déficit démocratique et financiarisation

Voici un article paru sous le titre Democratic Deficits: Liberalism, Neoliberalism, and Financialization dans la revue American Affairs. Alex Bronzini-Vender y décrit un processus de financiarisation de l’économie (et de la politique) à partir du terrain des villes ou municipalités qui avaient à négocier des conventions collectives dans le contexte d’inflation des années ’70, puis celui de la transformation de la gestion des fonds de pension des années 80-90…

Cet article est, en fait une longue présentation critique (review essay) du livre de Brian Judge paru en 2024 : Democracy in Default: Finance and the Rise of Neoliberalism in America, titre qu’on pourrait traduire par La démocratie en faillite.

Qui est Brian Judge ? Un prof ou ancien prof de science politique à l’Université de Californie à Berkeley, qui est aussi « policy fellow » au Centre pour une IA compatible aux humains (Center for Human-Compatible Artificial Intelligence). Tiré de la présentation (quatrième couverture) :

Brian Judge soutient que la financiarisation a été une réponse presque spontanée à une crise au sein du libéralisme. Il examine comment le libéralisme tend à ignorer le problème des conflits distributifs, ce qui le rend vulnérable lorsque ces conflits éclatent. Lorsque le moteur de croissance de l’après-guerre a commencé à ralentir, la finance a promis de sortir de l’impasse politique qui en résultait, permettant aux démocraties libérales de dépolitiser les questions de distribution et de maintenir l’ordre social et économique existant. Les élus n’ont pas été simplement capturés ou cooptés, mais ont volontiers adopté des solutions financières à leurs problèmes politiques. Le déclenchement de l’impératif financier de générer des rendements monétaires a toutefois inauguré une transformation globale. Des études de cas très concrètes – la faillite de Stockton, en Californie, la stratégie d’investissement du California Public Employees’ Retirement System et la crise financière de 2008 – illustrent la manière dont les priorités des marchés financiers ont radicalement modifié la gouvernance démocratique libérale. Refondant les transformations politiques et économiques du dernier demi-siècle, Democracy in Default offre un nouveau compte-rendu audacieux de la relation entre le néolibéralisme et la financiarisation.

La présentation détaillée que Bronzini-Vender fait de ce livre m’est apparue suffisamment intéressante pour que je la traduise en français et que je prenne ensuite le temps d’y insérer les 88 notes en bas de pages ainsi que les liens hypertextes que ces notes recélaient parfois. Quelques-uns des articles auxquels ces notes réfèrent : Socialize Central Bank Planning, The Crises of Democratic Capitalism

Voici donc, en format PDF : Déficits démocratiques : Libéralisme, néolibéralisme et financiarisation.


P.S. Je vous propose ce texte de quelques 40 pages avec ses 88 notes en format PDF, généré par Word, à partir d’un document composé avec iA Writer puis exporté vers Word . Ce détour par Word me permettait de maintenir les notes en bas de page plutôt qu’en fin de document comme le PDF généré par iA Writer le faisait plutôt.

développer le Nord

Un plan Nord, parce qu’il faut exploiter ce qui peut l’être; parce qu’il faut être partie prenante de cette « ruée vers l’Arctique » qui consiste à accélérer la fonte des glaces pour profiter de nouvelles routes commerciales; parce que c’est encore ce qu’on sait faire de mieux, au Québec et au Canada : extraire les ressources brutes du sol et des forêts pour les exporter vers les métropoles de ce monde.

En quoi un tel « Plan Nord » contribuera-t-il au plan de sauvetage de la planète qu’il faut mettre en branle au plus tôt ? À moins que ce plan ne fasse plutôt partie du saccage, de cette culture de l’extraction, de la prédation sans scrupule ni vision (idiote, myope, sacrilège, déraisonnable, aveugle, narcissique) des ressources limitées d’une fragile planète vivante ?

Le plan de développement arctique devrait être articulé à un plan de développement et de préservation du Pacifique, et puis de l’Atlantique… Des développements qui devront se faire au delà des territoires nationaux. Pour gérer ces réserves qui feront l’avenir de l’humanité… actuellement soumises à un régime de pratiques hors-la-loi.

Un Plan nord pour refaire ici ce que la Eldorado Gold fait en Grèce ?

On se préoccupe plutôt de « libéraliser les échanges » en négociant différents pactes : avec l’Europe, avec les pays du Pacifique, en garantissant non seulement la circulation des marchandises et l’accès aux marchés mais surtout la circulation des capitaux qui seront assurés de ne pas voir les gouvernements leur mettre des bâtons dans les roues. Pfft la protection de l’environnement ! Adieu vision d’avenir, développement durable. Sauf pour en faire une marque de commerce, un autre badge de certification « garanti vert » par un autre panel à ruban bleu.

Libérer le capital, c’est reconnaître, participer à la nouvelle Banque asiatique d’investissement en infrastructures, c’est mobiliser l’épargne collective, les fonds de pension en lieu et place des emprunts (et décisions) de l’État, c’est – comme vient de le faire le gouvernement conservateur Britannique – donner à chaque cotisant de 55 ans accès à ses épargnes de retraite pour les investir comme bon lui semble… Le citoyen, devenu consommateur (Citizens as consumers, W. Streeck)  atteint le statut d’investisseur. Comme si la liberté et l’insécurité des petits ne se transformait pas toujours en occasions d’affaire pour les plus riches. Avec en prime l’incorporation plus grande encore de la culture de la liberté individuelle d’entreprendre, de choisir.

Quel est le plan Sud de ce gouvernement ? Quel est le Plan tout court ? À part l’atteinte de l’équilibre budgétaire… le paiement des dettes… et la réduction des taxes et impôts. Beau projet de société, que s’empressent d’acheter tous ceux qu’on a convaincu, par des décennies de gavage idéologique, de l’inéluctabilité de cette tendance, qui affirme l’incompétence des pouvoirs publics et la gabegie du pouvoir politique comme des évidences incontestables. Mieux vaut le chaos capitaliste que le dirigisme de l’État. Comme Streeck, encore, disait dans son article de juin dernier « How Will Capitalism End ? »

Disorganized capitalism is disorganizing not only itself but its opposition as well, depriving it of the capacity either to defeat capitalism or to rescue it. [citation d’Eurozine]

« La désorganisation capitaliste désorganise aussi son opposition et l’empêche tant de vaincre que de sauver le capitalisme. » Peut-être l’alternative n’est-elle pas de sauver ou de vaincre le capitalisme mais bien de changer, transformer l’actuel ordre des choses.

productivité, progrès et regrès…

Les discours politiques des grands partis se ressemblent en ce qu’ils affirment tous viser plus de développement, plus d’emplois, plus de productivité pour le Québec. Ce ne sont pas des discours de visionnaires mais ceux d’administrateurs qui n’ont aucune intention de « changer le système » mais bien plutôt de s’y conformer le mieux possible. Comme si on ne pouvait que s’agenouiller devant le dieu Marché. [Même l’OECD prédit l’effondrement du capitalisme] Pourtant il faudra bien se résoudre à se lever debout. Ne serait-ce que pour y voir un peu plus loin. Et il faudra bien se résoudre à harnacher enfin ce marché qui nous pousse inexorablement vers le cataclysme…

[C]ollective refusals of world-destroying patterns of growth and accumulation. [24/7: Late Capitalism and the Ends of Sleep]

Cet article récent (14.06.25) « Progrès technoscientifique et regrès social et humain » de ces bricoleurs de l’esprit critique du site Pièces et Main d’oeuvre se termine sur appel dramatique « C’est ce techno-totalitarisme, ce « fascisme » de notre temps que nous combattons, nous, luddites et animaux politiques, et nous vous appelons à l’aide. – Brisons la machine. »

Nous soutenons que les idées sont décisives. Les idées ont des ailes et des conséquences. Une idée qui vole de cervelle en cervelle devient une force d’action irrésistible et transforme le rapport des forces. C’est d’abord une bataille d’idées que nous, sans-pouvoir, livrons au pouvoir, aussi devons-nous être d’abord des producteurs d’idées.

Plus loin dans  même cette rubrique  « Pièces et Main d’Oeuvre n’est pas l’enseigne d’un collectif, mais d’individus politiques. Nous refusons la bien-pensance grégaire, qui n’accorde de valeur qu’à une parole réputée « collective », pour mieux la réduire au conformisme, à la paresse et à l’incapacité, dans l’anonymat du groupe. Nous ne souhaitons pas de gens « qui fassent partie », mais – au contraire – nous allier chaque fois que possible et nécessaire avec d’autres « qui fassent  » par eux-mêmes. » Cet appel à l’engagement personnel, individuel, au-delà de l’engagement collectif associé à une « bien-pensance grégaire » ne refuse pas l’action collective, la mobilisation du grand nombre mais reconnait que celle-ci ne sera possible que par une action à contre-courant, à rebrousse-poil contre ce qui est encore perçu comme l’inévitable, l’indépassable technologie. Oui c’est un discours luddite mais comment faire autrement ? Comme le disait Philippe Bihouix dans une entrevue récente : La high-tech nous envoie dans le mur. Toutes ces « facilités » et machines individuelles [cette petite merveille d’ordinateur sur lequel j’écris ce texte] qui font aujourd’hui notre confort quotidien, sans même qu’on prête attention aux extrêmes pressions économiques, écologiques qu’elles impliquent, ne pourront être maintenues à long terme. De manière un peu différente mais convergente, les  auteurs du Dark Mountain Manifesto mettent de l’avant une Uncivilisation,  un appel aux artistes, ces transgresseurs de tabous, pour qu’ils dépassent, déconstruisent ce dernier tabou qu’est celui du Progrès et de la Civilisation.

The last taboo is the myth of civilisation. It is built upon the stories we have constructed about our genius, our indestructibility, our manifest destiny as a chosen species. It is where our vision and our self-belief intertwine with our reckless refusal to face the reality of our position on this Earth. It has led the human race to achieve what it has achieved; and has led the planet into the age of ecocide. 

Pour éviter l’écocide, si c’est encore possible, il faudra des artistes, des intellectuels, des inventeurs, des passeurs et des facilitateurs. Il faut des individus engagés pour faire des communautés solidaires, aimantes, protectrices et prospectives. Tout comme il faut des communautés inclusives, éducatives, responsables et autonomes, confiantes pour que naissent des individus créateurs.

Il s’agit plus que de reconnaître la légitimité et les droits de minorités et dissidences, il s’agit de miser sur et d’articuler les libertés individuelles et les conditions d’existence et de perpétuation des collectivités – naturelles et intentionnelles. Les manières traditionnelles de  gérer ce dilemme conduisent aux défenses un peu caricaturales de l’une ou l’autre alternative : primauté à la liberté (principalement individuelle) de posséder, d’accumuler, de vendre, d’entreprendre… OU primauté aux droits collectifs et sociaux, à la responsabilité publique et à la protection du patrimoine, à la gestion des communs.

Nous ne pouvons plus nous permettre de faire alterner ces points de vue comme s’ils se repoussaient l’un l’autre. Il nous faudra les articuler, les intégrer pour gérer une société où les taux de croissance ne seront plus ce qu’ils ont été au cours des dernières décennies.

malades de la croissance

En réplique au message de Michael Lenczner sur la liste CivicAccess, oui à l’effort de standardisation dans l’utilisation et la collection des données ouvertes. Et merci de me faire connaître des initiatives telles Nord Ouvert  (riche source d’outils et d’expérience de mobilisation citoyenne autour d’exercices budgétaires ou de planification). Mais pour standardiser les données, il faut en avoir… Parfois l’effort doit porter sur la cueillette des données (comme cette mobilisation de 150 citoyens de la ville de Détroit pour faire la carte des espaces vacants de la ville) ou encore sur le droit d’y accéder.

Incidemment, je lisais  sur son blogue Earth Insight au Guardian, qui résume les travaux d’un ex-agent de la CIA qui s’est fait promoteur d’une révolution par l’Open-source utilisé comme levier pour conquérir le 1 % (The open source revolution is coming and it will conquer the 1% – ex CIA spy). Cet ancien agent du Central Intelligence Agency s’est fait le promoteur d’une intelligence ouverte, (Earth Intelligence Network, Public Intelligence). avec un agenda plutôt radical de reprendre le pouvoir aux 1%.

Peut-être faudrait-il, effectivement, penser en termes stratégiques de prise de pouvoir, d’extraction de savoir en tout cas, pour faire face aux enjeux de plus en plus critiques qui confrontent nos collectivités. Dans cet autre billet récent (4 juin), Ahmed (Scientists vindicate ‘Limits to Growth’ – urge investment in ‘circular economy’) commente la parution du 33e rapport du Club de Rome. Extracted, c’est le nom du rapport qui fait le point sur les limites bientôt atteintes de l’extraction traditionnelle des minéraux et la poursuite excessive et linéaire de la croissance économique. Une chose semble certaine : il faut apprendre à partager un monde fini (Environment: Sharing a finite world) sans quoi…

« Resource constraints will, at best, steadily increase energy and commodity prices over the next century and, at worst, could represent financial disaster, with the assets of pension schemes effectively wiped out and pensions reduced to negligible levels. »

Oui, des données ouvertes pour partager la patinoire du coin, ou encore pour faire le portrait des espaces laissés vacants ou en friche dans nos villes… pour établir des priorités dans les budgets locaux… mais aussi pour suivre et comprendre l’évolution des « communs » et richesses non renouvelables de notre petite planète. Pour suivre et mesurer la propriété de ces ressources limitées et imputer à qui de droit les responsabilités et charges que les changements et transformations qui sont nécessaires imposeront.

Mais le suivi des richesses ne sera pas suffisant… il faudra changer nos méthodes comptables, pour inclure les « externalités », pour mettre un prix, une valeur sur ce qui était gratuit ou pris pour acquis : eau, air, intrants non renouvelables ou produits, extrants polluants ou non recyclables…

Le leitmotiv de la croissance du PIB comme seule voie envisagée pour contrer le chômage, la pauvreté, et même pour lutter contre le réchauffement climatique ou la pollution… doit être revu et corrigé.

Since World War II, the overarching goal of U.S. policy under both parties has been to keep the economy growing as fast as possible. Growth is seen as the base cure for every social ill, from poverty and unemployment to a shrinking middle class. It is seen even by some as the path to a cleaner environment, generating the means for pollution cleanup.[Critics question desirability of relentless economic growth]

Les limites à la croissance ou même la croissance négative pourraient conduire à une société moins inégale, un mode de vie plus sain…

Limits to economic growth, or even « degrowth », the report says, do not need to imply an end to prosperity, but rather require a conscious decision by societies to lower their environmental impacts, reduce wasteful consumption, and increase efficiency – changes which could in fact increase quality of life while lowering inequality. [Earth Insight]

Autres ressources :