisant le train de banlieue jusqu’à Pointe-Claire ou Baie d’Urfée…

Les petites municipalités indépendantes de l’Ouest de l’Île de Montréal sont riches. Moins de 1000 personnes habitent Senneville.

Des différences importantes (encore inexpliquées) entre les superficies des municipalités telles que listées par la Communauté métropolitaine de Montréal ou pour le premier tableau par la Ville de Montréal.

empreinte et désirs

Réduire notre empreinte écologique, parce que la planète n’en peut plus. Parce que la planète c’est plus que des champs de maïs, de soya et des pâturages.
Mais pour réduire notre empreinte, il faut commencer par le vouloir ! À moins, bien sûr qu’on compte sur les prochaines crises pour nous forcer la main…
On pourrait commencer par cesser de titiller les désirs de chacun par la publicité. Comme disait Francis Vailles dans Nos cigarettes du XXIe siècle | La Presse :

Permettra-t-on encore longtemps aux constructeurs automobiles, qui font vivre les pétrolières, de vanter les vertus de leurs VUS polluants dans des publicités, les associant à montagnes et forêts, quand on sait les ravages des GES ?

Vous êtes pas tannés de voir des publicités de VUS quatre fois l’heure interrompre les bulletins de nouvelles ? Ou même les émissions consacrées à l’état déplorable de la planète ? Et si on commençait par interdire ces publicités insensées !

Ce ne sont pas que les automobiles qui pèsent dans notre bilan environnemental. Tous ces objets qui « coutent moins cher à remplacer qu’à réparer »… Hubert Guillaud, dans son Sans transition : de nos vies avec et dans les machines du quotidien | InternetActu.net :

[C’est] à partir des années 1990 que la délocalisation achève la réparabilité : désormais, remplacer un produit est moins cher que le réparer. (…)
Les appareils se dupliquent plutôt qu’ils ne s’économisent… Nous démultiplions chez nous les écrans comme nos machines à café. Nous démultiplions l’adoption d’appareils sans abandonner les précédents. (…)
Nous nous sommes fondus, identifiés à nos bardas d’objets essentiels et inutiles que la mondialisation et l’industrialisation ont rendus si facilement accessibles à tous. Perclus de confort, nous regardons encore devant nous pour nous demander… : pour combien de temps ?

Et cette pression sur l’environnement ne met pas seulement en danger notre confort. Dans les « zones frontières » du capitalisme, ce sont des cultures millénaires et une connaissance fine des fruits et équilibres de ces milieux de vie qui sont éradiqués pour faire place aux productions industrielles. Grâce à ses recherches sur le terrain étalées sur plus de 20 ans (1980-2004), et son approche à la fois anthropologique, philosophique et politique, Anna Lowenhaupt TSING nous fait vivre les tragédies, les drames et les espoirs de la vie dans les montagnes du Kalimantan du sud, sur l’île de Bornéo, en Indonésie. De Sukarno à Suharto, et son Ordre nouveau, l’Indonésie s’est de plus en plus intégrée au marché global (du contre-plaqué, d’abord, puis aujourd’hui, de la production d’huile de palme…). On a beaucoup entendu parler de la disparition des orang-outans que la culture des palmiers à huile déplace, mais qu’en est-il des populations humaines vivant dans les mêmes forêts ?

« Rendues possibles par la militarisation du tiers-monde en pleine guerre froide et la puissance grandissante des entreprises transnationales, les zones-frontières de ressources se développent là où les entrepreneurs et les militaires sont en mesure de défaire les liens entre la nature et les écologies et modes de subsistance locaux, « libérant » ainsi des ressources naturelles que bureaucrates et généraux offriront comme matière première aux entreprises. »
Cela au détriment des « Dayaks meratus, qui y vivent depuis des temps anciens et dont les moyens de subsistance dépendent des cultures itinérantes et de la cueillette en forêt. »
« La zone-frontière se fait sur le terrain instable entre légalité et illégalité, propriété publique et privée, viol brutal et charisme passionné, collaboration ethnique et hostilité, violence et loi, restauration et extermination. » (Friction, de Anna L. Tsing)

La culture du palmier, pour son huile, est responsable de la destruction des forêts de Bornéo. Voir le site : nopalm.org
Continuer la lecture de « empreinte et désirs »

changer de paradigme

« Oui à l’environnement mais pas au détriment de l’emploi »

Ainsi parlait M. Legault, notre mononcle en chef, le 12 août dernier. C’est ce qu’ont dit les gouvernements depuis qu’existe un ministère de l’environnement ! Ce qui fait dire à certains que le ministère des Forêts du Québec défend d’abord les compagnies forestières plutôt que l’intérêt public québécois. 

« Pour atteindre sa cible de préserver 17 % du territoire en 2020, Québec a créé 34 nouvelles aires protégées, situées majoritairement dans le nord de la province, où les forêts n’ont pas tellement de valeur commerciale. » 

Ces aires protégées ne représentent nullement la diversité des milieux forestiers du pays, comme la convention internationale signée par le Québec  l’enjoignait de faire. Seulement « 1% du territoire protégé se trouve au sud du 49e parallèle. » comme le souligne Richard Desjardins : 17% d’aires protégées… Ah oui?. (Voir aussi Régime forestier: le Québec se fait passer un sapin! et les interventions de Action boréale)

Les vieilles forêts sont des écosystèmes beaucoup plus complexes que ce que les ingénieurs du ministère mesurent : 

« Parmi les 28 000 espèces vivantes interconnectées qui constituent une forêt, ils en ont étudié cinq ou six : des arbres « commerciaux ». Puis ils ont appris à modéliser leur abattage dans une dévastation mécanique de l’entourage. » (Idem)

Affirmer que l’économie ne doit pas être freinée par les considérations écologiques, c’est une belle illustration de la philosophie économiste qui nous a conduit à la crise environnementale actuelle. Oui, c’est vrai qu’il faut continuer de favoriser le développement économique mais d’une nouvelle façon. 

Il faut changer de paradigme.

Des citoyens envisagent un recours collectif contre le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Nous n’en sommes pas encore à nous enchaîner collectivement sur les chemins forestiers, comme le font les militants écologistes et autochtones à Fairy Creek, sur l’île de Vancouver ! 

Parler de changer de paradigme, c’est dire qu’il faut changer notre conception du développement, notre manière de mesurer le progrès, notre manière de tenir compte des effets de l’action humaine sur l’environnement, sur l’avenir. 

Changer de paradigme c’est protéger les vieilles forêts tout comme les fonds marins parce que ces milieux vivants abritent et nourrissent des multitudes d’espèces. Il faudra des dizaines, voire des centaines d’années à un fonds marin dévasté par le raclage actuel pour se rétablir. On commence à peine à mesurer l’importance des « arbres-mères » dans les forêts matures, de même que les relations de commensalisme qui s’établissent, non seulement entre un arbre-mère et ses rejetons mais aussi entre espèces : les travaux de Suzanne Simard sont éloquents.

Changer de paradigme c’est abandonner celui qui a présidé à la Grande accélération. Le changement peut être difficile : il semble, en effet, plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ! Pourtant même les banquiers et assureurs commencent à reconnaître que les gouvernements devront reprendre le contrôle des économies, qu’ils avaient délaissé pour laisser libre cours à la dite Grande accélération. Il faudra se faire à l’idée de plus de contrôles, plus de taxes et de règlements… (A climate plan for a world in flames, Financial Times; Values, de Mark Carney)

Ce qui implique de la part de nos politiciens qu’ils recommencent à prendre leur rôle au sérieux. Il faut cesser d’élire des clowns ou des entrepreneurs sur le retour. Mais surtout il faut cesser d’attendre des sauveurs. Oui, les élus de demain devront oser reprendre du pouvoir pour orienter l’économie… mais ils ne feront pas cela simplement parce qu’ils ont reçu l’onction sainte de l’élection mais bien parce qu’ils sauront tisser des liens, mobiliser les communautés et leurs organisations dans la construction de ce nouveau paradigme. 

Mais c’est peut-être aux réseaux communautaires de les amener à un tel changement. Eux-mêmes, ces réseaux doivent tisser des liens et combattre l’action en silo. (The Social Sector Needs a Meta Movement)

Canal Lachine et vue sur Griffintown et centre de Montréal (© Gilles Beauchamp)

Changer de paradigme en ville… ça pourrait vouloir dire d’appliquer un principe de précaution ou de préservation des rares espaces naturels encore présents sur le territoire municipal montréalais 

  • Plutôt que de laisser détruire des friches vieilles de 50 ans (coin Marseille et Assomption), au nom de la sacrosainte propriété privée, alors que des terrains de stationnement à peine utilisés existaient à côté… 
  • Plutôt que de laisser asphalter la moitié d’un espace vert (le golf d’Anjou), qui pourrait faire parti d’un futur grand parc de l’Est, alors que des espaces industriels à redéployer existent juste à côté — mais ils ne sont pas dans le même arrondissement, ou de la même municipalité et ces dernières sont en compétition pour les projets de développement… 
  • Plutôt que de laisser disparaitre des aires de diversité biologique extraordinaires… (le Technoparc)  parce que cet espace a été « tagué » industriel il y a 40 ans.

Incidemment il est grand temps que la Ville se dote d’un nouveau plan d’aménagement car le dernier date d’une époque où les sensibilités et les urgences n’étaient pas ce qu’elles sont. À coup de « PPU », de projets particuliers d’urbanisme, on laisse s’implanter des mégastructures (ensembles de tours — genre Griffintown; ou pylônes de béton — genre REM) sans avoir un cadre général adapté aux objectifs critiques et urgents de la transition écologique pour décider et orienter ces PPU. 

Il est inconcevable que la structuration du transport collectif régional pour le prochain siècle soit laissée entre les mains d’un financier privé (CDPQ Infra) sans inscrire cette intervention lourde dans la planification collective des transports. Quand on dit qu’il faut prendre son rôle politique au sérieux, c’est aussi ça : respecter les autres instances politiques et niveaux de représentation et d’expression de l’intérêt public. 

Billet publié d’abord sur Nous.blogue

Les arbres-mères

Suzanne Simard explique ici, en 15-17 minutes, comment les arbres se parlent… et s’entraident, entre mères et enfants, mais aussi entre espèces ( entre bouleaux et sapins). Une présentation à la fois simple et scientifique. Magistrale. Le vidéo vient avec sous-titres en français.

Comment les arbres se parlent, et ce que nous devrions tirer de ce nouveau savoir dans notre rapport aux forêts, notre gestion de la forêt.

Je suis à lire son dernier livre : Finding the mother tree.

C’est tellement bon que je voulais voir de quoi elle avait l’air… et j’ai trouvé cette communication TED (ci-haut) qui date de 2016 ou 2017. Et aussi cette entrevue d’une heure, réalisée le 7 mai 2021 à l’occasion de la sortie du livre, avec une intervieweuse qui pose de bonnes questions (surtout à la fin). Elle répond entre autre à la question du « Pourquoi avez-vous écrit ce livre, alors que vos thèses, autrefois contestées, sont de plus en plus largement acceptées ».

C’est pour rendre accessibles au plus grand nombre et pour donner un contexte à la science qu’elle a développée — répond-t-elle. Ce qui explique le caractère autobiographique important du livre : les connaissances qu’elle présente de manière très accessibles, pédagogique, ne sont pas nées en laboratoire. Elles viennent de loin, de ses grands-parents, de la vie passée dans, avec les forêts de la côte ouest canadienne. Ça sent le sapin et l’humus à plein nez ! Et aussi, un peu, la « bécosse », en bon québécois. Le chien qui tombe dans le trou de la bécosse et le grand-père et l’oncle qui doivent creuser un trou d’accès sur le côté, mettant à nu un tissu multicolore de racines et réseaux fongiques que la jeune Suzanne de 9-10 ans n’aurait pas imaginé. De là sa fascination pour le sou-sol des forêts…

Bon, ce n’est pas si simple… elle a dû y croire, dur et fort, pendant longtemps, pour prouver ce qu’elle avançait, avec des budgets de bouts de ficelles… Dans une autre vidéo de 19 minutes, Suzanne Simard redit encore ses découvertes et ses espoirs, mais témoigne aussi des écueils et difficultés rencontrées. Un cancer, notamment, qu’elle a pu guérir grâce à la solidité de son réseau familial et amical.

Un amour de la forêt, un respect et une curiosité qui l’ont conduit à créer The Mother Tree Project. L’objectif de ce projet à long terme :

[I]dentifying sustainable harvesting and regeneration treatments that will maintain forest resilience as climate changes in British Columbia.

« [I]dentifier les récoltes soutenables et les traitements de régénération qui maintiendront la résilience de la forêt alors que le climat change en Colombie-Britannique. »

Bon, je n’ai pas encore fini de lire Finding the mother tree, mais je voulais déjà partager ces vidéos.


[Ajout-13 juin] Deux articles récents dans les journaux que je lis, dont l’un de Suzanne Simard dans le G&M

le mort saisit le vif

L’arrondissement d’Anjou s’apprête à paver son golf.

La société mourante se défend avec l’énergie du désespoir. Elle empoisonne les meilleurs éléments. Le mort saisit le vif.

Telle est la définition donnée au sens figuré de cette ancienne expression juridique dans le « wiktionaire« . Et je crois que cette expression vieillotte s’applique très bien aux manoeuvres actuelles de certains édiles municipaux.

L’expression m’est venue, sans doute, parce que l’on s’apprête à tuer des espaces vivants, à minéraliser un des rares espaces verts de l’Est de Montréal. Alors qu’il faudrait augmenter ces espaces et les relier entre eux, afin d’en accroître la résilience et la vivacité.

La proposition actuelle a été adoptée par le Conseil de l’arrondissement d’Anjou et elle est soumise depuis le 6 mars à la consultation populaire pour une période de 15 jours se terminant le 20 mars, soit dans 3 jours. La proposition vise à transformer le golf d’Anjou en un immense entrepôt entouré d’espaces de stationnement et de stockage. Mais le golf, ce n’est pas juste un golf. C’est d’abord une éponge pour les pluies, et une zone tampon de protection pour le parc adjacent. C’est une partie importante de l’hydrographie des ruisseaux qui irriguent et pourraient irriguer un Grand parc dans l’Est.

Le parc, le golf dans leur environnement
Le parc et le golf qui lui est adjacent sur deux côtés.

Voir aussi, pour une visite sur le terrain avec M. François Plourde (et merci pour la rapidité de la production !) :

Comme le soulignait le Conseil régional de l’environnement de Montréal, dans sa lettre du 16 mars dernier (Dézonage du golf d’Anjou : urgence de se prononcer!) :

« La consultation à grande échelle présentement en cours pour doter Montréal d’un Plan d’urbanisme et de mobilité digne du 21e siècle ne serait-elle pas une bonne occasion de nous demander, collectivement, comment lier relance économique verte et aménagement urbain ? Et plus spécifiquement : comment éviter de vendre nos derniers vastes terrains végétalisés aux GAFAM de ce monde, dans une vision court-termiste. »

Le Plan d’urbanisme et de mobilité à propos duquel la mairesse Plante annonçait, lors de son allocution de clôture à la conférence de Vivre en ville le 12 mars dernier, qu’une consultation serait lancée en juin… Est-ce que ça fait partie de la conversation nationale sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire, lancée en janvier dernier par le gouvernement de la CAQ ? J’ai eu beau chercher des infos sur le site de l’Office des consultations ou celui d’urbanisme… pas un mot.

Vous pouvez signifier à l’arrondissement votre désaccord ici. Pour un exemple de lettre à adresser au greffe d’Anjou (avant samedi, 20 mars, minuit) : Non au pavage du golf d’Anjou.