regarder devant, hier en tête

Deux mois que je n’ai rien écrit sur ce carnet. J’ai bien dû commencer 2 ou 3 billets dont un particulièrement développé sur ce que j’ai retenu du dernier livre de David Graeber (The Dawn of Everything – Au commencement était), mais comme je n’ai pas encore fini de lire la version française (après avoir lu l’original en anglais), je dois remettre à plus tard mon commentaire sur ce livre important en anthropologie et préhistoire.

Je voudrais remercier certains auteurs qui m’ont stimulé ou questionné au cours de l’année et dont j’ai pu, ou pas, vous parler ici dans l’un ou l’autre des 18 billets publiés en 2021 sur Gilles en vrac…

Il faut parfois du courage pour écrire un livre. Un livre inscrit dans la conjoncture comme le fut celui de Daniel Sanger (Sauver la ville) qui portait sur l’histoire du parti Projet Montréal, et le déroulement de son premier mandat dont il pouvait témoigner en tant qu’employé de l’appareil politique de Projet Montréal depuis l’élection de Luc Ferrandez à la mairie du Plateau Mont-Royal. À la sortie de son livre, au début de la campagne électorale, alors que les sondages donnaient le candidat Coderre en avance sur la mairesse Plante, la franchise et la transparence de Sanger n’ont pas dû plaire à tout le monde ! Maintenant que madame Plante a été réélue, on peut penser que son pari n’a pas été vain et qu’il a pu contribuer à construire l’image d’un parti sain et ouvert. Reste à voir si un autre Sanger saura faire la chronique interne de ce deuxième mandat !

A l’aventure autour du monde avec Taras Grescoe, dont j’avais commencé l’avant-dernier livre, paru en traduction française en 2019 (Shanghai, la magnifique) qui fait la chronique des années 30 dans la ville de Shanghai à travers les yeux d’une écrivaine journaliste qui y a réellement vécu (Emily Hahn). Un style « docu-fiction » qu’il a repris dans son dernier livre, Possess the Air, où il retrace les années 20 et 30 d’une Rome sous Mussolini. À travers les témoignages de divers artistes, écrivains ou citoyens qu’il rassemble en une trame narrative bien vivante. Je n’avais pas terminé la lecture de Shanghai, la magnifiqueque je plongeais dans un autre de ses livres : Straphanger, une suite de reportages dans une quinzaine de villes à l’échelle internationale sur les enjeux du transport en commun. Ce document paru en 2012 aurait bien mérité une traduction française ! Mais après dix ans, cela devient improbable sans une mise à jour… qui pourrait être minimale car les leçons à tirer de l’histoire resteront les mêmes !

Quand je regarde le parcours de la dernière année, il me semble qu’une tendance, une impression se dégage : l’écoute de la « nature », la reconnaissance de sa diversité, de son intelligence. Suzanne Simard et sa démonstration du rôle des arbres-mères dans les forêts canadiennes. Anna L. Tsing, avec Friction, nous fait pénétrer la culture des Dayacs, sur l’île de Bornéo, et la relation de symbiose et de bénéfices mutuels que ces aborigènes ont développée avec les êtres des forêts. En même temps que je lisais Simard et Tsing, je me suis passionné pour l’identification des espèces qui fleurissent chaque année derrière chez moi dans une riche petite fiche. Avec quelques voisins on s’est même pris à rêver que certaines espèces et spécimens pourraient être protégés, encouragés afin de maximiser la captation de carbone et les abris d’oiseaux… mais les proprios ont tout rasé, comme à leur habitude, au mois d’août. Malgré une offre de collaboration faite aux propriétaires du terrain. Il est possible que la règlementation municipale concernant de tels terrains explique un tel comportement… Mais il est aussi possible que ce soit la manière la moins onéreuse, la plus expéditive de ne pas construire un terrain. 

L’ignorance de la nature, son exploitation, sa réduction à l’état de ressource, d’espace à occuper, à consommer… marquent notre prétention comme espèce à dominer la planète avec autant d’intelligence qu’un troupeau de cerfs sur une île aux thuyas. 

Continuer la lecture de « regarder devant, hier en tête »

troisième millénaire ou trentième ?

Une pensée qui surgit en lisant ce commentaire dans une critique du livre Mothers and others: The Evolutionary Origins of Mutual Understanding.

L’auteure de la critique, Claudia Casper, dans le G&M d’aujourd’hui, commence un paragraphe vers la fin de son article par « As our species embarks on the third millennium »…  Ça m’a frappé sur le coup, dans le contexte d’un travail anthropologique portant sur l’évolution des primates humains : troisième millénnium ! Ne devrait-on pas compter en dizaines de millénaires notre histoire ? Bon, OK, il faudrait inclure la préhistoire mais 3 000 ans c’est court, même du point de vue de l’histoire. L’écriture date de… 6000 ans; et si on compte les formes artistiques et symboliques de l’art on remonte à plus de 30 000 ans ! « Il y a environ 32 000 ans, l’art est déjà très diversifié et abouti« .

Si on se disait, si on se pensait comme au début du 33e millénaire plutôt que du 3e, ça aurait l’avantage de nous donner de la perspective, vers le passé mais aussi, comme par un effet miroir, vers l’avenir, non ? Ça serait aussi un peu, beaucoup moins centré sur l’histoire de l’Occident. Pendant combien de dizaines de milliers d’années la culture humaine s’est-elle développée, essentiellement basée sur la tradition orale mais aussi sur la transmission de savoirs utiles inscrits dans des outils, des manières de cultiver, de chasser… qui ont accompagné, façonné l’humanité longtemps avant le langage écrit.

Nous situer dans le temps  une telle échelle imposerait de porter, au quotidien, la mémoire d’une longue gestation et marquerait d’une certaine humilité la civilisation occidentale chrétienne. Ce serait bien pour la planète !