les USA dans le monde

Cet appel lancé au président-élu Trump par deux hommes politiques américains chevronnés –  William S. Cohen, ancien secrétaire à la défense républicain et Gary Hart, ancien sénateur démocrate : Don’t Retreat into Fortress America – nous rappelle à quel point la présence militaire américaine a conditionné l’équilibre international et façonné ses institutions depuis 70 ans.

http://www.nytimes.com/2016/11/22/opinion/dont-retreat-into-fortress-america.html

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Virtually the entire world has signed the Paris accord. Unilateral abrogation would be a huge blow to the United States’ international credibility.

Truman, Marshall, Acheson and Eisenhower, through their belief in having the strongest military in the world to back a focused and creative diplomacy, put America in a position to lead the world for 70 years. Will Mr. Trump cede that responsibility to Moscow, Beijing or Tehran?

Wise leaders such as Truman, Eisenhower, Marshall and Acheson constructed a temple in which freedom could thrive and economies could prosper. The interior of the temple may be in need of renovation, but Mr. Trump should not pull apart its central pillars and bring it crashing down.
[Don’t Retreat into Fortress America]

Ces auteurs reconnaissent que « la maison a besoin de rénovation », mais implorent de ne pas affaiblir les murs porteurs au risque de voir la maison s’effondrer. Ils avouent cependant que Trump « a un point, là » lorsque celui-ci demande aux membres de l’OTAN de mieux contribuer au financement de l’effort.

Si les responsabilités financières à l’endroit de l’OTAN doivent être rediscutées, le rôle et les fonctions de l’alliance militaire devraient aussi être redéfinis, précisés et adaptés au contexte actuel. Les menaces des « puissances ennemies » ne sont pas disparues mais elles ne sont plus ce qu’elles étaient au creux de la guerre froide. Les menaces diffuses du terrorisme et celles, moins visibles encore, des pirates et trafiquants de réfugiés et d’expulsés. Menaces-prédations que des conglomérats privés exercent sur les ressources communes à l’humanité (haute-mer, air, glaces). Des menaces qui exigent de nouvelles formes de protection.

Thomas Piketty, dans le journal Le Monde, Pour une autre mondialisation((Aussi dans LThe Guardian : We must rethink globalization, or Trumpism will prevail)),  affirme

[I]l faut arrêter de signer des accords internationaux réduisant des droits de douanes et autres barrières commerciales sans inclure dans le même traité, et dès les premiers chapitres, des règles chiffrées et contraignantes permettant de lutter contre le dumping fiscal et climatique,

Ce qui l’amène à déclarer franchement :

[L]e CETA est un traité d’un autre temps et doit être rejeté. Il s’agit d’un traité étroitement commercial, ne contenant aucune mesure contraignante sur le plan fiscal ou climatique.

Piketty n’est pas contre les accords commerciaux mais plutôt contre ceux qui ne font qu’abaisser les barrières à l’appropriation et aux échanges privés sans que soient protégées les ressources communes et publiques sans lesquelles il n’y a pas d’enrichissement privé.

L’accord Canada-Europe devrait innover et intégrer les dimensions fiscales et environnementales et ainsi participer de la mise en oeuvre des ententes conclues entre les États pour réduire les déchets, pollutions et évasions qui mettent en danger les équilibres écologiques et politiques de la planète.

À mon avis l’isolationnisme américain ne peut être contré que par une collaboration accrue des « puissances moyennes » et petites… Si le gorille de 800 livres veut remettre en question les règles et institutions du vivre ensemble, autant en profiter pour pousser les réformes devenues nécessaires.

P.S. (16.11.23) L’article du Foreign Affairs appelle à ne pas défaire le cadre international avant d’en avoir mis un autre en place : TPP, R.I.P. ?

dérives démocratiques

Oui, je sais, vous commencez à en avoir assez d’entendre parler de l’élection américaine… Je ne prétendrai pas avancer beaucoup de choses nouvelles, peut-être seulement rassembler ici quelques analyses marquantes de la dernière semaine.

Il faut croire qu’avec des élections fédérales à tous les deux ans, qui sont une fois sur deux présidentielles avec une campagne s’étirant sur plus d’un an… les Américains aussi en ont assez des élections : les taux de participation n’ont été, depuis 1972, que de 50 à 55% de la population en âge de voter.

Quelques 133 millions de votants pour une population en âge de 215 millions, soit 53% (en date du 10 novembre 2016) pour l’élection du 8 novembre dernier. À peine plus de la moitié de la population américaine s’est exprimée, divisée en deux portions quasi égales. Ce qui fait que le nouveau président est élu par 25 % de la population.

Les grands médias et maisons de sondage ont été choqués par les résultats : tous ou presque prévoyaient une victoire démocrate. Les vieux campagnards blancs n’aiment pas répondre aux sondages téléphoniques !

Michael Moore avait prévu le coup, dès juillet, dans un billet traduit ici par le Huffington Post français : Cinq raisons pour lesquelles Trump va gagner. La première de ces raisons est le poids de la région des Grands lacs, une région que Moore connait bien. Le « Rust Belt » a exprimé une insatisfaction accumulée depuis des décennies de mondialisation et délocalisation. La deuxième raison : Le dernier tour de piste des Hommes blancs en colère. Michael Moore interprète ainsi le sentiment de ces derniers :

« Après avoir passé huit ans à nous faire donner des ordres par un homme noir, il faudrait maintenant qu’une femme nous mène par le bout du nez? Et après? Il y aura un couple gai à la Maison-Blanche pour les huit années suivantes? Des transgenres? Vous voyez bien où tout cela mène. Bientôt, les animaux auront les mêmes droits que les humains et le pays sera dirigé par un hamster. Assez, c’est assez! »

Les 3 autres raisons ont trait à la candidature problématique de Hillary Clinton, au désabusement des partisans de Bernie Sanders et à ce qu’il appelle l’effet Jesse Ventura, du nom d’un lutteur professionnel devenu gouverneur du Minnesota en 1998.

« Le Minnesota est l’un des États les plus intelligents du pays, et ses citoyens ont un sens de l’humour assez particulier. Ils n’ont pas élu Jesse Ventura parce qu’ils étaient stupides et croyaient que cet homme était un intellectuel destiné aux plus hautes fonctions politiques. Ils l’ont fait parce qu’ils le pouvaient. Élire Ventura a été leur manière de se moquer d’un système malade. La même chose risque de se produire avec Trump. »

Si les électeurs de Trump voulaient envoyer quelqu’un d’extérieur à la bureaucratie de Washington, comme ils l’ont souvent répété, je ne crois pas qu’ils l’aient fait avec humour…

Make America White Again. Blanche, hétéro, simple… C’est à un retour aux années ’50, à l’Amérique d’avant les droits civiques que certains électeurs voudraient revenir.

Des 5 raisons énumérées par Moore pour expliquer la victoire de Trump, c’est la seconde qui est la plus difficile à comprendre, à avaler. Et c’est probablement la plus importante.

Doug Saunders, journaliste au Globe and Mail, parle de l’émergence d’un extrémisme blanc.((WHITEWASHED : The real reason Donald Trump got elected? We have a white extremism problem, 12 novembre 2016, The Globe and Mail)) Un radicalisme réactionnaire qui n’osait pas, jusqu’ici, s’exprimer ouvertement mais que les attitudes et discours de Trump ont « normalisé ».

resultats-trumpQuelques chiffres valent la peine d’être repris ici. 72 pourcent des électeurs de Trump considèrent que la vie était meilleure dans les années ’50. À l’inverse, 70 pourcent des électeurs de Clinton considèrent que les choses se sont améliorées. 90 pourcent des électeurs de Trump sont blancs. 62 pourcent des électeurs en provenance de petites villes et du monde rural ont voté pour Trump alors que 59 pourcent des électeurs des villes de 50 000 habitants ou plus ont voté pour Clinton.

Ce qui est remarquable: ce ne sont pas les problèmes économiques qui ont poussé les gens vers Trump, ni même les problèmes causés par l’immigration : les électeurs de Trump vivent dans des régions peu touchées par l’immigration et connaissent des taux de chômage moindre que les régions démocrates. Selon Saunders, il s’agit d’une fierté ethnique blessée, s’ajoutant souvent à une virilité froissée, plutôt que des problèmes strictement économiques. Aussi les solutions économiques à la crise que vit la classe ouvrière blanche postindustrielle ne règleront pas en elles-mêmes la crise de radicalisation basée plus sur des perceptions que la réalité.

Bien sur si la mondialisation et son cortège de délocalisations n’avaient pas été d’abord réalisés au profit de la petite minorité (le 1%) de plus en plus riche, les perceptions, les craintes et l’ouverture au changement seraient sans doute différentes. Suivant Naomi Klein, qui publiait son analyse (( It was the Democrats’ embrace of neoliberalism that won it for Trump, 9 novembre 2016, The Guardian.)) dans The Guardian le lendemain de l’élection, c’est parce que le programme de Clinton était, pour l’essentiel, néolibéral qu’elle n’a pu vaincre Trump : au message de ce dernier « All is hell » elle répondait « All is well ». Selon Klein, seule une large coalition de gauche, avec un véritable programme de redistribution de la richesse, permettrait de freiner les tendances néo-fascistes.

Je ne suis pas de ceux qui baissent les bras, mais ce recul annoncé (politiques environnementales, sociales, internationales) du leader américain a de quoi ébranler. Il faut croire que le « progrès » n’avance pas en droite ligne, et que des reculs sont parfois inévitables. Notamment pour aller chercher, rejoindre des groupes qui ne sont pas « sur la même page » et ne voient pas, entre autre, « la diversité » comme une valeur en soi. Un recul alors qu’il aurait fallu accélérer les changements, les réformes, la transformation de nos modes de production et de consommation. Mais les changements qu’il faudra engager sont tellement importants qu’ils ne se décrètent pas d’en haut, ils devront mobiliser la participation active, volontaire de (presque) tous.

Sans tomber dans l’auto-flagellation, il reste que le questionnement soulevé par l’incapacité des grands médias (et partis) à voir venir ce résultat a quelques chose de sain. Comme disait Saunders, il faudra « find a way to reach 60 million radicalized white people and find words that can bring them back to earth. » (Trouver moyen de rejoindre 60 millions de blancs radicalisés et trouver les mots pour les ramener sur terre).

Pour terminer sur une note humoristique, je vous suggère de regarder ce petit vidéo de 6 minutes par Jonathan Pie qui explique, avec beaucoup de “saveur” et quelques jurons, les raisons de la défaite de Clinton. On peut rendre beaucoup de monde responsable du résultat de l’élection, mais l’impossibilité de débattre, le fait que les gens plus cultivés, instruits ne débattent plus avec les autres, autrement que pour les ridiculiser… Et Clinton, vraiment ?, qu’ont bien pu penser les démocrates !?

https://youtu.be/S8gyNRqIp5U

 

 

qui est responsable ?

Un fameux coup de gueule ! En anglais, mais ça vaut la peine.
On peut rendre beaucoup de monde responsable du résultat de l’élection, mais l’impossibilité de débattre, le fait que les gens plus cultivés, instruits ne débattent plus avec les autres, autrement que pour les ridiculiser…
https://youtu.be/S8gyNRqIp5U

philanthropie américaine

Extrait de la recension, par Anne Monier, du livre de Olivier Zunz, La philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d’État, Fayard, 2012, 450p.

A la fin des années 1960, la philanthropie est devenue un élément constitutif de la société américaine, mais rien n’unifie encore une multitude d’organisations et d’objectifs. Un petit groupe de personnalités (dont John D Rockefeller III) décide de fédérer et de définir ce « secteur d’activité », afin que toutes les organisations puissent parler d’une seule voix. Sont notamment fusionnés les deux principaux courants philanthropiques : la grande philanthropie (celle des fondations) et la philanthropie de masse. Le nom de « secteur à but non lucratif » s’impose. Ce groupe souhaite défendre l’indépendance du monde philanthropique en le libérant de « sa dépendance croissante vis-à-vis de l’État », tout en insistant pour que l’État honore ses engagements de financement aux services sociaux. Cependant, ces personnalités rencontrent l’opposition des conservateurs, qui souhaitent, au nom de la défense du capitalisme et de la liberté individuelle, mettre fin aux financements publics de services sociaux, mais également supprimer les aides de l’État à toutes les institutions philanthropiques engagées dans la protection sociale et la défense des droits des minorités. Ainsi, pendant trente ans, progressistes et conservateurs s’opposent sur la définition du secteur philanthropique et de sa relation à l’État. Ils finissent par trouver un terrain d’entente, lorsqu’une « convergence inattendue » se fait sur la question du soutien de l’État aux associations caritatives confessionnelles. Conservateurs et progressistes ont tissé des liens avec des groupes religieux et cherché des aides publiques pour leurs alliances respectives. De cette confrontation émerge lentement le secteur à but non lucratif tel qu’il existe aujourd’hui aux États-Unis, défini par le cadre légal 501 (c)(3) [Le cadre légal qui octroie le bénéfice de l’exemption fiscale ainsi que la déduction fiscale des donations reçues].

Une histoire influente auprès des initiatives philanthropiques canadiennes et québécoises. On la prend même pour modèle… même si les contextes gouvernementaux et politiques diffèrent grandement. Pendant qu’aux États-Unis on « tissait des liens avec les groupes religieux », au Québec on coupait et réduisait radicalement l’emprise religieuse sur les services sociaux et de santé. Centraide a occupé (presque) toute la place pendant des années, jusqu’à ce que la FLAC arrive avec ses ententes décennales avec le gouvernement. Il y avait bien, depuis toujours, et plus activement depuis quelques années (’90), des fondations qui s’associaient à des initiatives communautaires ou sollicitaient la collaboration publique. Mais jamais on avait « attaché le gouvernement » aussi clairement et ouvertement, pour dix ans! On l’avait, cependant, sans doute fait pendant des décennies entre organisations privées religieuses et politiques publiques.

Le commentaire du Monde diplomatique, lors de la parution du livre :  » (…) comment la charité peut servir de soupape au désengagement de l’Etat. Conscient de ce danger, Franklin D. Roosevelt entreprit, dans les années 1930, de fonctionnariser les employés et bénévoles des agences de bienfaisance ; il tenta également d’intégrer les dons privés dans des programmes nationaux. »

même la droite

Un commentaire de Andrew Sullivan, qui se dit lui-même à droite, et qui demande au président Obama de viser une réforme radicale de la taxation américaine (he needs to embrace radical tax reform).

My position is on the right. I know that. I’m not a redistributionist. But the system we have now is geting close to absurd. I pay almost half my income in taxes of various sorts. It’s nuts that I should be paying far, far more as a precentage than a man like Romney. And I’m a one percenter. For the average American, struggling in this economy, seeing this man pay so little in taxes is astounding. In fact, it’s a scandal. (The Daily Beast)

C’est le bon moment de se distinguer des républicains, ce soir lors du discours annuel du président américain sur l’État de la nation.