J’ai pensé qu’il serait bien, dans le contexte actuel où l’on se questionne sur les moyens de réparer ou améliorer les conditions de vie des aînés, de mettre à jour la carte montrant l’utilisation faite du crédit d’impôt remboursable pour maintien à domicile par les contribuables de 70 ans et plus à Montréal. Ici la première carte, réalisée en 2012 avec les données de l’impôt de 2008.
Avec les données les plus récentes disponibles (Statistiques fiscales des particuliers 2016), et la collaboration bienveillante d’une ex-collègue, voici donc la répartition par circonscription électorale provinciale sur l’île de Montréal. (version PDF)
La situation est assez claire : les montants versés dans les quartiers les plus pauvres sont les plus bas, alors que ceux versés dans l’ouest de l’île et à Westmount sont les plus élevés : de trois à quatre fois plus élevés ! Évidemment, puisque le programme rembourse en proportion des dépenses réalisées par la personne. Soit 35% de la dépense admissible (services de repas, de soutien ou soins à domicile). Ainsi plus une personne a de moyens de s’acheter des services, plus elle sera remboursée. C’est près d’un demi milliard de $ (456 M$) qui ont ainsi été versés en 2016, surtout aux riches !
Pourtant, on pourrait procéder autrement, comme on le fait pour un autre crédit d’impôt remboursable : celui pour les frais de garde d’enfants. À savoir rembourser à des taux différents selon les revenus de la famille : de 25% à 75% des dépenses admissibles sont remboursées (jusqu’à un maximum). Si on faisait de même pour le crédit de maintien à domicile des aînés, probablement que les personnes habitant Hochelaga-Maisonneuve, Laurier-Dorion ou Saint-Henri pourraient se payer de meilleurs services en résidence… car c’est bien à cela que sert l’essentiel de ce programme : soutenir la qualité des services offerts dans les résidences pour ainés.
Les gens s’inquiètent devant les sommes « faramineuses » que les gouvernements s’apprêtent à investir pour compenser l’inactivité obligée et pour relancer l’activité, une fois la tempête passée. Ces milliers de milliards sont de grosses sommes, certes. Mais il est bon de rappeler certains faits. Notamment que les 500 plus grandes multinationales américaines ont dépensé 1 500 milliards au cours des seules années 2018-2019 en rachats de leurs parts afin de maintenir à la hausse leur valeur sur les marchés boursiers (et les salaires – eux aussi faramineux – de leurs dirigeants).
The largest 500 U.S. multinationals, for instance, spent over $1.5 trillion in 2018 and 2019 just buying back their own stock, to boost their share prices and their executive stock rewards. On top of that, they paid out nearly a trillion more in dividends.
Il est aussi bon de rappeler, comme le faisait Piketty avec Le capital au XXIe siècle, que les États ont diminué drastiquement les prélèvements d’impôts sur les plus hauts revenus depuis 40 ans.
Dans le passé, les taxes étaient de beaucoup préférées à l’emprunt quand il fallait soutenir un effort de guerre.
Taxes were preferred above borrowing or other measures at times when support for wars was high. And from a justice perspective, we have to agree with Pope Francis. « Those who do not pay taxes do not only commit a felony but also a crime: if there are not enough hospital beds and artificial respirators, it is also their fault. »
Les règles qui se sont appliquées depuis 40 ans n’ont pas toujours été de mises ! Comme le rappelle Robert Boyer.
Le temps est venu d’une coordination par l’Etat des circuits économiques permettant de traiter avec efficacité et célérité l’urgence sanitaire. Il faut prendre au sérieux la métaphore de la « guerre contre le virus » et se souvenir que la comptabilité nationale, la modélisation macroéconomique et le calcul économique public, qui ont favorisé la modernisation de l’Etat, trouvent leur origine dans l’effort de guerre puis de reconstruction – primat de l’intérêt collectif sur l’individualisme, par la réquisition et le contrôle du crédit et des prix. Penser que le marché connaît la sortie de crise serait une naïveté coupable.
Robert Boyer, « Cette crise inédite adresse un redoutable avertissement aux économistes », Le Monde, 28 mars.
De quelle économie parle-t-on quand certains parle de retourner vite au travail pour « sauver l’économie » ?
So when they recommend Americans get back to work for the sake of the “economy”, they’re really urging that other people risk their lives for the sake of the bankers’ and billionaires’ own stock portfolios.
Une entrevue (qui porte un bien mauvais titre à mon avis) d’une heure trente-sept, qui passe comme un quart d’heure !, avec Gabriel Giraud, conseiller économique de la haute fonction publique française qui est aussi jésuite. Une leçon d’économie et d’écologie. Une leçon de vie aussi. Les questions posées par l’interviewer de la chaine ThinkerView sont parfois abruptes, ou surprenantes, comme l’est la première question portant sur… l’apocalypse dans la Bible ! Mais les réponses valent par leur élégante clarté.
Même si nous devenions tous des « saints » (ou sains ?) en matière de choix de vie et de consommation (finis les voyages en avion, les automobiles individuelles, finie la viande…) cela ne nous permettrait que de réaliser 25%, le quart de notre objectif : soit devenir « carbo-neutre » aux environ de 2050. Et c’est un objectif incontournable, si nous voulons avoir quelque chance d’éviter un climat qui s’emballe, et atteint des +6, +7, +8 °C mettant carrément la vie humaine en danger. Et l’économie financière, on n’en parle plus : « à 4° les compagnies d’assurance n’assurent plus. ».
Il faut donc une intervention collective, une transformation profondeet rapide des processus et des règles que suivent les grandes entreprises et institutions. Mais comment, avec quels moyens (financiers, institutionnels) entreprendre un tel chantier ?
À la question, toute légitime : « Combien ça coûte ? Avons-nous les moyens ? », Giraud répond clairement oui. « Entre 50,000 et 90,000 G$, milliards de dollars étalés sur les 15-20 prochaines années. Ce qui représente à peu près l’équivalent du PIB mondial d’une année. » Sur 15 ans, c’est faisable. « 240,000 G$, c’est ce qui circule aujourd’hui sur la planète. » « La plupart (neuf sur dix) des transactions financières ne concernent pas l’économie réelle. »
Il faut non seulement trouver ces 50,000 G$, il faut aussi les investir de manière efficace, c’est-à-dire en évitant le « greenwashing » et la peinture verte sur des projets qui n’auraient pas d’impact ou en auraient de contraires à ceux visés. Dans le cas de l’Europe, il faut sortir les investissements verts du déficit public, contournant ainsi la « règle du 3% de Maastricht » qui limite les États membres à un maximum de 3 % de déficit budgétaire. Cela a déjà été fait, lors de la crise de 2008, avec la création d’une instance (la SFEF – la Société de financement de l’économie française) relativement indépendante de l’État qui a pu racheter les mauvaises créances des banques sans pour autant affecter le déficit public (portion du vidéo sur cette dernière question (SFEF) à partir de 1:07:35).
Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 il faudra que la Banque centrale européenne (BCE) privilégie les investissements verts. Actuellement elle refuse en disant qu’elle ne privilégie aucun secteur. « La BCE doit racheter toutes les créances vertes des banques », dit-il. Et cela à hauteur de plusieurs milliers de milliards par an pour l’Europe.
Mais comment déterminer les projets à soutenir, les infrastructures à construire ? Une telle compétence se développera à travers l’expérience et en s’appuyant sur les initiatives, les mouvements qui creusent et poussent, depuis des décennies parfois, pour porter ces valeurs et inventer un nouveau monde plus respectueux de la vie. Il me semble évident que les partis politiques, dans leur forme actuelle, ne peuvent prétendre embrasser l’ensemble des mouvements et forces qui devront participer de l’effort collectif. Nous ne pouvons imposer le changement d’en haut mais il faudra rassembler et concerter les parties prenantes grâce à des instances, des cadres institutionnels reconnus, légitimes aptes à proposer des plans crédibles financés de manière appropriée.
Depuis plusieurs années Mariana Mazzucato défend l’idée de redonner au pouvoir public sa marge de manœuvre et sa capacité d’initiative. Elle rappelle à quel point le discours dominant néglige ou oblitère la part publique dans des innovations qu’on place comme fleurons de l’initiative privée : « le fameux iPhone d’Apple, dont presque tous les éléments importants — de l’Internet au GPS en passant par l’écran tactile et le système d’aide vocal — n’auraient jamais vu le jour sans des investissements directs des gouvernements. » (Le Devoir, 19 septembre 2015). Avec la parution de son livre The Value of Everything, elle démontrait avec verve que « pour sauver notre économie de la prochaine crise inévitable et favoriser la croissance économique à long terme, nous devrons repenser le capitalisme, le rôle des politiques publiques et l’importance du secteur public et redéfinir la façon dont nous mesurons la valeur dans notre société. »
Dans une entrevue récente du magazine Wired.UK, This economist has a plan to fix capitalism. It’s time we all listened, on retrace les récentes étapes du parcours académique et professionnel de cette économiste Italo-Américaine qui s’est élevé depuis des années contre un discours idéologique faisant croire à la toute puissance du marché quand il s’agit d’innover et à l’impotence de l’action publique et gouvernementale en ces matières. « Il y avait cette conviction que si nous n’avions pas de Google ou Facebook Européens, c’est que nous ne souscrivions pas à l’approche de marché libre de Silicon Valley. C’était juste une idéologie: il n’y avait pas de marché libre dans la Silicon Valley. » « Entre 2003 et 2013, les sociétés cotées à l’indice S&P 500 ont utilisé plus de la moitié de leurs bénéfices pour racheter leurs actions afin de doper le cours des actions, au lieu de les réinvestir dans de la recherche et du développement. »
Après qu’elle eut conseillé divers gouvernements d’Europe et d’Amérique, le Parlement européen vient d’approuver (après plusieurs consultations) la proposition de madame Mazzucato pour le programme de recherche et innovation Horizon Europe orienté vers 5 grandes missions : adaptation au changement climatique; cancer; des océans, des mers, des eaux côtières et intérieures en bonne santé; des villes intelligentes et neutres pour le climat; et la santé du sol et la nourriture. Un « comité de mission » de 15 experts pour chaque domaine sera nommé par la Commission européenne.
Bon, ce ne sont pas encore des comités habilités à financer la transition verte, ou un « New Deal » vert, mais ils pourraient certainement contribuer à en soutenir les décisions. Il est certain que ça prendra plus que des comités d’experts pour réaliser la Transition. Il faudra des politiques, des programmes, des coalitions, des investissements publics et privés… tout cela en lien avec des mouvements sociaux, des organisations politiques. Comme je le disais dans le billet précédent, plusieurs pays ont connu dans un passé récent des périodes de transformation rapide soutenues par des investissements structurants (reconstructions d’après-guerre, libérations nationales, « révolution tranquille » au Québec…). Ce n’est donc pas inimaginable.
Il faut seulement se défaire de ces idées folles comme « seul le profit et les lois du marché peuvent orienter l’innovation et le développement économique » ou « nos gouvernements n’ont pas les moyens », ou encore « il est trop tard ». Oui, il est tard. Mais avons nous vraiment le choix ?
Ne vous privez pas du plaisir d’écouter, en français, un expert de l’économie financière décrire en des mots simples les leviers à mettre en oeuvre pour atteindre cet objectif collectif incontournable : devenir carbo-neutre d’ici 2050. Pour aller plus loin avec Giraud : Illusion financière.
Le Groupe de travail sur la transparence dans les industries extractives publiait en janvier dernier un nouveau cadre ouvrant la voie à plus de transparence dans ce secteur, notamment en faisant « que les sociétés minières cotées en bourse divulguent, à l’échelle de leurs projets, les montants versés aux autorités intérieures et aux gouvernements étrangers. » [le nouveau cadre – pdf]
Considérant ce que disait récemment Deneault (Paradis fiscaux, la filière canadienne) à propos des compagnies minières
« [L]es entités canadiennes vouées à l’exploitation de richesses à l’extérieur du pays sont de véritables passoires fiscales. Il leur suffit de se constituer en fiducies de revenu pour ne payer ici aucun impôt. En principe, la facture fiscale échoit aux bénéficiaires. Des lors que ces derniers enregistrent comptes et entités dans les paradis fiscaux traditionnels, plus personne ne paie d’impôt. Il s’agit d’une particularité du modèle canadien que le Canada a adopté en 2011. Les fiducies de revenu sont taxées comme tout autre entité, sauf lorsqu’elles ne possèdent pas d’Actifs au Canada. »
Il faudra se rappeler ces choses lorsque le nouveau ministre des finance Oliver ne manquera pas de se vanter du Cadre de transparence pendant la campagne électorale de 2015… comme il le faisait déjà le 3 mars dernier. C’est bien de forcer les entreprises canadiennes dans le domaine minier à divulguer leurs paiements aux gouvernements africains (par exemple), dans le souci de lutter contre la pauvreté, « afin d’inciter les gouvernements à orienter les recettes provenant des ressources naturelles vers la promotion du développement et la lutte contre la pauvreté. » [communiqué du 16 janvier]
Si on pouvait éviter d’offrir à ces mêmes compagnies des facilités d’évasion fiscales… ce serait bien, pour permettre aux gouvernements d’ici de rencontrer leurs propres obligations de développement et de lutte à la pauvreté.
On va se faire ami-ami avec les entreprises qui sauront « innover ». J’ai l’impression qu’il va y avoir une vague bleue dans le monde des entreprises : seules celles qui sauront se montrer belles auprès des fonctionnaires du gouvernement Harper seront soutenues. Finis les programmes pour tout le monde, pas de soutien à ceux qui n’innovent pas, ne sont pas « compétitifs ».
On laissera les vieux pauvres encore plus longtemps pauvres – ceux qui ont dû s’arrêter pour cause de maladie, d’épuisement. Car les autres, ceux qui ont pu contribuer à un fonds de pension, prennent leur retraite à 60 ans, ou même 50 ans comme les policiers. Ils n’auront qu’à cotiser un peu plus pour pouvoir encore partir tôt. Ceux qui comptaient uniquement sur les régimes publics… Mais combien sont-ils ?
On nous rabâche le fait que les personnes vivent plus longtemps en meilleure santé, mais où sont les programmes permettant de réduire plutôt que d’arrêter le travail ? On ne veut pas se préoccuper de déployer des politiques de retrait progressif, parce que c’est plus compliqué et qu’on veut en finir au plus tôt… pour revenir à la normale, ou encore pour réduire le champ de responsabilité de l’État.
Si les banquiers s’y mettent, ça devient sérieux ! Un économiste de la TD publiait hier : Des solutions économiques pour protéger l’environnement (pdf – résumé français / document complet anglais).