communication numérique

Comment peut-on modérer les excès tout en favorisant la communication dans des réseaux appartenant aux usagers ? Si on veut rejoindre beaucoup de monde est-on condamné à mettre beaucoup d’efforts (et d’argent) à policer, exclure, contrôler, censurer ? Doit-on se satisfaire des limites actuelles des algorithmes des FB, X et autres Youtube qui décident à notre place ce que nous verrons, ou pas ?

Les enjeux entourant le contrôle des plateformes numériques devenues hégémoniques, omniprésentes sont d’actualité : loi fédérale C18 obligeant la négociations de « contributions » des plateformes au financement des média… poursuites aux USA contre les GAFAM pour abus de position dominante… 

L’Énoncé économique de l’automne déposé par la ministre Freeland comprenait l’annonce d’une nouvelle loi musclée sur la concurrence, y compris de nouvelles lignes directrices sur les fusions, une nouvelle norme d’« abus de position dominante » et des règles sur le droit à la réparation : https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7132855021548769282/  Une référence de Doctorow.

Il faut suivre ces débats, manifester notre appui et formuler des exigences en termes d’interopérabilité, de facilités d’exit, de transparence des algorithmes… 

Il faut aussi soutenir, expérimenter, utiliser et développer des solutions autonomes, indépendantes des GAFAM pour nos besoins de communication, d’échanges de savoirs et d’information. C’est à ça que se consacre Projet collectif avec ses plateformes En commun et Praxis. Non seulement sont-ce des solutions indépendantes mais elles sont aussi orientées éthiquement : des valeurs, des vertus dirait Durand Folco, guident le développement de ces plateformes alternatives. Des valeurs autres que le commerce et la publicité. 

« En commun est un environnement numérique éthique, gratuit, accessible et collaboratif, permettant de connecter les savoirs et les personnes pour une société plus équitable et écologique. Il vise à soutenir la collaboration intersectorielle et la mobilisation des connaissances des citoyen·nes, gestionnaires, professionnel·les, chercheur·ses, entrepreneur·es et toutes autres personnes travaillant au développement de réponses innovantes aux défis sociaux et environnementaux du Québec»

Cité par Le capital algorithmique.

Culture numérique et culture politique

La littératie numérique de la population en général est toute récente. C’est le téléphone intelligent qui a permis l’élargissement de la base des média sociaux. Internet dans sa forme accessible du Web existait depuis déjà 15 ans quand Facebook et Twitter ont pris leur envol… propulsés par l’arrivée du téléphone intelligent : on pouvait, enfin, visionner des vidéos de chatons et de chars sur son téléphone, en attendant son Big Mac, ou l’autobus! Ou, plus sérieusement, lire ses courriels, réagir aux dernières nouvelles, réagir en temps réel à ce qui se passe devant soi. 

Les #mots-clic (#hashtags) tels #BlackLivesMatter ou #MeeToo ont rendu visibles des gestes, des actions, des évènements en en multipliant l’écho, l’impact. La jeune femme courageuse qui a filmé la mort de Georges Floyd n’était pas journaliste, ni photographe. Seulement une passante avec son téléphone. 

Qu’est-ce qui a permis la montée en puissance si rapide des GAFAM ?

Un bon produit au départ, sans doute, qui a bénéficié d’un investissement en capitaux gigantesque. Des capitaux de risque pour commencer, puis des capitaux attirés par la position dominante, quasi monopoliste dans un deuxième temps. La protection légale des brevets et des logiciels « propriétaires » a fini de consolider la position dominante des entreprises en permettant l’enfermement des usagers dans des enclos opaques dont les flux d’information et de sollicitations sont contrôlés par des algorithmes propriétaires. 

La montée en puissance des plateformes numériques et média sociaux a été tellement fulgurante que les États et gouvernements ont tardé à légiférer, laissant s’installer des situations quasi-monopolistes où les GAFAM raflent maintenant la presque totalité des revenus publicitaires qui autrefois faisaient vivre journaux, télé et radio1Voir le graphique Répartition du marché publicitaire au Québec en 2003, 2012, 2018 et 2021 dans le billet précédent. Un avantage supplémentaire dont bénéficiaient les Google-Facebook disparaitra bientôt : les dépenses publicitaires y étaient déductibles d’impôt pour les annonceurs à un taux supérieur (100%) à celui accordé aux annonceurs dans les média « traditionnels ». Voir Ot­tawa plans tax re­form to drive ad­ver­tis­ing with Google and Meta back to Cana­dian me­dia

Mais peut-être que la majorité des gens n’ont rien à reprocher aux GAFAM… On se contente de profiter d’une plate-forme gratuite… en acceptant d’être suivi, ou de se voir offrir des publicités. So What ? On n’est pas obligé d’acheter ! Mais si ce qu’on me propose d’acheter n’est pas le meilleur deal ? Si on ne vous propose que des gros chars et des voyages dans le sud ? Des objets de désir pour ceux qui ont les moyens et aussi pour ceux qui les auront peut-être un jour…

Polarisation et fake news

Les études sur les effets des algorithmes de Youtube (2022) ou plus récemment de Facebook (revues Science et Nature, 2023) tendent à minimiser les effets idéologiques des plateformes : s’il y a un effet de chambre d’écho, il est (très) léger et touche surtout la tendance conservatrice. Mais les conséquences en terme d’action, de changement dans les attitudes ou les valeurs des usagers sont peu visibles. Les usagers sont actifs dans les choix qu’ils font de valoriser ou de rediffuser des unités d’information. Et ils ne sont pas naïfs non plus : ils sont souvent conscients de l’invraisemblance de certains mèmes qu’ils se font un malin plaisir de rediffuser (pour ennuyer les « wokes »?). 

OK les GAFAM ont réussi, grâce à leurs machines à siphonner l’info sur leurs milliards d’usagers, et s’accaparer le gros du gâteau des dépenses publicitaires. Une correction des crédits d’impôts inéquitables n’enlèvera pas l’avantage principal de ces plateformes qui se sont insinuées comme espaces publics dominants grâce à leurs algorithmes protégés par des lois du copyright et de la propriété intellectuelle capitalistes monopolistiques. 

Le financement des média par la publicité, directement (vente d’espace publicitaire) ou indirectement (subventions de la part des GAFAM qui ont fait main basse sur le marché publicitaire), s’est révélé un piège à long terme : on pouvait supprimer ou réduire grandement le prix de l’abonnement pour l’usager… en accroissant sa diffusion, mais en devenant dépendant de la publicité. Tant qu’on ne considère cette dernière que comme un simple reflet des valeurs (et produits) de la société, il n’y a pas de problème moral…Cependant la publicité n’est pas innocente ou sans conséquence. “La publicité favorise essentiellement les produits et les services les plus néfastes, que ce soit pour l’écologie ou pour la santé humaine.” Comment la publicité empêche la transition écologique et sociale.

Et si, à cause de l’évolution des TIC2Technologies et l’information et de la communication les média perdent le gros de leurs revenus publicitaires, pourquoi faudrait-il continuer de lier le financement des média au volume de publicité diffusée ailleurs ? C’est sur les profits exorbitants et la position dominante des GAFAM qu’il faut miser. Une position qui fut favorisée par les protections extraordinaires en matière de propriété intellectuelles et droits commerciaux qui ont été accordées aux Big Tech. 

« Les logiciels ont alors bénéficié d’une protection de leurs droits d’auteur bien supérieure à celle jamais appliqué aux œuvres littéraires, aux compositions musicales, aux enregistrements sonores, aux photos ou aux films.

« L’interdiction de contourner la gestion des droits numériques, ou DRM (digital right management), énoncée dans la section 1201 du DMCA, l’article 6 de l’EUCD et des lois similaires dans le monde, font du logiciel la classe d’œuvres la plus protégée par le droit d’auteur au monde. Les auteurs de logiciels (ou plutôt les entreprises qui les emploient) bénéficient de plus de restrictions en matière de droit d’auteur que le compositeur le plus talentueux, le sculpteur le plus brillant ou le plus grand écrivain. » Ma traduction (GB)

The Internet Con: How To Seize the Means of Computation de Cory Doctorow, page 156

Si les GAFAM ont atteint une position dominante non seulement dans le domaine des services numériques, mais bien dans l’économie toute entière, ce n’est pas parce que ces entreprises étaient plus intelligentes, entreprenantes ou généreuses que les autres. C’est qu’elles ont eu les moyens d’acheter la concurrence tout en enfermant leurs clientèles dans des environnements dont elles peuvent difficilement sortir. 

Tableau 8.4 Palmarès des entreprises capitalisées en bourse 2006-2021, page 219 in Le capital algorithmique ( aussi 2 autres tableaux dans billet précédent)

Les GAFAM ont su utiliser les TIC de façon innovante et ont ainsi contribué à créer un nouvel espace, un cyberespace où les discours mais aussi les produits s’échangent dorénavant. Les usagers et les concurrents des GAFAM ont eux aussi contribué à créer la culture, expérimenter les possibles, développer la littératie numérique sur laquelle repose le pouvoir des GAFAM. 

Faudrait-il diviser ces entreprises devenues quasi-monopoles ? Ou simplement redistribuer une partie des surprofits que cette position privilégiée leur permet ? Plutôt que de les briser certains proposent plutôt d’imposer aux quasi-monopoles une obligation d’interopérabilité avec les acteurs extérieurs, concurrents ou partenaires. Voir Pour l’interopérabilité des réseaux sociaux, par La Quadrature du Net, et The Internet Con: How To Seize the Means of Computation de Cory Doctorow. 

Mais cela ne résoudra pas le problème de la disparition des revenus publicitaires qui faisaient vivre les média traditionnels. Si l’interopérabilité favorise l’émergence d’un écosystème numérique plus sain, moins dominé par une oligarchie de quasi-monopoles, il y aura moins de « surprofits »… Mais cela risque de prendre du temps : même en situation de concurrence plus ouverte, le poids de l’habitudes et de la facilité risque de maintenir longtemps la position avantageuse des GAFAM. 

Et puis, la taxation sur les multinationales, qui devait s’établir à 15% suivant une entente signée par 136 pays en 2021… ne semble pas encore près de s’appliquer. OCDE 2023 : “Les entreprises multinationales continuent de déclarer des bénéfices faiblement imposés, même dans les juridictions où les taux de l’impôt sur les sociétés sont élevés, ce qui souligne la nécessité d’une réforme fiscale à l’échelle mondiale.”

Aussi les ententes particulières entre GAFAM et gouvernements, ou entre GAFAM et média seront encore nécessaires pendant un temps. Le déverrouillage des environnements numériques pour permettre l’échange d’information entre différents systèmes (on en parle pour les banques dans l’Énoncé économique de l’automne) redonnerait un dynamisme dans l’offre de services. Et les revenus tirés d’une taxation plus équitable, anti-monopoliste des GAFAM pourrait être redistribués suivant certains principes.

Catherine Dorion proposait, dans une annexe minoritaire au Mandat d’initiative sur l’avenir des médias, de taxer les GAFAM de 3% pour redistribuer en fonction de la présence de journalistes « patentés », c’est à dire membres de la Corporation. Je préfère, pour ma part, l’approche de De Grosbois dans La collision des récits :

Postulons qu’une lutte contre l’évasion fiscale des géants du web permette d’amasser des sommes dignes de ce nom pour l’information. [I]maginons qu’on alloue aussi des fonds à d’autres médias issus de la communauté. Les médias d’information pourraient être considérés comme éligibles sur la base de critères tels que ceux établis par Pierre Rimbert dans son «projet pour une presse libre»: être à but non lucratif, ne pas posséder plus d’un titre par type de contenu, ne pas avoir recours à la publicité. À ces critères, on pourrait ajouter l’accès du public aux budgets et aux dons substantiels, la disponibilité des archives numériques et l’adhésion à des normes minimales de validation des faits (renvoi aux sources, correction en cas d’erreurs manifestes, etc.). 

Une liste de médias admissibles à l’aide publique serait donc constituée sur ce type de critères non idéologiques. Ensuite, les montants disponibles pourraient être distribués en fonction du choix des citoyen.ne.s: on recevrait une fiche tous les ans sur laquelle on choisirait un ou plusieurs médias que l’on souhaite soutenir. Chaque citoyen.ne disposerait du même montant à octroyer, et des plafonds seraient mis en place pour assurer qu’une diversité de publications reçoive des fonds. Un tel modèle pourrait revitaliser les médias régionaux et locaux.

La collision des récits, Philippe de Grosbois

Pour aller plus loin :

Notes

  • 1
    Voir le graphique Répartition du marché publicitaire au Québec en 2003, 2012, 2018 et 2021 dans le billet précédent
  • 2
    Technologies et l’information et de la communication

casse-tête & médias sociaux

De Twitter à X, en passant par FaceBook, Messenger, et iMessage, Instagram… puis Mastodon, Bluesky, auxquels se sont ajoutés En communPraxis 1version québécoise et militante, ces réseaux sociaux numériques nous permettent de s’informer, de rester en contact, de s’organiser et se souvenir. Mais à quel prix ! Et je n’ai pas parlé des newsletters auxquelles on s’abonne par courriel, ni des agrégateurs de fils RSS pour suivre l’évolution de sites web et de blogues pour lesquels (RSS et newsletters) j’ai commencé à utiliser Readwise. Il y a aussi des groupes de discussion comme celui du RQIIAC que j’administre depuis plus de 20 ans.

Il y a quelques mois je pouvais encore me contenter d’annoncer un billet que je venais d’écrire sur la liste du RQIIAC et puis dans mon compte Twitter (ou FaceBook) et j’avais rejoint la plupart de ceux et celles que je souhaitais rejoindre. L’achat de Twitter par Elon Musk a précipité l’exode des usagers tout en stimulant la croissance d’antennes indépendantes de diffusion. Je suis resté sur X, même si, comme le soulignait un commentateur sur Mastodon (à moins que ce ne soit sur Substack) mes quelques 550 abonnés (followers) sur X ne voient sans doute pas souvent mes publications tellement les algorithmes de la plateforme sont imprévisibles…

Je me suis inscrit sur mastodon.social pour voir ce qu’il en était. Puis sur Bluesky, Instagram et Substack pour les mêmes raisons. Cette dernière plateforme s’est imposée récemment comme manière de gérer des abonnements payants pour les blogueurs qui avaient pour objectif de monétiser leur popularité… En fait, c’est probablement Taras Grescoe qui m’y a conduit lorsqu’il a annoncé qu’il quittait Twitter. J’appréciais ses billets sur les questions de transport et d’urbanisme, tellement que je me suis abonné à sa publication Substack payante 27$ par mois. C’était sans doute autant pour soutenir3 à noter qu’on peut lire certains de ses billets sans avoir à s’abonner un auteur montréalais prolifique que pour avoir accès à quelques pages réservées par mois. C’est d’ailleurs, pour le moment, le seul blogueur sur cette plateforme dont j’achète le fil. Je suis abonné à une dizaine de sources Substack, mais seulement aux versions gratuites de leur production.

interopérabilité : le pouvoir ET la diversité

De multiples tensions, controverses et objectifs traversent l’existence et la concurrence entre ces réseaux et plateformes. Les objectifs et principes des uns peuvent choquer et motiver le développement des autres. Le style et la manière d’Elon Musk ont sans doute beaucoup aidé à la croissance rapide de certaines alternatives. La migration de certains vers Substack pouvait être motivée par le besoin (ou le désir) de monétiser sa notoriété 4Que Twitter (entre autres) avait contribué à développer. Des plateformes dont le l’architecture et l’orientation sont (plus ou moins) entre les mains des usagers répondent à d’autres motivations. Du pouvoir aux usagers selon que les applications utilisées sont « libres » ou encore que les contenus créés ou déposés par les utilisateurs leur appartiennent vraiment : c’est-à-dire qu’ils peuvent être facilement déplacés ailleurs. Ce qu’on appelle l’interopérabilité.

À l’évidence, les grandes plateformes qui font la richesse des Meta, Alphabet et cie, sont basées sur des logiciels propriétaires (non-libres) qui ne favorisent pas l’exportation des données accumulées par les usagers (écrits, opinions, listes de contacts…) vers d’autres services. Dans son dernier bouquin, The Internet Con How to Seize the Means of Computation, Cory Doctorow s’en donne à coeur joie contre la gabegie et la malhonnêteté des GAFAM5Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft, tout en promouvant, prêchant l’interopérabilité comme un levier pour reprendre un peu de contrôle sur nos données et sur les réseaux que nous utilisons pour communiquer. Sans interopérabilité il n’y aurait pas eu de téléphone, de radio, de télévision ni d’internet ! Mais depuis plusieurs décennies les grands propriétaires de contenus et de plateformes ont réussi à bloquer l’interopérabilité par des mesures législatives plutôt que par les développements ingénieux de leurs produits et les soins accordés à leur clientèle. Ça coûte moins cher de payer une flopée d’avocats qu’une armée d’ingénieurs afin d’enfermer sa clientèle et rendre plus coûteuse toute velléité de passage vers d’autres réseaux ou plateformes.

J’ai trouvé ce livre (The Internet Con…) à la fois divertissant et utile. Utile pour donner un peu de perspective aux enjeux soulevés actuellement (et continuellement) par les procès contre certains GAFAM pour abus de position dominante. Divertissant comme sait l’être Doctorow par son bagou, son côté terre-à-terre de celui qui a « mangé sa viande à chien » et qui a connu et suivi sur le terrain des services informatiques en grande entreprise les diverses manoeuvres des grandes marques. Mais je ne suis pas sûr que son bouquin permettra de « dismantle Big Tech’s control over our digital lives and devolve control to the people » (nous libérer du contrôle des Big Tech sur nos existences numériques et redonner ce contrôle au peuple – ma traduction).

Imposer ou permettre à nouveau l’interopérabilité des contenus et informations que les utilisateurs accumulent (volontairement ou non) en utilisant les plateformes redonnerait du contrôle aux usagers tout en favorisant l’émergence de compétiteurs, de fournisseurs de services plus agiles et généreux ou simplement mieux adaptés aux besoins et aux projets de leurs clients.

Par ailleurs l’interopérabilité n’est pas pour autant promue ou considérée importante par les réseaux alternatifs. Beaucoup de communautés qui se construisent sur ces réseaux ont d’abord intérêt à se parler entre eux-elles… on peut comprendre. Mais la partie publique de la production de ces communautés virtuelles se veut accessible à tous, diffusée largement. Sur la place publique.

Comment exiger l’interopérabilité des GAFAM sans la pratiquer soi-même ?

Philippe de Grosbois (L’après-Facebook des médias d’info) dans le dernier À bâbord! (#97) souligne à quel point les grands médias semblent surtout intéressés à trouver leur place dans l’écosystème des GAFAM plutôt que de construire, défendre l’information comme un bien public (voir Saulnier, Les barbares numériques).

L’enjeu ne devrait pas être simplement de partager la cagnotte engrangée par quelques monopoles. Peut-on laisser les FB, Y ou TikTok définir tout l’espace public ? Ces « médias d’info pressés d’optimiser leurs contenus pour les algorithmes des géants en ascension » (PdG) devraient aussi investir, partager l’effort collectif de construire, maintenir un espace public favorisant la délibération, la confrontation d’idées, la recherche et la validation des résultats.

Pendant que se négocient les ententes entre médias et les GAFAM, des alternatives devraient être explorées et expérimentées… de Grosbois rappelle qu’une technologie, un standard existe : le RSS, qui pourrait favoriser le partage en dehors des plate-formes monopolistes. Ce standard, connu et stabilisé depuis deux décennies pourrait aussi être utilisé pour imposer aux GAFAM une certaine interopérabilité. Ce que Doctorow appelait percer les silos (les walled garden) des Big Tech.

L’initiative Praxis-en commun serait-elle le lieu d’une telle contribution à un espace public indépendant des GAFAM ? Un espace qui serve non seulement les réseaux alternatifs mais aussi à construire la délibération nécessaire à une contestation solide des privilèges exorbitants qui ont été accordés aux « Big Tech » depuis 40 ans. Un tel espace public fédéré et coopératif pourrait aussi servir de lieu de dépôt de données publiques sur les services, sur la population et sur l’état de nos milieux de vie, données qui sont trop souvent réservées au commerce et peu accessibles pour la recherche et l’analyse critiques.


P.S. Sur un sujet connexe, à savoir la formidable prétention des milliardaires de Silicon Valley à non seulement nier les risques et conséquences négatives du développement technologique mais encore à en appeler l’accélération, je recommande la lecture des critiques du manifeste « techno-optimiste » publié récemment par Mark Andreessen : par Jonathan Durand Folco, sur FB (en français) et aussi celle de Dave Karpf, Why can’t our tech billionaires learn anything new? (Pourquoi nos milliardaires techno n’apprennent rien de neuf ? – traduction Google)

Notes

  • 1
    version québécoise et militante
  • 2
    7$ par mois
  • 3
    à noter qu’on peut lire certains de ses billets sans avoir à s’abonner
  • 4
    Que Twitter (entre autres) avait contribué à développer
  • 5
    Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft

licence de réciprocité et index social

La question des licences (copyright, copyleft…) appliquée aux coopératives, puis à l’économie sociale. Un texte intéressant sur le site S.I.Lex. Une association (La Coop des Communs) tente de « Construire des alliances entre l’économie sociale et solidaire et les communs ». Une manière de forger de telles alliances serait de permettre que les droits commerciaux soient partagés en fonction du partage des valeurs, ou de la participation aux travaux et réseaux coopératifs ou d’ESS. De là l’élaboration (déposée et ouverte aux commentaires sur GitLab) d’une licence « coopyright ».

Réciprocité en acte, réciprocité renforcée ou encore lucrativité limitée sont des concepts utilisés pour définir ces nouvelles relations, alliances.

Plateformes en communs, un groupe de travail de la Coop des Communs, se présente comme la (une) Communauté française des plateformes collaboratives équitables, productrice de communs et prenant en compte les enjeux sociaux et sociétaux de leurs activités. On veut développer des alternatives aux plateformes collaboratrice qui construisent d’abord la richesse privé avec peu ou pas d’égards aux impacts sociaux qu’ils génèrent.

Mais ces plateformes alternatives ont à confronter un écosystème dominé par quelques conglomérats…

Plateform capitalism un petit bouquin qui fait le point sur l’impact des méga entreprises Google, Apple, Facebook, Uber… sur le mode de fonctionnement des entreprises en général.

How do we make sense of the rise of platform-based businesses that are increasingly monopolising the global economy?

La conclusion : “ Rather than just regulating corporate platforms, efforts could be made to create public platforms –platforms owned and controlled by the people. (And, importantly, independent of the surveillance state apparatus.) This would mean investing the state’s vast resources into the technology necessary to support these platforms and offering them as public utilities.” 

Une plateforme publique qui permettrait de qualifier l’impact social, la qualité et les valeurs associées aux entreprises et services des sociétés commerciales actives ? Qui nous permettrait de savoir combien de profits ont engrangés telle ou telle compagnie ? Quels ont été les satisfactions et plaintes des clients précédents ? Une plateforme publique qui nous permettrait de savoir combien d’impôts ont payé tel ou tel citoyen corporatif ? Ou encore une plateforme qui permettrait, comme l’envisage la Norvège actuellement, dans son plan de Open data, d’identifier le bénéficiaire ultime d’une entreprise…

“A publicly accessible register with information about direct shareholders and ultimate beneficial owners of Norwegian companies will strengthen the work of public authorities and civil society in their efforts to combat economic crime and will make it easier for banks and other actors who have reporting obligations under the money laundering legislation.”

Comme je le soulignais dans un récent billet, le gouvernement du Canada s’est investi dans le Partenariat international pour un gouvernement ouvert… mais cela ne semble pas s’être traduit par une présence très active lors de la dernière « journée internationale des données ouverte », qui semble s’être organisée, à Montréal en tout cas, à la dernière minute : “ Robin Millette, constatant que personne n’avait encore pris l’initiative, s’est lancé dans l’organisation de la journée à un peu plus de 10 jours de l’événement.” La Ville de Montréal y était, pour annoncer ses derniers jeux de données ouvertes… mais nous sommes encore loin d’un gouvernement ouvert capable de répondre aux enjeux du XXIe siècle.

de RLS et autres espaces publics

Dernier numéro de la revue Le point en administration de la santé : La gouvernance du réseau a-t-elle atteint sa limite?.

Cette centralisation, voire cette bureaucratie pernicieuse, annule trop souvent les initiatives locales et régionales qui seraient porteuses pour améliorer réellement la santé et le bien-être de la population. Elle contribue fréquemment à une perte d’efficacité prêtant le flanc aux critiques. (…)

Les établissements se sentent littéralement envahis par les deux paliers supérieurs. Et la clameur monte de plus en plus chez les établissements à l’effet que la grande majorité de leurs priorités sont établies par le ministère de la Santé et des Services sociaux, les agences ou d’autres organismes associés au réseau. Il en résulte une marge de manoeuvre de plus en plus étroite pour des projets locaux, ce qui entraine plusieurs gestionnaires à estimer, à tort ou à raison, que la gouvernance au palier local est devenue pure illusion.

Est-ce que le bouquin sur la « théorie des réseaux » en rabais de 50% en page d’accueil c’est pour confirmer la baisse de popularité des RLS ? 😉 J’espère que l’éditorial qui a été imprimé a été corrigé, par rapport à la version en ligne. Sinon, ça fait un peu amateur. 😐 À moins que ça ne souligne le côté « praticien qui fait ça bénévolement, en plus de son travail »… dans l’action, militant même !

Mais quand j’aurai finalement accès au numéro…

Car on ne m’a toujours pas donné accès au fichier deux heures et demi après avoir payé par Paypal mon abonnement. Bon, tout n’est pas automatisé… vu le petit nombre d’abonnés dont on parle – le gros des lecteurs recevant leur numéro par le biais de la distribution en établissements.

… le débat ne se fera qu’entre abonnés, et quelques professionnels et membres  des comités du réseau qui ont accès dans les établissements à la version papier de la revue. Une distribution (gratuite ?) se fait dans les établissements du réseau mais en dehors, il faut s’abonner et payer 35$. Pourtant tous ces articles ne sont-ils pas écrits par des administrateurs, professionnels et quelques professeurs déjà payés par le public ? Pourquoi cette barrière tarifaire ? Pour payer les contributeurs d’articles ? Je ne crois pas, pour la majorité les auteurs contribuent gratuitement à ce genre de revues professionnelles. Alors c’est pour rejoindre d’abord les gens motivés ?  À moins que ce ne soit pour soutenir les frais de publication et de diffusion… parce que le soutien public à ces efforts est inconsistant. Naturellement, il ne s’agirait pas de soutenir toutes les feuilles, tous les forums mais lorsque des professionnels et administrateurs, des universitaires contribuent de leurs savoirs, stimulent la réflexion et les échanges sur les pratiques en cours dans les établissements et réseaux du système… on imagine que quelqu’un quelque part peut y voir un intérêt public. S’il y avait un véritable soutien public aux communautés de pratique et à leur interaction avec la citoyenneté (notamment en favorisant l’accès aux contenus de ces revues) on aurait peut-être un meilleur débat public. Est-ce que ça conduirait automatiquement à de meilleures décisions ? Pas certain. De meilleures pratiques, une meilleure interaction entre les acteurs et avec le public ? Probablement.

Pendant ce temps là… (j’attends toujours d’avoir accès à ma revue) je pense à une certaine revue, Kaléidoscope (anciennement Développement social), que je qualifierais d’intérêt public — elle a accompagné la réflexion sur le développement social au Québec depuis 1998 — qui a jusqu’ici ouvert grandes ses pages sur la toile, mais risque de les refermer sur ses abonnés et quelques établissements complices si on ne trouve pas d’ici peu une solution de remplacement au recul substantiel dans le soutien que lui accordait jusqu’ici le ministère de la santé (la santé publique du Q). Si cela arrivait, ce serait une autre revue refermée sur son réseau de spécialistes, abonnés ou cotisants, tel nombre de revues d’administration, de psychologie, de travail social ou d’organisation communautaire, d’ergothérapie, d’économie ou de développement social. Plusieurs de ces revues sont associées à des ordres professionnels eux-mêmes bénéficiaires de privilèges de pratique — exclusive ou ou partagée — et ayant un devoir de protection du public et de reddition publique de comptes. Un tel caractère d’intérêt public ne justifierait-il pas une obligation de rendre accessibles les contenus professionnels et scientifiques de leurs revues ?

Pour les revues non associées à des corporations professionnelles mais liées à des pratiques dans les réseaux institutionnels — des principes similaires pourraient s’appliquer dans la mesure où l’État souhaite que ces pratiques soient éclairées – transparentes. Mais l’État n’a pas de relation aussi étroite (et contraignante) avec ces groupes de praticiens institutionnels qu’avec les corps professionnels. Un incitatif sous forme de soutien à la publication/diffusion/mobilisation des savoirs et à l’animation de communautés de pratiques pourrait favoriser l’expression, la mise en oeuvre de principes, de valeurs promues collectivement, en tant que société  [j’avais écrit « politiquement » mais j’ai peur d’être mal interprété] dans le cadre de groupes semi-autonomes, auto-animés de praticiens, de citoyens-usagers et de collectivités citoyennes.

Un soutien à la mobilisation des savoirs (et à la promotion de pratiques et de compétences) qui pourrait, sans trop étirer les définitions, inclure quelques espaces de débat et délibération d’abord portés par des collectivités citoyennes et secondairement par des pratiques professionnelles, scientifiques ou culturelles. Une revue telle K pourrait être soutenue dans ses efforts de diffusion et d’animation dans le cadre d’un tel, hypothétique, programme « Citoyenneté éclairée » !

les chiens de faïence

Savoir académique et savoir d’expérience
Ont trop souvent l’apparence de chiens de faïence
Qui se regardent sans se voir,
Chacun campé sur son trottoir,
Ou ne serait-ce pas plutôt
L’un dans la rue, l’autre à sa tour ?
Et pourtant il n’y a de Science
Qui n’ait trempé la théorie au feu de l’expérience

En matière de réseaux sociaux (de proximité), sujet furtif s’il en est un,
Auquel on ajoute une bonne portion de politique
Qu’elle se drape de responsabilité populationnelle
Ou se meuve en relations de pouvoir
Dans des réseaux locaux de services
Intégrés ou évanescents
La science ne peut se passer de l’expérience
Ni cette dernière se pérenniser
Sans un travail de justification.

Réseaux sociaux qui ne sont pas
Que des objets de recherche mais d’abord
Des forces, des vecteurs, des noeuds de valence
Dans les toiles du possible
Des points d’ancrage et de transcription
De transbordement et transmission
De résistance et de fluidité
Qui effectuent, incarnent les pouvoirs
Tendus de la situation, des stratégies à l’oeuvre.

RLS et RLiS

Un atelier sur les réseaux locaux de services avait lieu mercredi dernier dans le cadre des JASP. Plusieurs interventions ont au cours de la journée mis en lumière des expériences intéressantes d’action locale en réseau visant la meilleure santé des populations. Mais aussi plusieurs ont souligné les difficultés, les freins qu’il faut dépasser, éviter pour qu’une véritable gouvernance en réseau se développe. Pas facile en effet de faire se concerter des organisations et professions qui ont toutes à défendre leur version de l’autonomie, des priorités, des meilleures méthodes… Et le rôle du CSSS dans tout ça ? Responsable ? Coordonnateur ? Animateur ?

On parle de « leadership partagé ». Un concept qui semble plus facile à énoncer qu’à incarner ! surtout lorsque votre propre leadership est soumis à des pressions directes pour plus d’imputabilité, plus de productivité… et que la « responsabilité populationnelle » qui justifie les efforts d’animation de ce réseau local de services ne fait même pas partie des objectifs mesurables du contrat de gestion qui vous lie.

Il y a sans doute beaucoup de raisons pour réduire à sa version minimale cette responsabilité populationnelle animant l’agir en réseau des partenaires locaux : j’ai pas assez d’argent, je dois augmenter ma productivité, j’ai de nouveaux employés à former pour remplacer ceux qui partent à la retraite, ou encore je dois négocier ma prochaine convention… Pourtant, dans la mesure où il y a encore beaucoup à faire pour rencontrer les besoins de demain, dans la mesure où il faudra innover encore (les méthodes éprouvées ne sont pas toutes trouvées !) pour faire travailler ensemble cliniques médicales, résidences pour aînés, services à domicile; services périnataux, de garde en milieu familial, services de soutien aux familles… il y a quelque chose à chérir et à découvrir dans cette gouvernance en réseau qui serait la marque, selon certains, d’un changement de paradigme nécessaire pour sortir du conflit paralysant entre la gestion publique traditionnelle qu’on accuse d’être couteuse et peu flexible et la nouvelle gestion publique (new public management) qui tend à réduire l’intérêt public à la somme des intérets individuels et a une fâcheuse tendance à prendre la gestion privée (orientée vers le moindre coût à court terme) comme modèle. Un changement de paradigme vers une gestion de la valeur publique (public value management – voir Stoker, Public Value Management: A New Narrative for Networked Governance ?) où la valeur ajoutée dans l’intérêt public est plus importante que le mode de livraison (secteur public ou privé); où l’identification de cette valeur publique est faite grâce une délibération entre les parties prenantes; où les leaders suivant cette nouvelle approche se montrent capables de soutenir cette délibération, cette action concertée d’acteurs provenant d’horizons divers. Continuer la lecture de « RLS et RLiS »

réseaux fluides

On parle de liens, de connexions, de pôles et même de trous quand on parle de réseaux sociaux… mais les réseaux sont aussi fluides, dynamiques en ce qu’ils évoluent à travers les échanges qu’ils favorisent – qui les constituent.

L’influence, la confiance qui sont des produits des réseaux ont quelque chose du fluide : difficile à mettre en boîte ou à saisir. Et même cette image de fluide serait plus juste en terme de flux magnétique : ça passe ou non, il y a attirance ou répulsion…

Un peu des deux, il me semble. À la fois flux magnétiques et flots transportant des résidus, provoquant l’érosion des berges, modelant la forme et la structure du réseau à mesure que les échanges se produisent.

Je vais chercher dans la littérature ce qui pourrait soutenir une telle idée.

réseau local de services et responsabilité populationnelle

[L]e CSSS devra constituer et animer un réseau local de services (RLS) travaillant d’une façon de plus en plus intégrée à l’amélioration de l’état de santé et de bien-être de la population ainsi qu’à la prise en charge des usagers, notamment des personnes vulnérables. (…) le CSSS a la responsabilité de créer, avec les partenaires de son territoire, les conditions favorables à l’accès, à la continuité et à la mise en réseaux des services médicaux généraux, notamment les services de prévention, d’évaluation, de diagnostic et de traitement, de réadaptation et de soutien. (…) Outre les services médicaux, des liens sont nécessaires avec les autres secteurs d’activité ayant un impact sur les services de santé et les services sociaux tels les commissions scolaires, les municipalités, le milieu de l’habitation, les pharmacies communautaires, les entreprises d’économie sociale, les ressources non institutionnelles et les organismes communautaires. Par cette collaboration avec ces secteurs d’activité, le CSSS pourra ainsi développer une vision cohérente et coordonner les actions afin d’améliorer la santé et le bien-être de la population. [Les centres de santé et de services sociaux, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal]

Depuis la naissances des CSSS, il y a plus de 5 ans maintenant, comment les réseaux locaux de services se sont-ils concrétisés ? En relisant la planification stratégique 2010-2015 de l’Agence de Montréal, j’ai extrait ces différentes citations portant sur différentes façon de travailler en réseau, du point de vue de l’agence (pdf). Suivant les clientèles et objectifs visés, les acteurs mis à contribution seront différents, les moyens mis en œuvre aussi. Plusieurs orientations sont encore en chantier, sinon en projet : services intégrés de stimulation précoce, programmes d’intervention en négligence pour les enfants de 0 à 12 ans…

Mais qu’est-ce que ça veut dire, au juste, « travailler en réseau » ? Je me suis permis cette petite réflexion, qui commence ainsi :

Il y  a une trentaine d’années, quand on parlait d’intervention de réseau, on référait à Claude Brodeur : L’intervention de réseaux, une pratique nouvelle (1984). Faire des liens entre « l’intervention individuelle », c’est-à-dire auprès d’une personne, et les réseaux sociaux, familiaux et communautaires entourant cette personne. On était en pleine période d’expérimentation et de développement de méthodes et ressources alternatives mettant l’accent sur l’autonomie, la participation des « clientèles », l’émergence des nouveaux mouvements sociaux : centres de femmes, maisons de jeunes, ressources alternatives en santé mentale… Des processus qui questionnaient et critiquaient souvent les pratiques institutionnelles et professionnelles traditionnelles. (voir la suite)

Je n’ai pas de conclusion ferme, ni même de conclusion du tout ! Sinon que ces efforts de travail conjoint, en réseau, de concert… ont peut-être d’autant plus d’avenir qu’ils ne reposent pas sur une structure précise, sur le pouvoir directif d’une instance… Les forces qu’il s’agit de mobiliser doivent l’être volontairement.