cognition incarnée

Embodied cognition, que l’on traduit en français par cognition incarnée, c’est dire que la cognition, ou les mécanismes de la pensée ne sont pas limités ou enfermés dans les seules limites du cerveau. Certains poussent cette « incarnation » jusque dans la culture, l’environnement. D’autres insistent plutôt sur les racines corporelles, en plus du cerveau, pour expliquer les mécanismes de la pensée.

On s’éloigne, de plus en plus et heureusement, des conceptions toutes cérébrales de la pensée, pour redonner à la conscience son fondement en émotions, en animalité. Antonio Damasio, dont les recherches ont montré cette nécessaire présence de l’émotion pour asseoir, appuyer la décision même la plus logique, publie ces jours-ci un nouveau bouquin, Self Comes to Mind.  Jonah Lehrer présente ici l’auteur et lui pose quelques questions sur son blogue, Frontal Cortex.

Le débat fait rage, semble-t-il… ce qui me fait découvrir ce blogueur philosophe, et ce blogue de philosophes… qui m’apprend que les éditions Ithaque viennent de publier : L’esprit conscient : À la recherche d’une théorie fondamentale, une traduction de The conscious Mind: In Search of a Fundamental Theory, l’ouvrage majeur de David Chalmers.

entre le cerveau et l’esprit

En terminant la lecture de ce petit (199 pages) bouquin (My brain made me do it : the rise of neuroscience and the threat to moral responsability) par Eliezer Sternberg, je suis à la fois satisfait tout en restant sur ma faim.

L’auteur fait un bon et accessible résumé des théories actuelles mais il pousse un peu trop loin la rhétorique de « confrontation » avec les sciences neurologiques, décrites comme déterministes et, donc, incompatibles avec un respect de la libre volonté (free will) et la responsabilité morale des individus. En fait c’est comme si, selon lui, on ne pouvait qu’être totalement déterministe ou pas du tout. Alors que j’ai plutôt l’impression qu’en ces matières, il y a lieu d’être «déterministe-probabiliste». Est-ce qu’on accuse les météorologues ou les climatologues d’être non-scientifiques parce qu’ils ne peuvent prévoir de façon certaine, mécanique, les développements du prochain ouragan ?

Parce que les facteurs déterminant une décision ou une pensée sont très nombreux (Edelman parlait de populations neuronales ou de darwinisme neuronal) il est aussi impensable de représenter mécaniquement ce processus que de dessiner le mouvement de chaque molécule d’un système météo. Et encore, dans ce dernier cas, les variables en jeu semblent plus limitées que celles qui déterminent qu’un neurone réagira à la prochaine stimulation ou simplement ajoutera celle-ci à son potentiel d’action cumulé… C’est parce qu’il y a un espace d’incertitude, un temps d’arrêt pendant lequel le travail réflexif peut être fait, que peut s’exercer le libre arbitre et la responsabilité.

Une autre faiblesse de cette vision opposant de manière un peu factice les déterminants matériels et la liberté de pensée réside dans la réduction de la conscience au seul discours intérieur… interdisant d’autant la possibilité d’une conscience non-humaine… et plus encore d’une morale animale. Pourtant… Continuer la lecture de « entre le cerveau et l’esprit »

langage et cerveau : deux conférences

L’école d’été de l’Institut des sciences cognitives de l’UQAM porte sur le thème de l’origine du langage cette année. La conférence d’ouverture par Ray Jackendoff : What is language ? est ouverte à tous. Lundi, 21 juin, à 19h30 à la salle Alfred-Laliberté du pavillon Judith-Jasmin de l’UQAM. « (…) evidence that the syntactic component of language has a layered structure, with more “primitive” means of mapping between sound and meaning operating alongside of the more sophisticated mappings we are accustomed to considering in syntactic theory. These more primitive mappings constitute a scaffolding that is revealed in language acquisition, in language processing, and in language deficits.« 

Celle donnée par le professeur Roger Moore, aussi ouverte à tous, sur la question : Spoken Language Processing: Where Do We Go From Here? (pdf) se tiendra à 11h00, le même jour, à la salle 603, du McConnell Engineering Building, 3480 rue University. Le professeur Moore s’intéresse au traitement informatisé du langage, qui semble rencontrer des difficultés (the quantity of training data required to improve state-of-the-art systems seems to be growing exponentially) dans la forme actuelle. En s’inspirant des découvertes récentes en neurobiologie, de nouvelles perspectives semblent s’ouvrir. Quatre dimensions seront examinées :

[T]he growing evidence for an intimate relationship between sensor and motor behaviour in living organisms, the power of negative feedback control to accommodate unpredictable disturbances in real-world environments, mechanisms for imitation and mental imagery for learning and modeling, and hierarchical models of temporal memory for predicting future behaviour and anticipating the outcome of events.

Cette deuxième conférence n’est pas directement au programme de l’école d’été de l’Institut, mais elle est drôlement bien placée pour intéresser ceux qui seront déjà dans la région pour l’événement !

et les interrogatoires ?

A memory is only as real as the last time you remembered it. The more you remember something, the less accurate the memory becomes. [Frontal cortex, memory is fiction] Cela soulève toutes sortes de questions à propos de l’effet que les multiples interrogations (que les enquêteurs ou policiers réalisent auprès des témoins lors de leurs interventions…) peuvent avoir sur la mémoire des dits témoins : consolider une mémoire de plus en plus éloignée de ce qui s’est vraiment passé… autour d’un discours de plus en plus fidèle à lui-même plutôt qu’à l’événement dont on a été témoin !

neurosciences et prévention

Jusqu’où irons-nous dans l’utilisation des savoirs neurologiques pour rendre nos campagnes de promotion-prévention plus efficaces ?

Sans doute avons-nous encore beaucoup de chemin à faire seulement pour « accoter » les campagnes des promoteurs de substances et dépendances… Le Centre d’analyse stratégique français publiait une étude en mars dernier : Nouvelles approches de la prévention en santé publique – L’apport des sciences comportementales, cognitives et des neurosciences (PDF 156 pages), avec des têtes de chapitre éloquentes :

  • Dans le cerveau du fumeur : neurosciences et prévention du tabagisme (ch. 7)
  • Agir sur les comportements à différents niveaux dans la prévention des maladies chroniques (ch. 2)
  • Les neurosciences du consommateur au service de la prévention ? (ch. 4)…

Les Britanniques aussi y sont allés d’un substantiel rapport, avec MINDSPACE: Influencing behaviour through public policy. Le rapport complet fait 96 pages, et le «guide pratique», 23.

Ces références (et d’autres) tirées de cet article de Hubert Guillaud, L’étude des comportements peut-elle permettre de les changer ? (3/4) : Transformer les politiques publiques.

Paru aujourd’hui sur internetActu.net.

simulations du cerveau

144 teraoctets de mémoire, 147 000 processeurs… les ensembles de connexions prétendant simuler la complexité neuronale deviennent géants ! Mais ils ne sont pas plus convaincants. Comme le dit Lehrer:

the talents of our mind are inseparable from the evolved quirks of its machinery, which suggests that simply crossing some arbitrary computational threshold – such as simulating 1.6 billion ersatz « neurons » – doesn’t mean very much if those simulations aren’t rooted in biological reality. A neuron isn’t just another electrical switch; our cells are much more interesting than that. (…) [w]e sometimes forget that the « mind is like a computer » metaphor is only a metaphor. The mind is really just a piece of meat.

La simulation du cerveau par un ordinateur me semble aussi improbable que la simulation de la vie : les seules choses qu’on réussit à simuler sont des caricatures de vie (ou de fonctionnement neuronal) parce que la « programmation » de la vie (et du cerveau) ont été faites par un horloger aveugle.

quarante ans de neurosciences

 

 

Pour le quarantième anniversaire de la Society for Neuroscience  la revue Journal of Neuroscience fait un bilan du développement des dernières décennies.

Des articles accessibles gratuitement in extenso, dont certains sont plus techniques que d’autres. Mais Eric Kendel, prix Nobel de physiologie en 2000, écrit dans un langage clair et accessible. Pour ceux qui préfèrent le français, il a publié chez Odile Jacob, À la recherche de la mémoire.

art et science

Je ne pouvais passer sous silence cet excellent petit bouquin (199 pages, avant notes et index): Proust was a neuroscientist, par Jonah Lehrer.

D’une lecture passionnante, Lehrer nous présente les oeuvres d’un écrivain (Whitman) puis d’un chef-cuisinier (Escoffier), et Proust, puis Cézanne, puis Stravinsky, puis, finalement deux autres écrivainEs (Gertrude Stein et Virginia Wolfe) où chaque fois, dans un langage clair, il nous démontre comment ces artistes ont précédé la connaissance scientifique en neurophysiologie. À chaque fois ces auteurs ont découvert ou utilisé, le plus souvent à l’encontre des canons de leur époque, des dimensions essentielles du fonctionnement du cerveau : la mémoire n’est pas un miroir mais bien un processus créatif; l’oeil aussi doit recréer, réinterpréter ce qu’il voit… le 5e goût, l’umami, n’a été reconnu scientifiquement que longtemps après que les recettes d’Escoffier en aient mis en valeur l’essence… alors que Wolfe mettait en scène la fragile et contradictoire unité du sujet… reconnue finalement par les sciences de l’humain.

Non seulement Lehrer fait-il le tour de 8 auteurs ou artistes, mais il a le talent d’inscrire ces derniers dans le contexte de leur époque, de nous faire saisir (au moins en partie) les enjeux de leur art. Il termine sur un « Coda » plus contemporain et polémique où il critique Steve Pinker (The Blank Slate),  et E.O. Wilson (Consilience). C’était bon, jusqu’à la dernière page. Vivement How We Decide.