le paquebot de l’extractivisme

Quelques réflexions suscitées par ce récent billet de Louis Favreau (État social (2) : le New Deal proposé par l’écologie politique) et celui qui l’a précédé (L’État social au Québec à une étape critique de son histoire : état des lieux (1)). 

L’économie sociale et solidaire, les mouvements écologiste et syndical sauront-ils à eux seuls faire virer le paquebot de l’extractivisme capitaliste ? À temps pour minimiser l’impact en retour des dettes environnementales accumulées jusqu’ici par la société industrielle ? Non, évidemment. Si, comme le dit Louis Favreau citant le BIT, l’économie sociale compte, à l’échelle internationale, pour « 10% du PIB, 10% des emplois, 10% de la finance » – en effet, « ce n’est pas rien ». Mais ça ne pèse pas lourd devant les 50% d’emplois, 60% du PIB et 80% de la finance (mes approximations) qui sont inscrits dans une stricte logique de marché. Il faudra plus que des positions communes et de la concertation (« sortir du travail en silo ») pour donner au 10% l’effet de levier nécessaire pour changer de cap, rapidement.

La verve avec laquelle Favreau tisse une synthèse de plusieurs écrits et mouvements est inspirante et nous donne un peu d’air dans une conjoncture étouffante. De quoi penser quand on a l’impression de tourner en rond. Nous t’en savons gré, Louis.

Mais j’ai des doutes, comme je viens de le dire, sur la capacité de cette « écologie politique » d’influencer l’orientation de l’État suffisamment pour transformer l’économie. J’ai aussi des réserves, de fortes réserves quand je le vois pester contre la professionnalisation (des mouvements sociaux, des organisations communautaires) [La professionnalisation de l’action collective a amené sur le devant de la scène le lobby, l’expertise, l’organisation de colloques…La transformation d’ex-militants en consultants et de chercheurs en experts – et j’aurais pu ajouter plusieurs autres citations. J’ai déjà critiqué cette façon qu’il a d’opposer militants et professionnels, groupes d’intérêt et mouvements sociaux. ]. Pourtant il reconnait que les forces progressistes ont « peu de présence dans l’espace public, espace plus occupé que jamais par les Think Tanks amoureux du « tout au marché » ». Il en faudra des professionnels de la finance, de l’écologie, de la politique et des communications pour déconstruire les idées préconçues instillées par les dits think tanks depuis des décennies.

Il en faudra des think tanks de gauche (et de centre aussi) pour faire connaitre des modèles alternatifs de développement. Et pas seulement alternatifs à la marge :  une alternative à cette société fondée sur l’extraction intensive (d’énergie, de matières, de richesses) sans égard à l’avenir. Une utopie « social-écologique », oui, mais qui se donne les moyens de ses ambitions. Qui ne reste pas qu’une utopie, donc. Comment pourrons-nous « contrer cette pensée et cette politique du « tout au marché » de plus en plus omniprésente » ? Ici, et ailleurs dans les deux textes de Favreau, je crois qu’il faudrait faire une distinction entre le marché et le capitalisme. Entre l’entreprise privée et le capitalisme. Un capitalisme dominé par les entreprises monopolistiques et la finance internationale. Un capitalisme financier bien servi par des gouvernements endettés, à genoux pour renouveler leurs emprunts et quémander des investissements.

Malgré une reconnaissance du bout des lèvres que les PME, c’est pas la même chose que le « capitalisme de marché globalisé », la conception de la société qui sous-tend l’utopie de Favreau est encore en noir et blanc : il y a l’État et le marché. Il faut faire fléchir l’État vers une orientation « social-écologique », grâce à une alliance des syndicats, coopératives et mutuelles… et quelques mouvements sociaux. Mais elle est où l’économie dans tout ça ? Pas juste l’économie des multinationales mais celle de ces milliers d’entreprises, petites et moyennes, qui emploient encore la majorité des travailleurs.

Comment allons-nous sortir ces travailleurs des « griffes » idéologiques des CAQ et autres partis de droite ? Beaucoup de ces petites entreprises sont le fait d’artisans qui ont gagné la confiance d’une clientèle par la qualité de leur produit et la fidélité, la proximité de leur service. Pour beaucoup de ces (petites) entreprises le capital financier a moins d’importance que le capital humain : la gestion, la motivation de leurs ressources humaines prend plus de place que la gestion financière. Le soin accordé aux relations à la clientèle prend plus de place que la gestion financière. Ces entreprises sont moins capitalistes que petites !

Si nous souhaitons encore vivre en démocratie, nous devrons mobiliser ces travailleurs et propriétaires de PME, les assurer qu’ils auront une place dans la nouvelle société que nous imaginons. Et ce n’est pas en brandissant le modèle coopératif que nous les convaincrons. Ni en promouvant le retour de l’État social, même renouvelé à la sauce écologique. Il nous faudra une approche plus inclusive, qui n’impose pas les solutions d’avant-garde comme modèles, mais saura inciter au changement même les entreprises privées.

Il y a plus de social qu’on le pense dans les PME « ordinaires ». (Voir Entreprises du XXIe siècle). Un social à reconnaitre, renforcer plutôt que de le mépriser. Si nous devons inventer un nouveau mode de production mieux adapté aux limites et au caractère fini des ressources de cette planète, ce sera avec le monde. La responsabilité sociale des entreprises, la mesure de leur impact social, le soutien aux dimensions sociales qu’elles incarnent sont des avenues à explorer, des expérimentations à faire.

Enfin, je suis surpris de ne pas trouver de lien dans le texte de Favreau vers la réflexion menée par le RIPESSVision globale de l’économie sociale solidaire: convergences et différences entre les concepts, définitions et cadres de référence. Enfin une clarification de la différence entre économie sociale et économie solidaire. Une définition inclusive, pluraliste de cette dernière. Des questions et stratégies que nous devrions étudier encore, notamment en vue du prochain Forum social mondial qui se tiendra à Montréal en 2016 !

entreprises sociales du XXIe siècle

entreprisesocialeL’entreprise du XXIe siècle sera sociale (ou ne sera pas) – tel est le titre de cette publication de la Rue de l’échiquier, un écrit inspiré des leçons tirées du Goupe SOS.

Une approche « franco-française » : on formule des idées, puis on forme des professionnels pour les mettre en pratique, et des praticiens qui influenceront le marché… Pourtant le marché pré-existe, et c’est de lui, de la pratique actuelle des meneurs (industriels, politiques, professionnels) que devra partir toute réforme. Et c’est justement ce que ces auteurs disent, au delà de la forme didactique.

La chose que j’ai le plus appréciée : la convergence proposée, plutôt que la confrontation. Ce n’est pas une guerre de religion, où il faut convertir le païen et lui faire abandonner toutes ses croyances pour en adopter de nouvelles. Il s’agit de voir et faire voir ce que toute entreprise (même les privées) fait déjà de social. De le mettre en valeur en le mesurant, en l’évaluant, en le soutenant.

Il faut sortir l’économie sociale de la marge, et c’est en reconnaissant et soutenant la dimension « sociale » de toute entreprise que nous le ferons. Tout en poursuivant la marche pour faire reconnaitre la dimension entreprise des projets d’économie sociale.

Nous devons apprendre à mesurer la valeur en d’autres termes que monétaires à court terme. La mesure de l’impact social est devenue incontournable pour faire des choix éclairés.

Il nous faudra laisser les 4/5 des réserves pétrolières dans le sol… sous peine d’asphyxier la planète. Il pourrait être intéressant de choisir où et comment nous extrairons le dernier cinquième à partir de critères plus conséquents que le seul prix à court terme !

Si nous avions donné un peu plus de poids à l’impact social, peut-être que la tragédie des usines de T-shirts du Rana Plaza au Bangladesh ne se serait pas produite ! Et les conditions environnementales des villages où sont produits les iPhones et iPads de la planète seraient peut-être améliorées ?

« L’entreprise sociale devient le moyen de faire converger l’économie de marché, le secteur public et l’économie sociale et solidaire ».