digression botanico-politique

J’aimerais que l’eau dissolve la barrière physique qui actuellement nous sépare. Je veux ressentir ce que ces cèdres ressentent, savoir ce qu’ils savent.
Robin Wall Kimmerer. Tresser les herbes sacrées

Kimmerer est fille de la nation Potawatomi, une nation autochtone de la région des Grands Lacs. Elle est botaniste, auteure et professeure, alliant les savoirs autochtones et les sciences écologiques modernes. Son livre Tresser les herbes sacrées est un récit autobiographique qui nous amène de sa jeunesse avec sa famille, à sa période de formation universitaire, à sa vie dans une grande maison avec un jardin et un étang dont elle a tenté de restaurer la vitalité pendant des décennies avec ses filles… à son travail avec des étudiants qui découvrent la nature avec elle.
Je me suis demandé comment on pouvait intégrer une telle sensibilité (« je veux ressentir ce que les cèdres ressentent« ) dans un contexte aussi minéralisé qu’une ville, une métropole.

Malgré tout, ce livre est un baume à l’âme meurtrie et une ode à la beauté du monde.


Cette connaissance de la nature n’est pas une connaissance qui passe par l’écrit ! Ou très peu : par la pratique mimétique, l’expérience attentive et l’observation cumulative. Cette dernière se traduisant parfois par écrit…

Si, comme le dit Paul Graham, la capacité d’écriture se perd de plus en plus, qu’adviendra-t-il de la capacité de penser ? Mais qu’en faisons-nous, maintenant, de cette capacité de penser ? On se fait des peurs, ou des châteaux en Espagne. On se fait rire ou pleurer sur grand écran, pour oublier la grisaille de nos vies.

Ce n’est pas d’abord pour « sauver la planète » (et nous sauver nous-même) que nous devons changer : c’est parce que ce sera meilleur ! Des villes et des vies moins grises, plus vivantes, plus satisfaisantes. « il y a bien, au-delà des convictions éthiques, des raisons tout à fait égoïstes de se détourner de l’idéal consumériste. » Une vie plus satisfaisante, vraiment, pendant que les guerres se multiplient et les désastres s’additionnent ?

avant même l’insoutenabilité écologique de la croissance, ce sont ses dommages sociaux et culturels, et plus encore son absence de finalité, qui nécessitent de s’en détourner.
(En finir avec le mythe de la croissance verte, François Brien dans Socialter HS Automne 2024, p. 48)

Il y a parfois de l’angélisme dans la position écolo-socialiste, comme si la haine, l’agression et la cupidité ne pouvaient pas motiver et donner du sens et de la satisfaction à leurs protagonistes. Comme si le sentiment de faire ce qui est juste et bon pouvait faire contrepoids à l’avidité et à l’égoïsme qui dominent la culture. Une avidité qui prend forme dans des produits lourds, des pratiques coûteuses qui font l’envie des losers et autres quidams. Les prolétaires, quand à eux, se contentent d’y gagner un salaire. Quitte à y perdre sa vie.

La machinerie médiatique et les machinations corporatistes font bon ménage avec la politique des petits pas et des comités producteurs de rapports et de promesses. Il faut accentuer, approfondir les contrôles sur les entreprises qui se sont arrogées l’espace public, les communication entre citoyens et organisations… le commerce et le transport, les loisirs et le divertissement. Le miracle de l’équilibre dynamique maintenu par ce système à travers crises et guerres… un « équilibre » qui a permis une croissance phénoménale de la population, et de la quantité de produits mis en circulation, de déchets enfouis ou rejetés dans l’air ou l’eau. Jusqu’à ce qu’on commence à étouffer, à se sentir moins sûrs de nous et à douter.

Et si l’American way of life n’avait été qu’une courte période d’insouciance, un rêve réalisé pour les uns, un cauchemar quotidien pour d’autres et une vie grise pour le reste, qui se déroule sur les rubans d’asphalte d’un avenir pétrifié ?

_ "ligne de désir"

Le terrain vague derrière chez moi, que j’ai découvert et exploré durant la pandémie, n’a pas encore été minéralisé… Les capitaux des propriétaires sont sans doute plus profitables ailleurs. Pour le moment.

Les arbres-mères

Suzanne Simard explique ici, en 15-17 minutes, comment les arbres se parlent… et s’entraident, entre mères et enfants, mais aussi entre espèces ( entre bouleaux et sapins). Une présentation à la fois simple et scientifique. Magistrale. Le vidéo vient avec sous-titres en français.

Comment les arbres se parlent, et ce que nous devrions tirer de ce nouveau savoir dans notre rapport aux forêts, notre gestion de la forêt.

Je suis à lire son dernier livre : Finding the mother tree.

C’est tellement bon que je voulais voir de quoi elle avait l’air… et j’ai trouvé cette communication TED (ci-haut) qui date de 2016 ou 2017. Et aussi cette entrevue d’une heure, réalisée le 7 mai 2021 à l’occasion de la sortie du livre, avec une intervieweuse qui pose de bonnes questions (surtout à la fin). Elle répond entre autre à la question du « Pourquoi avez-vous écrit ce livre, alors que vos thèses, autrefois contestées, sont de plus en plus largement acceptées ».

C’est pour rendre accessibles au plus grand nombre et pour donner un contexte à la science qu’elle a développée — répond-t-elle. Ce qui explique le caractère autobiographique important du livre : les connaissances qu’elle présente de manière très accessibles, pédagogique, ne sont pas nées en laboratoire. Elles viennent de loin, de ses grands-parents, de la vie passée dans, avec les forêts de la côte ouest canadienne. Ça sent le sapin et l’humus à plein nez ! Et aussi, un peu, la « bécosse », en bon québécois. Le chien qui tombe dans le trou de la bécosse et le grand-père et l’oncle qui doivent creuser un trou d’accès sur le côté, mettant à nu un tissu multicolore de racines et réseaux fongiques que la jeune Suzanne de 9-10 ans n’aurait pas imaginé. De là sa fascination pour le sou-sol des forêts…

Bon, ce n’est pas si simple… elle a dû y croire, dur et fort, pendant longtemps, pour prouver ce qu’elle avançait, avec des budgets de bouts de ficelles… Dans une autre vidéo de 19 minutes, Suzanne Simard redit encore ses découvertes et ses espoirs, mais témoigne aussi des écueils et difficultés rencontrées. Un cancer, notamment, qu’elle a pu guérir grâce à la solidité de son réseau familial et amical.

Un amour de la forêt, un respect et une curiosité qui l’ont conduit à créer The Mother Tree Project. L’objectif de ce projet à long terme :

[I]dentifying sustainable harvesting and regeneration treatments that will maintain forest resilience as climate changes in British Columbia.

« [I]dentifier les récoltes soutenables et les traitements de régénération qui maintiendront la résilience de la forêt alors que le climat change en Colombie-Britannique. »

Bon, je n’ai pas encore fini de lire Finding the mother tree, mais je voulais déjà partager ces vidéos.


[Ajout-13 juin] Deux articles récents dans les journaux que je lis, dont l’un de Suzanne Simard dans le G&M

Autour de Morozov

Quelques ressources proposées par une architecte urbaniste brésilienne, Raquel Rolnik, en tant que “cyberflâneuse”. Je retiens particulièrement celle-ci: Who Is Buying Seattle? The Perils of the Luxury Real Estate Boom.

The Syllabus, une revue hebdomadaire (éditée par Morozov et son équipe) de publications universitaires et journalistiques, de podcasts et vidéos, décantée en 5 thèmes : The Activist (on social justice), The Machinist (on technology), The Cosmopolitan (on global affairs), The Intellectual (on arts & culture), The Progressive (on political economy).

Evgeny Morozov, dont j’ai parlé ici, est un auteur critique des côtés sombres de la technologie et des illusions de « sauvetages par la technologie ». Il a publié The Net Delusion, en 2012. Dans le cadre d’une entrevue d’une heure (en anglais) réalisée en septembre dernier, il éclaire plusieurs enjeux sociaux-politiques et économiques-technologiques actuels : Tech-Master Disaster: Part One.

Dans un article de juin 2019, publié par la New Left Review, Digital Socialism, Morozov relate les débats des années 30-40 entre Hayek et les tenants de la planification socialiste… mais aussi met en lumière les possibilités des technologies pour une planification démocratique et décentralisée, chose qui n’était pas possible à l’époque. Déjà, dans Le Monde diplomatique de décembre 2016, avec Pour un populisme numérique (de gauche), Morozov défendait l’idée que les « données personnelles » qu’utilisent à leur profit les Amazon et Facebook de ce monde devraient être du domaine public, et à ce titre être accessibles, utilisables par tous. Avec Digital Socialism, il pousse un peu plus loin en promouvant la « socialisation des moyens de feedback ». La planification et la coordination sociales n’ont plus à être soit centralisées ou laissées au marché, elles peuvent être décentralisées grâce aux nouvelles technologies.

Extrait de Platform for Change, Stafford Beer, p. 253

<Anecdote>J’ai été enchanté et surpris de voir cité par Morozov dans cet article (Digital Socialism), un auteur qui m’avait touché par son audace et son originalité, Stafford Beer. Ingénieur formé à la recherche opérationnelle (durant la deuxième guerre) et la cybernétique des débuts dont j’ai lu Platform for Change, au début des années ’80 au moment où je retournais à l’université pour un deuxième cycle d’études. Ça m’a tellement touché que je suis parti à la recherche de ce livre, publié en 1975, dont je me souvenais d’une particularité : les chapitres étaient imprimés sur des feuilles de différentes couleurs, selon les différents niveaux d’analyse : réflexions personnelles; propositions formelles; exemples concrets, histoires… Beer s’était engagé au Chili sous Allende pour y mettre en place les mécanismes de feed-back démocratiques qu’il proposait dans sa théorie d’un management cybernétique. Déjà, en 1975, Beer parlait de conservation et préservation des richesses de la terre. Beer donnait en 1973 une Conférence Massey, dont le compte rendu est disponible sous le titre Designing Freedom. />

l’intelligence tue la vie ?

https://science.sciencemag.org/content/366/6471/eaax3100.full

William Gibson (@GreatDismal), l’auteur de science-fiction, commentait (en anglais) sur Twitter : « La solution au ´paradoxe de Fermi’ ? ´l’intelligence´ tue la nature? » en référence à cet article (en accès libre, exceptionnellement) de la revue Science (Pervasive human-driven decline of life on Earth points to the need for transformative change) résumant l’évolution de 18 catégories de « contributions de la nature à l’humanité ».

Ainsi le type d’intelligence que les primates que nous sommes ont été amenés à développer, au contact d’une nature à la fois soutenante, riche mais souvent imprévisible, une intelligence mécanique, puis mathématique capable de manipuler, transformer, utiliser les cycles et les productions naturelles pour en tirer des richesses… Une intelligence qui a su gonfler son efficacité à court terme au détriment de son appréhension plus globale et à plus long terme de la réalité.

Pour rappel, Fermi était un mathématicien nobelisé qui posa en 1951 la question, le paradoxe suivant : Pourquoi toutes les galaxies beaucoup plus vieilles que la nôtre n’ont-elles pas donné naissance une vie intelligente que l’on puisse détecter? Wikipedia

Merci à Patrick Tanguay, @inevernu pour le RT. Je suis abonné à Gibson, mais n’avais pas vu passer celle-là.

intelligence artificielle et finalités sociales

La conférence de Yoshua Bengio (32 minutes) est sans doute ce qui m’a convaincu de m’inscrire à ce colloque « Intelligence artificielle en mission sociale ».  En tant que figure de prou (montréalaise et internationale) du secteur en forte croissante du Deep Learning j’étais curieux de voir ce qu’il avait à dire en général sur l’intelligence artificielle et en particulier sous cet angle novateur proposé par le colloque « en mission sociale ».

L’intervention de monsieur Bengio, faite en français et sur un ton presque « zen », mettait la table pour deux jours de discussions et conférences faites par des intervenants du monde des OBNL, de la recherche universitaire ou du monde des affaires (entreprises sociales, innovation sociale, services juridiques). Les avancées de l’intelligence artificielle sont réelles même si le monde ne changera pas du jour au lendemain. On est encore loin de l’intelligence du cerveau humain. C’était le message de Bengio : Les changements se feront graduellement aussi il est encore temps de prévenir les dérapages par une règlementation éthique.

Après avoir identifié les secteurs où les changements seront les plus importants, et les risques soulevés ou prévisibles, Bengio souligne l’importance d’améliorer le filet de sécurité (ex: revenus garantis) afin de soutenir l’adaptation des personnes à ces changements. Il en appelle à une meilleure fiscalité afin que la richesse produite par ces puissantes nouvelles technologies ne fassent pas que la concentrer encore plus tout en excluant, appauvrissant des masses de plus en plus grandes. Le remplacement des audits comptables par des audits moraux est suggéré afin de mesurer la contribution des entreprises au bien-être collectif.

La conférence de Charles C Onu (11 minutes) suivait : Saving Newborn with AI, où il expliquait comment l’enregistrement des pleurs des bébés naissants a permis de dépister, grâce au « machine learning », les enfants souffrant d’asphyxie périnatale au Nigeria. Voir le site de l’organisme www.ubenwa.com

L’intervention de Kathryn Hume (34 minutes) de chez Integrate.ai, s’intitulait Ethical Algorithms, Bias and Explainability in Machine Learning. L’intelligence artificielle est déjà utilisée par la justice américaine (entre autre pour aider les juges à statuer sur le risque associé à la liberté sous caution ou la libération sur parole) avec parfois des biais importants. Les algorithmes et « boites noires » qui définissent l’intelligence artificielle doivent être corrigés et expurgés des biais qui sont les nôtres (concepteurs, codeurs, analystes et usagers).

Et ce n’était que le début, la plénière d’ouverture de ce colloque de deux jours tenu les 25 et 26 janvier dernier à Montréal au Centre canadien d’architecture. Organisé par Alliance Impact Intelligence Artificielle (AIIA), on peut revoir la plupart des conférences et panels sur la chaine Youtube de AIIA.  La principale animatrice de l’évènement, Valentine Goddard, résume mieux que je ne saurais le faire les questions soulevées et pistes ouvertes dans un article (en anglais) au sous-titre (en français) synthétique : Pour que l’intelligence articifielle contribue au bien public, les citoyens doivent participer au débat sur les valeurs qui seront intégrées aux politiques et aux systèmes d’IA. Cet article et au moins deux autres, issus de conférences données au colloque((How can Indigenous knowledge shape our view of AI? et L’IA et nos principes de justice fondamentale)), font partie du dossier Dimensions éthique et sociale de l’intelligence artificielle, publié par la revue Options politique de l’IRPP, l’Institut de recherche en politiques publiques. Tracey Lauriaut mérite d’être lue : Values-based AI and the new smart cities, à propos du projet Sidewalk Labs (du groupe Alphabet) à Toronto.

L’intelligence artificielle est un terme flou, qui réfère autant à l’aide à la décision déjà à l’oeuvre dans les domaines juridique et médical, grâce à la consultation de masses importantes de données formelles accumulées dans ces secteurs, qu’aux systèmes de gestion des flux de circulation dans les villes ou encore aux méthodes du « deep learning » où les machines apprennent par elles-mêmes à partir de masses de données ou d’interactions pratiques dont elles tirent les leçons. Parce que les leçons ou décisions tirées de ces « apprentissages profonds » ne sont pas toujours explicables ou explicites (les interactions, corrélations et computations étant trop nombreuses et complexes), plusieurs conférenciers et auteurs ont mis de l’avant la nécessité de connaître et d’avoir accès aux algorithmes qui fondent les décisions et recommandations de l’IA. Une accessibilité aux algorithmes et aux données qui pourrait être garantie par une instance publique. On a parlé d’une éventuelle certification ISO pour le caractère éthique et respectueux des droits humains des mécanismes d’IA développés par les entreprises et les États.

Si on veut éviter que les règles habituelles s’appliquent au développement de l’IA, et ne servent qu’à accentuer et accélérer la concentration de richesse plutôt qu’à résoudre les problèmes qui confrontent nos collectivités, il est proposé de développer un Index de l’impact social qui permettrait de mesurer, en les distinguant des indicateurs habituels de rendement et résultats financiers, les coûts et rendements sociaux d’une entreprise ou une institution. La méthode proposée du Social Return On Investment (SROI) a fait l’objet d’une page et d’une fiche synthèse (pdf, 8 pages) par le TIESS l’an dernier. On y indique cependant que la « méthode SROI est très souvent coûteuse en ressources. »

Les annonces du gouvernement fédéral en soutien à une supergrappe d’entreprises autour de l’IA (SCALE.AI) n’avaient pas été faites au moment du colloque de janvier. Les gouvernements provincial et fédéral avaient annoncé en 2017 quelques 225M$ pour soutenir de développement des réseaux canadiens et québécois de recherche et développement en intelligence artificielle. Avec l’annonce récente du fédéral (15 février 2018) d’un financement milliardaire (950M$  pour les 5 grappes) qui « misera sur l’intelligence artificielle et la robotique afin de faire du Canada un chef de file mondial de la numérisation des chaînes d’approvisionnement industrielles » on ne semble pas s’orienter particulièrement vers la mission sociale ou la mesure de l’impact social des entreprises… On précise plutôt que l’objectif est d’accroître les revenus et la performance de ces entreprises. On comprend qu’il s’agit de la performance économique.

Les questions soulevées par le colloque de janvier, mais aussi par d’autres initiatives telle la Déclaration de Montréal IA Responsable_, sont d’autant pertinentes et urgentes que ces investissements massifs des gouvernements et entreprises privées risquent d’accélérer la concentration des richesses, des savoirs, des droits et des pouvoirs entre les mains d’un nombre de plus en plus restreint de corporations et de personnes.

Rôles des gouvernements, des OBNL, de la philanthropie

Le gouvernement fédéral Libéral se veut un leader mondial en matière de gouvernement numérique et ouvert : il occupe depuis peu un des quatre postes de représentants gouvernementaux (avec Italie, Afrique du Sud et Corée du Sud) au comité directeur du Partenariat pour un gouvernement ouvert ((Une organisation regroupant 75 gouvernements et des centaines d’organisations de la société civile)); le Canada est aussi devenu en mars 2017 l’un des 7 États membres du « Digital 7 », le D7, avec l’Estonie, Israël, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, la Corée du Sud et l’Uruguay. Un groupe d’États dont la mission vise « à adopter la technologie numérique dans l’intérêt des citoyens.» Ce comité se veut « une tribune qui permet aux nations membres d’échanger des pratiques exemplaires, de déterminer la façon d’améliorer la prestation de services numériques aux citoyens, de collaborer à des projets communs et d’appuyer et de promouvoir leurs économies numériques respectives en expansion.» La représentante de la Nouvelle-Zélande, qui semble avoir le leadership pour le moment, insiste sur les dimensions citoyenne et démocratique de l’orientation : « develop a fully citizen-centric approach (…)  make sure all our citizens are thriving in a digital world. »

Le président du Conseil du Trésor, Scott Bryson, est le ministre représentant le Canada sur ces deux comités internationaux. De manière congruente avec les principes d’un gouvernement ouvert, Michael Karlin, du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, proposait récemment pour commentaires et co-construction un document intitulé  :  Responsible artificial intelligence in the Government of Canada. En plus d’identifier différentes avenues concrètes par lesquelles l’IA pourrait aider à « mieux servir les canadiens », de même que les risques qui doivent être pris en compte, l’auteur nous rappelle que l’IA n’est pas une personne, mais bien un logiciel qui ne devrait en rien diminuer la responsabilité de l’organisation qui l’utilise.

AI is software, not a conscious being, and should not be ascribed agency over its actions. Doing so removes the accountability of an organization over its software. 

Une telle consultation semble bien reçue par le milieu, qui souligne toutefois l’effort à faire pour inclure des populations marginalisées ou réticentes (autochtones, syndicats). On note aussi les ressources limitées que les OBNL ont pour participer à de telles consultations, dont l’utilité ou l’impact sur les orientations gouvernementales sont loin d’être toujours évidents. Michael Geist parle même d’une « crise de la consultation » (Too Much of a Good Thing: What Lies Behind Canada’s Emerging Consultation Crisis).

Des initiatives comme celles de l’AIIA, ou encore la Déclaration de Montréal, ont le mérite de poser des questions, identifier des principes qui devraient guider l’action, de créer des ponts entre des mondes trop souvent étrangers (mission sociale et développement technologique). Que le gouvernement fédéral réfléchisse de manière ouverte et réactive aux conditions à réunir pour une application judicieuse et d’intérêt public de l’IA, c’est une bonne nouvelle. Mais c’est d’abord une question de régie interne des programmes et services gouvernementaux. Sûr que le gouvernement peut et doit jouer un rôle de bon élève, d’utilisateur exemplaire et responsable de la puissance de l’IA. Mais l’exemple suffira-t-il ? À la vitesse Grand V à laquelle les investissements se précipitent dans le domaine ?

Le fait d’assujettir chaque supergrappe à des chaines de production, de fabrication ou d’approvisionnement et à un financement au moins équivalent apporté par le privé, cela garantie que les investissements publics seront alliés à la croissance des intérêts dominants des secteurs retenus. Il est peut-être des réflexions qui mériteraient d’être menées à l’abris des pressions avides du marché.

La Fondation Ford et la Fondation MacArthur financent le AI Now Institute, logé à l’Université de New-York. L’institut a publié deux rapports. Le premier (2016) portait sur les impacts sociaux et économique de l’IA sur un horizon de 10 ans, alors que le second rapport, publié en 2017, se concentrait sur « labor and automation, bias and inclusion, rights and liberties, and ethics and governance. »

un avenir déprimant

Sommes-nous responsables ? Ou non ?

Pas tout à fait, pas les seuls… mais tout de même responsables de ce que nous ferons ou ne ferons pas.


Croissance zéro ou décroissance n’ont jamais été vraiment populaires. Dès le départ, en réponse au rapport du Club de Rome, Limits to growth (1972), les meilleurs esprits se sont ligués pour montrer qu’on ne pouvait arrêter de croître…

Il est rafraichissant de lire des blogues citoyens qui posent de bonnes questions…

Peut-être qu’il faudrait parler de décélération plutôt que de décroissance. Ralentissement de notre vitesse, de l’intensité de notre déprédation des ressources de cette planète. Car il aurait fallu trouver d’autres manières de croître, de se développer. Nous aurions pu, il y a quarante ans, changer de cap, réorienter nos processus… Nous ne l’avons pas fait.

De plus en plus on pense que les équilibres climatiques sont inéluctablement ébranlés et ont amorcé leur transformation chaotique. Les négationnistes pourront toujours prétendre que nous n’aurions pu, de toute façon, infléchir un processus qui s’était amorcé des centaines (milliers) d’années plus tôt.

Que faire si l’avenir qui s’annonce n’est pas la poursuite du développement et du progrès mais bien une lutte pour la survie dans des conditions de plus en plus difficiles ? Est-il encore temps de construire des résiliences ? Aurons-nous le temps de construire des sociétés de droits ?

Quand la mèche des gaz congelés s’allumera, il ne sera plus nécessaire de se priver pour éviter le réchauffement… car ça ne pèsera plus grand chose dans la balance ! Les « sociétés riches » (des villes, des régions, des îlots) prendront tous les moyens à leur disposition pour « se rafraichir », se protéger, se déplacer, se nourrir…

Les biens autrefois prisés par les classes moyennes (vins, viandes, automobiles) deviendront des biens rares, réservés aux nouvelles classes aristocratiques.requiemspecies Quand je lis des textes comme Requiem for a Species: Why We Resist the Truth About Climate Change, enfin, quand j’en lis le résumé offert par Dave Pollard, ça me déprime. Parce que j’ai tendance à croire que l’auteur de ce livre dit vrai : il est déjà trop tard, nous allons y passer dans le malaxeur de changements climatiques catastrophiques…

Peut-être est-ce inévitable, cette dépression. Pour changer de régime, de valeurs, de rythme. Pour perdre ses illusions, parce que nous ne pouvons plus être ce que nous avons tenté d’être… ce que nous avons été, partiellement, aveuglément, obstinément. (Relire Ehrenberg – La fatigue d’être soi) Pollard identifie des qualités à cultiver en ces temps de « transformations radicales » : autonomie, attachements communautaires, résilience, indépendance à l’endroit des pouvoirs centralisés…

Saurons-nous mobiliser nos pairs, l’humanité dans une action commune pour « sauver » ce qui peut l’être… pour transmettre aux générations futures plus que des cendres ? La Science est-elle du bon côté ? Les sciences sont par trop imbriquées, inextricablement entremêlées aux appareils techno-industriels pour être jugées en dehors des cultures et sociétés qui les ont nourries.

Les débats qui ont ponctué la prise de conscience des limites de la planète montrent à l’évidence les dimensions politiques des modèles scientifiques utilisés pour poser les questions pertinentes, fournir les outils méthodologiques et les concepts utiles à l’appréhension de la situation  collective de l’humanité.

Les choix méthodologiques et scientifiques ne sont pas neutres.

Les sujets humains sont-ils responsables ? Ou s’ils ne sont que des animaux doués de langage et d’une exceptionnelle capacité d’abstraction et de planification qui auront fait de lui l’espèce dominante sur terre pendant quelques millénaires.

 

science d’intérêt public

Aujourd’hui, le 16 septembre se tiennent à travers le Canada des assemblées « Standup for Science » ou Tous ensemble pour la science.

 Au cours des dernières années, nous avons vu plusieurs coupures budgétaires touchant d’importantes institutions scientifiques, nous avons vu le financement des programmes redirigé vers la commercialisation de la recherche, et nous avons vu les scientifiques du gouvernement perdre leur capacité à communiquer les résultats de leur recherche au public.

La science est importante pour les Canadiens et Canadiennes. La recherche scientifique de qualité, lorsque associée à un processus décisionnel éclairé, protège notre eau et qualité d’air, nous garde en santé, s’assure que notre nourriture est saine et prépare les Canadiens et Canadiennes à l’avenir. Notre bien-être ainsi que notre prospérité à long terme va de pair avec l’alignement de la science et de l’intérêt public.

« [L]’alignement de la science et de l’intérêt public » il me semble que cette manière de dire affaiblit l’ensemble de l’appel au public. C’est parce que la « science » et le savoir académique n’avaient pas si bonne presse ni n’était près du coeur du public que le gouvernement Harper a pu la maltraiter autant. L’anti-intellectualisme cher aux populistes a bien servi les conservateurs : en y sacrifiant même le recensement canadien, un joyau de la science statistique internationale, Harper réaffirmait la primauté de la volonté, de la décision politique sur l’analyse, la réflexion, l’interprétation des faits.

Pourtant nous avons à la fois besoin de réflexion ET d’action. Et il serait plus qu’intéressant, essentiel même que les deux soient articulées, idéalement harmonisées. Mais il n’y a pas qu’avec le pouvoir politique que la science a parfois « maille à partir ». Les medias participent aussi à ces déformation des faits et ventes de vessies pour des lanternes. Le dossier du pétrole fantôme à Anticosti en est un bel exemple (voir Pas une goutte de pétrole à Anticosti).

Nous avons et aurons besoin de plus de science, non pas moins. Une science qui soit d’intérêt public. Dont les résultats soient publics, d’accès libre. Dont les grandes orientations soient délibérées.

éloquence graphique

Deux graphiques tirés du concours 2012 Visualization Challenge de la revue Science. Le premier résume 4,6 milliards d’année d’évolution de la terre (géologie, biologie…)

2012 Changing PlanetLe second illustre les enjeux liés à la production, l’utilisation et au recyclage des médicaments et produits pharmaceutiques.

Pharma_transport_diagram

J’ai dû chercher sur Internet des versions plus détaillées que celles présentées sur le site de Science… Vous pourrez en faire des posters !