Sœur Annette Benoît, ou plutôt devrais-je l’appeler Mère Annette puisqu’elle était née en 1923 comme ma défunte mère, est décédée à l’âge vénérable de cent ans le 30 mars dernier
Je la soupçonne d’avoir été en communication « directe » — mystique ? — avec l’univers, un Dieu aux dimensions incommensurables. Par la méditation qu’elle pratiquait depuis longtemps et par l’écoute attentive, empathique, aussi pratiquée longuement. Ce que Hartmut Rosa appelle la résonnance.
Lorsque je l’ai rencontrée la première fois, en 2017, elle avait 94 ans et était encore assez mobile pour que nos rencontres aient lieu dans un petit salon du rez-de-chaussée de sa résidence, le Carrefour Providence. Je voulais en savoir plus sur la filiation entre les communautés religieuses et les organisations communautaires d’un quartier que nous connaissions bien tous les deux : Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal.
Elle avait été active, très active, en 1970 au moment où se définissait un projet de CLSC, avant même que l’appellation soit établie (la loi fut votée en décembre 1971). Devait-on privilégier une clinique médicale populaire ou plutôt un centre communautaire à plusieurs dimensions en plus de la santé (habitation, bien-être, éducation-loisirs). Annette témoigne de cette période dans l’autobiographie collective qu’elle a réalisée avec ses consœurs en 2004, lorsqu’elle est arrivée au Carrefour Providence.
En 1970, Annette était arrivée depuis peu dans le quartier comme responsable d’une dizaine de petites sœurs de l’Assomption (PSA) qui offraient des services à domicile. La collaboration qu’elles avaient déjà avec la clinique de psychiatrie communautaire de l’hôpital Louis-H.-Lafontaine amena des médecins de l’Université de Montréal, dirigés par le docteur Landry, à les contacter afin de mieux définir ce que pourrait être une clinique communautaire de santé. La commission Castonguay-Nepveu se préparait à réorganiser la livraison des services de santé et de bien-être au Québec. Certains s’inspiraient de l’exemple de cliniques populaires qui existaient déjà depuis quelques années à Montréal (Pointe-St-Charles, St-Jacques). Le projet du docteur Landry était clairement entre les mains de professionnels, mais ils voulaient faire le lien, s’articuler aux besoins du quartier. Les Petites sœurs animaient déjà la Fraternité, qui regroupait les pères, puis les pères et mères des familles auprès desquelles elles intervenaient. Afin de répondre au besoin d’ancrage et d’orientation du docteur Landry, elles réunirent les membres de la Fraternité en plus de représentants des écoles, caisses populaires, paroisses… ce que certains s’empresseront de décrire comme l’élite traditionnelle.
Les crises : environnementale, politique, économique, sociale, financière, technologique…
Les valeurs, l’éthique, l’individualisme et le court-termisme… Le citoyen consommateur et rentier plutôt que militant et croyant.
La crise philosophique, éthique ou culturelle qui se manifeste par l’atomisation des parcours individuels et la diffusion, dilution des attachements devenus plus nombreux mais plus superficiels, temporaires, conditionnels. Même les mariages sont devenus temporaires !
Nous, babyboomers, sommes la génération qui se sera libéré de la chape de plomb du catholicisme ultramontain qui s’était réfugié de France au début du XXe siècle. Je reprends les mots de Nancy Huston :
Ma génération (je suis née dans les années 50) est très spéciale à cet égard: à peu près tous nos parents étaient croyants et pratiquants, à peu près aucun de nos enfants ne l’est. C’est chez nous, en nous, que ça bascule. C’est énorme! Et pourtant, nous n’en parlons jamais. Comment s’est passé dans notre esprit, mais aussi dans notre corps, le désenchantement du monde? Quels en sont les avantages […] et les inconvénients? Nous avons tellement déblatéré contre la religion, son contrôle du corps et de la sexualité, sa façon de plonger les gens dans la passivité, de les distraire de leurs vrais problèmes en faisant miroiter un paradis illusoire, nous avons si prestement remplacé les croyances religieuses par les certitudes scientifiques et politiques que nous oublions, souvent, les aspects plus positifs de la religion, pour lesquels nous n’avons trouvé aucun substitut. […] Nous manquent […] la possibilité de s’extraire du quotidien pour renouveler nos forces; le sentiment d’un espace-temps à part, non utilitaire et non économique; le bonheur important de se sentir appartenir à quelque chose.
La crise des finances publiques, c’est un refrain déjà entendu qui revient vite à la mode… avec son cortège de réduction de services, privatisations plus ou moins déguisées, réduction d’accès… Diminution de l’intensité et de l’amplitude de l’action publique. Alors que nous aurions bien besoin d’audace, d’innovation et de vision dans l’intérêt public. Les finances publiques saignées à blanc par la réduction drastique de l’impôt sur les haut revenus et capitaux que les néo-conservateurs ont imposé (Reagan-Thatcher) et que les néo-libéraux (Blair-Clinton) ont maintenu comme vérité indubitable : l’argent sera mieux utilisé, plus productif entre les mains d’agents privés plutôt que par des représentants de l’intérêt public. Des capitaux à la recherche de bonnes affaires insuffleront bulles et craches boursiers (1987, 2000, 2008). Des crises qui seront des occasions de concentrations d’où émergeront, avec l’aide de lois draconiennes sur la propriété intellectuelle, les géants de la technologie d’aujourd’hui.
La crise de la représentation politique où socialistes et socio-démocrates perdent leurs repères alors que l’URSS s’effondre et que le capitalisme d’État chinois se développe. La mondialisation devient semble un phénomène incontournable forçant l’intégration des économies et diminuant d’autant l’autonomie des gouvernements nationaux. Les nouveaux mouvements sociaux (jeunesse, femmes, autochtones, tiers-mondes) font éclater le carcan des partis ouvriers de la gauche traditionnelle. Les politiques social-démocrates semblent plus aptes à répondre à des demandes identitaires qui s’harmonisent mal avec la conscience de classe… mais les dictats du développement économique auxquels se soumettent les socio-démocrates sont de moins en moins compatibles avec les limites écologiques.
La crise écologique qui devient de plus en plus indéniable et perceptible partout sur la planète n’est pas encore assez grave ou immédiate pour changer les modalités de gestion et l’orientation des sociétés capitalistes : le profit à court terme, la propriété privée priment encore sur l’intérêt des collectivités humaines et non-humaine. Les forêts d’Amazonie et d’Indonésie sont détruites à grande vitesse pour produire huile de palme ou soja et bestiaux parce qu’il y a un marché pour ça. La conscience des effets de l’action humaine sur la santé et les équilibres de la planète se fait plus pressante, mais les changements envisagés demeurent soumis à la logique du capital. Les gouvernements se donnent un vernis écologique en subventionnant ici ou là, l’automobile électrique ou l’usine de batteries, mais sans remettre en question les principes ancrés depuis 50 ans de néo-libéralisme : laisser l’économie décider où investir; se méfier de l’intervention publique; considérer l’enrichissement privé comme la valeur suprême.
La crise idéologique et identitaire rend plus difficile la mobilisation unitaire. Municipalisme, régionalisme, nationalisme, féminisme, internationalisme, interspécisme… tous ces mouvements portent des revendications fondées mais comment unir et ordonner toutes ces demandes en un programme, une force capable de stopper la machine capitaliste dévoreuse de mondes ?
Et si les systèmes qui nous ont permis de vivre et de croître jusqu’ici étaient sur le point de sombrer dans le chaos ? Quels sont les changements systémiques qui nous permettront d’éviter ou, plus probablement, d’y survivre et, éventuellement sortir du chaos ? Nous ne sommes pas aux commandes. Et nous ne changerons pas la nature humaine. L’homme nouveau, c’était un idéal poursuivi par les aventures fascistes et soviétiques du siècle dernier.
Il nous faut quelques idées simples, autour desquelles réunir la coalition des vivants. Les néo-conservateurs ont pris le pouvoir il y a 45 ans avec des idées rassembleuses telles : « Moins de taxes » ou « Moins de bureaucratie ». Et ils ne manquaient pas d’exemples où taxes et bureaucraties avaient été mal utilisées au cours des « trente glorieuses ». Il sera sans doute plus difficile de faire la promotion de la sobriété, même joyeuse, que de stimuler l’appétit et l’égoïsme « naturels » des consommateurs-payeurs de taxes ! Mais le chaos nous aidera !
Une idée simple : ces richesses accumulées au cours de la Grande accélération des cinquante (70 ?) dernières années appartiennent à la terre. Elles ont été extraites de la terre, du travail et des ressources humaines et non-humaines. On les a laissées entre des mains privées par convenance : on ne savait pas trop qu’en faire ! Plus d’autoroutes ? Plus de HLM et des polyvalentes encore plus grosses ? En laissant les richesses se multiplier librement, ça nous a donné… les bulles immobilières et la croissance des parcs automobiles, informatiques et audio-visuels. Des objets de consommation ou d’accumulation individuels, marqueurs de statut social
Un texte présenté à une rencontre de réflexion de Communagir, Québec, 16 avril 2024
Noël sans messe de minuit, sans avalanche de cadeaux à donner aux enfants et petit-enfants, sans les excès de table et de boisson… Que reste-t-il ?
Je me disais que la lecture de cette « théologie politique de l’anthropocène« , titrée Composer un monde en commun par l’ex-financier devenu jésuite, Gaël Giraud, pourrait peut-être redonner un peu de sens à la pâle aura de religiosité qui vit encore sous les décombres de notre société de consommation.
Sachant que je serais saturé de citations bibliques et de références à l’Esprit, je me disais que la lecture de « L’instinct de conscience – Comment le cerveau fabrique l’esprit« , de Michael Gazzaniga serait un bon pendant matérialiste.
C’est ce que j’ai fait au cours des derniers jours. Mais je n’essaierai pas ici de résumer les 850 pages de Giraud, ni les 300 de Gazzaniga ! Seulement tenter de répondre humblement à la question : Qu’est-ce que j’en retiens ? Qu’est-ce qui m’a frappé ?
Gaël Giraud est un auteur dont j’ai parlé ici à quelquesreprises. Ses écrits et conférences étant habituellement très accessibles, j’ai été surpris par le caractère érudit, le nombre élevé de ces théologèmes (devrais-je dire théologismes ?) qui permettent sans doute d’inscrire cette recherche dans la longue, très longue histoire des travaux théologiques mais en alourdissent grandement la lecture par le « commun » des mortels !
J’ai été intrigué d’abord, mais finalement conquis par cette lecture de Luc et des Actes des apôtres, en particulier des épisodes relatant l’Ascension et la Pentecôte. Le premier événement rendu, interprété par Gaël comme christologie du « trône vide », laissant place à l’autonomie et la liberté humaine; le second, la Pentecôte, quand à elle interprétée comme présence de ce qu’on pourrait appeler un « esprit du (ou des) commun(s) ». Un esprit, une culture des communs qui peut, selon Giraud, être nourri, inspiré par l’Esprit saint, accompagnant les humains dans leurs relations avec les autres, humains et non-humains.
L’appropriation privée du monde poussée à l’extrême par le capitalisme globalisé répond mal, très mal aux besoins croissants de protection de notre espace commun, de ces ressources et équilibres sans lesquels nous, les humains, mais aussi beaucoup d’autres espèces vivantes et magnifiques ne pouvons vivre sur cette terre. Cette gestion en commun des ressources et droits d’usage que nous empruntons (plutôt que nous leur léguons) aux générations futures d’humains et de non-humains… est-ce que la Foi ou l’Esprit en favorisent l’émergence ou la mise en pratique ?
Si on admettra sans difficulté que la culture catholique dans une société comme le Québec a longtemps sévi comme endoctrinement et répression sexuelle (favorisant sans doute certaines déviations) ce serait une erreur de réduire l’influence de la religion à ça ! Je suis assez vieux pour avoir vu à l’oeuvre ces frères et soeurs, qui étaient (ou avaient été) membres de congrégations religieuses, qui agissaient avec générosité, accueil, confiance en l’humanité dans les réseaux et organisations communautaires. Était-ce l’oeuvre de l’Esprit ou seulement l’effet d’une éducation catholique renforcée par la pratique de congrégations disciplinées ? Toujours est-il que l’action, l’impact de ces femmes et ces hommes, avec ou sans soutanes, faisait du bien autour d’eux. En particulier auprès des délaissés, oubliés ou malades. Une action menée avec humilité, simplicité dans un style de vie qui n’est pas axé vers l’enrichissement personnel. Un style qui, à l’époque, pouvait inspirer confiance et confidences.
Les congrégations sont aujourd’hui presque disparues mais les hommes et femmes de bonne volonté existent encore. Certains de leurs principes tel la « Règle d’or »1Tu ne feras pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse… ou plus positivement Tu le traiteras comme tu souhaiterais être traité) ou d’autres leçons tirées des saintes paraboles mériteraient d’être relues et méditées… chaque dimanche matin ! Mais c’est sans doute dans l’action, dans la vie de chaque jour que de tels principes doivent être vécus plutôt que seulement lus et relus.
Tant de choses encore à faire, inventer, discuter, négocier, établir…
*
L’esprit, la conscience dont parle Gazzaniga n’est pas de même nature que celui de Giraud. En faisant le résumé de la recherche actuelle sur le fonctionnement du cerveau Gazzaniga donne une solide argumentation en faveur de la conscience animale. La conscience de soi, dans son environnement, la perception et l’interprétation des intentions de l’autre ne sont pas des aptitudes uniques aux humains. L’exceptionnalité des humains dans le monde animal est de plus en plus ténue, diaphane. Ce qui faisait de l’humanité le joyau de la Création, l’aboutissement de la flèche du progrès… risque d’apparaître aujourd’hui comme une excroissance un peu maladive, une expérimentation des formes de vie et d’intelligence qui a donné lieu à un cancer de la biosphère.2Ici c’est moi, et non Gazza qui parle !
Les capacités d’imagination, de mémoire, de symbolisation développées par Homo l’ont été sur une longue période, de quelques centaines de milliers d’années. Ces capacités ont été multipliées de manière exponentielles avec l’invention relativement récente de l’écriture (du calcul et de l’architecture).
Alors que les humains apprenaient à prévoir le retour du printemps et de la lumière, ou celui des troupeaux ou des saumons… en regardant les étoiles et en comptant les jours; ils inventaient des histoires et des mythes pour mettre de l’ordre, et mémoriser ces savoirs. À propos de l’origine du monde, ou des puissances incommensurables de la mer ou du soleil, de la terre et des étoiles. Des savoirs aussi tirés de nos échanges millénaires avec d’autres habitants de nos écosystèmes : l’ours, le buffle, le jaguar, le blé ou le riz.
La connaissance et les croyances sur le monde furent inscrites, traduites dans la matière, la pierre d’édifices parfois grandioses qui témoignaient de la puissance de ces capacités symboliques maintenant structurées et cumulées grâce à l’écrit, depuis 10 000 ans, ce qui est peu à l’échèle de l’humanité.
Si on prend au sérieux l’hypothèse de Gazzaniga d’une conscience aussi répandue que le vivant lui-même — Ne pourrait-on prendre aussi au sérieux le dialogue qui pouvait s’établir entre les espèces (humaine et autres qu’humaine) notamment à travers les rêves ou encore les transes chamaniques ? (Nastassja Martin, À l’Est des rêves – Réponses Even aux crises systémiques) Mais pour entendre ce que la forêt a à nous dire il faut commencer par l’écouter et pour cela il faut croire, savoir qu’elle peut le faire, nous dire quelque chose de sensé.
À ne concevoir nos forêts qu’en stères de bois couché, c’est sûr qu’on n’entendra pas grand chose.
Je me permet de terminer sur cette citation de Rémi Savard, les dernières phrases de Cosmologie algonquienne : échos eurasiens, qui concluait La forêt vive, récits fondateurs du peuple innu. Boréal, 2004 3Si Boréal avait respecté les vœux de l’auteur vous auriez pu le lire in extenso grâce au travail des Classiques des sciences sociales. Seules l’intro et la table des matières sont accessibles…
Sans pour autant nier les avancées dont nos sociétés peuvent à juste titre s’enorgueillir et dont d’autres n’ont pas manqué de profiter, qui peut affirmer que, pour sortir de certaines impasses dans lesquelles nous sommes présentement coincés, nous n’aurons jamais à revenir à des façons de penser et de faire ayant été prématurément rangées au sous-sol de nos musées, alors que d’autres sociétés auraient continué à les développer? Les propos suivants qu’écrivait l’anthropologue Michel de Certeau, il y a plus d’un quart de siècle, n’ont rien perdu de leur pertinence: « tout se passe comme si les chances d’un renouveau socio-politique apparaissait aux sociétés occidentales sur leurs bords, là où elles ont été les plus dominatrices. De ce qu’elles ont méprisé, combattu et cru soumettre, reviennent des alternatives politiques et des modèles sociaux qui, peut être, vont seuls permettre de corriger l’accélération et la reproduction massives des effets totalitaires et nivelateurs générés par les structures du pouvoir et de la technologie en Occident» (La culture au pluriel, M. de Certeau, 1974).
Bon, l’expression « effet totalitaire et nivelateur », avec bientôt 50 ans de recul, serait sans doute remplacée aujourd’hui. Par ? Extractivisme néo-colonial ?
Je vous souhaite à tous, malgré tout ou peut-être grâce à tout !, une heureuse fin d’année 2022 !
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Notes
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Tu ne feras pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse… ou plus positivement Tu le traiteras comme tu souhaiterais être traité)
2
Ici c’est moi, et non Gazza qui parle !
3
Si Boréal avait respecté les vœux de l’auteur vous auriez pu le lire in extenso grâce au travail des Classiques des sciences sociales. Seules l’intro et la table des matières sont accessibles…
La fabrique de nos servitudes de Roland Gori. Un auteur que je ne connaissais pas mais qui m’a été chaudement recommandé par Olivier, de chez Gallimard. Et comme Olivier me connait mieux que tous les algorithmes d’Amazon, je lui fais confiance et je suis rarement déçu.
Nous codons le monde jusqu’à en perdre le corps. Nous mangeons des algorithmes. Ce livre est une invitation à en finir avec les fabriques de servitude en cherchant par tous les moyens de création à transgresser les assignations à résidence identitaires que favorisent les sociétés d’informations. (…) Les murs algorithmiques des sociétés de contrôle tomberont plus difficilement que le mur de Berlin. (…) Nous avons une identité d’êtres humains moins définie par un caractère « national », « racial » ou de « genre » que par notre appartenance au monde du vivant. Nous appartenons au vivant dont nous ne sommes que l’un des modes d’expression et que notre illusion narcissique nous empêche de reconnaître comme tel. (…) Nous ne nous sommes pas échappés de l’animisme comme la superbe occidentale le croit, nous l’avons transféré aux objets techniques, non sans efficacité.
La fabrique de nos servitudes, R. Gori. Pp 21, 127 et 226-227.
Si je ne retenais qu’une chose de ce texte touffu c’est son appel à la créolisation des cultures, du monde. Qui me fait connaître Patrick Chamoiseau (Texaco, prix Goncourt 1992) et Achille Mbembe (Critique de la raison nègre). Aussi tiré de la foisonnante bibliographie citée par Gori : Béton, arme de construction massive du capitalisme, de Anselm Jappe; Relions-nous, La constitution des liens – L’an 1; et L’archipel français, Naissance d’une nation multiple et divisée de Jérôme Fourquet.
Gori est un philosophe qui a une formation de psychanalyste (à moins que ce soit l’inverse ?). Si les références à Deleuze, Lacan, Foucault ou Debord ne vous font pas peur… Mais ce sont les auteurs antillais (Glissant, Chamoiseau, Mbembe) cités qui me convainquent de cette perspective de la « créolisation », critique s’il en est du « wokisme » et des identitaires en mal de pureté.
Je me suis plongé ensuite dans Béton, arme de construction massive du capitalisme. L’auteur (Jappe) y fait l’histoire du béton, en particulier de sa version moderne, le béton armé. Son impact sur l’architecture et les techniques traditionnelles de construction. L’impact écologique en émission de GES (chaque tonne de béton coûte une tonne de CO2) mais aussi en consommation de sable. Une « mafia du sable » s’est développée en Inde… Mais j’ai été déçu de ne pas trouver l’analyse que je cherchais (et cherche encore) de l’importance financière et matérielle que constituent les tours d’habitation qui pullulent dans les centres urbains : comme si c’était le nec plus ultra de l’urbanisme, de l’habiter en ville ! Quand on voit, littéralement, sortir de terre en quelques années des quartiers tel Griffintown à Montréal, on est en droit de se demander jusqu’où ce « cancer » va s’étendre aux autres quartiers ? Est-ce vraiment le meilleur moyen de « densifier » nos villes ? Ou si ce n’est pas plutôt un moyen de faire du fric, un investissement payant et une version quasi liquide de l’immobilier (Louis Gaudreau, Le promoteur, la banque et le rentier). Un revenu important pour la Ville aussi. Donc, je cherche encore cette analyse du poids (financier, environnemental, culturel) des tours…
Pour m’aérer un peu l’esprit, j’ai ensuite lu cette autre référence de Gori, plus divertissante : L’anomalie, de Hervé Le Tellier. Le prix Goncourt 2020. Mérité, à mon avis bien humble car je ne me précipite pas en général pour lire les prix littéraires.
Je suis revenu ensuite à Relions-nous, que j’avais juste feuilleté. Un assemblage plutôt insipide (en ordre alphabétique des titres ! de Agriculture à Utopie) de quelques dizaines de très courts articles autour du terme : créer ou refaire des liens. Trente-huit textes de 2 à 4 pages, suivis de quelques propositions concrètes, parfois sous forme d’articles à adopter dans cette nouvelle « Constitution des liens, L’an 1 » annoncée en sous-titre de l’ouvrage collectif. Parmi les quelques 50 auteurs j’en reconnais une dizaine (Giraud, Citton, Méda, Damasio, Viveret, Morizot, Darleux, Servigne, Blondiaux). Malgré ces limites, ou peut-être grâce à elles, beaucoup des propositions avancées sont à la fois simples et audacieuses. Plusieurs touchent à cette obligation de plus en plus évidente : nous devons partager cette planète avec les autres vivants qui l’habitent. Par exemple : « Par des sorties en nature hebdomadaires les élèves apprennent à identifier 26 essences d’arbres et d’arbustes… ». Ou encore « Tout habitant de la ville devra être responsable d’au moins un arbre ». Ou cette injonction visant à rendre paritaires (actionnaires et employés) les conseils d’administration des entreprises et à limiter à un maximum de douze fois le SMIC le salaire des dirigeants. Ou ces propositions concernant les médias visant à considérer « les attentions individuelles et collectives » comme des biens communs dont la protection doit être assurée au même titre que la protection de l’air et de l’eau. À cette fin le financement des médias locaux devra être assuré grâce à une répartition des revenus actuellement appropriés par les grands medias et par de fortes taxes sur la publicité.
Peut-être l’article qui m’a le plus déçu de l’ensemble : celui sur la religion qui se limite à réaffirmer l’importance de la laïcité de l’État. Mais, bon, c’est peut-être beaucoup demander de faire plus que cela en 2-3 pages. Je me suis donc consolé, ou rassasié, avec ce livre-somme de Jurgen Habermas : Une histoire de la philosophie — La constellation occidentale de la foi et du savoir. Quelques 850 pages par cet érudit philosophe pour étancher ma soif de comprendre. Même s’il se concentre principalement sur l’évolution en Occident, son chapitre comparant les religions de la « période axiale » (bouddhisme, taoïsme, judaïsme) et la philosophie grecque était éclairant. Augustin et Platon; Thomas d’Aquin et Aristote; l’émergence d’un nouveau paradigme avec Duns Scot et Guillaume d’Ockham. Ce premier volume se termine sur Machiavel dont il me fait découvrir un texte qui, d’après Habermas, est plus important encore que le fameux « Prince » : Discours sur la première décade de Tite-Live.
Je ne prétendrai pas vous résumer ce tour d’horizon magistral réalisé par ce brillant philosophe nonagénaire ! Le plan du volume II est annoncé à la fin du premier volume : « Liberté rationnelle. Traces des discours sur la foi et le savoir« . Il complétera ce parcours : de Luther à Hume, puis à Kant; Hegel, Feuerbach, Marx, Kierkegaard, Peirce. Ça promet !
Et comme j’avais sous la main une copie, jaunie par les quelques 33 ans écoulés depuis sa parution, trouvée chez un bouquiniste il y a quelques mois, de Une théologie pour le 3e millénaire par Hans Küng, j’en ai lu les quelques quarante pages de conclusion : L’unique vraie religion existe-t-elle ? Essai de critériologie oecuménique1j’ai produit un pdf « maison » de cette conclusion. Après le point de vue agnostique et historique de Habermas, qui sied à un philosophe, Küng amène un point de vue de l’intérieur2« On ne saurait saisir une religion dans ce qu’elle a de plus profond tant que l’on n’y adhère pas de l’intérieur, avec tout le sérieux existentiel qu’elle appelle » p. 345, en tant que théologien. Un point de vue contemporain, pour qui le dialogue entre les religions est une question urgente, immédiate, même 35 ans après la parution de l’original en allemand. Küng est peut-être le théologien qui a pris le plus au sérieux la nécessité du dialogue entre les religions : il a étudié, publié sur le judaïsme, l’Islam, la « religion chinoise »… en plus de ses écrits sur l’Église et la chrétienté. Ce qui lui permet d’aborder la question avec respect et perspicacité. Enfin, je crois.
Mais pourquoi donc revenir, encore, à cette question de la religion, alors que tant d’autres frappent et se pressent à la conscience ? Peut-être parce que j’ai l’impression que mes contemporains, occupés qu’ils sont à bien verrouiller la religion dans le champ du privé afin de garantir la laïcité de l’État, oublient facilement à quel point elle est au coeur de la culture sinon au centre de l’État pour la plus grande partie de l’humanité. Et si les enjeux globaux exigent une mobilisation globale, nous devrons trouver un langage commun, autour de valeurs qui transcendent les différends religieux. Une nouvelle éthique du vivant : « Nous appartenons au vivant dont nous ne sommes que l’un des modes d’expression » (R. Gori, op. cit. p.226).
Notes
1
j’ai produit un pdf « maison » de cette conclusion
2
« On ne saurait saisir une religion dans ce qu’elle a de plus profond tant que l’on n’y adhère pas de l’intérieur, avec tout le sérieux existentiel qu’elle appelle » p. 345
Comme c’est souvent le cas, en finissant une période intense de réflexion et d’écriture (voir dernier billet), j’ai eu un sentiment d’insatisfaction, de culpabilité même. Le sentiment d’avoir tourné les coins ronds, d’avoir parlé au dessus de mes compétences… On appelle cela le syndrome de l’imposteur, ou de l’autodidacte. Je connaissais le premier terme mais j’aime bien le second, qui correspond assez à ma situation professionnelle où j’ai souvent appris par moi-même, l’informatique mais aussi l’urbanisme, l’économie, la santé publique, la gestion du logement communautaire, la nutrition, la gérontologie… en fait tous ces secteurs où mon métier d’organisateur communautaire m’amenait à accompagner des citoyens qui désiraient apprendre, prendre du pouvoir devant des appareils et professionnels qui étaient peu enclins à s’ouvrir à l’influence de leurs clients ou commettants.
Aujourd’hui à la retraite, je continue d’avancer à tâtons, sans avoir de plan ni de vision claire des enjeux. Finalement je poursuis une réflexion très personnelle, un parcours idiosyncrasique. Je suis un « columnist » sans journal qui, du haut de sa colonne, porte le regard, propose une interprétation, porte un jugement ou pose des questions. Du haut de sa boîte à savon, plutôt !
Ma réflexion est ancrée dans une vie de recherche et d’action, une culture d’alternative, d’opposition, de solidarité, d’engagement, de don. Une posture qui ressemble beaucoup à un ancrage religieux même si elle a pu prendre des formes anti-cléricales.
Cette religion qui donnait du sens et cadrait moralement, mais aussi culturellement, matériellement et socialement notre monde s’est disloquée sous la pression des jeunes qui refusaient la répression sexuelle; des femmes qui voulaient contrôler les naissances trop nombreuses et aussi accéder aux même droits que les hommes. La professionnalisation des métiers d’enseignante, d’infirmière, de travailleuse sociale rendait de plus en plus difficile le maintien de l’autorité religieuse sur les institutions de services publics. Cependant que plusieurs religieuses et pères et frères ont été des pionniers, des formateurs et fondateurs dans ces professions du soin et relation d’aide.
Il est temps de revenir à une société moins exubérante et excessive, moins obsédée par la réussite et l’enrichissement personnels. Une société qui valorise la sobriété dans la durée, le respect de la nature et de la vie sans artifice.
P.S. Il semble que j’aie glissé d’un sujet à l’autre… Du syndrome de l’imposteur à… celui de sauveur ? Ça m’apprendra à ne pas laisser un texte reposer quelques heures en mode brouillon !
Quel mépris, à peine voilé sous forme de blague, s’exprime quand on surnomme la jeune activiste suédoise de « sainte Greta » ! En accusant de sainteté l’activiste on laisse entendre que le discours de la jeune femme n’est pas sérieux, qu’il est irrationnel… religieux.
Il y a quelque chose de vicieux, de rétrograde dans ces attaques et accusations de bondieuserie lancées à un mouvement et une parole éthiques et volontaires, appelant à une action collective concertée devant les conséquences de nos actions, notre mode de vie, trop longtemps négligées, oubliées et cachées au nom, justement, du respect de nos choix privés, de l’entreprise privée, de la liberté individuelle…
Pour en finir avec la peur de la parole religieuse
Une re-légitimation, une actualisation de la Parole religieuse pourrait servir à donner plus de poids moral, une profondeur éthique à certaines décisions, certains choix difficiles qui se posent et se poseront. Les vecteurs et paramètres de la délibération publique, dans notre monde laïc, démocratique et libéral, sont dominés par le poids, l’importance des libertés individuelles et de la vie privée.
Finis les sermons moralisateurs, culpabilisants d’antan… les dénonciations et imprécations lancées du haut de la chaire le dimanche. On peut s’abonner à la chaire, la chaîne qui convient à ses valeurs, à ses croyances – à son style – et y trouver des modèles à son goût, des dénonciations qui nous parlent, des récits qui nous ressemblent.
La religion est une affaire privée. Et même, pensent plusieurs athéistes (sans toujours le dire), elle est une forme de croyance réservée aux faibles, à ceux qui ont encore besoin d’icônes et de vérités fortes, incontestables. Parce qu’ils peinent à penser librement, de manière autonome ; parce qu’ils ne possèdent pas les outils nécessaires à la pensée rationnelle, scientifique. Le caractère privé de la croyance en la parole religieuse a pu se trouver conforté dernièrement par le long et douloureux débat entourant la laïcité de l’État québécois.
L’influence unificatrice de la religion s’est effritée – au cours du siècle dernier – compensée au début par la montée des grands médias et des grandes écoles, tout comme s’est effrité le sentiment d’appartenance et de communauté d’intérêt qui unissait les collectivités, locales, régionales ou nationales.
Par ailleurs la religion n’a jamais été aussi univoque, monolithique qu’on peut bien le penser aujourd’hui. C’était une autre époque qu’il ne faudrait pas caricaturer outre mesure. Car au-delà de leurs habits religieux les infirmières, enseignants, enseignantes éduquaient, soignaient. Aujourd’hui ces fonctions ont été sécularisées et les canons de l’Église ont été remplacés par les codes de déontologie, les programmes cadres et comités d’éthique mais aussi par les guides de pratique et grilles de statistiques d’intervention à remplir.
Que la religion ait cessé d’occuper cette place prépondérante implique-t-il qu’elle doive disparaitre ? Que la Parole religieuse soit devenue quelque chose d’historique, de passé, de folklorique ? Oui, les vieilles institutions religieuses ont un lourd passé d’erreurs de jugement, de scandales et même d’atrocités. Un passé suffisamment noir pour éloigner les néophytes et conforter les mécréants !
Parce que la science ne dit pas tout : il n’y a pas de formule scientifique éprouvée pour tracer le droit chemin vers l’équité, vers une société… juste ? solidaire ? libre ? heureuse ? durable ? ou bien, rendus où nous en sommes, tout simplement viable ?
Pas encore « sainte Greta », mais oui, peut-être « sœur Greta », sœurs et frères dans un mouvement, une action collective engageante, responsable, effective, immédiate. Cette présence au monde, que d’autres appelleront conscience sociale ou encore solidarité. Une parole qu’on peut qualifier de « parrêsia », cette parole vraie, franche, qui ose dire même ce que le Prince ne veut pas entendre… Michel Foucault développe, dans cette conférence inédite de 1983, les différents sens du mot parrêsia : politique (dans un contexte démocratique ou encore en tant que conseil du Prince) et éthique, où la vérité a besoin d’une base éthique pour être comprise et exprimée… La « Note de présentation » du texte de Foucault permet de resituer ce moment dans les travaux des dernières années du philosophe, notamment dans le cadre de ses dernières années de cours (1982-1984) au Collège de France (L’herméneutique du sujet, Le gouvernement de soi et des autres, Le courage de la vérité) .
La parole franche est aujourd’hui plus que nécessaire. Mais il s’agit plus que d’une discussion intellectuelle autour d’arguments vérifiables et de risques comptabilisables : la parole qu’il faut dire et entendre doit conduire chacun de nous à une transformation non seulement de nos idées et notre point de vue, mais de nos vies : une métanoïa. Ce qui fera l’objet de mon prochain billet : Parrêsia, métanoïa et vérité avec Bruno Latour, Michel Foucault et Dominique Collin.
« Situation tordue : il a honte de ce qu’il entend le dimanche du haut des chaires quand il se rend à la messe ; mais honte aussi de la haine incrédule ou de l’indifférence amusée de ceux qui se moquent de ceux qui s’y rendent. Honte quand il y va, honte quand il n’ose pas dire qu’il y va. Il grince des dents quand il entend ce qui se dit à l’intérieur ; mais il bouillonne de rage quand il entend ce qui se dit à l’extérieur. » Bruno Latour, Jubiler ou les tourments de la parole religieuse.
Dans un texte qui coule comme un sermon sur la montagne, écrit comme d’une seule phrase sans chapitre ni intertitres, qui passe de la narration à la troisième personne, à la seconde, à la première, selon les angles et questions posés. Un discours qui souhaite s’adresser autant à ceux qui sont dans l’église que ceux qui sont en dehors… Des gens qui s’opposent radicalement à propos de croyances et d’incroyances, de l’existence ou de la non-existence de D., mais qui peuvent être rejoints, selon lui, par une parole qui est encore religieuse mais renouvelée, redite avec des mots d’aujourd’hui, avec parrêsia, cette assurance et franchise dans la parole adressée, entre autres aux puissants, au tyran même (M. Foucault, 1982, D. Collin, 2018). Ce ne serait pas exagéré de dire que Greta Thunberg s’adresse aux foules et aux médias avec parrêsia !
Ce n’est pas ce dont on parle mais la manière dont on le fait. « Une parole qui fait ce qu’elle dit qu’elle fait. » C’est à une analyse des conditions de félicité ou d’infélicité de la parole religieuse que Latour se livre, accompagnant les courants, suivant les méandres de purification, rationalisation, démystification… de la parole religieuse qui n’ont fait que l’alourdir et en opacifier le sens. Même s’il annonçait d’entrée de jeu qu’il ne souhaitait pas se mettre les croyants à dos, il pousse tout de même très loin sa critique des grands dogmes. Après avoir suggéré de laisser tomber le dogme de la vierge Marie, « résultat d’une rationalisation rendue nécessaire par l’invention précédente d’une expression ‘Fils de Dieu’ », tout comme le récit du tombeau vide, « une broderie ajoutée plus tard pour lisser le récit de résurrection trop rugueux ». Il poursuit : « Et pendant qu’on y est, qu’on se débarrasse des reliques, du suaire et de toutes ces vierges de plâtre aux seins remplis de lait, aux cils remplis de larmes, de tous ces crucifix de bois dégoulinants de sang qui encombrent le sanctuaire. » (p. 110) « Qu’on en revienne aux seuls récits capables de sauver ceux qui les lisent. » Ici j’ai buté… je trouvais ça un peu fort… mais dès la phrase suivante, il se révise : « Hélas cette solution est aussi impraticable que celle de la purification. Si l’on commence à s’engager dans la voie de la « dérationalisation », de la « démythologisation », il ne restera plus rien. »
« Depuis combien d’années, combien de siècles, les professionnels de la parole, les clercs, se sont-ils retrouvés devant une période contemporaine qu’ils ne détestaient pas de toutes leurs tripes ? Les idoles, le matérialisme, le marché, le modernisme, les masses, le sexe, la démocratie–tout leur a fait horreur. Comment auraient-ils trouvé les paroles justes? Ils voulaient convaincre un monde qu’ils haïssaient de toute leur âme. » (p. 197)
Bruno Latour fait son mea culpa de baby boomer car « il a cru, lui aussi, comme tous ceux de sa génération, les baby boomers, dans la disparition inéluctable de la chose religieuse… Pourquoi les progressistes ont-ils si longtemps partagé l’illusion que l’opium du peuple allait céder devant les forces d’émancipation et de liberté ? [Ces baby boomers] ont profité à fond du catéchisme comme de l’école, des humanités comme des sciences, de l’histoire comme de la géographie, de l’État comme de la politique – mais à leurs enfants qu’ont-ils légué? L’autonomie. Car c’est au nom de la sainte liberté qu’ils ont détruit les institutions qui les avaient accouchés à l’existence. » (p. 77)
« La catholicité ne consiste pas à répandre la bonne parole jusqu’aux confins de l’univers, mais à produire de toutes pièces et en tous lieux, par la seule entremise d’une parole risquée, l’exigence future d’un universel à négocier. » (p 196) L’exigence future d’un universel à négocier : n’est-ce pas là où nous en sommes ? « [D]es actes de langage qui transforment les interlocuteurs », « ces paroles (…) qui ne transportent nulle part, et surtout pas plus loin et plus haut, mais qui vous transforment maintenant, vous, dans le moment même où l’on s’adresse à vous. » (p.44)
Ce sont des termes très semblables qu’utilise Dominique Collin, dans Le christianisme n’existe pas encore : « Le christianisme n’a pas vocation à conserver l’Évangile mais à l’inventer comme parole capable de dire à l’être humain d’aujourd’hui à quelle vie vivante il est promis. » (p 38-39) Ou encore, « le message chrétien n’est pas un texte scolaire qu’il faudrait décoder mais un évènement de parole qu’il faut dire avec parrêsia. » (p 172) « Celui qui parle avec parrêsia ne cherche pas à intéresser. » Il faut dire LA vérité, les vérités peut-être, mais pas seulement celles que veulent entendre les citoyens, les électeurs, les membres. Ce qui revient à une mauvaise utilisation de la parrêsia (Foucault).
Pour Collin, « L’évangile est une puissance de vie bonne capable de nous sauver de nos penchants nihilistes. » (p 50) Il dira aussi « la perte, qui seule rend possible l’existence du soi » (p 97). « L’évangile montre comment, à partir du moi qui désespère de lui-même, une puissance est donnée afin de faire émerger son soi véritable – le salut du Nouveau Testament n’est rien d’autre. » (p 152) « La grâce d’être justifié d’exister ». La perte, la désespérance, le soi véritable qui émerge, c’est à une métanoïa que le chrétien est convié. Tout reprendre à neuf, renversement de la pensée… conversion. Carl Jung utilise le terme de métanoïa pour parler de transformation de la psyché dans un processus d’individuation et de guérison.
À mi-parcours de ma lecture de Le christianisme n’existe pas encore je notais :
J’ai besoin de replacer la « Parole » dans son contexte, culturel, historique, religieux si je veux la revivre comme expérience aujourd’hui. La parole du Christ a été « enregistrée » dans une société esclavagiste; vieille société moyen-orientale; culture semi-nomadique d’errance et d’oppression des juifs; culture impérialiste romaine – matérialiste et polythéiste. Chaque foyer romain n’avait-il pas son autel et ses pénates ? Ce message d’amour, de soin, d’acceptation et d’accueil des pauvres, des enfants, des femmes… des blessés et indigents. Mais qu’en est-il des esclaves et des « barbares » ? La différence entre les esclaves et les ouvriers, travailleurs ou artisans qui n’étaient pas esclaves, ne devait pas être très grande, bien souvent. Même si les esclaves domestiques partageaient une partie du statut et des conditions de leurs maîtres. Et les esclaves en tant que vaincus, d’origine étrangère, de souche plus ou moins ancienne. Vaincus d’hier, clients-alliés d’aujourd’hui. Message d’amour qui s’est institutionnalisé, ancré dans des édifices, des rituels, une religion… qui aura été d’autant plus lourde, omniprésente qu’elle remplaçat pendant des siècles les institutions publiques de l’empire effondré. Pendant tout le Moyen âge, mille ans, l’Église, les églises ont été gardiennes de la culture, de l’ordre moral, de la bio-politique comme de la diplomatie. La construction des cathédrales, la chasse aux sorcières, la redécouverte des classiques, la renaissance et l’imprimerie; L’accélération du commerce et de l’invention, de la science-technologie, de la démographie, de l’urbanisation; Construction du moi, individuation, romantismes; La Parole, pendant tout ce temps, déformée, asservie, instrumentalisée au profit de castes de clercs mais aussi, en même temps, portée, interprétée quand même par des religieux et religieuses qui la vivaient, l’incarnaient.
Mais la sagesse d’aujourd’hui, la vision du monde qui sauve, qui donne de l’espoir, ne peut plus être centrée sur l’homme comme ultime, unique « interlocuteur » de Dieu, finalité de la création.
Il faut changer, tous, passablement rapidement et radicalement. C’est une responsabilité plus qu’historique. (Et si l’histoire s’arrêtait, ou prenait une longue, très longue pause ?) Une responsabilité devant l’éternel ? C’est long l’éternel. Une responsabilité géologique, de Terrien (Face à Gaïa, Latour). Oui les institutions internationales, autant que nationales seront sollicitées, en période d’élections notamment. Mais ça ne peut s’arrêter là, et aucun parti politique n’a l’ampleur et la profondeur pour diriger une telle transformation, une Transition.
Comment favoriser cette métanoïa, cette conversion à de nouvelles valeurs – ou cette redécouverte d’anciennes valeurs ? Nous pourrions soutenir l’expression « parrêsiastique », l’action solidaire orientée vers l’intérêt collectif, l’action intersectorielle orientée vers l’intérêt de la communauté… sans parler de la poursuite des autres formes de bienfaisance et de charité. Incidemment, je me suis demandé récemment quelles sont les conditions posées aux organismes pour être reconnus comme étant « de bienfaisance ». Soulagement de la pauvreté; promotion de l’éducation; promotion de la religion… Ce sera l’objet d’un prochain billet.
Par ailleurs ces dernières pérégrinations autour de la religion comme mode d’existence, comme dimension de l’existence, me ramènent à la mémoire quelques vieux textes, dont certains ont 40 ans cette année, écrits en 1979 par un jeune adulte encore marxiste-léniniste, depuis peu organisateur communautaire en CLSC. J’introduis les trois textes sur cette page : 1979 – Offensives culturelles et communautaires. Ma contribution au premier numéro de cette revue : Si Dieu est mort, il n’a pas emporté la religion en paradis. Comme quoi… il y certaines idées qui vous habitent longtemps !
« Qui aura l’énergie de reprendre tous les sermons, tous les prêches, toutes les exégèses et rituels (…) afin qu’ils redeviennent sacramentels, c’est-à-dire qu’ils se remettent tout simplement à faire ce qu’ils disent qu’ils font ? Qui se sentira d’attaque pour refabriquer des rituels ? » disait Latour. Fabriquer de nouveaux rituels… c’est la question que je posais dans le texte de 1980 « Si Dieu est mort… »
L’autre soir mon petit-fils de 8 ans était à ses devoirs de vocabulaire et d’arithmétique quand il releva la tête pour me demander « Grand-papa, est-ce que tu crois en Dieu ? ».
Bon, je ne l’avais pas vue venir celle-là ! Ça dépend de ce que tu entends par « dieu », ai-je commencé par lui répondre. Les choses ont bien changé de ce côté-là depuis que j’avais ton âge. En fait, j’étais à peine plus vieux que toi et non seulement j’allais à la messe tous les dimanches mais aussi j’étais « servant de messe », c’est-à-dire que j’aidais le prêtre, en avant de l’église, dans sa célébration : je lui versais de l’eau sur les doigts pour les laver, avant qu’il ne prenne l’hostie dans ses mains… je lui versais du vin dans son beau verre (le calice).
encensoir
Mais ce que j’aimais par-dessus tout, c’était de balancer l’encensoir (image ci-contre) autour de l’autel pour que ça sente bon. Je donnais aussi les répliques, en latin s’il-vous-plait !
L’Église catholique a toujours été friande de fêtes, de célébrations et de processions. Noël et Pâques étaient les deux plus grandes fêtes de l’année, précédées de plusieurs semaines de préparation pendant lesquelles prêtres et religieuses nous apprenaient ou remémoraient des histoires et paraboles tirées de la bible. Ces récits comportaient souvent des leçons utiles : la générosité, la protection des petits et des faibles… Mais la morale catholique avait de la difficulté à s’adapter à l’évolution de la société, en particulier autour des questions liées à la sexualité et au contrôle des naissances. Comme disait Gregory Baum « Un groupe de vieillards célibataires [les évêques et le pape] ne devrait pas prétendre enseigner l’éthique sexuelle au monde entier. »
Aujourd’hui les seules « processions » auxquelles je participe sont des manifestations pour dire aux élus et dirigeants qu’ils doivent agir, MAINTENANT, pour sauver la planète. La seule religion à laquelle j’adhère en est une de respect de la biodiversité, de la vie sous toutes ses formes, et pour plus d’égalité des chances et des conditions pour les humains de toutes origines. Il y a 50 ou 60 ans, l’Église catholique était encore responsable des hôpitaux et des écoles au Québec, c’est-à-dire que c’était des religieuses qui étaient infirmières ou enseignantes.
Si ta maitresse d’école ne porte plus ni voile ni cornette aujourd’hui, deux sœurs de ton arrière-grand-mère ont été religieuses et ont soigné et enseigné dans des régions éloignées… et la tante de ton arrière-grand-mère (la tante de ma mère), sœur Praxède, a été responsable (mère supérieure, comme on dit) de la communauté des sœurs de la Providence, après avoir passé 40 ans à développer des hôpitaux dans la région de Vancouver. Cette communauté a fait beaucoup pour soigner les malades mentaux et les sourds-muets. Les sœurs de la Providence étaient responsables de l’hôpital St-Jean-de-Dieu, aujourd’hui renommé en Louis-Hyppolite-Lafontaine.
La plupart des québécois ne vont plus confesser leurs péchés, avouer leurs fautes à un prêtre dans le confessionnal à l’église. Est-ce à dire qu’ils ne font plus de fautes ? Je ne parle pas de faute d’orthographe ici, tu l’auras compris… mais de paroles ou de gestes qui peuvent blesser un frère, un ami ou même un inconnu ou encore toute la société. Par exemple une personne qui ne paie pas sa part d’impôts en plaçant son argent dans un « paradis fiscal » commet une faute morale. L’homme qui vole son voisin ou trompe sa femme commet toujours une faute morale même s’il ne croit plus que cela le mènera en enfer après sa mort. En général les conséquences de sa faute se présenteront bien avant sa mort et, éventuellement, il devra divorcer de sa femme ou rembourser son voisin… Mais ce sont les fautes collectives, celles que tout le monde commet sans trop s’en rendre compte, qui sont peut-être les plus dangereuses et dommageables.
Pendant longtemps les humains ont cru que les dieux existaient dans l’Olympe ou le Paradis. Depuis que la science a permis de comprendre ce qui apparaissait auparavant comme des miracles, les humains ont cessé peu à peu de croire en Dieu. Mais parce que leurs procédés chimiques et leurs tracteurs devenaient de plus en plus puissants ils ont pu croire, un instant, que tout était possible et qu’il n’y avait pas de limite à ce qu’ils pouvaient extraire de richesses et d’énergie de la terre. Ils avaient oublié que l’humanité est elle-même le produit d’une longue évolution de multiples formes de vie et que la richesse et la diversité de ces formes de vie est ce qui a permis de passer de l’homme des cavernes à l’homme des villes.
Il faudra beaucoup d’humilité, de dialogue, de compréhension et de respect, de générosité et de patience pour changer nos façons de faire, en particulier pour les collectivités « riches » comme la nôtre au Québec. Si nous voulons éviter que les inégalités dans le monde et les catastrophes écologiques ne conduisent à de graves conflits. Et le dialogue, la paix, l’amour des humains et le respect des équilibres de la nature sont aujourd’hui des valeurs que je partage avec beaucoup de gens qui croient toujours en Dieu. Si nous ne pouvons nous entendre sur ce qui se passera après la mort, nous pouvons, nous devons nous entendre et travailler ensemble pour améliorer notre vie et notre maison communes.
Non je ne ferai pas une revue de l’année 2017 à l’échelle internationale… Juste quelques souvenirs et rapides commentaires avant de faire, succinctement, le tour du jardin qui fut le mien en 2017…
Après huit années de Barack Obama au pouvoir aux États-Unis, Trump s’avance dans la controverse du nombre de participants à son inauguration…
Deux images (extraites de L’année en images du New York Times) illustrent bien la division du peuple américain.
Des centaines de milliers participent à la Marche des femmes sur Washington le 21 janvier pour dénoncer le chauvinisme du nouveau président.
En août, des néo-nazis marchent sur l’Université de Virginie.
Malgré les reculs et conséquences néfastes des politiques d’austérité menées au Québec et ailleurs, les forces « de gauche » marqueront des points en 2017, notamment avec l’élection de Valérie Plante à la mairie de Montréal en novembre.
Pour ma part, l’année de mes 65 ans fut plutôt occupée. J’ai l’impression qu’elle le fut un peu plus que les précédentes. Illusion due à l’importance plus grande qu’on donne aux évènements récents ?
Pour faire ce « bilan », j’ai d’abord jeté un coup d’oeil sur mon agenda Google, qui conserve (pendant des années) mes rendez-vous et réunions. Je remarque les multiples inscriptions automatique qu’a générées le logiciel d’entrainement à la course utilisé, pendant quelques mois, pour suivre l’évolution de ma performance. Quelques mois seulement…