Un texte diffusé sur le tout premier site des CLSC en 1996, un document de réflexion de Marcel Sénéchal qui définit la mission des CLSC alors que le ministère s’apprête à fusionner CLSC, petits hôpitaux et CHSLD sur les territoires de MRC.
Pour des CLSC : centres locaux de services communautaires
Document de réflexion
Avril 1995
Table des matières
INTRODUCTION
1. LA MISSION DE PREMIÈRE LIGNE
- Le territoire
- La gamme de service
- Le concept de qualité
2. LES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DE LA MISSION DE PREMIERE LIGNE
La structure organisationnelle
- la participation du citoyen au processus de décision
- l’engagement de la direction dans la communauté
- l’encadrement
- les rapports entre les professionnels
- la participation des groupes et organismes
Le territoire
- l’intégration de l’institution dans la communauté
- la mobilisation des ressources humaines
3. DÉVELOPPER LES SERVICES DE PREMIERE LIGNE,
- C’EST DÉVELOPPER LE RÉSEAU DES CLSC
- Si les CLSC n’existaient pas, il faudrait les créer parce qu’ils font partie de la solution
- Deux logiques distinctes
- Les conséquences reliées aux fusions de territoire …
CONCLUSION
Introduction
Il est difficile de soupçonner même aujourd’hui toute l’importance du virage que le système de santé et de services sociaux s’apprête à effectuer. On sait déjà toutefois que la réorientation du système épousera deux axes importants: une rationalisation des services médicaux et hospitaliers et le développement des services ambulatoires et communautaires. L’avenir du système de santé, la sauvegarde des principes qui sont à la base de notre système et le maintien de la qualité des services reposent sur la nécessité que les centres hospitaliers se concentrent sur leur fonction de dispensation de soins aigus et que la population ait accès par ailleurs à une gamme beaucoup plus large et renforcée de services de première ligne. De telles idées sont aujourd’hui largement partagées. Ce sont là des orientations qu’ont adoptées une majorité de pays industrialisés et de provinces canadiennes.
Il y a toutefois, au Québec, un débat autour de la structure qui devra dispenser ces services de première ligne. Le Ministère tarde à adopter des orientations claires à ce sujet. Quelques régies régionales ont compris qu’il existait déjà un réseau public de services de première ligne et qu’il possédait une expertise sur laquelle elles pouvaient compter pour procéder aux changements requis. D’autres régies régionales jonglent avec l’idée de regrouper sous de grands ensembles CLSC, centres hospitaliers de courte durée et centres d’hébergement et de soins de longue durée. Or de tels regroupements risquent fort de mettre en péril le maintien et le développement des services de première ligne.
Rappelons-nous qu’au début des années 1970, le gouvernement jugeait pertinent de créer, en dehors du réseau hospitalier, une structure autonome responsable de la production des services de première ligne. Une première planification prévoyait l’implantation d’environ 230 CLSC auxquels on visait à confier des territoires composés d’en moyenne 30 000 personnes. Des difficultés financières ont obligé le Ministère à faire des choix. Il fut alors décidé de continuer à investir prioritairement dans la consolidation et le développement du réseau hospitalier et de modifier Les plans initiaux pour procéder à la fusion de territoires de CLSC de telle sorte que ce réseau est actuellement constitué de 161 établissements desservant des territoires d’environ 45 000 personnes.
Faut-il d’une part poursuivre une telle lancée et réduire encore le nombre de CLSC comme le proposent les plans de certaines régies régionales? Faut-il d’autre part favoriser l’intégration des CLSC dans de grosses organisations également responsables de la dispensation des services hospitaliers et des services d’hébergement?
Le choix de la structure et la détermination des territoires s’avèrent-ils des éléments sans importance lorsqu’il s’agit d’assurer les conditions facilitantes qui permettront la fourniture de services de première ligne qui répondront à des critères de qualité, d’efficience et d’efficacité?
Pour répondre à une telle question, il y a lieu de revenir sur ce qu’est la mission de première ligne et sur les conditions qui permettent sa mise en oeuvre. Nous pourrons alors voir pourquoi il faut miser sur les CLSC comme structures autonomes pour effectuer le virage des services ambulatoires et des services dans la communauté.
1.LA MISSION DE PREMIERE LIGNE
La mission de première ligne comporte trois éléments distinctifs: un territoire bien défini, une gamme spécifique de services et un concept particulier de qualité.
Le territoire
Le texte de la loi précise que la mission du CLSC consiste à « offrir en première ligne, à la population du territoire qu’il dessert… ».
La première caractéristique rattachée à la notion de première ligne est cette notion de territoire où se tissent divers liens d’appartenance, où se développent divers réseaux tant formels qu’informels et qui permet d’être ancré dans sa communauté et de connaître de façon suivie les besoins de la population desservie. Cette caractéristique réfère non seulement à une aire géographique donnée mais surtout à l’appartenance d’un bassin de population à un même milieu de vie, à une communauté.
Dans un livre intitulé « Théorie et pratiques en organisation communautaire » (Presses de l’Université du Québec, 1991), Laval Doucet et Louis Favreau délimitent bien cette notion de communauté géographique. Les CLSC interviennent auprès de populations géographiquement localisées, en milieu urbain, semi-urbain et en milieu rural.
« La communauté doit être prise ici au sens de partage d’un même territoire conçu non seulement comme espace physique, mais aussi comme organisation sociale d’un milieu d’appartenance où des réseaux se sont constitués. Elle fait donc référence à une certaine qualité de relations sociales et à un mode de vie (façon de penser et de se comporter, attachement à certaines valeurs…Ce type de communauté a plusieurs volets: une dimension démographique et géographique, c’est-à-dire un territoire délimité physiquement et psychologiquement; une dimension psychologique proprement dite, soit le sentiment d’appartenance à un lieu donné; une dimension culturelle, à savoir un certain mode de vie, des croyances…; et une dimension institutionnelle, c’est-à-dire un réseau d’organismes qui possèdent un dénominateur commun, soit la participation de la population à l’amélioration de sa communauté. » (Op. cit., p. 238)
La politique de santé et de bien-être (p. 171) fait remarquer, en ce sens que « les gens s’identifient généralement à leur quartier, à leur village, à leur municipalité puis à leur région. C’est donc à l’échelle locale que se développe d’abord la conscience de la qualité de vie et des éléments qui la composent: la santé, l’économie, la prévention des problèmes sociaux, l’environnement, la sécurité ». La mission de première ligne, par le fait qu’elle se déploie sur un territoire ainsi définie, favorise le soutien aux milieux de vie et le développement d’environnements sains et sécuritaires, l’amélioration des conditions de vie, l’action pour et avec les groupes vulnérables et l’harmonisation au plan local des politiques publiques et des actions qui en découlent. Le déploiement de la mission de première ligne dans une structure locale permet une connaissance suivie des besoins d’une population et plus précisément le monitorage des problèmes particulièrement liés aux milieux et aux conditions de vie.
La gamme de services
Le panier de services correspondant spécifiquement à une mission de première ligne et dispensés à la population d’un territoire donné comporte deux volets.
Le premier volet regroupe les services qui visent à répondre à la demande de l’ensemble de la population du territoire desservi, quelque soit le groupe d’âge ou l’identité des personnes qui en expriment le besoin. Un individu vit un problème de santé ou de bien- être et a besoin qu’on l’aide. En tout temps, il peut s’adresser à son CLSC et recevoir de son CLSC ou d’une autre ressource à laquelle il est référé le soutien requis.
Si on voulait dresser un bref portrait de ces services dits courants, on pourrait dire :
* qu’il s’agit là de services d’information, d’accueil, d’orientation, de traitement et de support;
*que ces services sont offerts à toute personne qui s’adresse à son CLSC en raison de problème de nature psychologique. biologique ou sociale;
*que ces services sont disponibles à toute la population;
*que ces services sont principalement caractérisés par un mode d’intervention individualisé;
*que l’accessibilité à ces services peut varier selon qu’il s’agit de consultations sans rendez-vous (plage horaire plus extensive) ou de consultations planifiées (plage horaire plus sélective).
Ces services visent l’amélioration de la situation de la personne et un des facteurs importants, à terme, est de permettre le maintien dans son milieu de vie pour éviter tous les problèmes reliés à l’institutionnalisation qui ont été largement documentés (exclusion, infantilisation, perte des rôles sociaux, déstructuration de la famille, difficultés de réinsertion et de réadaptation, etc.).
Font partie de ce groupe les services médicaux, infirmiers et sociaux courants ainsi que les services offerts à domicile pour une population qui peut difficilement se déplacer. Les services ambulatoires qu’il faudra rapidement développer dans le secteur du maintien à domicile, de la santé mentale et de la médecine familiale, épousent les caractéristiques propres à ce groupe. Ce premier volet de services est donc appelé à se développer considérablement.
Mais on ne parle ici que d’un aspect des services de première ligne: ceux qui répondent, sur demande de la personne, à un problème. Or le CLSC s’est vu, en outre, confier l’obligation d’identifier et de suivre l’évolution des problématiques de santé et de bien-être vécues par la population de son territoire et d’intervenir auprès des groupes les plus susceptibles d’en être affectés. En ce sens, la conception et la réalisation d’interventions pro-actives, sur une base populationnelle, peuvent avoir un impact préventif significatif. Ces interventions se réalisent sous la forme de projets, ont un début et une fin, et sont le résultat d’un effort de priorisation des problèmes et des clientèles.Par ce deuxième volet de services, le CLSC, par différentes stratégies, cherche à développer chez diverses clientèles des comportements compétents et responsables (promotion) et à agir sur les facteurs susceptibles de provoquer l’apparition ou l’aggravation des problèmes (prévention). Les projets d’intervention visent à influencer les principaux déterminants de la santé et mettent par conséquent à contribution d’autres acteurs appartenant à différents secteurs d’activités (écoles, municipalités, commerces, groupes socio-économiques, etc.).
L’institution publique de première ligne peut alors agir comme collaborateur dans le cadre d’un politique nationale et d’une planification régionale (plan régional d’organisation de services) ou assumer la maîtrise d’oeuvre de l’intervention en l’absence d’un plan régional ou lorsqu’il s’agit d’une problématique exclusivement locale.
C’est plus spécifiquement par ce volet de services que le CLSC apporte toute sa contribution à la réalisation de la Politique de santé et du bien-être. Desservant, comme nous l’avons vu, un territoire délimité par des services adaptés à des clientèles particulières, le CLSC adopte naturellement les stratégies préconisées par la politique.
Le concept de qualité
Nous référons ici aux caractéristiques des services de première ligne, à la manière dont ils doivent être dispensés. En d’autres mots, la fourniture des services de première ligne s’accompagne d’une marque de commerce c’est-à-dire d’une approche particulière des problèmes socio-sanitaires de la population et d’une conception de la nature des réponses à leur apporter.
Les services de première ligne doivent être accessibles. Ils doivent rejoindre la population où elle est parce qu’ils constituent le premier point de contact de la population avec le système. Ils sont dispensés à un niveau local, le plus près possible des lieux où se vivent les problèmes de santé et de bien-être et où se définissent les véritables enjeux. Leur localisation est l’application d’une logique de décentralisation.
Ils répondent aux demandes en favorisant dans toute la mesure du possible des solutions de prise en charge individuelles et collectives. Ils sont peu coûteux parce que les investissements dans les infrastructures et les technologies sont limités mais surtout parce qu’ils font appel à la compétence de leurs professionnels et à leur capacité d’innover et de mettre à contribution le potentiel des personnes, des réseaux et des collectivités.
La référence d’une personne à d’autres instances du milieu fait partie de la gamme des services de première ligne. Ils sont donc développés en concertation avec les autres services locaux, les ressources du milieu, les autres établissements du réseau.
En résumé les services de première ligne sont appelés à occuper une place éminemment importante dans un système de santé qui préconiserait:
*une approche globale des problèmes de santé et de services sociaux, valorisant l’autonomie de la personne et le respect de ses droits;
*une approche multidisciplinaire et communautaire, misant notamment sur le développement des réseaux d’entraide;
*une action privilégiant le soutien des personnes en milieu naturel;
*la valorisation de la vie démocratique et de la participation des citoyens au processus de gestion ainsi qu’à la prise de décision;
*l’ancrage des interventions sur les valeurs et le dynamisme des communautés locales;
*des interventions intégrant la prévention des problèmes et la promotion des valeurs positives dans les comportements et les habitudes de vie des personnes ainsi que dans leur environnement;
*une préoccupation particulière à l’égard des individus et des groupes à risque;
*un parti pris en faveur de l’épanouissement des régions mais aussi des communautés.
Il s’agit là précisément des valeurs profondes qui animent l’offre de services de première ligne et qui s’avèrent des éléments fondamentaux de leur marque de commerce.
2.LES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DE LA MISSION DE PREMIERE LIGNE
Les conditions qui faciliteront la mise en oeuvre d’un offre de services de première ligne sont nombreuses. Mais, pour les fins du présent document, nous en retiendrons deux reliées au choix de la structure organisationnelle et du territoire à desservir.
La structure organisationnelle
Les lois de 1971 et de 1991 sur les services de santé et les services sociaux confiaient la responsabilité de dispenser les services publics de première ligne à un établissement autonome qui avait et a son propre conseil d’administration. Ce choix s’explique de plusieurs manières:
*la participation du citoyen au processus de décision;
La communauté doit se reconnaître dans l’organisation qui met à sa disposition les services de première ligne. Elle doit avoir une emprise sur cette organisation qui a le mandat de bien identifier ses besoins, de cerner les problèmes de santé et sociaux qui l’affectent, de connaître ses habitudes, ses comportements, ses valeurs, de favoriser la contribution des ressources qu’elle possède dans la recherche de solutions à ses problèmes et de demeurer une institution, au même titre que l’école et la caisse populaire, qui lui appartienne et dans laquelle elle aura le goût de s’investir. Les problèmes tant individuels que collectifs que traite l’organisation qui dispense les services de première ligne sont ceux auxquels la population est elle- même quotidiennement confrontée.
Il doit donc s’établir entre la communauté et la structure responsable des services de première ligne un corridor étroit. Les processus d’identification des besoins et de réponse à ces besoins adoptés par l’organisation ne doivent pas avoir pour effet de désapproprier la population de sa capacité d’identifier elle-même ses besoins et d’y répondre. Il est par conséquent nécessaire que la communauté joue un rôle majeur sur le conseil d’administration qui gère l’établissement. Ce conseil d’administration, par sa composition, assure un lien constant entre l’organisation et les besoins de la communauté qu’elle dessert.
*l’engagement de la direction dans la communauté;
Étant ancré dans sa communauté locale, l’organisation responsable des services de première ligne est sensible aux problèmes de son milieu et développe des liens constants, personnalisés et crédibles avec la population, les groupes communautaires, les organismes du milieu et les leaders de la communauté.
La direction générale et l’équipe des gestionnaires ont un rôle important à jouer à ce niveau. Ils doivent être connus du milieu qui peut en tout temps les interpeller directement notamment sur la qualité des services offerts, les réalisations et les projets de l’organisation, les besoins de la communauté.
Par son action communautaire, soutenue directement mais non exclusivement par le travail des organisateurs communautaires, l’établissement intervient régulièrement pour identifier les problématiques du milieu, sensibiliser et conscientiser le milieu, supporter les ressources existantes, créer de nouvelles ressources, mobiliser ces ressources et favoriser leur concertation et promouvoir des actions politiques en faveur de la santé et du bien-être. Ces tâches sont assumées bien sûr par une équipe de professionnels qui peuvent compter sur un engagement de leurs gestionnaires dans la communauté.
*l’encadrement;
Dans un ouvrage intitulé « La création d’une culture organisationnelle: le cas des CLSC » (FCLSCQ, mai 1986), Poupart, Simard et Ouellet décrivent, à partir d’observations traduites sous formes de monographies, le fait que les CLSC ont développé une culture particulière reposant sur des valeurs et des façons de faire qui leur sont propres. Ils démontrent que ces organisations s’avèrent des organisations bien sûr bureaucratiques mais surtout différentes par le fait qu’elles s’investissent dans une communauté et développent, pour ce faire, des modes de travail et d’organisation distincts.
Les auteurs s’attardent notamment sur le fait que l’autorité, dans ces organisations, est une autorité partagée qui repose évidemment sur des bases rationnelles et juridiques mais aussi sur des bases morales.
« Dans ces &laqno;sociétés de consensus» que sont les CLSC, il n’est pas absolument nécessaire que l’autorité soit entièrement concentrée dans la personne des dirigeants. Les rôles normalement dévolus aux gestionnaires peuvent être partagés par les praticiens, à condition que ceux-ci bénéficient de la légitimité nécessaire. Ce partage est d’ailleurs facilité par l’existence de structures participatives qui agissent comme lieu de responsabilisation envers une tâche à accomplir, des objectifs à atteindre et des significations à assumer… » (Op. cit., p. 92)
Le professionnel oeuvrant dans une organisation de première ligne s’investit dans son métier mais doit également s’investir dans l’organisation en épousant notamment les valeurs qui l’inspirent. Son éthique professionnelle doit en même temps être imprégnée des valeurs et idéaux de l’organisation « de sorte que le professionnel se comporte comme s’il était lui-même le CLSC ».
Cela n’est possible que si la structure organisationnelle est suffisamment flexible pour permettre au professionnel d’influencer à l’inverse les orientations de l’organisation et de participer à la définition des projets et autres modalités qui permettront à cette dernière d’actualiser sa mission. L’organisation doit donc convenir de modes d’encadrement souples et participatifs, assurer des modes de communication qui permettront au personnel de connaître, d’adhérer et de participer à la mise en oeuvre de ses orientations.
*les rapports entre les professionnels;
Oeuvrer comme professionnel dans une organisation dispensant des services de première ligne fait appel à des compétences spécifiques. On investit dans son métier, dans une organisation mais aussi dans une communauté. Il ne suffit pas d’avoir reçu une formation d’infirmière, de médecin ou de travailleur social pour savoir intervenir en première ligne. L’Université de Sherbrooke, en collaboration avec la Fédération des CLSC du Québec, a mis en forme un certificat en intervention de première ligne permettant au personnel des établissements de première ligne d’acquérir les compétences et les habiletés requises pour pouvoir intervenir adéquatement à ce niveau. Rejoindre les groupes et les personnes les plus vulnérables, identifier et mobiliser les ressources du milieu, identifier les véritables besoins de la personne, travailler dans une équipe multidisciplinaire, actualiser au plan de l’évaluation d’une demande et dans l’élaboration de plan d’intervention une approche reposant sur une vision globale de la personne, commande à n’en pas douter un savoir, un savoir-faire et un savoir-être particuliers. L’expertise des processus d’aide, de réappropriation par la personne de ses propres capacités, de support à la personne pour qu’elle aille chercher dans son entourage l’aide dont elle a besoin est ici aussi importante que l’expertise disciplinaire.
Le professionnel doit se donner une éthique ou une morale professionnelle qui en embrasse plus large que les codes d’éthique habituellement liés aux corporations. Les codes d’éthique adoptés par les établissements publics de première ligne dans le cadre de la loi en témoignent. L’intervention de première ligne introduit également entre professionnels qui oeuvrent à l’intérieur de l’organisation des rapports différents. Les tâches ne sont pas limitées aux aspects techniques des professions. On s’occupe davantage des personnes malades, dans l’exercice de leurs rôles quotidiens, que des maladies dont elles sont affectées. On ne traite pas la maladie mentale mais on s’occupe des malades mentaux qui doivent subvenir à leurs besoins quotidiens, éduquer des enfants, entretenir des rapports valorisant avec leur entourage.
En ce sens, la création des CLSC a fourni l’occasion aux professionnels de renégocier le partage des tâches et de s’investir autrement dans l’exercice de leur métier. Travailler comme infirmière dans un établissement de services de première ligne, ce n’est pas comme travailler dans un hôpital. Ces rapports entre professionnels sont forcément plus égalitaires parce qu’ils ont à partager des aspects de tâches qui leur sont communes et qui font appel à des compétences communes. Ce fait vient bousculer complètement les habitudes et les façons de faire acquises et génère une forme de travail d’équipe propre aux organisations de première ligne.
*la participation des groupes et organismes;
Si les organisations de services de première ligne savent et peuvent compter sur le développement, la mobilisation et la concertation des ressources du milieu, elles savent et peuvent également compter sur les organismes et les groupes pour identifier les besoins de la communauté et se donner les orientations et les moyens requis pour pouvoir assumer leur mission.
Elles adoptent donc les moyens qui leur permettront de mettre à contribution ces importants acteurs dans leurs processus de planification et leurs différents processus de travail. Il est donc nécessaire que les groupes et les organismes du milieu se sentent à l’aise et trouvent leur place dans ces organisations pour notamment transiger les modes de dispensation des services.
Les établissements de première ligne peuvent être définis comme des institutions partagés entre un pouvoir central (la régie régionale, le ministère) et un pouvoir local. Leur succès est en ce sens tributaire d’un sain équilibre entre ces deux pouvoirs. Aucun de ces pouvoirs ne doit s’imposer de telle façon qu’il ne laisse pas à l’autre la place nécessaire pour qu’il puisse influencer légitimement les orientations et le fonctionnement de l’établissement. En ce sens, l’organisation mis en place par l’État doit adopter une configuration et une envergure qui demeurent à l’échelle de la communauté qu’elle dessert et qu’elle veut animer.
Le territoire
Nous avons vu au départ que le territoire référait évidemment à un aire géographique donnée mais surtout à une « organisation sociale d’un milieu d’appartenance où des réseaux se sont constitués ». Il est certes difficile de convenir du volume optimal de population composant le territoire qu’un établissement de services de première ligne devrait normalement desservir. Il y a toutefois certainement avantage à ce que l’organisation de première ligne demeure une organisation de taille modeste.
*L’intégration de l’institution dans la communauté.
Il faut que l’organisation demeure une espèce de véhicule « tout-terrain » capable de s’adapter aux besoins d’une communauté, à ses manières de faire. Il s’agit là d’une condition qui lui permettra de tirer profit des forces que la communauté possède. La population, les groupes et les organismes du milieu risquent davantage d’y avoir accès facilement et d’y retrouver aisément la place qui leur revient. L’État doit donner aux communautés locales le contrôle de leur CLSC comme celui de leurs écoles. Le dynamisme de la population, sa responsabilisation, le développement de l’entraide et du bénévolat comme alternatives aux formes de prise en charge publique risquent de s’actualiser en autant qu’elles peuvent s’affirmer et se déployer par le biais d’organisations qui interviennent au plan local.
Les structures organisationnelles responsables de la fourniture des services de première ligne doivent être conséquemment fortement décentralisées pour répondre aux caractéristiques des communautés qu’elles desservent. C’est là une question d’accessibilité, pas seulement au plan géographique, mais aussi aux plans psychologique et culturel. En demandant par exemple à deux CLSC de se fusionner dans une même organisation, c’est au fond à deux communautés qu’on demande de se fusionner. Et c’est remettre en cause l’efficacité même de l’organisation qui aura à assumer la mission de première ligne.
*La mobilisation des ressources humaines.
La fusion de plusieurs territoires a un impact direct sur la taille de l’organisation qui fournit les services de première ligne. Or plusieurs études démontrent que la communication et plus spécifiquement l’adhésion du personnel aux valeurs et aux orientations de l’organisation de même que sa participation au choix de ces valeurs et de ces orientations est plus problématique dans de grosses organisations qui sont forcément plus normalisantes et plus « structurantes ».
3.DÉVELOPPER LES SERVICES DE PREMIERE LIGNE, C’EST DÉVELOPPER LE RÉSEAU DES CLSC
On conviendra facilement que la structure n’est pas un objectif en soi. Elle est de l’ordre des moyens. Elle fait partie des conditions qui doivent faciliter la poursuite des objectifs qu’on se donne. En ce sens, il est tout-à-fait légitime de se questionner sur le type de structure qu’on doit se donner pour assurer les conditions de mise en oeuvre de la mission de première ligne.
Si les CLSC n’existaient pas, il faudrait les créer parce qu’ils font partie de la solution…
Le Québec est le seul État au monde à avoir implanté un réseau d’établissements publics autonomes responsables de la fourniture des services de santé et des services sociaux de première ligne. Le développement de ce réseau ne s’est pas fait sans heurt.
Même si la réforme du début des années 1970 reconnaissait la pertinence de la prévention, la nécessité de mieux organiser les services de première ligne, d’intégrer dans une même organisation les services sociaux et les services de santé de première ligne, notre système de santé a trouvé les moyens de continuer à privilégier le développement et la consolidation de son réseau de services spécialisés forcément plus coûteux. Années après années, la majeure partie des investissements étaient consacrés au maintien et à la croissance des services médicaux et hospitaliers. On avait les ressources requises pour financer à la fois le problème et la solution.
Le Québec a tout de même réussi à se donner un réseau complet d’établissements publics de première ligne. Ce réseau, par le biais de sa fédération, est souvent intervenu pour inviter l’État à réorienter le système en faisant de son réseau de services de première ligne la base du système et en favorisant ainsi le recours aux ressources plus légères chaque fois que cela était possible et pertinent.
Nous sommes tous aujourd’hui conscients que nous ne pouvons plus continuer à recourir autant aux solutions que sont l’hospitalisation, l’hébergement et le placement. Nous n’en avons plus simplement les moyens. On vient donc de redécouvrir la vertu reliée aux services de première ligne. On devient conscient des sommes faramineuses qu’on pourrait économiser en hospitalisant, hébergeant et plaçant seulement lorsque cela est requis.
On pourrait s’attendre en conséquence à ce qu’on se prépare à renforcer le réseau qu’on s’est donné collectivement pour dispenser les services de première ligne, celui qui a mis plus de vingt ans à développer l’expertise que l’on connaît. C’est ce réseau qui a appris à connaître les communautés qu’il dessert et à DÉVELOPPER les mécanismes de prise en charge respectueux de leurs valeurs et de leurs manières de faire. Il est donc important que les décideurs et les planificateurs du système s’enquièrent des capacités de ce réseau à assumer des responsabilités accrues. Les CLSC sont-ils suffisamment ancrés dans leurs communautés pour assumer adéquatement leur mission? Leur a-t-on confié des territoires trop larges pour qu’ils puissent intervenir efficacement? Y a-t-il une commune mesure entre les mandats qui leur sont confiés et les ressources qu’on leur a allouées?
Mais un tel questionnement ne semble pas vouloir se faire. Plusieurs centres hospitaliers voudraient bien hériter de ce mandat de développer les services ambulatoires. Certaines régies régionales rêvent de fusionner tous les établissements oeuvrant sur le territoire d’une même municipalité régionale de comté sous un seul conseil d’administration. D’autres songent à fusionner plusieurs territoires de CLSC pour réduire le nombre d’établissements.
Deux logiques distinctes…
Il est pour le moins risqué de confier à un même établissement la responsabilité de dispenser les services hospitaliers et les services de première ligne, quand ce n’est pas aussi celle de dispenser les services d’hébergement et de longue durée. Nous avons vu que le développement des services de première ligne répondait à une logique spécifique. Ils doivent être décentralisés le plus possible et ainsi pouvoir se fondre dans la communauté qu’ils desservent. Ils sont la responsabilité partagée de l’institution qui les dispensent et des citoyens et des groupes et organismes qui composent cette communauté. La taille de l’institution doit demeurer à l’image de cette communauté et favoriser son implication et son engagement. Le professionnel doit également pouvoir s’impliquer dans l’organisation, entretenir des liens étroits avec ses supérieurs et influencer le choix des orientations et des moyens. Il doit pouvoir entretenir avec ses collègues des rapports égalitaires et efficaces.
La consolidation et le développement des services spécialisés dans le contexte actuel répond à une autre logique. La fourniture de services hospitaliers spécialisés et ultra- spécialisés fait surtout appel au savoir-faire des professionnels, par exemple à celle des médecins spécialistes, et à la disponibilité d’équipements et de technologies hautement sophistiquées. La contribution de la communauté à ce niveau est forcément limitée. Un pourcentage minime de la population a recours à ce niveau de services dans des circonstances la plupart du temps exceptionnelles. L’expertise requise peut être difficilement partagée. L’organisation et la dispensation de ce niveau de services commande un regroupement et une centralisation des forces et des ressources et répond à des règles de fonctionnement très précises parce qu’il s’agit la plupart du temps d’intervenir en situation d’urgence. Les rapports entre les professionnels dans ces circonstances sont davantage hiérarchisés et on fait davantage appel à leurs connaissances techniques.
Mettre sous le même toit la responsabilité d’administrer et de gérer l’offre et la demande de services de première ligne et de services spécialisés comporte des risques importants. Même là où c’est nécessaire de le faire (nous référons aux territoires dotés de centres de santé), parce que le volume de population et les distances ne sauraient justifier la coexistence de deux structures distinctes, le bilan démontre que le développement des services communautaires en a souffert et demeure très limité. Il existe, plusieurs années après, un déséquilibre important entre le niveau d’évolution des services hospitaliers et celui des services communautaires.
Le ministère lui-même, doté de tous les pouvoirs, n’a pas été capable d’assurer l’équilibre nécessaire dans le développement des différents niveaux de services. Peut-on penser qu’il en serait autrement dans une organisation qui aurait à long terme à administrer les services hospitaliers et ceux de première ligne dans un contexte où les organisations demandent la marge de manoeuvre requise pour faire les choix qui s’imposent afin de procéder aux compressions budgétaires auxquelles elles sont assujetties? On connaît, par exemple, le poids qu’exercent les médecins spécialistes dans l’administration et le fonctionnement des centres hospitaliers. En serait-il autrement dans une organisation qui gèrerait en même temps les services de première ligne? Les établissements fournisseurs de services spécialisés sont d’abord les lieux d’exercice des professions qu’on y retrouve. L’établissement fournisseur des services de première ligne est d’abord le lieu d’apprentissage et d’exercice de la démocratie c’est-à-dire de la participation de la communauté au processus d’identification de ses besoins et de réponse à ses besoins.
Quel serait le degré de mobilisation du personnel affecté aux services de première ligne et de la participation de la communauté dans l’administration d’une organisation qui gagnerait en taille, administrerait des budgets encore plus imposants, desservirait un territoire regroupant plusieurs communautés locales et ferait face à des problématiques de gestion beaucoup plus complexes? Ce faisant, on risque forcément d’atteindre les objectifs contraires à ceux qu’on poursuit. Il y a des chances que l’avenir de la prévention, des services sociaux et communautaires reviennent entre les mains de ceux dont on disait qu’ils prenaient trop de place dans le système. Ce serait consacrer l’importance qu’on prête aux centres hospitaliers et aux médecins dans un système qui veut pourtant se renouveler et s’orienter autrement.
Les conséquences reliées aux fusions de territoire…
Fusionner des CLSC avec d’autres CLSC ou avec des Centres d’hébergement et de soins de longue durée pose aussi des problèmes importants. Là aussi on confierait la responsabilité des services de première ligne à des organisations dont la taille devient moins compatible avec l’objectif de participation des communautés locales et celle du personnel. Les rapports entre l’administration, la communauté et le personnel professionnel seraient sensiblement modifiés et perdraient en qualité. Ils seraient davantage bureaucratisés et l’objectif de redonner aux communautés les responsabilités qui leur reviennent serait remis en question.
Une des raisons qui militent en faveur des regroupements des centres hospitaliers, c’est qu’ils permettent d’éviter les duplications et la concurrence dans le développement des spécialités. Or les CLSC ne sont pas en concurrence les uns avec les autres parce qu’ils ont chacun à desservir leur territoire respectifs sur la base d’une gamme commune de services.
CONCLUSION
Le Québec a investi dans l’implantation d’un réseau public de services de première ligne. Au moment même où il reconnait la nécessité de développer de façon significative les services communautaires, il devrait d’abord se préoccuper de rentabiliser ses investissements de l’ordre de plusieurs centaines de millions dans l’implantation d’un réseau public de services de première ligne et de renforcer ce réseau pour qu’il puisse assumer adéquatement des responsabilités élargies.
S’il y a une réflexion à faire ou des changements à apporter, ce n’est pas d’amalgamer des établissements qui ont des missions de nature aussi différente et d’en confier la responsabilité, sous une forme plus ou moins déguisée, à un centre hospitalier, mais c’est plutôt de s’assurer qu’on retrouve les conditions requises pour que le réseau des CLSC remplisse adéquatement son rôle.
Les organisations publiques de services de première ligne doivent demeurer de petites organisations, vouées entièrement au développement des services de première ligne, capables de se réorienter rapidement et d’adopter la souplesse et la flexibilité pour adapter ses services aux besoins de la population et organiser ses services de telle façon que le dynamisme et les ressources de la communauté seront mis à contribution.
Alors que les services spécialisés, de deuxième et troisième ligne, doivent être regroupés, centralisés, pour devenir plus performants, pour qu’on demeure capable de se donner collectivement les ressources humaines et l’équipement technologique dont nous avons besoin à ce niveau, les services généraux de première ligne doivent être organisés sur un mode local, dispensées par des structures locales, décentralisées, gérées par un pouvoir local.
Par contre le réseau des CLSC a lui-même ses devoirs à faire pour s’assurer qu’il a les conditions requises pour pouvoir jouer adéquatement son rôle. Il a la responsabilité de questionner son organisation et ses activités afin qu’il puisse d’une part répondre à la demande, au CLSC même, à domicile et dans les différents milieux et d’autre part mettre de l’avant des projets de prévention afin de venir en aide aux groupes les plus vulnérables au prise avec des problèmes qui auront été identifiés comme prioritaires.