neurosciences et liberté

Le débat sur la nature de l’esprit humain entre les déterministes-réductionnistes et les tenants d’autre chose (dualistes nouveau genre ?) a remplacé, poursuivi l’ancien débat dualiste / monistes ou encore idéaliste / matérialiste. Mais, à part remplir les étalages des libraires de parutions érudites, quels sont les enjeux de tels débats ? Cela fera-t-il vraiment une différence que l’une ou l’autre tendance l’emporte ? En fait les positions radicalement opposées sont souvent le fait de procédés rhétoriques : il a toujours été plus facile de valoriser son point de vue quand celui de l’adversaire conduit le monde au cataclysme !

Mais les méchants ne sont pas toujours ceux qu’on pense. Ainsi le caractère profondément dualiste, imposant une séparation essentielle entre le corps et l’esprit, du point de vue de Descartes, qu’on a critiqué avec raison, aura sans doute été le plus grand contributeur, facilitateur du développement de la position matérialiste / scientifique d’aujourd’hui : en isolant de manière quasi étanche le monde de la matière de celui des idées, de l’âme, cela aura permis de dégager l’expérimentation scientifique de la tutelle de l’Église et ainsi facilité le développement rapide des sciences et de la position matérialiste-moniste. (suite sur la page Neurosciences et liberté – I)

cognition incarnée

Embodied cognition, que l’on traduit en français par cognition incarnée, c’est dire que la cognition, ou les mécanismes de la pensée ne sont pas limités ou enfermés dans les seules limites du cerveau. Certains poussent cette « incarnation » jusque dans la culture, l’environnement. D’autres insistent plutôt sur les racines corporelles, en plus du cerveau, pour expliquer les mécanismes de la pensée.

On s’éloigne, de plus en plus et heureusement, des conceptions toutes cérébrales de la pensée, pour redonner à la conscience son fondement en émotions, en animalité. Antonio Damasio, dont les recherches ont montré cette nécessaire présence de l’émotion pour asseoir, appuyer la décision même la plus logique, publie ces jours-ci un nouveau bouquin, Self Comes to Mind.  Jonah Lehrer présente ici l’auteur et lui pose quelques questions sur son blogue, Frontal Cortex.

Le débat fait rage, semble-t-il… ce qui me fait découvrir ce blogueur philosophe, et ce blogue de philosophes… qui m’apprend que les éditions Ithaque viennent de publier : L’esprit conscient : À la recherche d’une théorie fondamentale, une traduction de The conscious Mind: In Search of a Fundamental Theory, l’ouvrage majeur de David Chalmers.

La révolution moderne

Il y a quelques temps, plus d’un an certainement, j’ai été vraiment enthousiasmé par la lecture de ce texte de Marcel Gauchet, La révolution moderne. C’est le premier d’une série intitulée L’avènement de la démocratie (le second volume s’intitulant La crise du libéralisme). J’attends toujours avec impatience le troisième volume qui devrait bien sortir prochainement !

Enthousiasmé au point d’en lire et enregistrer un extrait, essentiellement la plus grande partie de l’introduction, de la page 15 à la page 44. Une trentaine de pages, donc, qui durent une heure et cinq minutes. En retrouvant par hasard ce fichier aujourd’hui, j’en ai fait une version mp3 que je dépose ici. À télécharger (fichier de 44 Mo), ou encore à écouter directement.

Un exercice qui n’est pas facile ! Comme en témoignent les nombreux (petits) cafouillages… dont ce « triomphle de la démocratie » au tout début. Mais si je me souviens bien, j’ai recommencé plusieurs fois, plusieurs portions… C’est un métier, quoi ! Mais il y a aussi quelque chose de thérapeutique, de revigorant dans la déclamation ! En espérant que ça vous donne le goût de lire plus avant ce Gauchet !

<Ajout> Incidemment le troisième tome de sa série L’avènement de la démocratie, intitulé A l’épreuve des totalitarismes 1914-1974, vient de sortir (le 21 octobre). Devrait arriver sous peu chez les bons libraires… </Ajout>

entre le cerveau et l’esprit

En terminant la lecture de ce petit (199 pages) bouquin (My brain made me do it : the rise of neuroscience and the threat to moral responsability) par Eliezer Sternberg, je suis à la fois satisfait tout en restant sur ma faim.

L’auteur fait un bon et accessible résumé des théories actuelles mais il pousse un peu trop loin la rhétorique de « confrontation » avec les sciences neurologiques, décrites comme déterministes et, donc, incompatibles avec un respect de la libre volonté (free will) et la responsabilité morale des individus. En fait c’est comme si, selon lui, on ne pouvait qu’être totalement déterministe ou pas du tout. Alors que j’ai plutôt l’impression qu’en ces matières, il y a lieu d’être «déterministe-probabiliste». Est-ce qu’on accuse les météorologues ou les climatologues d’être non-scientifiques parce qu’ils ne peuvent prévoir de façon certaine, mécanique, les développements du prochain ouragan ?

Parce que les facteurs déterminant une décision ou une pensée sont très nombreux (Edelman parlait de populations neuronales ou de darwinisme neuronal) il est aussi impensable de représenter mécaniquement ce processus que de dessiner le mouvement de chaque molécule d’un système météo. Et encore, dans ce dernier cas, les variables en jeu semblent plus limitées que celles qui déterminent qu’un neurone réagira à la prochaine stimulation ou simplement ajoutera celle-ci à son potentiel d’action cumulé… C’est parce qu’il y a un espace d’incertitude, un temps d’arrêt pendant lequel le travail réflexif peut être fait, que peut s’exercer le libre arbitre et la responsabilité.

Une autre faiblesse de cette vision opposant de manière un peu factice les déterminants matériels et la liberté de pensée réside dans la réduction de la conscience au seul discours intérieur… interdisant d’autant la possibilité d’une conscience non-humaine… et plus encore d’une morale animale. Pourtant… Continuer la lecture de « entre le cerveau et l’esprit »

de grandes questions

La Fondation Templeton pose de grandes questions à de grands esprits. La dernière en date : Does moral action depend on reasoning? (Est-ce que l’action morale dépend de la capacité de raisonner ?). On peu lire sur le site les réponses apportées par 13 professeurs, chercheurs… dont celle d’Antonio Damasio (Yes and no), et celle de Jonah Lehrer (Not so much). Parmi les autres grandes questions soulevées au cours des ans :

De court textes, une ou deux pages…

Kuhn VS Popper : qui dit vrai ?

Le débat entourant la science (les sciences devrais-je dire) climatique, qui connaissait un sursaut suite aux allégations de tromperies (voir billet précédent) et de falsifications de données, amène inévitablement des références à Thomas Kuhn et sa Structure des révolutions scientifiques. Ce qui m’a rappelé l’achat récent d’un livre intitulé Kuhn vs. Popper: The Struggle for the Soul of Science, par Steve Fuller. Une lecture commencée mais non (encore) finie… Heureusement que d’autres ont été plus déterminés, au point d’en faire un résumé bien appuyé (ici un article tiré du Canadian Journal of Sociology Online).

Ma lecture, même partielle, a eu le mérite de me faire douter des références à Kuhn (et à sa Structure des révolutions scientifiques) qui donnent parfois l’impression qu’il suffit de prendre le parti des nouveaux paradigmes, des dominés… pour avoir raison ! Resitués dans leurs contextes socio-politiques, ces deux philosophes des sciences qu’on a longtemps caricaturés comme le bon et le méchant (le premier étant Kuhn), peuvent ainsi voir leurs rôles inversés !

Mais dans le cas des changements climatiques, si l’appel à un nouveau paradigme n’est pas suffisant… comment la réfutabilité (ce qu’on nomme souvent – à tort – la falsifiabilité) peut-elle s’appliquer ? Nous ne sommes pas dans un laboratoire, et il n’y a pas de « seconde chance »… il faudra donc avancer sur la base de connaissances approximatives et de convictions qui, à la différence des connaissances intellectuelles, démontrables, réfutables… mobilisent l’ensemble des savoirs et intuitions. Convictions, croyances, engagements, il y a un temps pour la discussion et la réflexion, et un temps pour l’action. Même quand toutes les données ne sont pas computées, ni les tendances concordantes… il faut parfois agir. C’est pour cela que nous élisons des hommes et des femmes qui ne sont pas d’abord des scientifiques, mais plutôt des décideurs et des mobilisateurs.

Voir le site officiel de la Conférence de Copenhague; Site de l’ONU sur la Conférence de Copenhague; Copenhague 2009; la page de Wikipédia sur la Conférence.

raisonnement et fonction sociale

Conférence de Hugo Mercier, vendredi le 13 novembre, dans le cadre de l’Institut des sciences cognitives de l’UQAM. Hugo Mercier, auteur de la thèse sur un sujet proche : La théorie argumentative du raisonnement (résumé) – document complet.

Habituellement, le raisonnement est conçu comme un mécanisme permettant d’améliorer la qualité de nos connaissances, d’en acquérir de nouvelles, ou de prendre de meilleures décisions. L’objet de cette thèse est de défendre une autre théorie du raisonnement selon laquelle il a pour fonction d’évaluer des raisons afin de déterminer si elles feront de bons arguments, ou pour juger de la qualité d’un argument qui nous est présenté.

Oui ça me plait cette définition… Je crois que j’irai faire un tour à cette conférence, participant une première fois à un événement de l’ISC. Pour peu que mes deux journées au stade olympique (clinique de vaccination où je suis mobilisé) me laissent un peu d’énergie !

Extrait de la présentation de la conférence : trouver des arguments pour défendre nos idées durant des discussions, et examiner les arguments offerts par nos interlocuteurs.

Il n’y a de sens que dialectique.

ordinateur et cerveau humain

Kurzweil prédit que l’on pourra téléverser (uploader)  le contenu de son cerveau dans un ordinateur en 2040. C’est un rêve caressé par les écrivains et informaticiens depuis des décennies.

Mais c’est une vision bien étroite (ou plate) de ce qu’est le cerveau animal (et humain) que de le réduire à 100 milliards de connexions… qui pourraient, éventuellement, être reproduites dans une mémoire artificielle. Il y a sous le cerveau, connectés à ses neurones, des mécanismes biophysiques et biochimiques résultant de milliards d’années d’évolution de la vie… qui donnent un sens, une direction aux impulsions et aux réactions des êtres vivants qui sont ancrées, mémorisées biologiquement et reproduites, transmises par les torsades de l’ADN. Pour pouvoir transférer à un ordinateur le contenu d’un cerveau humain, il faudrait doter l’ordinateur d’une réactivité biologique, d’une historicité basée sur l’expérience… il faudrait que l’ordinateur n’en soit plus un. Continuer la lecture de « ordinateur et cerveau humain »

la mer, la limite

Un court texte de Thierry Hentsch : la mer, la limite. Quatre-vingt trois petites pages, que j’ai transformé en un document audio de 2 heures, que je rend disponible ici en deux fichiers MP3. Première partie (1h11 – 65 Mo), seconde partie (49 minutes – 45 Mo). Il y parle de notre monde, de la vie, de la mort.

Ce texte est sans doute le dernier de cet auteur riche, érudit mais combien accessible. Mieux connu pour ses deux « sommes »: Raconter et mourir; Aux sources narratives de l’imaginaire occidental et Le temps aboli : l’Occident et ses grands récits (sous le lien précédent des extraits publiés par Google Books). J’ai voulu faire profiter de ce texte à une personne qui avait temporairement de la difficulté à lire. Puis je me suis dit que d’autres pourraient en profiter ! Attention : ce n’est pas un rendu « professionnel » car j’ai parfois laissé des bafouillements…