ça dort au gaz, à la CAQ

L’Hydro-Québec de la CAQ invite les industries gourmandes en électricité, mais incite les villes à se brancher au gaz !

La ville de Saint-Bruno-de-Montarville a sans doute de bonnes raisons pour expérimenter des solutions qui assureraient la résilience en cas de crise climatique : plusieurs se rappellent de la longue, très longue crise du verglas de 1998.

Et la géothermie ? Pourquoi HQ n’incite pas plutôt à installer et expérimenter des solutions de géothermie qui joueraient le rôle du gaz pendant les pointes hivernales et estivales… et, associées à des capacités de stockage locales, pourraient doublement servir en pointe ?

Je suis sidéré de voir qu’on peut faire sortir de terre des quartiers complets (Angus, Griffintown…) alors qu’on creuse profondément le sol pour y couler les fondations d’édifices en hauteur (pour Griffintown en tout cas) et qu’on ne profite pas de l’occasion pour installer des systèmes autonomes de géothermie qui serviraient à rafraichir l’été et chauffer l’hiver, et cela en diminuant la demande faite au système central d’HQ. La solution promue par cette dernière est plutôt de dire aux villes de se brancher sur le gaz, afin de réduire la demande de pointe sur le système. Sans doute parce que l’électricité ainsi épargnée peut être alors vendue plus chère aux clients commerciaux ou internationaux ?

C’est en lisant un article de La Presse : 700 logements avec vue sur un poste électrique sur Berri que cette idée m’est revenue. Je l’avais tiré de ma lecture (énergie propre et patrimoine) des mémoires déposés lors de la consultation estivale faite par le gouvernement de la CAQ sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec.

Comment se fait-il que les grands projets de développement immobiliers n’ont pas encore adopté la géothermie (associée à des mesures de stockage local) comme source écologique d’énergie ? Parce que les tarifs résidentiels pratiqués actuellement ne justifient pas de tels investissements. Ni pour Hydro-Québec, ni pour les constructeurs. Pourtant, comme plusieurs le suggèrent, si la production décentralisée (municipalités, coopératives) était favorisée, avec des mesures de stockage et d’échange bi-directionnel permettant de diminuer la pression de pointe sur le système (par exemple en permettant d’utiliser la batterie des autos électriques ou les accumulateurs d’ensembles résidentiels) c’est la productivité de l’ensemble qui y gagnerait. 

énergie propre et patrimoine, Gilles en vrac…, 2023.09.03

Il n’est pas besoin de changer les tarifs résidentiels seulement d’inclure l’investissement nécessaire dans la facture globale des infrastructures de HQ. Un tel investissement est rentable en ce qu’il permet de réduire la demande de pointe, comme le soulignait le mémoire du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement déposé aux consultations de l’été dernier.

[A]u vu de la nécessité d’électrification de notre société, il est clair que ces mesures portant sur la consommation ne seront pas suffisantes et qu’il faut également déployer des mesures portant sur l’appel de puissance.

Concernant le chauffage résidentiel, il est important de rappeler que les mesures de sobriété et d’efficacité énergétiques, dont notamment la rénovation thermique, auront directement pour effet de réduire l’appel de puissance lors des pointes. En parallèle, les développements des thermopompes, des accumulateurs de chaleur et de la géothermie doivent être priorisés et systématiquement évalués pour les nouveaux bâtiments. Concernant les véhicules électriques, ils offrent une grande possibilité de déplacer l’appel de puissance en dehors des pointes et pourraient également contribuer à fournir de l’électricité au réseau en agissant comme autant de batteries.

GB souligne. Mémoire du RNCREQ, été 2023.

Mais c’est aussi un investissement qui est rentable du point de vue de nos objectifs d’augmenter la résilience de nos systèmes tout en réduisant notre dépendance collective aux énergies fossiles.

Comme le demande une centaine d’organisations et de regroupements de la société civile québécoise, nous avons besoin d’une planification intégrée (et non en silos) du développement énergétique québécois. Voir 14 revendications d’un regroupement de la société civile pour un avenir énergétique juste et viable au Québec.

un optimiste du climat

Lectures récentes (2)

How to be a climate optimist, par Chris Turner

Un auteur canadien vivant à Calgary, Chris Turner collectionne les bons coups, les avancées technologiques et politiques (dont plusieurs canadiennes) qui lui permettent d’être encore « optimiste » face à l’avenir climatique. La qualité de son travail lui a valu de gagner le prix Shaughnessy Cohen 1Pour une œuvre politique, décerné par la Société d’encouragement aux écrivains canadiens, est attribué à l’auteur d’un ouvrage non romanesque qui traite d’un sujet politique et qui éveille l’intérêt des lecteurs canadiens tout en approfondissant leurs connaissances sur ce sujet..

Il n’est pas seul à être optimiste, Jon Palais, dans son livre La bataille du siècle sur lequel je reviendrai bientôt, disait « il faut toujours combattre le défaitisme structurel qui est resté très fort dans le milieu politisé et militant écologiste. Il y a une tendance à l’autoflagellation, aux discours pessimistes, aux récits selon lesquels tout est déjà perdu, qui explique une part significative du niveau encore trop faible de notre rapport de force. Le défaitisme est la première condition pour garantir une défaite. » Et aussi « « Il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté », écrivait Antonio Gramsci. Mais il y a aussi un optimisme de la raison. En quoi la transformation de notre société à partir d’alternatives déjà existantes serait-elle moins faisable que d’autres prouesses dont nous avons été capables ces dernières décennies ? Comment s’imaginer incapables d’organiser des villes sans voitures alors qu’on a été capables d’envoyer des hommes marcher sur la Lune ? »  (je souligne).2Mariana Mazzucato, dans son livre Mission Economy est aussi une optimiste qui fait appel à l’esprit du projet Apollo sans que ses arguments soient tout à fait convaincants

Mais revenons à Turner dont la prose engageante nous fait voyager, en tant qu’enfant d’une famille de militaire puis en tant que reporter pour visiter le siège social de Unilever en Allemagne ou encore diverses initiatives autochtones canadiennes en matière d’énergie photovoltaïque. Il me fait découvrir cette compagnie montréalaise dcbel, qui permet de transformer son véhicule électrique en génératrice d’appoint en cas de panne du réseau, ou encore le fait que la Colombie Britannique a adopté un code du bâtiment ( le British Columbia’s pioneering Energy Step Code) visant à faire que chaque (nouvelle ?) maison soit « net zéro » en 2032. Il raconte avec verve les origines et l’impact qu’a eu le projet Energiewende (transition énergétique) en Allemagne. Nous allons visiter une petite île danoise qui expérimente un réseau électrique intelligent…

Turner se fait le chantre d’un optimisme quasi euphorique (« What I mean is dammit this transition has to be optimistic. It has to have some excitement to it, at least a little exuberance, the promise of euphoria » p. 255). C’est probablement plus attrayant en tant que conférencier. Je suis même d’accord avec lui quand il affirme « The global energy transition has to be not a flight from danger but a march, even a race, toward a better world (…) People, masses of them, don’t build something much better in panic and terror. » (pp. 252, 255). Il est tellement optimiste que, d’après lui le scénario d’augmentation de la température à 2,50C est le pire qui puisse arriver ! (the 2.5°C scenarios now strike me as verging on the worst case.) Cet optimisme de principe vise à amadouer le quidam qui, on le sait, a plus peur de perdre maintenant qu’envie de gagner plus tard. Comme dit si bien l’adage : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Mais le parti pris technophile de Turner est un peu trop insistant et facile. Très peu de remise en question du tout pour l’auto, même si sa couverture positive des villes plus denses et complètes (quartiers de 15 minutes) et ses références incidentes à la bicyclette pourraient ouvrir à une telle critique. Restons positifs, tel semble être le motif, la stratégie principale : pour compenser les discours trop défaitistes, sans solution. C’est d’ailleurs la principale critique qu’il adresse à Wallace-Wells et son The Uninhabitable Earth, qui disent qu’il faut changer de paradigme, freiner la consommation, réduire la dépense énergétique : on ne répond pas au Comment ! Comment faire pour changer de paradigme. Les discours s’arrêtent le plus souvent au constat, à la liste des catastrophes actuelles ou attendues, avec souvent comme sous-texte qu’il est (presque) trop tard. Autrement dit on est toujours positif sauf quand il s’agit des environnementalistes à qui il réserve ses pires critiques.

L’auteur raconte avec enthousiasme la construction d’une nouvelle usine d’aluminium au Lac St-Jean3et avec autant d’enthousiasme l’arrivée des F150 électriques qui auront besoin de beaucoup de cet aluminium avec un nouveau procédé plus propre en oubliant d’inclure dans le portrait les dégâts que causent l’extraction de l’alumine (alumina)en provenance de l’Amazonie ! (De quelle couleur est votre aluminium ? En anglais)

On ne peut pas dire que la dimension humaine ou politique soit absente de son essai, c’est même une des parties les plus intéressantes : quand il parle des initiatives autochtones en matière d’énergie photovoltaïque… Mais la solution ne viendra pas de l’ONU, dit-il en tête de chapitre. Il faudra encore des Walmart et des Siemens dans le monde de demain. Pour répondre aux besoins quotidiens des gens autant que pour les déplacer dans les trains du futur…

L’égoïsme, les comportements inadmissibles des minorités riches et des corporations aveugles ? On ne les rencontre pas dans cette hagiographie4Des histoires de saints des innovateurs, des technologies prometteuses, des projets expérimentaux et des miracles nécessaires…

C’est vrai, on ne construit pas un monde meilleur dans la précipitation, encore moins dans un état de panique. Et qu’on n’attire pas les abeilles avec du vinaigre. Mais je ne peux m’empêcher, en terminant ce livre primé comme le « meilleur essai politique canadien », d’avoir un arrière goût d’aluminium dans la bouche. Oui le chemin parcouru au cours des dix ou vingt dernières années est fantastique, surtout quand on se centre, pour les besoins de la démonstration, sur certains aspects de la réalité : les avancées technologiques, les changements rapides d’attitudes…

Mais la rapidité avec laquelle les changements climatiques additionnent les catastrophes, les précédents, les points de bascule potentiels devrait nous inviter à la prudence dans notre optimisme. L’optimisme euphorique dans ce contexte confine à l’inconscience et au déni confortable du repu.

Turner propose une longue citation d’une scientifique (Katharine Hayhoe), où elle souligne que l’information qui a eu le plus d’impact dans ses communications sur le climat est d’avoir dévoilé qu’elle est Chrétienne. La science n’est pas suffisante, c’est l’identification avec le porteur de nouvelles qui pèse, comme on a pu s’en apercevoir pendant la pandémie. L’argument scientifique, la logique et la raison n’ont que peu de poids devant l’habitude, l’intérêt personnel immédiat et le conformisme.

La politique est un rapport de force, c’est ce que n’oublie jamais Jon Palais, dans La bataille du siècle, qui sera l’objet de mon prochain billet.

Notes

  • 1
    Pour une œuvre politique, décerné par la Société d’encouragement aux écrivains canadiens, est attribué à l’auteur d’un ouvrage non romanesque qui traite d’un sujet politique et qui éveille l’intérêt des lecteurs canadiens tout en approfondissant leurs connaissances sur ce sujet.
  • 2
    Mariana Mazzucato, dans son livre Mission Economy est aussi une optimiste qui fait appel à l’esprit du projet Apollo sans que ses arguments soient tout à fait convaincants
  • 3
    et avec autant d’enthousiasme l’arrivée des F150 électriques qui auront besoin de beaucoup de cet aluminium
  • 4
    Des histoires de saints

le temps qui nous reste

Le bulletin quotidien Daily Dose of Resilience me fait connaître le blogue d’un astrophysicien, Tom Murphy, Do the Math. Je retiens deux articles publiés récemment : The Cult of Civilization (2022.10.04) et The Simple Story of Civilization (2022.12.19).

Une version vidéo (30 minutes) sous forme d’entrevue portant sur ce dernier texte a été réalisée par Nate Hagens :

Ce même Tom Murphy (enseignant à l’Université de Californie à San Diego) publiait en 2021 un document de référence (textbook) : Energy and Human Ambitions on a Finite Planet (PDF gratuit de 465 pages).

Un tour d’horizon des sources actuelles et potentielles et des difficultés prévisibles (ou impossibilités) pour remplacer les actuelles énergies fossiles. Comme il le disait à la fin de son « The Simple Story… » (ma traduction)

« la poussée vers la transition vers les énergies renouvelables est, à mon avis, malavisée. Le but implicite est de préserver la civilisation dans essentiellement son état glorieux actuel en la maintenant alimentée pour continuer de la manière la moins perturbatrice. Perturbateur de quoi? De nos préoccupations économiques? La civilisation s’avère être terriblement perturbatrice pour le monde naturel. En donnant la priorité à la préservation de la civilisation, nous élevons cette construction éphémère et artificielle au-dessus de la biodiversité et d’un écosystème sain: une prescription pour un échec certain. »

Il n’y a pas de solution facile, de plan à suivre simplement… mais il faudrait arrêter de s’imaginer qu’on peut juste changer les moteurs à essence pour des moteurs électriques ! Le virage nécessaire est beaucoup plus radical.


préoccupations pré-post-électorales

Je suis préoccupé par la polarisation des opinions dans le cadre de la prochaine élection municipale. Une polarisation d’autant facilitée que l’élection ne mobilise  qu’une minorité de la population en terme d’intérêt et de participation.

Préoccupé parce que les grands enjeux qui traversent et déchirent le territoire ne sont pas entre les mains de nos élus municipaux. Ce sont des initiatives qui appartiennent à d’autres niveaux de gouvernement quand ce ne sont pas  simplement des entités privées qui décident d’investir des centaines de millions pour construire des tours d’habitation ou encore des milliards, à même nos épargnes collectives, pour s’assurer d’une rendement financier à long terme sans égard à la planification de nos transports collectifs.

Si les enjeux qui vont façonner l’aménagement urbain des prochaines décennies sont entre les mains du gouvernement provincial alors il faudrait que… nous développions des alliances avec les autres centres urbains québécois qui pourrait avoir des intérêts similaires aux nôtres. De telle manière, que nous puissions faire valoir ces intérêts d’une manière coordonnées et même majoritaire lors de prochaines élections provinciales.

Nos valeurs

Nos élus reflètent nos valeurs, nos choix, nos limites.

Parfois, dans des circonstances extraordinaires, ils peuvent nous surprendre et montrer la voie, défendre des principes ou nous tirer vers une vision généreuse ou progressiste de l’avenir. 

Mais de manière générale, en démocratie, les tensions et contradictions entre groupes, classes, régions empêchent que des changements importants soient accomplis rapidement. 

Sauf quand le désir de changement s’est construit lentement, comme un ressort qui se tend. Je pense à la période de « révolution tranquille » où des changements rapides et importants ont pu se produire et transformer profondément la société et ses institutions. Cette période a été possible parce qu’un grand retard avait été accumulé sur la « modernité » et que le changement apparaissait nécessaire au plus grand nombre. De plus, les axes et pistes à suivre étaient assez clairs : il fallait rejoindre les rangs des sociétés modernes. 

C’est bien d’avoir des leaders qui savent rassembler et rassurer dans des périodes de crise où le danger est imminent. C’est plus difficile de rassembler quand il ne s’agit plus de rester chez soi et d’attendre son chèque mais de décider si on construira une autoroute ou un parc; si on doit vendre le patrimoine pour abaisser les taxes ou réduire les écarts de richesse et construire des villes et villages sains. 

Il nous faut construire, pierre à pierre, un nouveau consensus porteur de nouvelles valeurs, de nouvelles pratiques sociales de protection, d’éducation et de solidarité. Dénoncer les extravagances et le gaspillage qui sont encore la marque de la réussite dans nos sociétés. Promouvoir la sobriété, le « care » et le soin dans nos quartiers, nos villages, nos régions. 

Continuer la lecture de « préoccupations pré-post-électorales »

Se battre pour ne pas désespérer

Comment garder espoir en l’avenir quand le gros des efforts semble se borner à ne pas reculer en quatrième vitesse ? Il nous faudrait un plan pour éliminer TOUS les VUS (véhicule utilitaire sportif) de nos routes d’ici quelques années (et non quelques décennies) et on continue d’ajouter des autoroutes, d’empiéter sur les terres agricoles… La publicité pour ces véhicules continue même d’occuper la première place sur les ondes télévisuelles. C’est « normal »  puisque ce sont les véhicules les plus vendus : ces « véhicules énergivores composaient  79,9% des nouveaux véhicules personnels vendus en 2020 », selon la dernière étude d’Équiterre.((Voir les recommandations d’Équiterre pour réduire notre dépendance aux VUS.)) Comment prétendre préparer le changement alors qu’on continue de promouvoir les vieux modèles ? Ces publicités sont la meilleure preuve de l’incapacité du capitalisme à nous sortir de l’impasse, disait Bernard Perret, dans Quand l’avenir nous échappe, 2020.

Il semble bien que l’homo economicus domine sans partage : celui qui ne pense qu’à son intérêt individuel à court terme. Après moi le déluge ! ou encore YOLO (You Only Live Once) résument bien sa philosophie. Pour d’autres, un peu moins cyniques en regard de l’avenir et des autres, ce sera : « Une dernière fois » — « C’est mon dernier VUS »… Pourtant il y en a déjà trop. Il faudrait tout mettre en oeuvre pour inventer de nouvelles solutions, expérimenter de nouveaux modes (de transport, de partage, de travail). Il faut arrêter de creuser parce que l’objectif est de sortir du trou !

La plus grande victoire des néo-libéraux depuis quarante ans aura été de nous convaincre de l’incompétence, ou pire de la nocivité, de l’intervention publique. Ce qui a conduit au recul systématique et sur tous les fronts de la légitimité de l’intervention publique, au nom des supposées plus grandes efficacité, flexibilité ou créativité de l’entreprenariat capitaliste. Comme souvent les meilleurs mensonges comportent une part de vérité, l’intervention publique de la fin des 30 glorieuses (fin des années ’70) était devenue pléthorique, trop puissante pour la qualité du projet social qu’elle proposait : de plus grands HLM, des polyvalentes encore plus immenses, des autoroutes encore plus larges passant par les quartiers les plus pauvres… Des investissements structurants qui ne menaient nulle part, ou ne savaient plus où aller. Mieux valait laisser l’argent entre les mains de « ceux qui  le produisait », comme on se plaisait à le colporter à l’époque : « Les services publics sont financés par la richesse produite par le secteur privé ». Heureusement de telles inepties sont moins populaires aujourd’hui : la richesse privée ne peut exister sans les multiples formes de soutien du public, du communautaire, du philanthropique, du religieux… La richesse privée n’existerait pas sans la culture commune qui fonde tant le respect de la loi que la croyance en la valeur des contrats ou de l’argent. 

Toujours est-il que pendant plus de quarante ans la bride a été laissée, en quelque sorte, sur le dos du capital, pendant que les États étaient amenés (forcés) à réduire leurs ambitions, l’ampleur et le caractère structurant de leurs interventions. Plutôt que de construire des institutions et des infrastructures on a distribué des prestations… à crédit. (Voir W. Streeck, Du temps acheté, 2014) Mieux valait laisser libre cours à la créativité des groupes d’intérêts. Regardez le progrès : tous ces iPhones qui se promènent avec un humain en laisse; et toutes ces livraisons d’Amazon qui arrivent magiquement sur le pas de nos portes. Toute cette richesse de créations culturelles qui siphonne par dizaines de milliards les poches des consommateurs : à qui les Disney, HBO, TV+, Netflix, Prime, et autres fourgueurs de rêves ? 

Autrement dit nous avons laissé se développer les industries du rêve et de l’illusion, un système producteur de «gadgets and profits », disait Fraser au dernier colloque du CRISES, plutôt que de nous préparer à ce qui était déjà annoncé il y a 50 ans (Halte à la croissance ?, 1972), et prévisible depuis plus longtemps encore. Le report de l’intervention à plus tard semblait justifié alors puisque la technologie allait, demain, résoudre plus facilement les problèmes soulevés par le développement (pollution, surpopulation, réchauffement, extinctions de masse…).  Aussi il  était difficile d’arrêter un modèle, un plan d’action. On a plutôt investi dans les technologies de l’information et des communications, la micro-informatique et la diffusion de masse, les réseaux et contenus « intelligents »… Le transport des marchandises et des personnes s’est aussi grandement développé au cours des dernières décennies. C’était la concrétisation de l’idéal néolibéral: plus de commerce à l’échelle du globe et la planète s’en portera mieux, avec moins de guerres et plus de développement dans les pays « du sud » ! Mais c’était aussi, pour beaucoup, le développement de « gadgets » profitables parce qu’orientés vers des clientèles solvables et nombreuses : les fameuses classes moyennes (3 graphiques tirés de Capital et idéologie de T. Piketty, et quelques commentaires). Des gadgets et des cabanes, avec des autoroutes pour s’y rendre. 

Nous avons laissé se développer une infrastructure hypertrophiée des communications et du transport des marchandises au détriment d’une emprise plus fine qui soit respectueuse de la qualité des milieux de vie et des habitats mobilisés par la production marchande. De même les entreprises d’extraction (de minéraux, de bois, de produits végétaux, d’élevage et de la pêche) se sont développées sans égards (ou si peu) aux conséquences sur la viabilité à long terme de notre monde. 

Jusqu’à la chute du mur de Berlin, on pouvait prétexter, pour ne pas se préoccuper de la planète, des conceptions incompatibles du monde entre les protagonistes géants qui ne pouvaient avoir la confiance nécessaire à une telle entreprise commune. Mais après la chute ? Il n’y avait plus d’urgence, plus de menace extérieure questionnant la légitimité même du système capitaliste. Ne restait que la pression des associés et des compétiteurs, des groupes de citoyens et de consommateurs, des syndicats et des corporations professionnelles… Les États ont quand même poursuivi certaines discussions et négociations autour d’enjeux d’intérêt particuliers (droits des mers, pollutions spécifiques telle les HFC, changements climatique…) tout en préservant, valeur ultime, la libre circulation du capital

Ce qui nous donne un peu d’espoir, malgré tout

Les appels à l’action, « Au delà de la rhétorique », de la part d’agences ou d’instances qui sont plutôt discrètes habituellement : 

Les grands groupes financiers se font demander ce qu’ils ont de « valeurs viciées », de capitaux à risque de dépréciation rapide dans leurs coffre-forts et au coeur de leurs alliances industrielles. ( Mark Carney : Values: Building a Better World for All )

Les États aussi se feront demander ce qu’ils ont fait, au delà des discours et de la petite politique : Quels gestes ont été posés, avec quels résultats ? Plutôt que d’agir de manière défensive et tactique, un pied sur l’accélérateur et l’autre sur le frein, les États doivent renouer avec des missions mobilisatrices et audacieuses : il nous faudrait pour le climat l’équivalent du plan « Shot to the moon » lancé par Kennedy pour « atteindre la lune avant la fin de la décennie ». Voir Mariana Mazzucato et sa remise en valeur de l’action publique, de l’État (Mission Economy: A Moonshot Guide to Changing Capitalism, 2020 ; L’État entrepreneur 2020 [The Entrepreneurial State, 2011, 2013, 2015] ).

Mais ce qui me donne aussi de l’espoir, car on ne peut totalement se défaire de ses responsabilités sur le dos des élus et des riches… C’est qu’on était 500 000 dans la rue et que demain nous serons 1 000 000. C’est que l’action collective, la vitalité des engagements citoyens, communautaires, bénévoles ou philanthropiques ne cessent de m’épater. Les coalitions inédites et audacieuses se multiplient : les G15+, Québec ZéN, Alliance Ariane (sans parler des Équiterre et autres Fondation Suzuki qui agissent sur ce front depuis longtemps) sont essentielles car l’objectif n’est pas simplement de remplacer les F150 au pétrole par des F150 électriques ! Nos industries devront s’adapter — et elles le feront d’autant mieux que des balises, des limites dures, non-négociables seront établies. 

Les comportements et les choix individuels et locaux devront aussi s’adapter, évoluer. Il faut discuter et dénoncer les abus et promesses non tenues, débusquer les discours vides et trompeurs qui masquent l’inaction ou les actions contraires aux principes et à l’intérêt public. La critique et la dénonciation sont aussi nécessaires que l’encouragement et l’incitation. Les « malus » sont aussi importants que les « bonus ».  Encourager la vertu n’est pas suffisant, il faut dissuader les comportements nocifs… Saviez-vous qu’il n’y a pas si longtemps on pouvait fumer à bord d’un avion ou dans un autobus au long parcours, sans aucun remord ! Hé bien aujourd’hui l’autobus, c’est la planète. Oui, cette mince couche d’air qui entoure la terre et permet aux êtres vivant de respirer… on y rejette CO2 et autres polluants sans vergogne, parce que c’est permis, ou encore parce que « mon produit trouve des acheteurs‘.

Finalement, et contrairement à ce que je laissais entendre plus haut, l’homo œconomicus n’est pas le seul modèle d’humain raisonnable. Elinor Ostrom, dans Collective Action and the Evolution of Social Norms, montre bien qu’en plus de l’égoïste rationnel (homo œconomicus) il existe au moins deux autres types de personnes : le coopérateur conditionnel et le châtieur (punisseur) volontaire [willing punishers]. Et si l’égoïste rationnel peut profiter, ou exploiter un temps la situation, seule l’existence des deux autres types de personnalité permet de construire des sociétés durables. L’égoïste rationnel ne peut pas être le seul modèle de rationalité, pas plus que le secteur privé n’est le seul producteur de richesse.

Billet aussi publié, le 2 juin, sur Nous.blogue

Endettement des gouvernements et action publique

Contrairement aux conversations spontanées que j’ai parfois le plaisir d’avoir avec Sophie Michaud de chez Communagir, il me fallait cette fois « me ramasser » pour que notre entretien ne dure pas plus que 5 à 7 minutes. Notre 1er essai faisait plus de 20 minutes! Le 2e essai n’en faisait que 9 et nous n’avons pas tenté d’en faire un troisième, la spontannéité se perdant à chaque itération !

J’aborde dans ce court entretien vidéo (diffusé sur la page Facebook de Nous.blogue) la question de la dette publique mais surtout, finalement, celle de la capacité d’agir et de l’obligation d’agir de nos gouvernements. L’obligation d’agir pendant la pandémie pour combler le manque à gagner des employés qui sont obligés de rester chez eux; pour soutenir aussi les entreprises dans l’obligation de fermer ou qui font face à des conditions de fonctionnement qui sont plus coûteuses qu’à l’habitude.

Un soutien aux entreprises et aux individus qui devrait se poursuivre pendant la période de relance qui suivra la pandémie. Ce qui s’est traduit par une importante dépense publique imprévue, inhabituelle. Mais aussi par une nouvelle reconnaissance de l’importance du pouvoir public dans son rôle de régulateur, d’initiateur ou de contrôleur. 

Après la pandémie nous aurons encore besoin de cette responsabilité publique retrouvée pour accomplir certaines tâches reportées (pour cause !) ou répondre à des besoins mis en lumière par la crise, notamment: relocaliser certaines productions et pas seulement celle des masques; ou encore cette tâche, à plus long terme mais non pas moins urgente, qu’est celle de décarboner nos modes de production et de vie. Et finalement, pour la faire cette décarbonation et cette relocalisation, il faudra les faire à l’échelle globale. Grâce, premièrement à la traçabilité de nos chaînes de production, afin de connaître non seulement le contenu en carbone qui se trouve dans nos produits mais aussi la quantité de vie sauvage qui a été sacrifiée pour nous fournir ces produits. Cela nous permettrait de savoir, par exemple, quand on mange une boule de crème glacée si on mange en même temps une partie de l’Amazonie! Finalement faire cette traçabilité à l’échelle globale nous permettra d’imposer une taxation à la frontière afin que nos efforts d’ici ne soient pas rendus inutiles par les laxismes des pays d’où nous importons nos biens.

Mais toute cette responsabilité sociale et économique retrouvée implique des coûts. Et comment allons-nous payer tout ça? C’est un peu la question qui se pose. Il semble que la première façon qui vienne à l’esprit des gouvernants et des commentateurs c’est l’endettement public, autrement dit : on n’a pas l’argent maintenant mais on payera plus tard. Et on compte sur le développement économique à venir pour faire en sorte que le poids de la dette diminue de plus en plus par rapport au PIB. Mais cela revient aussi à soumettre de plus en plus l’action des gouvernements à l’opinion et l’humeur des marchés et des agence de notation de crédits : « Ah, on va perdre notre cote AAA ». Ce qui faisait dire à Gaël Giraud : « La dette c’est un alibi pour l’austérité ». 

Une autre façon, moins à la mode depuis quelques décennies, de faire face à ses obligations pour un gouvernement est par les impôts et la taxation. Ici il n’est pas inutile de rappeler qu’en 1949, par exemple, un salaire de 500 000$ était imposé à 92 % alors qu’aujourd’hui, comme en 1925 d’ailleurs, les hauts salaires (ou sont-ce les revenus?) ne sont imposés qu’à 25 %. (Et on n’a pas parlé d’un impôt qui pourrait être prélevé de façon exceptionnelle ou ponctuelle sur les grandes fortunes).

En plus de l’endettement des gouvernements ou de l’imposition des citoyens de la génération actuelle, il existe une autre, une troisième manière de soutenir l’action publique. 

En effaçant certaines dettes gouvernementales ou encore en utilisant ce qu’on appelle de la « monnaie hélicoptère » les banques centrales peuvent intervenir pour soutenir l’action des gouvernements et des sociétés. Contrairement à l’idée reçue, les banques centrales ne sont pas neutres. Lorsque les banques centrales viennent en aide aux entreprises en difficulté (en rachetant les prêts consentis par les banques commerciales), à qui profitent le plus de ces aides ? Ce sont souvent des entreprises dont il faudrait se départir collectivement, notamment les entreprises du secteur de l’énergie fossile. Pour certains commentateurs et chercheurs, notamment les gens de l’Institut Veblen, il faudrait que les banques centrales interviennent plus directement, notamment en soutenant les secteurs « verts », plutôt que de faire semblant d’être neutre. « Une politique monétaire qui ne tient pas compte des facteurs qui contribuent à cette crise [climatique] est tout sauf neutre. » (Réussir le Green Deal, Institut Veblen)

Pendant la période qui s’ouvre où les sociétés devront déployer des engagements financiers technologiques et humains à hauteur encore jamais vue, à la fois pour sortir de la crise actuelle mais aussi de celle qui vient (climat), il faudra être créatifs et peut-être même aller jusqu’à oser utiliser de la « monnaie hélicoptère ». 


Pour aller encore plus loin je vous suggère, sur la question du rôle des banques centrales [et de la monnaie hélicoptère, mais aussi les interventions des banques centrales] : Pour sortir de la crise : repensons la monnaie, 27 mai 2020, Institut Veblen; Vivement la monnaie hélicoptère !, 13 avril, Médiapart; La « monnaie hélicoptère » ou le désastre, 30 mars 2020, L’Obs; et aussi, en anglais, juste publié par Foreign Affairs : The Age of Magic Money – Can Endless Spending Prevent Economic Calamity?

Sur la question plus générale de la transition mais aussi de la traçabilité, de la taxation aux frontières : Réussir le « Green Deal » : un programme social-écologique pour sortir l’Europe de la crise, 21 mars 2020, Institut Veblen. 

En mode vidéo…

L’audition de Gaël Giraud sur la relance verte au Sénat français, en mai 2020. Une demi-heure de présentation suivie d’une heure de réponses aux questions allumées des sénateurs.

Pour un survol pédagogique, en mode vidéo, des dimensions financières de la crise actuelle et de la transition à venir : Gaël Giraud, économiste et jésuite, est une boussole essentielle. Quelques titres : Son audition devant le sénat français sur la relance verte (ci-haut); Apprenons à partager les ressources pour sauver le vivant (un Ted talk de 18 minutes fait en 2018); Tsunami financier, désastre humanitaire ? (entrevue d’une heure trente-six, par Thinkerview, 2019). Pour plus : chercher son nom dans Youtube. 

gazouillis et citations

Alors qu’on ne cesse de répéter que nous manquons de moyens de faire des tests… ce qui nous oblige à naviguer à l’aveugle quand il s’agit de planifier le processus de déconfinement… Jusqu’où le contrôle et la propriété des pharmaceutiques est-il responsable de cette pénurie ?

Les dettes qui s’accumulent par milliards chaque jour qui passe annoncent-elles des années et décennies d’austérité ? Mesures d’austérité passées qui sont en partie la cause des problèmes actuels ?


Une belle synthèse de la situation actuelle, économique-écologique. par cet économiste, philosophe et… jésuite !


L’industrie de l’automobile fait face à une crise immédiate et un déclin annoncé. Comment réagira-t-elle? — un article du The economist

On April 17th Ford raised $8bn of debt at painful interest rates of 8.5-9.6%.
Adaptation would be far preferable to extinction. And yet there is a risk that government aid ossifies car firms before they have modernised.
Subsidies for idling workers help in the short run, but if they go on for long they risk preventing firms from shifting resources from old to new technologies.
Most car firms have two parts, a vast legacy operation and a small, loss-making, fast-growing one making hybrid and fully electric cars. The danger is that they cut spending on the new bit, slowing the development of battery technologies and the launch of new electric models. Better to pare dividends, loss-making foreign adventures and legacy investments.
Pimp the ride – The car industry faces a short-term crisis and long-term decline | Leaders | The Economist

point tournant ou accélération ?

Est-ce que « nos années ‘20 » conduiront à des années ’30 comme celles du siècle précédent ? On dit que les crises sont des moments propices aux transformations profondes. Mais ce ne sont pas toujours des transformations progressistes : si le New Deal américain inspire encore aujourd’hui les promoteurs d’un nouveau pacte économique et environnemental, il ne faut pas oublier que la même période a aussi porté au pouvoir les Hitler, Franco, Mussolini, Salazar et Staline ! 

En décidant, à la fin de l’an dernier, de placer le 5e anniversaire de Nous.blogue sous une enseigne prospective plutôt que rétrospective, nous n’avions pas prévu que le contexte serait aussi favorable à une révision en profondeur des perspectives ! 

Si certains ont vite fait de voir dans cette pandémie un point tournant de l’Histoire (Why this crisis is a turning point in history.) d’autres n’y verront qu’une accélération de tendances déjà à l’œuvre depuis des années : montée des nativismes et des xénophobies, érosion du leadership international des États-Unis, difficultés accrues du projet Européen (The Pandemic Will Accelerate History Rather Than Reshape It). 

Il est bien possible que les politiques qui naitront de la période actuelle se révèlent contradictoires. Quelle surprise ? Du genre sauver l’environnement en investissant dans l’industrie du pétrole, ou un « troisième lien »… Mais l’inconséquence et les pas de deux (un en avant, deux en arrière) de nos gouvernements ne doivent pas nous empêcher de réfléchir : n’avons-nous pas du temps, plus que jamais ? L’actuelle période de vie au ralenti n’est-elle pas propice à un retour sur nos habitudes, nos besoins, nos espoirs ?

La belle unité d’action qui s’est manifestée pendant la première période de la crise, avec un consensus fort autour des mesures de distanciation sociale et des soutien financiers nécessaires, risque d’éclater bien rapidement quand il s’agira de relancer l’économie ou de tirer des leçons pour l’avenir. À combien de périodes de compressions et de « rationalisation » des dépenses publiques nous exposons nous pour l’avenir, afin de payer les dettes qui s’accumulent actuellement, si nous ne changeons pas la logique qui a d’ailleurs contribué à exacerber la crise : réduction des dépenses (et investissements) en santé publique, en soutien aux personnes de santé fragile, en services de base dont on reconnait aujourd’hui le caractère essentiel (préposés, entretien, transport), au nom d’un équilibre budgétaire toujours inatteignable parce qu’on souhaitait, en même temps, réduire les impôts perçus comme exagérés ou, carrément, inutiles et nuisibles. 

Accumulating wealth and maintaining capitalism’s health at the expense of other goals have dominated public discourse for nearly four decades. Maybe we’re sick and tired enough now to think about something else. (The economy VS human life)

[L’accumulation de richesse et le maintien de la santé du capitalisme au détriment des autres finalités ont dominé le discours public depuis quatre décennies. Peut-être sommes-nous assez fatigués et malades pour penser à quelque chose d’autre.]

Il y a tout de même des signes encourageants quand même les éditorialistes du Financial Times reconnaissent que « des réformes radicales, renversant les tendances des quarante dernières années, sont devenues nécessaires. Les gouvernements doivent devenir plus interventionnistes dans l’économie; les services publics sont des investissements et non des dépenses; la redistribution et la taxation des richesses, la question d’un revenu de base doivent être mises à l’ordre du jour. » [Radical reforms — reversing the policy direction of the last four decades — will need to be put on the table. (…) Policies until recently considered eccentric, such as basic income and wealth taxes, will have to be in the mix. – Virus lays bare the frailty of the social contract, Financial Times, 3 avril 2020]

NOTE: Si vous ne pouvez accéder à l’article du FT en cliquant le lien… recopiez le début de la phrase (en anglais) « Radical reforms »… jusqu’à « four decades » et cherchez le dans Google. Vous y aurez peut-être accès !

Des initiatives individuelles comme ce blogueur, Clément Laberge, qui propose à la discussion des idées pour l’après. Mais j’aime bien l’initiative lancée par Bruno Latour d’un questionnaire simple (6 questions) qui se veut un « Exercice pour préparer l’après crise sanitaire pour être sûr que tout ne revienne pas comme avant ». Je reproduis ici les 6 questions mais vous pouvez aussi utiliser un formulaire en ligne (Où atterrir après la pandémie?). 

Il s’agit de faire la liste des activités dont vous vous sentez privées par la crise actuelle et qui vous donne la sensation d’une atteinte à vos conditions essentielles de subsistance. Pour chaque activité, pouvez-vous indiquer si vous aimeriez que celles-ci reprennent à l’identique (comme avant), mieux, ou qu’elles ne reprennent pas du tout. Répondez aux questions suivantes :
Question 1 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas ?
Question 2 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît nuisible/ superflue/ dangereuse/ incohérente ; b) en quoi sa disparition/ mise en veilleuse/ substitution rendrait d’autres activités que vous favorisez plus facile/ plus cohérente ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 1.)
Question 3 : Quelles mesures préconisez-vous pour que les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs qui ne pourront plus continuer dans les activités que vous supprimez se voient faciliter la transition vers d’autres activités ?
Question 4 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles se développent/ reprennent ou celles qui devraient être inventées en remplacement ?
Question 5 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît positive ; b) comment elle rend plus faciles/ harmonieuses/ cohérentes d’autres activités que vous favorisez ; et c) permettent de lutter contre celles que vous jugez défavorables ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 4.)
Question 6 : Quelles mesures préconisez-vous pour aider les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs à acquérir les capacités/ moyens/ revenus/ instruments permettant la reprise/ le développement/ la création de cette activité ? 

[ Je n’ai pas encore pris le temps de remplir moi-même ce questionnaire, mais je serais très intéressé à échanger avec ceux et celles qui le feront aussi.]

Mais le « plan de transition » ne s’élaborera pas en additionnant simplement les opinions et besoins individuels. Évidemment. Nous devons avoir d’autres indicateurs que financiers pour orienter le développement économique. Une « bio-économie » à la Georgescu-Roegen ?[1] De même que nous devons trouver des moyens pour maintenir l’innovation technologique et sociale[2] dans un contexte où la « croissance brute », associée habituellement à l’augmentation des matières et énergies consommées, est grandement limitée, puis réduite. Un contexte où l’appât du gain n’est plus le seul ou le principal aiguillon orientant le développement, mais où la prise de risque (et l’innovation) est encore possible, même favorisée. 


[1] Voir Pierre Charbonnier, Abondance et liberté, p. 325-332

[2] L’idée de dotation universelle en capital, avancée par Thomas Piketty dans Capital et idéologie p. 1126 et ss, peut être interprétée en ce sens. 

Article publié aujourd’hui sur Nous.blogue

carpe diem

David Dayden soulignait avec ce graphique comment la crise actuelle allait faire, fait déjà des gagnants…

Ce à quoi répond Next System Project :  » Il sera essentiel d’offrir des contre-propositions favorisant l’acquisition sociale des entreprises en difficulté – reprises par les travailleurs, par les communautés, ou le public – si on ne veut pas que l’économie soit en core plus qu’avant aux mains des vautours de l’équité privée.« 

En effet, beaucoup d’entreprises en difficultés se feront racheter par les « grandes poches » qui n’auront d’autre idée que de rationaliser, optimiser et créer de grandes entreprises profitables pour de grands marchés qui seront d’autant plus fragiles lors de prochaines crises. C’est l’occasion de soutenir la mise en oeuvre d’alternatives à cette appropriation à rabais : coopératives de travailleurs, rachats communautaires ou acquisitions publiques.

Par ailleurs le « marché de l’emploi » et le marché capitaliste en général n’est pas composé que d’entreprises exemplaires en savoirs-faire et en produits de qualité… beaucoup de ces entreprises vivaient « à la limite de la rentabilité », et ce n’était pas toujours la faute des banques ! La clientèle n’était pas au rendez-vous parce que le produit n’était pas satisfaisant… Aussi le soutien aux entreprises en difficulté ne devrait pas se passer d’une évaluation sérieuse de la valeur des acquis et du potentiel.

En fait il devrait y avoir des décisions et des orientations conscientes à dimension éthique : privilégier les secteurs à bas carbone et à valeur éducative ou roborative élevée. Soutenir le développement d’alternatives aux vacances à l’étranger : circuits locaux de découverte, d’activités, d’hospitalité couplés à des circuits régionaux de transport. Et des entreprises de rénovation et de mise aux normes climatiques des logements; des équipes volantes de formation à l’utilisation des outils de télécommunications (cartes de paiement électronique, interfaces d’utilisation des services gouvernementaux…); des entreprises de transport et livraison locales, pour les commerces locaux; des réseaux d’inclusion, d’accompagnement et de soutien aux personnes isolées, frêles ou malades…

Les programmes de compensation aux chômeurs et travailleurs qui perdront des heures ou des emplois ne pourraient-ils être expérimentés ou réfléchis dans le cadre d’un éventuel programme de revenu garanti ou minimum ? Une avenue d’autant plus nécessaire que la “remontée” sera plus longue et la crise profonde. Le soutien aux travailleurs et travailleuses qui migreront d’un secteur à l’autre dans le contexte d’une transition écologique et économique est un élément crucial pour une transition rapide et profonde.

Comme le dit Jacques Attali dans un billet récent, Que naîtra-t-il ? : « Chaque épidémie majeure, depuis mille ans, a conduit à des changements essentiels dans l’organisation politique des nations ». Ou encore :

Produire autrement, avec une division géographique du travail beaucoup moins dispersée et fragile. Et, en conséquence, promouvoir un tout nouveau mode de croissance, et de nouveaux secteurs économiques jusqu’ici, pour certains, négligés. Surtout ceux de la santé et de l’éducation, dans toutes leurs dimensions.

La pandémie permettra peut-être de comprendre que seul vaut le temps. – Jacques Attali

P.S. Je ne suis pas sûr que mon utilisation du fameux « Carpe diem » soit judicieuse ? Selon Wikipedia, « savourer le présent qui nous est donné (sans toutefois récuser toute discipline de vie) dans l’idée que le futur est incertain et que tout est appelé à disparaître« . Mais, bon. L’idée étant que les « vautours » ne se priveront pas de saisir toutes les bonnes affaires qui se présenteront… à « nous » de profiter de l’occasion pour favoriser les changements qui s’imposent pour ne plus revenir en arrière.